Retraites : Il n'est pas temps de brouiller le débat

Michel Sapin


Entretien accordé par Michel Sapin, trésorier du Parti socialiste, au quotidien Libération daté du samedi 31 mai 2003
Propos recueillis par Renaud Dely


 

Michel Rocard estime qu'au pouvoir, le PS agirait sur les retraites comme François Fillon. Un éclair d'honnêteté intellectuelle dans un concours de démagogie ?
Quelle que soit l'amitié que j'ai pour Michel Rocard et l'admiration que j'éprouve pour nombre de ses actes, je considère qu'il commet une faute politique fondée sur une erreur d'analyse. Avant de parler, il ne faut pas oublier dans quel contexte on s'exprime. Aujourd'hui, le contexte est celui d'une forte tension sociale, d'une bataille vive entre des forces sociales déterminées. De plus, nous sommes à quelques jours d'un débat parlementaire important qui va voir s'affronter la droite et la gauche de l'hémicycle. Il n'est pas temps de brouiller le débat. Quant à son erreur d'analyse, elle est double. Elle porte d'abord sur l'attitude du gouvernement. Lui-même grand artisan du dialogue social, Michel Rocard convient que la réforme d'un dossier aussi sensible que celui des retraites doit être le fruit d'une négociation, d'une vraie et longue négociation. Cela n'a pas été le cas et c'est déjà en soi suffisant pour réclamer le retrait du projet Fillon. Sa deuxième erreur d'analyse, qui me surprend tout autant, c'est d'exclure tout autre outil que l'allongement de la durée de cotisation pour sauver le régime par répartition, y compris l'utilisation de son « bébé », la CSG (contribution sociale généralisée). C'est une erreur grave : s'il est une critique de fond que l'on peut porter au gouvernement, c'est de n'utiliser qu'une seule des manettes, l'allongement de la durée de cotisation, et de faire peser ainsi la quasi-totalité de l'effort sur les seuls salariés.

Ancien ministre de la Fonction publique, auriez-vous pu être celui de l'alignement de la durée du public sur les 40 annuités du privé ?
Ce thème de « l'allongement » comporte deux aspects. Il y a d'abord le passage à 41 annuités, puis 42, voire plus tard 43 pour tous, une perspective que nous rejetons. Il y a ensuite la question de l'équité. Certes, il faut que tous les Français soient traités de la même façon devant la retraite. Mais le gouvernement pratique le rideau de fumée de l'équité alors qu'il aurait fallu la rechercher dans le cadre d'une négociation qui aurait privilégié la question de la pénibilité des tâches. Il existe dans le privé des métiers dont la pénibilité aurait justifié que l'on revienne à 37,5 annuités. A l'inverse, il est dans le public des postes non pénibles qui justifient qu'on passe sans problème à 40 annuités.

Déchirés entre le souci de coller au mouvement social et celui de défendre leur culture de gouvernement, les socialistes semblent incapables de tirer leurs idées au clair sur les retraites.
On ne peut pas porter deux croix à la fois, la croix de l'opposition et la croix de la majorité. Il est tout à fait normal que les socialistes cherchent aujourd'hui à mettre en échec un texte funeste pour les Français. Il y a le temps de l'opposition, nous y sommes, celui des orientations que nous dévoilons peu à peu, telle l'équité par la pénibilité ou la mobilisation d'autres ressources pour financer la réforme, puis viendra le temps des propositions que nous développerons lors du débat parlementaire d'abord, à l'occasion des prochaines échéances électorales ensuite. Face aux dangers de l'idéologie ultralibérale qui, sous couvert de rondeurs et de raffarinades, s'en prend aujourd'hui aux retraites et demain à la santé, nous devons défendre une société de la solidarité.

A quoi peut encore servir le débat parlementaire qui s'ouvrira le 10 juin ?
A pas grand-chose si la droite considère qu'on ne peut pas toucher à son texte ou si le gouvernement dégaine rapidement, comme on peut le craindre, l'arme du 49-3 pour évacuer la discussion. Mais par-delà son issue législative, qui est connue du fait de l'arithmétique qui règne dans l'hémicycle, ce dossier des retraites mérite un grand débat démocratique et politique dans la clarté. A nous de parler clair aux Français : ils nous écoutent de plus en plus...

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