Réguler l'économie pour transformer la société

Bernard Soulage

 Contribution thématique au congrès national de Dijon présentée par Bernard Soulage secrétaire national aux questions économiques et de la Commission Économique.
18 janvier 2003

 
La France se situe désormais dans une économie de marché, ouverte sur l'extérieur, marquée par la mondialisation et la financiarisation. Mais ce constat ne vaut pas acceptation des défauts du système. Et contrairement à ce qu'affirment certains idéologues, cette situation ne rend caduques ni les valeurs de la gauche, ni nos idéaux de progrès économique et social, de justice et d'équité.

Au contraire : c’est parce que la bataille se livre sur un terrain plus vaste qu’il nous faudra encore plus de volontarisme pour défendre et promouvoir notre conception de la société.
C’est aussi pour cela que les solutions politiques devront, de plus en plus, avoir une portée internationale, au premier rang desquelles figure la construction d’une Europe forte et de « gauche ».

Les décisions, même de portée nationale, doivent donc s’analyser dans un cadre devenu plus complexe et souvent très technique. Cette complexité présente plusieurs risques. D’abord, de rendre plus difficiles la résolution de certains maux qui frappent notre société, et contre lesquels les solutions les plus évidentes pourront avoir un effet limité à moyen terme, ou même être contre-productives. Ensuite, de donner un pouvoir excessif aux experts pour valider ou exclure une proposition politique.

La complexité des grands enjeux sociaux et économiques est devenue telle que la bonne compréhension et les bonnes décisions ne peuvent venir que d’un débat ouvert bien au-delà du cercle des experts.

Mêlant militants et spécialistes, la Commission Économique s’est fixée pour objectif d’apporter la contradiction aux prétendus « experts » qui s’appuient sur l’économie pour tenter d’imposer des dogmes. Sa contribution au congrès résume le travail réalisé année après année, pour rechercher des propositions qui concilient nos valeurs socialistes avec les contraintes du contexte économique qui est désormais le nôtre.

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Le monde va mal
alors qu’il devrait aller mieux

 
Nous créons chaque jour plus de richesses, et le vaste mouvement d’innovation qui créé ces richesses n’a pas de raison de s’arrêter. Mais notre monde va mal parce que ces richesses, pourtant produites collectivement, ne sont pas répartie de façon équitable. Le monde va mal parce qu’il n’est pas suffisamment régulé.

Le problème n’est pas l’internationalisation en tant que telle - elle permet le développement des échanges, la diffusion de l’innovation. Elle permet aussi de nous sensibiliser aux urgences qui frappent d’autres pays. Mais être internationaliste ne signifie pas accepter la mondialisation telle qu’elle est aujourd’hui.

Le problème n’est même pas le développement des échanges financiers au sens strict puisqu’une économie largement ouverte doit connaître des flux financiers importants, contrepartie de créations et d’échanges de richesses croissants et, pour beaucoup, porteurs de stabilisation et de couverture de risque. Mais accepter les échanges financiers ne signifie pas accepter la financiarisation des années 90.

Les angoisses, les peurs ou les rejets qu’accompagnent la mondialisation et la financiarisation libérales sont justifiés car elles conduisent à des impasses à tous les niveaux. Impasse au niveau des entreprises, avec la montée du « capitalisme actionnarial » : un actionnaire situé à l’autre bout du monde ne considère l’entreprise dont il est propriétaire que par une seule dimension : le profit à court terme, qui devient la seule valeur de l’entreprise. Ce système a imposé des règles de rentabilité intenables, sauf à privilégier en toute circonstance le court terme et les « coups » financiers. Les retours de bâton sont terribles. Ces orientations ont été mises en oeuvre et accentuées par des « managers » rémunérés en capital et donc eux aussi préoccupés uniquement de la valorisation à court terme, au prix d’un endettement totalement insoutenable à moyen terme, et de dommages collatéraux dont les salariés ont souvent du faire les frais.

