Quel renouveau
pour le Parti socialiste ?


Nous ne pensons pas que le débat constitutionnel soit l'essentiel. Le point-clé est aujourd'hui dans la capacité des partis politiques à comprendre les demandes de la société.

par :
Alain Bergounioux, historien
Claude Evin, député (PS) de la Loire-Atlantique
Alain Richard, ancien ministre de la Défense
Michel Sapin, ancien ministre de la fonction publique et de la réforme de l'État
Bernard Soulage, membre suppléant (représentant des régions) du Comité des régions d'Europe.
Ils sont membres du bureau national du PS.

Texte paru dans le journal Le Monde daté du 21 juin 2002



Alain
Bergounioux


Claude
Evin


Alain
Richard


Michel
Sapin


Bernard
Soulage


Le premier tour de l'élection présidentielle a créé une situation politique nouvelle. Ses conséquences n'ont pas été effacées par le sursaut républicain du second tour ni par la victoire législative de la droite le 16 juin.

Certes, la défaite du 21 avril était évitable.

Si, par exemple, un seul sondage avait indiqué que Le Pen pouvait arriver devant Lionel Jospin, au premier tour, un vote utile aurait eu lieu et le retard de moins de 200 000 voix aurait été comblé. Le paysage politique n'aurait pas été le même malgré une progression du Front national. Les contingences politiques ont donc eu leur part.

Mais la crise que connaît la gauche, celle qui veut agir sur le réel, celle qui peut prétendre gouverner, révèle des évolutions plus profondes qui auraient également joué dans un nouvel exercice du pouvoir de la gauche dite plurielle.

C'est l'équation politique et sociale de la gauche de gouvernement qui est en cause. La complémentarité des différents partis de la gauche plurielle ne joue plus. Aujourd'hui, la gauche est minoritaire dans le vote ouvrier. Et le vote des catégories moyennes est volatil.

Une part du vote populaire s'ouvre désormais à des formes de populisme à l'extrême droite mais aussi à l'extrême gauche. Cette tendance est à l'œuvre depuis plus d'une décennie ; elle avait déjà joué dans les élections de 1993. Mais le 21 avril lui a donné un caractère spectaculaire. Est-elle réversible ? Nous le pensons. C'est tout l'enjeu de la reconstruction de la gauche qui s'annonce.

Le bilan des années Jospin est plus qu'honorable dans le contexte d'une économie mondialisée structurée par la concurrence. Et pourtant, cela n'a pas suffi. La principale cause de cette insuffisance tient dans ce que nous n'avons pas bien compris, et donc avons mal traité, les contradictions actuelles de la société française. Les intuitions justes qui ont structuré le projet socialiste, notamment un nouvel équilibre à établir entre l'autonomie et la responsabilité, les mesures nouvelles reprises dans le programme présidentiel, comme la formation tout au long de la vie, n'ont pas été placées dans une vision d'ensemble répondant aux attentes et aux inquiétudes.

Or, les élections ont mis en lumière trois phénomènes majeurs : nous ne savons plus réellement intégrer, le discours républicain nous servant trop souvent de paravent, nous avons du mal à adapter notre politique à l'évolution du salariat et du travail, nous n'avons pas su dire ce que nous voulons pour l'Union européenne.
Ce sont là des faits et des questions qui ne caractérisent pas seulement la situation française. Les élections récentes dans l'Union européenne, en Italie, en Autriche, au Danemark ou en Hollande montrent bien que les gauches de gouvernement sont prises en tenaille entre le libéralisme et le populisme. La social-démocratie européenne peut-elle être à la fois antilibérale et antipopuliste ? Elle n'apportera une réponse convaincante qu'en s'exprimant clairement sur les problèmes lourds de ce début de siècle, particulièrement sur les fondements, aujourd'hui, de l'autorité dans une société d'individus, sur l'équilibre entre les droits et la responsabilité individuelle, sur les conditions de la sécurité des personnes dans une économie du risque, sur les moyens de promouvoir l'égalité dans une société où l'accès au savoir conditionne de plus en plus le destin social.

