Une autre mondialisation est possible

Claude Saunier

 Contribution thématique au congrès national de Dijon présentée par Claude Saunier, sénateur des Côtes-d'Armor.
15 janvier 2003

Au-delà du séisme, refonder

 
Le mot « séisme » est sous toutes les plumes : les présidentielles furent un échec pour les socialistes, une déroute pour la gauche, un choc majeur pour la nation, et, au total, une véritable crise de la démocratie. S’il est nécessaire de dépasser la fascination morbide de l’échec, rien ne serait pire, pour l’avenir, que d’en occulter la signification. L’heure est donc à l’analyse des faits et à la refondation. Celle-ci s’impose en raison des responsabilités particulières des socialistes en France, en Europe, voire dans le monde. Elle doit être réelle, se fonder sur une réflexion théorique, déboucher sur de nouvelles pratiques, s’ancrer dans notre histoire mais épouser son temps, viser le rassemblement mais affirmer des choix clairs, nécessaires à une nouvelle dynamique.

Les échecs du printemps 2002 illustrent des évolutions connues : l’émergence de nouveaux comportements électoraux, la rupture de la nation avec la « classe politique », la perte des assises populaires traditionnelles de la Gauche, le changement de nature des bases sociales du PS. Ces échecs ont des causes ponctuelles, complexes, qui ont joué incontestablement le 21 Avril : la multiplicité des candidatures, les divisions de la gauche plurielle, le rôle des médias et des sondages, l’irruption du thème de l’insécurité, les insuffisances de la campagne… Mais il est indispensable de dépasser la surface des choses, examiner avec lucidité notre bilan, les insuffisances de notre projet, la perte de visibilité politique de notre action.

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Identifier les racines de la crise

 
Le 21 Avril est l’expression électorale des chocs de notre société. Notre époque est celle de mutations brutales qui, faute de perspective politique claire, sont vécues comme des crises. Parallèlement se sont ouvertes les fractures béantes des inégalités, pulvérisant les bases du pacte républicain.

La crise du politique s’est ajoutée à ces mouvements des profondeurs. Elle s’exprime par le discrédit croissant des responsables politiques et le gonflement des abstentions. Ses causes sont multiples : vieillissement des institutions, aveuglement des acteurs politiques, éloignement des intellectuels, abandons collectifs et reniements personnels. Mais surtout, cette crise traduit l’emprise croissante du capitalisme financier sur la société, et l’affaiblissement du pouvoir des élus, face à la toute puissance économique.

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Reconnaître la centralité du capitalisme

 
Expliquer le 21 Avril suppose donc une analyse des mutations de la société. Certes, la compréhension d’une société ne peut se réduire à une lecture simpliste. Mais le foisonnement des influences et des interférences ne doit pas masquer la hiérarchie des faits. Il faut donc identifier le fait central autour duquel s’organisent les forces qui façonnent notre époque. Son identité ne faire guère de doute. C’est le capitalisme financier international, forme contemporaine du capitalisme qui oriente l’histoire de nos sociétés depuis trois siècles. Les constantes culturelles ou religieuses existent, de même que les données géopolitiques ou la nouvelle révolution scientifique. Mais l’ensemble se situe au second rang par rapport au fait économique, qui demeure le facteur structurant des individus, des sociétés et de l’organisation du monde.

Le paradoxe de la Gauche c’est qu’elle a perdu la capacité d’analyser le mode de production dominant et la volonté de se situer par rapport à lui dans une démarche réformatrice. Faute de cette référence théorique, elle a été progressivement dominée par la logique de la simple gestion, elle a été incapable de donner à son action un sens politique conforme à ses valeurs et elle a perdu, faute de lisibilité, la confiance et le soutien de ses bases sociales. Il est donc aujourd’hui indispensable, pour la gauche et d’abord pour les socialistes, de faire cette analyse critique du capitalisme non pour justifier une soumission au libéralisme ou se réfugier dans une posture « révolutionnaire » facile mais pour s’engager dans une action réformatrice claire et déterminée.

La gauche doit regarder les choses en face, établir un constat sur l’état du monde et sur les rapports de force actuels, déchiffrer le fonctionnement du capitalisme financier. Seul cet examen critique et lucide lui permettra de définir son positionnement par rapport au capitalisme, de préciser ses marges de manoeuvre et ses possibilités d’action. Les circonstances électorales obligent les socialistes français à cette analyse et à ce positionnement radical, à l’image des clarifications du New Labour ou du SPD. Non pour adhérer à leurs choix, mais pour redonner un sens à une politique de gauche .

Le contexte économique mondial offre une opportunité exceptionnelle par la mise en lumière de la réalité du capitalisme financier. La lecture quotidienne des rubriques économiques et financières fournit la matière première d’un examen critique du capitalisme et de ses terribles errements. L’heure est donc venue de reprendre l’analyse du capitalisme de ce début de XXIème siècle. Il faut décrire le basculement des années soixante dix du capitalisme industriel au capitalisme financier, survoler l’histoire de cette période charnière, rappeler ses prolongements politiques, comprendre la nouvelle nature du capitalisme financier, ses finalités, son fonctionnement, sa diffusion et ses conséquences. Cette analyse lucide mais sans complaisance constitue le socle incontournable d’un projet alternatif pour la gauche.