L’impasse existe également au niveau international, avec ce que l’on a appellé le « consensus de Washington ». Né dans le creuset libéral du début des années 80, il a transformé en bréviaire d’une nouvelle religion des préceptes prétendus économiques, dont l’échec a été souligné par le prix nobel Joseph Stiglitz dans son livre « la grande désillusion ». Il faudrait toujours plus de libre-échange, moins d’Etat, moins de normes sociales et de secteur public, un marché du travail dérégulé et une libre circulation des capitaux. Or on connaît le prix payé par les plus faibles de l’application brutale de ces préceptes par les institutions internationales (notamment le FMI et, dans une moindre mesure, la banque mondiale et l’OMC) où les États ne jouent pas suffisamment leur rôle politique : à vouloir à tout prix libérer les marchés, on a finalement aliéné des hommes et des femmes.

Pour autant le pire n’est pas sûr. L’ampleur des crises financières internationales et l’éclatement des bulles spéculatives ont ramené un peu de raison au FMI qui a changé de politique pour le Brésil en 2002 ou auprès des investisseurs qui redécouvrent les vertus de l’économie réelle.

Surtout le mouvement d’opposition à la mondialisation libérale s’organise, même si c’est encore de façon hétérogène. Ces mouvements ont le mérite de poser la question de la finalité de l’économie mondiale : que veut-on réellement, un monde de « marchés libérés » ou répondre aux besoins de ses habitants ? Poser cette question, c’est évidemment y répondre. La finalité prioritaire de la production, de l’échange et du financement mondiaux sont les « biens publics mondiaux » que sont la formation, la santé, ou le grands services publics.

De même l’idée d’une « gouvernance économique mondiale », qui fixe des principes communs en matière économique, continue à progresser - certes trop lentement - à travers les processus de Kyoto ou Johannesburg et surtout les mouvements pour une autre mondialisation sociale et politique. Mais nous savons qu’il s’agit toujours de combats longs, notamment face à une administration américaine toujours plus conservatrice, bornée et liée aux intérêts économiques et financiers les plus dominateurs. Ils demandent donc d’autant plus de volonté.

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Ce monde,
nous l’avons rendu
un peu meilleur

 
La commission économique a réalisé un examen approfondi de l’action économique et sociale du gouvernement de Lionel Jospin (cf brochure formation, disponible au Parti socialiste) . Il montre que le gouvernement de Lionel Jospin a mené la politique économique à la fois la plus active et la plus à gauche de l’Europe, ce qui a d’ailleurs valu quelques passes d’armes, y compris avec nos partenaires sociaux-démocrates sur les services publics ou la régulation internationale. N’oublions pas les avancées sociales que nous avons accompagnées.

Cette politique a permis de créer deux millions d’emplois en cinq ans, le meilleur résultat du siècle, et de faire baisser substantiellement le chômage, tout en réduisant, certes pas suffisamment, la précarité. Nous n’avons pas non plus oublié les plus démunis, ou les travailleurs les plus mal rémunérés ( nos « working poors »).

Mais au-delà du bilan d’ensemble, globalement positif, les limites de notre action dans le domaine économique apparaissent sur trois points. D’abord, dans un contexte mondial de fortes aggravations des inégalités, notre choix, pourtant explicite en 97, de donner la priorité aux créations d’emplois (35 heures, emplois jeunes) plutôt qu’à la progression du pouvoir d’achat individuel n’a progressivement plus été vraiment assumé, ni exempt d’imperfections, notamment en ce qui concerne le revenu tiré des heures supplémentaires pour les salariés au SMIC passés à 35 heures.

Ensuite, les conditions globales du travail ont été améliorées, mais sans doute insuffisamment. Il s’agit largement d’un problème qui aurait pu se résoudre sur une autre législature, grâce à de nouvelles avancées sur la lutte contre le précarité ou le stress au travail et la formation tout au long de la vie. Notre action sur la régulation économique et sociale a été insuffisante malgré des avancées évidentes - comme le prouve le fait que la droite s’empresse d’ailleurs de les remettre en cause. Sur ce terrain, comme sur celui de la démocratie sociale, notre action pour repenser la place des salariés et de leurs représentants au sein de l’entreprise a été beaucoup trop souvent contournée. Mais cette situation traduit aussi l’hostilité du « partenaire » patronal et l’affaiblissement syndical que nous avons insuffisamment aidé à se redresser. De la même façon, nous n’avons pas su inventer un nouveau modèle des restructurations, plus adapté aux besoins d’aujourd’hui.

