L’Europe
en questions



Point de vue de Claude Saunier, sénateur des Côtes-d'Armor, paru dans Le Combat-hebdo, journal de la fédération du PS dans les Côtes-d'Armor, daté du 26 octobre 2002


 
Le référendum sur l’élargissement de l’Europe organisé en Irlande a un premier mérite : il donne enfin l’occasion de parler d’un sujet lourdement absent de la campagne présidentielle, qui devrait être au centre de nos débats politiques en permanence, mais n’y prend place que de façon caricaturale - le référendum de Maastrich - ou hypocrite - le rejet sur Bruxelles des responsabilités que les gouvernements ne veulent pas assumer.

On pourrait sans doute s’interroger sur le oui de 3 millions d’Irlandais, qui ont, de fait, reçu le pouvoir de choisir l’avenir de 400 millions d’Européens après avoir, par un vote contraire il y a quelques mois, failli tout bloquer. Beau sujet de réflexion sur la responsabilité, celle des gouvernants et celle des citoyens…

Quoi qu’il en soit, ce « oui » massif de l’Irlande a soulagé les dirigeants européens et ouvert des espérances aux dix pays candidats à l’adhésion.

Cette approbation dépasse la question posée. Elle exprime ce que des millions d’hommes et de femmes pensent - ou devraient penser - d’une entreprise unique : créer un nouvel espace politique par le débat, la raison, le libre choix et non par la contrainte ou la guerre. Il est vrai que la construction européenne a déjà apporté aux peuples de notre vieux continent brisé par deux guerres terrifiantes un nouveau dynamisme économique et une période de paix sans précédents dans notre histoire. Et si l’Irlande, par son vote, manifeste une sorte de « reconnaissance du ventre » envers une Europe qui lui fut généreuse, la France elle-même, et singulièrement une région comme la Bretagne, ne devraient pas être trop ingrates…

La réussite récente de la création d’une monnaie unique comme la démarche d’adhésion des peuples voisins témoignent de la réussite européenne. Et pourtant l’Europe suscite plus d’interrogations que de soutiens.

Ces interrogations tiennent aux modalités mêmes de la construction et du fonctionnement de l’Europe. Nos concitoyens sont systématiquement privés du débat démocratique. Certes, ils sont appelés à choisir leurs représentants au Parlement de Strasbourg mais ils ne les connaissent pas et n’ont, de fait, aucun information sur les sujets qui pourtant conditionnent leur vie quotidienne et leur avenir. Le déficit démocratique de l’Europe est l’une de ses faiblesses. Il explique les réticences, voire les oppositions des populations à s’engager dans une voie qui est pourtant celle de la sagesse.

Il faudra donc bien imaginer les formes d’une véritable démocratie européenne qui permettra aux peuples d’aborder les grands dossiers qui nous attendent :

 L’ouverture de l’Europe aux peuples victimes de l’accord de Yalta et de 40 ans de guerre froide est légitime. Mais elle ne sera pas sans conséquences. Encore faut-il le reconnaître pour préparer une intégration qui soit un progrès réel pour eux et pour nous. Le flou actuel sur les conséquences de l’élargissement, les contradictions entre l’ouverture généreuse et le maintien des grandes politiques européennes dont nous bénéficions (FEDER, PAC…) ne peuvent que générer frilosité et irrationnel.

 Notre horizon, même élargi, n’est pas seulement européen. Il est maintenant clairement mondial. Or la voix de l’Europe dans un monde singulièrement incertain après le 11 Septembre, sa capacité à peser sur le cours des événements face à l’hégémonie américaine, sa volonté définir une politique étrangère collective dotée des moyens d’une défense commune : tout reste à inventer.

 De même, il nous faudra inventer une doctrine européenne originale qui tienne compte de nos spécificités et de nos aspirations face au modèle du tout libéral. C’est une Europe de la protection sociale, de l’intelligence, de l’environnement, de la fiscalité qu’il faut maintenant imaginer pour construire une Europe des hommes et des femmes, solidaires parce que partageant des règles communes, unis par un idéal et un projet communs.

 Enfin il faudra bien aborder la question des institutions de l’Europe, leur articulation avec les Etats-Nations qui sont notre référence depuis deux siècles, voire davantage. Les débats devront donc sortir du cadre feutré de la Convention présidée par Giscard.

L’Irlande a donné Dimanche une petite leçon de démocratie européenne. Mais le plus gros du travail reste à faire. Le chantier est immense. Il nous concerne tous.


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