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Analyser la mondialisation libérale

 
L’analyse de la mondialisation libérale s’inscrit dans l’analyse critique du capitalisme financier. Elle est indispensable au cadrage des nouvelles perspectives de la gauche. Plus que jamais, le monde constitue le champ géographique dans lequel s’inscrit aujourd’hui le capitalisme financier.

La culture socialiste la plus ancienne et la plus solide s’est d’ailleurs toujours située dans une perspective internationale, avec pour objectif l’émancipation de tous les exploités de la planète et la construction d’un monde de paix. Force est de constater que cette partie de l’héritage socialiste a été singulièrement oubliée au cours des dernières décennies. La disparition, de fait, de l’Internationale Socialiste dans la vie politique à l’heure même où le capitalisme financier impose sa loi à l’ensemble de la planète constitue un véritable paradoxe, voire l’illustration de graves errements.

L’émergence des mouvements d’« antimondialisation libérale » dans un grand nombre de pays, et en particulier en France, rend le silence socialiste encore plus lourd. Les conséquences électorales, pour ne parler que d’elles, devraient conduire les socialistes à plus d’attention qu’ils n’en ont porté ces derniers temps à la mondialisation libérale avec un engagement plus solide que des formules dictées par les intérêts électoraux immédiats. Il faudra que les socialistes s’emparent pleinement de cette donnée majeure, en fasse l’objet de leurs analyses, de leurs débats et de leurs propositions.

L’internationale doit retrouver sa place dans la pensée socialiste parce que le monde est, plus que jamais, le cadre véritable de l’action politique.

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Imaginer une autre mondialisation

 
Depuis quelques mois, après des années de silence, le monde politique semble découvrir la mondialisation. Les déclarations, les publications, les affirmations se multiplient. Oubliant sa soumission aux dogmes libéraux « l’élite » politique ose afficher ses doutes sur les vertus d’une mondialisation débridée. L’ère de la pensée unique, semble faire place à une esquisse de débat.

Pourquoi cette irruption spectaculaire de la mondialisation dans la vie politique alors que notre pays a réussi, au printemps dernier, à enchaîner deux élections majeures sans un mot sur la question ? Le séisme du 21 avril a ouvert la voie aux idées nouvelles. Mais surtout, aujourd’hui le fait mondial s’impose. Il nous concerne comme producteur, consommateur et citoyen. Il interpelle l’humanité sur l’état de la planète qu’elle léguera aux générations futures. Il bouscule les consciences par la machine inégalitaire qui remodèle nos sociétés, fracture le monde et génère un sentiment global d’insécurité.

Le libéralisme débridé des dernières années a conduit à une série d’échecs singulièrement éclairants. Après l’explosion de la bulle spéculative liée à Internet, des faillites scandaleuses se sont enchaînées aux États-Unis et en Europe. Elles ont mis en lumière les pratiques « anti-économiques » des dirigeants, des sociétés d’expertise et des fonds de pensions. Le capitalisme financier est frappé par une crise de confiance. La dérégulation libérale a dévoilé ses limites. Les indices boursiers ont fait tomber les tabous.

La question d’une autre voie peut donc enfin être posée. Elle porte sur le fonctionnement du « couple infernal » de la mondialisation libérale et du capitalisme financier.

La voie alternative qui s’impose devra répondre à de multiples questions dont trois s’imposent en première approche :
     Définir des aires géographiques pertinentes de régulation économique
     Réorganiser radicalement le fonctionnement des instances internationales
     Faire prendre en compte les grands enjeux planétaires par les pays riches

Sur les aires géographiques, l’abaissement des droits de douanes, enrichit, dit-on, la planète. L’argument n’est pas faux, mais il conduit au pire lorsque le libre échange s’impose à des économies trop faibles. Le marché mondial est une fiction. Le monde est diversité. Les dogmes libéraux ne s’appliquent pas impunément aux économies émergentes qu’elles brisent. L’échec du FMI est patent dans de nombreux pays. Il est reconnu par Joseph E. Stiglitz, prix Nobel d’économie, ancien vice-président de la banque mondiale. De fait, les économies s’organisent plus efficacement en grands ensembles régionaux mieux adaptés aux réalités de terrain. L’heure est donc venue de rompre avec le dogme d’une mondialisation uniforme.

En second lieu, la réorientation des instances internationales s’impose. Des clarifications sont nécessaires. L’OMC illustre la confusion du débat. Sa disparition, souhaitée par certains, livrerait le monde à la loi de la jungle et signerait l’abandon de toute volonté de gouvernance mondiale. Mais le statu quo est inacceptable. Si les instances internationales sont nécessaires, elles doivent être réformées :
     Par la mise en œuvre d’une coordination de leurs missions et de leurs initiatives sous l’autorité de l’ONU. Le FMI ne peut continuer à défaire ce que tente de construire la Banque Mondiale.
     Par la transparence de leur fonctionnement sous le contrôle démocratique des parlements définissant des mandats explicites à leurs délégués et vérifiant leurs exécutions.

