Traité constitutionnel
Un pas en avant fédéraliste



Point de vue signé par Gilles Savary, député européen, paru dans le quotidien Libération daté du 2 juillet 2004.


 
Officiellement, il n'y a plus de souverainistes ou d'« antieuropéens » déclarés au sein de la gauche française. Devenu eurocorrect, leur discours n'en a pas moins épousé une ligne de fuite politique qui consiste à s'afficher tellement européens qu'ils ne veulent pas « de cette Europe-là ».

Ce serait désormais par blessure d'idéal européen que certaines gauches s'apprêteraient à récuser le projet de traité constitutionnel, laborieusement élaboré par la Convention pour l'avenir de l'Union, qui l'a pourtant prémuni du pire, à en juger par les ultimes tergiversations subsidiaristes et théocratiques du sommet de Bruxelles.

Quel est donc au fait cet idéal européen meurtri par l'actuel projet de traité constitutionnel, au point d'appeler les Français à le rejeter ?

S'agissant des communistes et de l'extrême gauche, il ne s'agit finalement que d'un « retour d'âge » puisqu'ils n'ont cessé de combattre la construction européenne sous des motifs divers depuis le projet mort-né de Communauté européenne de défense de 1954 jusqu'aux derniers avatars maastrichiens du traité fondateur de Rome en 1957.

Aujourd'hui, c'est finalement leur discours qui est pris en défaut, pas leur ligne.

S'il devait s'abandonner à voter contre, ce serait exactement l'inverse pour le Parti socialiste.

Devenu fédéraliste au congrès de Dijon en juin 2003, le Parti socialiste s'inscrit finalement dans la longue tradition de ses engagements européens, en portant le projet d'une Europe politique et sociale, sorte d'« Etats-Unis d'Europe » affranchis du « droit de veto » des nations et de l'unanimité intergouvernementale par une prise de décision à la majorité qualifiée dans les domaines sociaux, fiscaux et même diplomatique, militaire et judiciaire.

A l'évidence, le projet de traité constitutionnel arrêté à Bruxelles reste très loin du compte. Moins intergouvernemental que les traités actuels, il est incontestablement moins communautaire qu'espéré ! Est-ce assez pour le fossoyer dans les oubliettes de l'Histoire au risque de préférer le surplace à la lenteur, l'Europe-marché à l'esquisse d'Europe gouvernable qu'il nous propose ?

Au moment du choix, les socialistes doivent soupeser au trébuchet les redoutables contradictions qu'emporterait un vote contre.

 En voulant légitimement combattre sa partie III qui compile les traités antérieurs en plus de 300 articles abscons à souhait, un vote contre sinistrerait aussi et surtout les indéniables avancées institutionnelles des parties I et II, qui devraient en toute logique être les seuls soumis à ratification, si l'on s'en était tenu aux intentions initiales de Giscard, de rédiger une Constitution courte et lisible ramassée en moins d'une centaine d'articles portant essentiellement sur les institutions.

Le paradoxe serait alors que ce jeu de massacre reviendrait finalement à valider la seule partie III, puisque l'Union resterait de toute façon régie par les anciens traités qu'elle ne modifie qu'à la marge.

En d'autres termes, voter non reviendrait à voter une deuxième fois pour l'Acte unique, pour Maastricht et Amsterdam, c'est-à-dire pour l'Europe de l'indépendance de la Banque centrale, du pacte de stabilité, du marché intérieur et de la concurrence.

Souhaitons-nous vraiment voter deux fois pour Maastricht et confirmer la légitimité d'une Europe paralysée par le traité de Nice et réduite pour l'essentiel à la construction du marché intérieur ?

 Seconde objection : pour être sincèrement fédéralistes, devons-nous considérer que ce moment de l'Histoire est propice à un fédéralisme politique et social, pour tout et tout de suite ?

Ce que l'on sait de la sensibilité des pays d'Europe, de leurs niveaux relatifs de développement et des rapports de force intergouvernementaux devrait nous inciter à plus de discernement et de prudence.

Quand Henri Emmanuelli appelle le Parti socialiste à sortir de sa schizophrénie européenne, sa parole est d'or, mais son raisonnement paradoxal.

En l'état actuel des choses, un fédéralisme social en Europe signifierait, à la majorité qualifiée des Etats membres, une remise en cause de la plupart des standards sociaux français, en matière de droit du travail, de sécurité sociale, de minima sociaux, de services publics, de grille des salaires.

Un fédéralisme politique nous aurait irrémédiablement embarqués dans l'aventure irakienne et dans un protectorat américain au nom du principe majoritaire...

Le méconnaître, c'est s'abuser soi-même : la schizophrénie est là !

On peut être sincèrement, ardemment fédéraliste européen, et s'accorder honnêtement, voire désespérément, à constater que l'époque et les rapports de force politiques en Europe ne sont pas aujourd'hui au rendez-vous de cette Histoire-là !

Sans doute le bonapartisme foncier de la droite française et l'universalisme cocardier de la gauche y trouvent-ils matière à désespérer d'une Europe qu'il faut désapprendre à imaginer française.

Mais, d'une certaine façon, l'essentiel est sauf : la France restera la France et l'Europe sera européenne ou ne sera pas !

Ce projet de traité n'est pas flamboyant, mais il est mieux que conservatoire : il ne nous propose rien de moins, même si ce n'est qu'un peu plus. Il est en tout cas incomparablement meilleur que Nice et Maastricht réunis.

Au moment où l'on peut regretter en effet avec Vincent Peillon que « l'Europe rate son rendez-vous avec l'Histoire », il n'est pas de saison d'y dissoudre la France.

Ce n'est pas trahir notre idéal fédéral que de convenir de son irréalisme présent.

A cet égard, ce projet de traité constitutionnel n'est qu'un petit pas au commencement d'une grande histoire, probablement du plus exaltant chantier politique qui s'ouvre aux générations politiques futures.

Si l'on veut en accélérer la marche, c'est au sein du Parti socialiste européen plutôt que sur les estrades hexagonales qu'il faut en porter le combat et les idées.

Pour ce faire, le Parti socialiste français ne peut plus se contenter de jouer les Cassandres du socialisme européen. Car s'il est une posture qui n'a aucune perspective à Bruxelles, ni dans la grande Europe, ni au sein d'une éventuelle coopération renforcée : c'est bien celle de l'unilatéralisme chauvin.
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