Une réforme méthodique
de l'impôt

par Dominique Strauss-Kahn et Christian Sautter.
Point de vue paru dans le quotidien Le Monde daté du 23 Juillet 1998




Christian
Sautter



Dominique
Strauss-Kahn



Toujours annoncée, toujours repoussée, la réforme fiscale est grosse des rêves les plus fous et des craintes les plus répandues. Rêves : chacun voit bien que notre système fiscal est socialement injuste et économiquement inefficace. Pour tout gouvernement, il est alors urgent de le changer. Craintes : tout changement fait des mécontents. Pour tout gouvernement, il est alors urgent de ne rien changer.

Le premier ministre, Lionel Jospin, a voulu la réforme, pour que l'impôt soit plus juste, plus efficace. Il l'a voulue concertée. Il l'a voulue progressive afin que, loin d'un « grand soir fiscal » dont l'ampleur même conduit à renoncer, elle entre dans les faits durablement en étant acceptée par le plus grand nombre.

La réforme de la fiscalité doit se lire à partir de questions simples. Que faisons-nous pour la croissance et l'emploi ? Pour la justice sociale ? Pour l'environnement ? Pourquoi baisser globalement les impôts ?

Que faisons-nous pour la croissance et l'emploi ? Le système de prélèvements français a été conçu à une période où croissance et plein emploi paraissaient assurés. Il a évolué au gré de retouches successives qui visaient plus à lever des recettes et à corriger tel ou tel effet pervers qu'à favoriser le dynamisme économique et l'emploi. Le résultat est un empilement de prélèvements d'une rare complexité, archaïque par bien des aspects, illisible et décourageant pour beaucoup d'acteurs économiques, et au bout du compte souvent défavorable à l'emploi. Bref, la réforme s'impose.

En 1997, nous avions donné la priorité à l'élimination de certaines « niches » fiscales et à des mesures en faveur de l'investissement dans l'innovation. Notre objectif était de taxer la rente pour détaxer le mouvement et le risque. Cette année, nous poursuivons dans la même voie en multipliant par cinq le seuil en dessous duquel les entreprises relèvent d'un régime fiscal simplifié pour aider les très petites entreprises à prendre leur envol ; en réduisant les impôts qui freinent la mobilité sur les ventes de logements ; en engageant enfin une réforme de la taxe professionnelle.

Cette dernière est généralement considérée comme le symbole des errements de notre système fiscal. Qui n'a jamais vu un formulaire de taxe professionnelle a du mal à imaginer l'absurdité à laquelle nous sommes parvenus. Complexe en raison des abattements qu'il a fallu y introduire, elle est aussi un facteur d'accroissement du coût du travail, qui pénalise l'emploi. C'est pourquoi le gouvernement a décidé de supprimer la taxe professionnelle sur les salaires, dès 1999 pour 70 % des établissements, et, progressivement, en cinq ans, pour tous les autres. Neutre pour les communes puisqu'elle sera compensée par l'Etat, cette réforme sera favorable à l'emploi.

Que faisons-nous pour la justice sociale ? L'impôt est un vecteur central de la redistribution du revenu national. Pourtant, notre système est sensiblement moins redistributif que ne le laissent croire le niveau élevé des prélèvements et celui des taux marginaux d'imposition sur le revenu.

Les baisses d'impôt que nous proposons d'introduire en 1999 auront un effet redistributif : tous les ménages seront bénéficiaires de la baisse de la TVA comme de la suppression des taxes pour l'établissement des cartes d'identité ou l'obtention des permis de conduire. Mais l'effet sera d'autant plus sensible qu'ils ont des revenus modestes. De même, la révision des valeurs cadastrales, qui servent à calculer la taxe d'habitation et qui, datant de 1970, ne sont plus en rapport avec la réalité, va bénéficier d'abord aux occupants de logements sociaux.

La réforme de l'ISF, dont l'objectif est de corriger les inégalités permises par une loi insuffisamment précise autorisant des évasions massives, contribuera à une augmentation de 30 % de son rendement. Enfin, la diminution de l'avoir fiscal que touchent les entreprises actionnaires réduira l'intérêt des placements financiers pour ces dernières et les investisseurs non résidents, sans toucher l'avoir fiscal dont bénéficient les ménages ni perturber les relations entre sociétés mères et filiales.