Enfin nous ajouterons que la fin de la législature et, encore plus, les campagnes électorales ont été marquées par deux absences évidentes. D’une part, dans un monde en pleine mutation, nous n’avons pas éclairé l’avenir et notamment l’avenir de la France, par une vision, des explications et un projet à la hauteur des enjeux et des attentes. D’autre part, nous n’avons pas su, comme en 1997, illustrer cette vision par des propositions économiques « phares ».

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Le choix de l’équilibre
entre le social et l’économique

 
Une société se définit notamment par ses priorités. Nos priorités sont sociales : donner à chacun une place - donc un emploi - dans la société, rétablir le lien social qui unit les Français, défendre le pouvoir d’achat.

Faire le choix de la société du travail…

    Nous avons montré qu’il était possible de changer le cours des choses et d’accélérer très fortement la baisse du chômage. Notre projet devra s’appuyer sur cette expérience - en tirant à la fois les conséquences de son effet globalement positif et des difficultés décelées lors de la mise en œuvre.

    Nous avons fait le choix de la société du travail, nous devons le maintenir. Donner un droit au travail, c’est d’abord s’assurer que chacun puisse exercer ce droit et vivre de son travail. La collectivité doit s’engager à ce que soit offert rapidement un emploi à ceux qui en sont privés à cause de leur âge, leur niveau de qualification, ou parce qu’ils sont victimes de discrimination.

    Nous devons aussi faire que le travail permette à chacun de vivre dignement et offre des perspectives pour l’avenir - qu’il s’agisse de la garantie de progression du revenu au long de la carrière professionnelle, ou lors de la reprise d’un emploi. La collectivité doit enfin, faire en sorte que les emplois offerts soient de qualité, notamment en responsabilisant les entreprise en matière de précarité de l’emploi par une modulation des cotisations sociales.

...maintenir un haut niveau harmonisé de protection sociale...

    Faire le choix de la société du travail, c’est aussi rééquilibrer la fiscalité du travail et du capital. En effet, pris dans leur ensemble, nos prélèvements pèsent trop sur le travail, et proportionnellement moins sur l’ensemble des revenus que dans beaucoup de pays européens. Ceci contribue à remettre en cause le financement de la protection sociale qui est pourtant un facteur important de compétitivité globale.

...ainsi que de services publics

    Rétablir le lien social, c’est donner à chacune et à chacun les moyens de s’accomplir dans un cadre collectif, c’est conjuguer autonomie et solidarité, c’est reconnaître que dans une économie telle que la nôtre, l’essentiel de la richesse est produite collectivement : aucune société de l’e-économie ne se serait développée sans les investissements publics dans la recherche, la technologie et les infrastructures. Toute entreprise dépend d’efforts collectifs : celui des salariés en premier lieu, mais également l’effort public sur l’éducation, la recherche, les infrastructures ou la sécurité. Ces biens publics nécessitent des investissements publics et des services publics pour la croissance. Parce que toute richesse est, en fait, produite collectivement, mais surtout dans un impératif de solidarité, le financement de ces biens publics doit être réparti équitablement.

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Une conception sociale
de la compétitivité

 
Une économie de marché ouverte ne peut ignorer la question de la compétitivité. En revanche, la notion de compétitivité ne doit pas être instrumentalisée en faveur d’une politique de régression sociale. D’ailleurs, la « France de la compétitivité » ne se porte pas si mal. Contrairement aux sondages auprès des grands patrons publiés par le World Economic Forum, les indicateurs d’attractivité, de compétitivité-prix et de compétitivité-coûts se portent bien. Au contraire, le premier enseignement des comparaisons internationales, c’est que le handicap de la France, comme nombre de pays voisins, tient avant tout à l’ampleur de son sous-emploi. Autrement dit, l’amélioration de la compétitivité passe par la lutte contre le chômage plutôt que la dérégulation de la protection sociale.