Le fil directeur des réponses que nous devons apporter tient dans une conviction : le Parti socialiste doit demeurer le parti de l'alternance ; il doit, pour ce faire, affirmer sans équivoque sa vocation à gouverner et, en même temps, il doit renouveler sa doctrine - car il n'y a pas d'influence durable sans doctrine forte - et également réformer ses pratiques politiques. La première condition du succès est d'éviter une régression idéologique. Ce serait de laisser filer le débat pour savoir s'il faut être "plus ou moins à gauche" entre une priorité donnée "au social" et un rappel à la "réalité" économique. Ce n'est pas le sujet. Le problème est de réorienter les politiques pour répondre aux attentes diverses (parfois contradictoires) qui nourrissent les votes extrêmes. La "dépense sociale" n'est pas en cause. Il s'agit de savoir quels doivent être les points d'application efficaces qui ne se résument pas à un empilement de mesures indifférenciées.

Nous pouvons reprendre les trois défis mis en lumière dans les récentes élections. L'intégration d'abord. Les efforts menés dans les années passées ont été notables. Le budget de la politique de la ville n'a cessé de croître. L'accent mis sur la sécurité et le respect de la loi est une nécessité reconnue. Mais au-delà ? Il n'y a certes pas de raccourci historique. Il faut du temps pour réduire les discriminations, les défiances et les communautarismes. La politique de discrimination positive n'appartient pas à notre culture politique - même si c'est ce que nous avons fait depuis 1982 avec les zones d'éducation prioritaires. Il faudra pourtant lui donner une grande ampleur. L'égalité n'est pas l'uniformité ; elle demande de prendre en compte les choix et les efforts personnels à partir des situations concrètes qui ont forgé l'héritage, la famille, l'habitat, etc.

La question de l'intégration demande en fait de repenser les éléments d'une politique globale qui va des moyens de notre système éducatif à une refonte également globale de notre urbanisme. De tels objectifs ne peuvent être atteints sans des services publics présents et adaptés aux besoins. Cela suppose de mener le débat européen pour assurer la légitimité des services publics, de débattre en toute clarté des coûts financiers devant l'opinion (car il n'existe pas de "trésor caché" dans les finances publiques), de conduire une rénovation négociée pour satisfaire notre volonté d'une cohésion sociale et territoriale.

Lutter contre la précarité qui touche des millions de salariés ne demande pas de renforcer encore davantage les règlements encadrant les recrutements et les licenciements qui ont atteint un équilibre au-delà duquel l'incitation à créer des emplois serait limitée. A côté des actions que peut mettre en œuvre un gouvernement pour favoriser les reclassements des salariés et rechercher de nouvelles activités, deux nouvelles priorités doivent être proposées - qui ont déjà commencé à apparaître dans les programmes syndicaux et politiques.

La première est de mettre sur pied une "sécurité sociale professionnelle" - pour reprendre l'expression de Bernard Thibault - qui accorde des droits transférables d'une entreprise à l'autre aux salariés pour limiter les conséquences des brisures dans les vies professionnelles de plus en plus fréquentes. La seconde priorité est liée à la première. Elle appelle une réforme en profondeur de notre système de formation professionnelle pour offrir une seconde chance aux salariés qui en ont le plus besoin.

Ces deux dernières propositions montrent l'importance que revêt la négociation sociale dans une démarche réformiste entre l'Etat, les syndicats et le patronat. La négociation interne à la majorité plurielle l'a par trop concurrencée. Il ne peut y avoir de progrès social partagé sans un rapport de forces suffisant entre les syndicats et le patronat. De nouvelles règles pour la représentativité des organisations syndicales et pour la légitimité des accords négociés s'imposent. Le passage réussi à l'euro a occulté l'incompréhension et les inquiétudes provoquées par l'ouverture au monde et l'intégration européenne.