Que faisons-nous pour l'environnement ? La TVA sur le tri sélectif des déchets va baisser. La fiscalité du gazole va augmenter. Cela mérite quelques éclaircissements. La justification de cette hausse s'écarte en effet de la tradition qui voit dans la taxation à la pompe une facilité des gouvernements nécessiteux ; d'ailleurs, pour la première fois depuis vingt ans, les taxes sur l'essence sans plomb n'augmenteront pas d'un centime, malgré l'inflation.

La fiscalité écologique est l'une des priorités du gouvernement parce que l'impôt est un puissant moyen d'orientation des comportements vers un plus grand respect des disciplines collectives. Mais, pour faire en sorte qu'à travers des millions d'actes individuels la préoccupation écologique s'exprime, il est souhaitable que les prix reflètent les coûts environnementaux cachés de l'usage de tel ou tel carburant. En France, beaucoup plus que chez nos partenaires, le gazole bénéficie d'un régime fiscal de faveur par rapport à l'essence sans plomb. Il faut dorénavant rendre le jeu plus égal entre les divers carburants. Il faut le faire progressivement, parce que beaucoup de ménages se sont équipés de voitures diesel et que les industriels ont développé leur gamme dans cette direction. C'est pourquoi le rééquilibrage s'étalera sur sept ans.

Pourquoi, enfin, baisser globalement les impôts ? Toutes ces mesures se traduiront en 1999 par une baisse nette des impôts de 16 milliards de francs. Parce que les impôts sont, en France, trop lourds et parce que les Français ont beaucoup donné pour la réduction du déficit et la qualification pour l'euro, il était nécessaire, dès lors que cela était possible, de concrétiser l'engagement de Lionel Jospin dans sa déclaration de politique générale du 19 juin 1997, et donc d'engager le mouvement de la baisse des impôts.

Certains auraient sans doute préféré que nous augmentions les dépenses publiques. Ils ont tort. Quand il le faut, la gauche sait dégager des moyens pour financer ses priorités les emplois-jeunes l'ont encore prouvé. Mais elle ne fait pas, par principe, l'apologie de la dépense publique : nous devons trouver principalement par des redéploiements de crédits et des gains d'efficacité les moyens de financer les priorités de l'action gouvernementale. Le temps où la gauche s'identifiait à l'extension continue de la sphère publique est révolu depuis longtemps.

D'autres diront que nous aurions dû affecter toutes les marges disponibles à la réduction du déficit. Ils ont tort également. Nous assainissons les comptes publics : en 1999, le déficit public sera limité à 2,3 % du PIB, et, sur un an, la baisse sera l'une des plus fortes de la zone euro ; en 2000, nous passerons franchement en dessous de 2 % du PIB pour casser la spirale de la dette. Mais cela n'implique pas qu'il faille se résoudre à l'immobilisme fiscal.

La discipline que nous nous sommes fixée repose, pour I'Etat comme pour la Sécurité sociale, sur le respect d'un objectif de dépenses. Avec des dépenses de l'Etat qui augmenteront de 1 % quand la croissance du PIB approchera 3 %, nous créons des marges de manœuvre pour une réduction du déficit et une baisse des prélèvements. Ces deux objectifs sont essentiels. Il faut trouver le bon équilibre entre les deux, pour garantir dans la durée la poursuite de la croissance.

En modifiant profondément plusieurs impôts, en en faisant disparaître certains, en en allégeant d'autres, en en simplifiant plus d'un, le gouvernement met en oeuvre une réforme structurelle de notre système fiscal, étalée sur plusieurs années. Ces choix, en faveur de l'emploi, la justice sociale et l'environnement, sont fidèles aux engagements de la gauche. D'autres réformes, notamment la poursuite de la baisse des impôts, pourront être souhaitables. Mais la stabilité fiscale est nécessaire et les impôts que nous modifions maintenant ne devront plus l'être au cours de la législature au-delà de leur mise en œuvre progressive. La réforme de l'impôt sera d'autant plus profonde et réussie qu'elle sera méthodique et maîtrisée.



Page précédente Haut de page
PSinfo.net : retourner à l'accueil

[Les documents] [Les élections] [Les dossiers] [Les entretiens] [Rechercher] [Contacter] [Liens]