Il est donc crucial d’aborder le débat sur la compétitivité en indiquant clairement nos priorités : pour nous, c’est l’amélioration durable du niveau de vie de l’ensemble des Français, contrairement aux Etats-Unis qui vivent au-dessus de leurs moyens en accumulant la dette.

La capacité de notre pays à attirer les entreprises étrangères peut être l’un des outils d’une compétitivité bien comprise, mais pas à n’importe quel prix. Faire croire que la France doit lutter sur le terrain du coût du travail avec les pays en voie de développement est un non-sens. Nous devons au contraire être plus qualifiés, mieux formés, plus innovants, plus impliqués dans le progrès technologique. En bref investir dans les hommes et les femmes plutôt que contre eux. La compétitivité est donc au moins autant sociale que technologique. Telle est d’ailleurs la stratégie suivie avec succès par les social-démocraties scandinaves (Suède, Danemark, Finlande).

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De nouvelles régulations
pour plus de justice sociale

 

Encadrer le capitalisme

    Le capitalisme est aujourd’hui malade de ses propres excès. Face à cette crise, on entend moins de voix pour plaider en faveur de la dérégulation. Ceux qui avaient perdu de vue ce constat de simple bon sens redécouvrent que l’économie de marché laissée à elle-même est souvent amorale ou, au moins, trop focalisée sur le court-terme, source de gaspillages considérables.

    Les enseignements de cette crise doivent être retenus de la façon la plus large possible. Il faut agir sur tous les tableaux, du fonctionnement des conseils d’administration à l’invention d’une régulation qui touche les domaines financiers, économiques et sociaux.

    Pour fonctionner au bénéfice de la société, la bourse a besoin de plus de règles. Les Américains sont d’ailleurs les premiers à l'avoir reconnu en 2002 en renforçant sensiblement leur législation boursière. En Europe, nous n'avons pas su accompagner l'intégration des marchés financiers par une évolution parallèle de leur régulation. Celle-ci est restée dans un cadre strictement national, ce qui fait que les régulateurs boursiers se retrouvent sans réel pouvoir face à des marchés devenus transfrontaliers. Nous demandons donc la création rapide d'une autorité européenne de régulation boursière, démocratiquement responsable devant les institutions de l'Union, et qui puisse défendre les atouts du modèle européen face à la toute-puissance des acteurs financiers américains et notamment de la SEC.

Inventer de nouvelles régulations sociales

    Rien ne permet de justifier les écarts de salaires constatés ces dernières années dans les entreprises, où la rémunération des dirigeants des grandes entreprises a atteint plusieurs centaines de fois le salaire minimum. Cette disparition de « verrous psychologiques » qui limitaient autrefois les écarts de salaires au sein de l’entreprise est un signe d’une société moins solidaire, mais aussi le signe d’une diminution du pouvoir des « ayant droits » de l’entreprise - salariés, sous-traitants, voisinage - au profit des actionnaires et des dirigeants. Parce qu’il est injuste et déséquilibré, ce modèle de développement n’est pas soutenable à moyen terme.

    Pour être plus humaine, mais également, en fin de compte, plus compétitive, notre société doit davantage investir dans les hommes. Alors que les techniques évoluent chaque jour, notre système de formation est trop fondé sur les diplômes, et pas assez sur la formation continue. Ceux qui en souffrent le plus sont ceux qui doivent pouvoir bénéficier de cette « deuxième chance » pour obtenir la qualification qu’il n’ont pas pu obtenir avant. C’est un droit nouveau que nous proposons de traduire dans les faits en fonction inverse de la formation initiale obtenue. Il doit aussi permettre à ceux qui ont obtenu des diplômes de changer d’orientation.

    Au-delà, la collectivité doit également s’engager à placer ceux, qu’elle aide, en mesure de gagner leur autonomie et de la maintenir tout au long de leur vie active. D’une façon plus générale, il faut inventer de nouveaux outils pour concilier le besoin légitime de stabilité professionnelle des salariés et l’évolution toujours plus rapide de l’emploi. Tel est le sens de la proposition de Sécurité Sociale professionnelle. Tel est également le sens des politiques de lutte contre l’exclusion et pour l’accès à l’emploi, qui doivent continuer à être améliorées : nous rejetons le soupçon d’archaïsme que veulent lancer certains sur ces outils. Au contraire, l’exigence de solidarité qu’ils traduisent n’existe que dans les pays les plus développés.

