La parité pour rien

Lucile Schmid
Point de vue de Lucile Schmid, candidate socialiste dans la 10ème circonscription des Hauts-de-Seine en juin 2002, paru dans le quotidien Libération daté du mercredi 17 septembre 2003
 
La parité a quatre ans. On se souvient des débats houleux sur cette discrimination positive en faveur des femmes. La rage de débattre a aujourd'hui disparu. Restent les petites phrases. « C'est toujours suspect qu'une femme prenne position pour rappeler qu'il faut faire une place... aux femmes.»  « Aujourd'hui, pour se faire une place en politique, il vaut mieux être une minette, si possible beurette. » « J'en ai marre d'être considérée comme un quota laitier. Je veux qu'on écoute mes idées, qu'on reconnaisse mes convictions. » Ces phrases témoignent d'un malaise. Quand on ne vous pose pas, comme cela m'est déjà arrivé, la fameuse colle sur la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen : « Les hommes naissent libres et égaux en droit. Cela signifie-t-il que les femmes sont plus égales que les hommes ? » La parité est insidieusement devenue un gadget, un hochet qu'il a fallu donner aux femmes, une manière de gérer les apparences du changement.

C'est que la parité posait des questions qui auraient dû être débattues avant sa mise en œuvre. Or, parce qu'elles ne l'ont pas été, on assiste aujourd'hui à sa remise en cause larvée. Ce n'est pas seulement une réforme « chabadabada » (un homme, une femme sur les listes de candidats aux élections, voire, un jour, 50 % de femmes dans les instances des partis...) mais une première étape pour imaginer un monde politique qui soit à l'image de la société. Ce n'est pas un hasard si, depuis quelques mois, la question de la représentation des Français d'origine étrangère a fait irruption dans le champ politique. La parité a permis de parler de l'ensemble des discriminations qui existent dans le monde politique. Elle a dévoilé un système très conservateur d'exercice du pouvoir à droite comme à gauche, une confiscation... Il n'y a aujourd'hui ni parité au sein des instances des partis politiques, ni parité lorsqu'il s'agit de présenter des femmes aux élections. On a souvent envoyé les femmes dans des terres de mission, quand ce n'était pas au casse-pipe. Il n'y a plus que 16 % de femmes députées socialistes en 2003 contre 18 % en 1997. C'était avant la parité...

Sur le papier, les femmes ont eu ce qu'elles voulaient. Mais, depuis, les affaires sérieuses ont repris. On reste proche de la mentalité qui avait présidé au renvoi des « jupettes ». Dans notre pays, le cumul des mandats dans le temps est la règle : une fois qu'on s'est trouvé une « bonne » circonscription, on est député pour 15-20 ans.
La politique est une carrière professionnelle comme une autre, plus fatigante peut-être, plus risquée sans doute, mais où la question du renouvellement des personnes et d'une représentation politique à l'image de l'électorat ne se pose guère. On entre souvent jeune en politique, mais on n'y prend sa retraite qu'à 75 ans. La meilleure (et pratiquement la seule) manière d'entrer en politique est le parrainage par un responsable local ou national éminent.
Aujourd'hui, lorsque certains jeunes hommes contestent la parité parce qu'elle rend plus difficile leur mise sur orbite, ont-ils pensé que le principal problème est que, aux élections, les sortants sont toujours reconduits, et que, dans l'appareil d'un parti, on puisse exercer des responsabilités à vie ? C'est vrai, qu'appliquer la parité, sans avoir posé la question du renouvellement des personnes, a eu pour conséquence une opposition implicite entre les femmes et tous les autres nouveaux ­ en premier lieu, les jeunes. C'était fromage ou dessert, sous l'oeil de ceux qui ont toujours été là et qui le sont encore. Le volontarisme concernant la place en politique des Français d'origine étrangère - et il est nécessaire -, s'il ne s'accompagne pas de cette même réflexion sur le renouvellement, peut conduire à une situation absurde : pour avoir une chance d'être remarqué il faudra être femme, jeune, beurette et avoir un parrain. On pourrait alors en arriver à une gestion quasi communautariste des personnes, à un système ne permettant aucune sélection sur les qualités humaines et n'intégrant aucun de ces Français qui pensent que la politique n'est pas pour eux : les personnes en situation de précarité, les cadres du secteur privé, l'immense majorité des jeunes, les militants associatifs. Beaucoup de monde...

L'un des intérêts objectifs de la parité était d'introduire dans cette mécanique de parrainage du désordre et de l'imprévu. Comme il y avait beaucoup moins de femmes que d'hommes qui militaient dans les partis politiques, il a fallu chercher des têtes nouvelles, ouvrir le jeu. Mais il est temps de passer à une autre étape : il faut instaurer des règles strictes de non-cumul des mandats dans le temps. Pour ouvrir le champ politique à tous, et non aux seuls fonctionnaires, il faut définir un statut de l'élu qui garantisse le retour à l'emploi. Et enfin ­ c'est le plus difficile ­, pour renouer la relation si distendue entre les électeurs et leurs représentants, il faut s'interroger : de quels hommes et de quelles femmes ont besoin les partis politiques ? Donnons aux qualités humaines, à la compétence, à la cohérence entre les mots et les actes une importance centrale dans le choix de ceux qui se présentent devant les électeurs.

Aux femmes de porter ce combat du renouvellement en politique. C'est d'abord la seule manière de se débarrasser de la suspicion larvée dont elles sont victimes : « femme ou maîtresse de, parrainée par un tel, potiche, pas très politique ». Dans ce milieu, les commentaires qui réduisent les femmes à un rôle d'auxiliaire des hommes sont innombrables. Car le parrainage et la différence des sexes conjugués créent un cocktail détonant quand il s'agit de se faire reconnaître pour soi-même. Ne parlons pas de la tendance à donner aux femmes des domaines réservés, souvent dans le champ social, mais sans y intégrer la question des rapports de forces. Les femmes au nom de leur supposée douceur maternante pourront s'acquitter à merveille de tâches difficiles ; les hommes vaqueront ailleurs, aux questions importantes du pouvoir.

Voilà pourquoi, en politique, les femmes n'ont pas le choix. Elles ne peuvent accepter une parité de petit comptable : un homme, une femme, et tout serait dit. C'est en devenant les initiatrices d'une ouverture du champ politique à tous les autres qu'elles pourront y trouver vraiment leur place.

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