Enfin, troisième interpellation, les pays riches devront bien prendre en compte les risques multiples de la fracture planétaire aggravée par la mondialisation sans règle.
     Au-delà des déclarations, ils devront soutenir réellement le développement et annuler les dettes des plus pauvres. Faute de quoi ils conduiront des dizaines de peuples à « l’appauvrissement durable ».
     Nos dirigeants devront abandonner leur double langage. Ils ouvrent les marchés agricoles aux pays en développement à Doha mais se cramponnent aux règles actuelles de la PAC à Bruxelles.
     Même contradiction sur l’environnement : on ne peut défendre les accords de Kyoto sans mettre en cause nos pratiques de consommation les plus détestables.

Le temps est donc venu pour le monde politique, et en particulier pour la gauche, de lever les contradictions d’une pensée encore confuse. Le combat de « l’antimondialisation libérale » impulsé par des associations issues de la société civile, a été le premier temps, positif, d’un sursaut nécessaire mais parfois ambigu. Il faut maintenant passer à une nouvelle étape, celle de l’élaboration d’une « alter mondialisation », ouvrant une perspective politique réelle au cri d’espoir lancé à Porto Alegre : « Un Autre Monde est possible ».

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Définir une méthode

 
Les socialistes doivent se positionner par rapport au capitalisme financier et à la mondialisation libérale en affirmant leur volonté réformatrice. C’est le préalable à toute élaboration de projet alternatif de gauche. Encore faut-il afficher ce choix avec clarté dès maintenant.

Le prochain congrès offre l’opportunité d’une première clarification en donnant aux socialistes l’occasion de :
     Reconnaître la mondialisation libérale comme élément central de l’organisation du monde et comme clef de l’explication de la période actuelle.
     Identifier les avancées, les contradictions et les dangers du libéralisme planétaire actuel
     Affirmer leur volonté de mettre en oeuvre une stratégie réformatrice par des initiatives nationales et internationales
     Enoncer les grandes questions que pose aujourd’hui la mondialisation libérale : fractures sociales et territoriales, mise à sac des ressources de la planète, menaces sur l’environnement, condamnation de continents entiers au sous développement, dysfonctionnement des instances internationales, progression de la spéculation financière et des trafics mondiaux…

Cependant, au delà de quelques principes généraux fédérateurs mais imprécis, les socialistes auront besoin de temps pour refonder leur doctrine sur un point aussi déterminant. La sagesse conduit donc, dans l’immédiat, à proposer au Congrès de définir une méthode de travail.

Trois initiatives concrètes pourraient être décidées dans l’immédiat :
     D’abord, donner une place majeure aux questions internationales dans les instances du Parti, par exemple sous la forme d’une commission permanente et d’un secrétariat aux compétences reconnues et aux moyens renforcés, travaillant étroitement avec les groupes parlementaires.

     En second lieu, organiser une Convention nationale sur la Mondialisation dans des délais rapides mais avec un temps suffisant pour un travail collectif approfondi. Celle-ci serait précédée d’une large consultation interne et externe, et achevée par un vote confirmant l’engagement des socialistes sur des options claires.

     En troisième lieu, prendre l’initiative des États Généraux de la Gauche européenne dans le prolongement du Forum Social Européen de St Denis-Paris.
    Cette rencontre permettra de clarifier les positions des partis de gauche en Europe sur la mondialisation libérale et d’envisager l’élaboration d’une plate-forme commune, Cette démarche européenne est la condition préalable à toute action significative au niveau mondial.

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Construire un projet alternatif

 
Le congrès qui s’annonce ne doit pas être un congrès ordinaire. Il doit être celui d’une refondation radicale, pour les socialistes et pour la gauche toute entière. Il doit être le début de construction d’une alternative au système en place portée par une volonté réformatrice et non la préparation à une simple alternance de pouvoir. Il doit être celui de l’utopie retrouvée, intimement liée à l’action concrète. Il doit être le congrès non du passé nostalgique et frileux mais de l’anticipation et de l’ouverture au futur.

Réunir le rêve et l’action telle est, à nouveau, notre tâche de socialistes. Nous devrons réaffirmer notre attachement aux valeurs fondatrices de la gauche et, en même temps, analyser le réel avec lucidité, non pour le subir mais pour le transformer, entendre les questions de nos concitoyens sur l’avenir de la planète, la santé de l’humanité, la sécurité des personnes, les nouveaux chemins de la connaissance. Autant de questions qui renvoient, nécessairement, à la mondialisation.

Face à ces questions, face à ces enjeux, face à la logique redoutable de la mondialisation libérale, le prochain congrès des socialistes doit marquer une volonté politique d’alternative . Ce Congrès ne peut se limiter a la simple « rénovation » d’une tactique électorale ni un positionnement à gauche de circonstance. Il n’apportera pas immédiatement les réponses aux multiples questions de notre société. Il marquera seulement le début de la refondation de la gauche.

Encore faut-il qu’il fixe le cap, qu’il clarifie ses choix, qu’il définisse sa méthode. Et qu’il affirme sa conviction qu’une « une autre mondialisation est possible »
.


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