    Pour permettre de développer des initiatives économiques, pour mobiliser des ressources d’épargne locale, assurer des services de proximité ou compléter l’intervention publique, il faut proposer des formes d’organisation non capitalistes : les entreprises d’économie sociale (coopératives, mutuelles, associations) répondent à ce besoin de valoriser le savoir-faire des personnes et du travail. Partout où ces formes d’organisation apportent un plus à la collectivité, même s’il ne se traduit pas en termes financiers, elles doivent être encouragées et aidées.

Réformer les pratiques d’entreprise

    La régulation économique ne doit pas s’arrêter aux portes des entreprises. La volonté des actionnaires, érigée en norme au cours des dernières années, de recevoir une rémunération de leurs fonds propres de 15 % par an est une aberration sociale et économique. Elle est à l’origine des restructurations dont les salariés ont fait les frais, des anticipations les plus folles de la bourse dont on voit les revers aujourd’hui et, finalement, de la déconnexion entre l’économie financière et l’économie réelle.

    Une plus grande implication des salariés dans le contrôle de la gestion des entreprises est également nécessaire, en conformité avec l'héritage de deux siècles de luttes sociales en Europe. Cette exigence doit différencier le débat sur la " corporate governance " en France et en Europe, à visage plus « social », par rapport à ce qu'il est aux États-Unis.

    En France, le comité d'entreprise et l’ensemble des institutions de représentations des salariés disposent de droits d'information et de consultation qui doivent être défendus et renforcés, notamment en ce qui concerne la formation des représentants salariés à cette tâche souvent complexe. Mais il faut aller plus loin. La participation effective des représentants salariés dans les organes d'administration et de contrôle doit être débattue avec les partenaires sociaux.

    Une plus grande transparence des décisions des entreprises est nécessaire notamment lors des opérations de fusions-acquisitions ou de restructurations. Dans le même sens, nous devons imposer que tous les « ayant-droits » d’une entreprise voient leurs intérêts pris en compte et défendus. Ceci est notamment vrai pour les sous-traitants ou pour les collectivités, particulièrement sur les questions environnementales.

Réguler la mondialisation

    Faire progresser nos valeurs, c’est aussi promouvoir le développement de « bien publics mondiaux et de services publics internationaux » qu’il s’agisse des médicaments contre les épidémies qui frappent les pays en voie de développement, de l’éducation, de l’eau ou de l‘environnement. On ne peut pas parler de mondialisation, reconnaître que les citoyens de chaque pays sont, de plus en plus, également citoyens du monde, et limiter les services publics internationaux aux institutions financières telles que le FMI. On ne peut pas non plus continuer à supporter l’existence de « trous noirs financiers » et de paradis fiscaux - y compris au sein de l’Europe - ou de « trous noirs juridiques », qui rendent aujourd’hui possibles les tentatives de clonage humain.

    Les organisations internationales doivent être mieux contrôlées. En effet, le pouvoir acquis par l’OMC, le FMI ou la Banque mondiale interdit de les considérer comme de simples agences sectorielles dont le pilotage relèverait de choix techniques. Leur importance dans la définition des modèles de croissance et de développement, avec toutes les conséquences sociales qui s’y attachent, plaide pour que ces institutions fassent l’objet d’une gouvernance politique. En particulier, les orientations libérales dont elles sont souvent porteuses doivent être soumises au collège des Etats actionnaires.

    Le champ de l’action des organisations internationales doit ensuite être élargi. La hiérarchie des organisations, qui place en tête finance et commerce, reflète une vision biaisée et datée de l’intégration internationale. Les interdépendances commerciales et financières ont certes une importance de premier plan. Mais d’autres formes d’interdépendance - émergence de risques environnementaux globaux, conséquences mondiales de la pauvreté, questions sanitaires - sont venues au premier plan des préoccupations des citoyens. La question sociale est elle-même centrale, parce que la mondialisation n’est acceptable qu’à condition d’être un vecteur de progrès social.