L'ambivalence de la mondialisation n'est plus à démontrer : la richesse mondiale a crû mais sa répartition est par trop inéquitable. Les mouvements de contestation de la mondialisation y trouvent leur justification. Mais il y aurait beaucoup à perdre à se contenter de courtiser ces mouvements sans mener une discussion franche. Car la critique de la mondialisation reprend trop souvent les arguments contre l'économie de marché que nous avons entendus pendant des décennies.

Construire la mondialisation, écrit le Prix Nobel Armartya Sen, est la réponse indispensable aux doutes sur la mondialisation. C'est pour ces raisons que nous avons besoin de l'Union européenne qui peut être un moyen pour assurer une régulation de la mondialisation. Mais pour faire partager cet objectif, nous devons donner une représentation politique compréhensible à l'UE. Le débat ouvert dans la Convention européenne ne pourra pas demeurer l'affaire des élites. Dans les choix qu'il nous faudra faire, il sera décisif de partager clairement les compétences entre les nations et l'Union, revenir pour cela sur un certain nombre de délégations - concernant les services publics et l'essentiel de la protection sociale particulièrement - et organiser un système de responsabilité claire pour ce qui est délégué.

Ces idées ne suffisent certes pas pour définir un projet global. Elles y contribuent cependant en montrant sur des points-clés que nous devons être, à la fois, plus audacieux et plus clairs. Pour influer de manière centrale sur les valeurs et les idées de notre société, il nous faut sortir définitivement de la culture du "ni-ni". Il serait tout à fait illusoire de penser que le PS n'a qu'à être la résultante moyenne des idées et des courants qui vont du centre à l'extrême gauche. Le PS ne pourra pas s'enfermer dans des débats trop internes à la gauche qui nous font courir le risque de ne pas bien mesurer les évolutions de la société. L'avenir de la gauche demande que le PS fasse un saut qualitatif et quantitatif pour regrouper une large majorité. La constitution d'un grand parti de la droite oblige de toute manière à repenser l'organisation même de la gauche.

Cela passe par un renouveau idéologique, comme nous l'avons vu. Mais cela demande tout autant une réforme de nos pratiques politiques. Nous ne pensons pas que le débat constitutionnel soit l'essentiel. Des réformes peuvent être faites pour rendre plus vivante la démocratie - tout particulièrement la mise en œuvre d'une nouvelle étape de la décentralisation. Mais le point-clé est aujourd'hui dans la capacité des partis politiques à comprendre les demandes de la société, à mener un débat approfondi dans le pays, à définir les mesures nécessaires. C'est du sens de l'action politique qu'il s'agit. Pour cela, nous devons être plus représentatifs de la société. Une attitude volontariste a été définie par les socialistes pour la parité - et l'effort n'est pas terminé. Nous devons avoir la même volonté pour diversifier beaucoup plus socialement et culturellement l'accession aux responsabilités partisanes et électives. Cela passe aussi par la mise en place de nouvelles structures d'organisation, additionnant les sections, des adhésions thématiques, des associations, toutes structures qui devraient être appelées à participer à l'orientation programmatique et à la désignation des candidats aux différentes élections.

Les réformes intellectuelles et organisationnelles doivent marcher ensemble. Elles ne peuvent pas être improvisées. Elles demandent un dialogue approfondi entre les socialistes et avec les Français. Elles exigent que le débat d'idées l'emporte sur toute autre considération. Elles ont nécessairement une dimension européenne pour confronter les problèmes et les réponses. Ce sont les conditions nécessaires pour tenir ensuite un congrès qui soit réellement fondateur pour la période nouvelle qui s'ouvre.


Reproduit avec l'aimable autorisation du quotidien
© Copyright Le Monde Interactif


Page précédente Haut de page

PSinfo.net : retourner à l'accueil

[Les documents] [Les élections] [Les dossiers] [Les entretiens] [Rechercher] [Contacter] [Liens]