    De la même façon, les grandes négociations internationales en cours doivent se caractériser par des avancées aussi bien sur la forme ( transparence des mandats, débats aux parlements et avec les sociétés civiles…) que sur le fond avec des avancées significatives sur la préservation des services publics et un meilleur accès de tous aux biens publics mondiaux financé par des ressources nouvelles. La négociation en cours sur l’accord général sur le commerce des services (AGCS) est exemplaire et essentiel pour mettre en oeuvre ces principes.

    Enfin il faut donc donner plus de poids international au modèle de société européenne. En donnant à l’Europe la place qu’elle devrait avoir en termes de définition de normes d’information des entreprises-comptables ou éthiques. En effet, l’hégémonie des normes anglo-saxonnes véhicule également un modèle de société. C’est particulièrement flagrant en termes de normes éthiques, pour lesquels les critères américains d’entreprise citoyenne diffèrent des critères européens, notamment en ce qui concerne la place des salariés dans la prise de décision.

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De nouveaux équilibres
en France et en Europe

 

Rééquilibrer notre fiscalité

    Un rééquilibrage est nécessaire entre le profit capté par l’entreprise et le juste retour dû à la collectivité. Une société qui favorise la création d’entreprise, ou l’innovation, ne doit pas nécessairement être une société individualiste et inégalitaire. Les prélèvements ne sont pas un « poids mort économique » - ils financent des investissements utiles et des péréquations ou des redistributions justifiées. Mais nous devons faire en sorte que les prélèvements soient plus « intelligents », d’où une triple nécessité :

       D’abord, mieux répartir notre fiscalité qui pèse trop lourdement sur les revenus du travail et qui traite mieux la rente que le risque. Ensuite, opérer les prélèvements au plus près du lieu de leur utilisation sous forme de services, ce que réussit un décentralisation accompagnée de péréquation.

       Il faut également alléger encore la fiscalité pesant sur les revenus du travail. D’abord, en transférant une partie des prélèvements sur les revenus du travail sur ceux pesant sur le capital et ses revenus. Ensuite, en continuant à favoriser les revenus les plus modestes : dans cette perspective, l’augmentation sensible de la Prime pour l’emploi (PPE), et plus particulièrement ceux dont le revenu mensuel n’atteint pas le SMIC, serait un moyen puissant de redistribution des revenus et de promotion de la société du travail.

       Au-delà, l’impôt sur le revenu doit être profondément réformé. Il faut à l’avenir agir dans deux directions : le prélèvement à la source et le calcul de l’impôt sur une base qui ne pénalise pas les ménages modestes par rapport aux ménages plus aisés. La retenue à la source, adoptée par tous les pays modernes, permettrait à l’impôt de tenir compte rapidement des modifications de situations (variation du revenu, chômage, décès d’un proche,...), ce qui constituerait une amélioration considérable du rapport entre le contribuable et l’État. Cette réforme ne peut être menée à bien que si elle s’accompagne d’une plus grande personnalisation de l’impôt. Cette réforme permettrait d’une part d’assurer la neutralité de l’impôt par rapport aux choix de vie des couples - mariés ou concubins, hétérosexuels ou homosexuels – et de ne pas pénaliser financièrement le travail du conjoint lorsqu’il n’y a qu’un seul salaire dans le couple. Enfin elle pourrait permettre d’élargir considérablement l’assiette de l’impôt sur le revenu par une nécessaire remise à plat du système du quotient familial. Ces propositions constituent des choix lourds que nous proposons de soumettre à un débat public avec tous nos partenaires.

Veiller aux grands équilibres de finances publiques

    Durant les années du gouvernement Jospin, nous avons montré qu’il était possible de mettre en œuvre de grandes réformes sociales tout en conservant une progression maîtrisée des dépenses publiques. Pour la première fois depuis 20 ans, la dette publique a reculé. Cet acquis doit être consolidé. L’avenir sera en effet marqué par les conséquences inéluctables du vieillissement démographique : augmentation sensible des dépenses de retraite et de santé.. Cela implique de concentrer les moyens de l’Etat sur les missions qui permettent de conjurer la formation des inégalités les plus inacceptables, que ce soit en matière d’éducation, de logement, de santé, de sécurité.

    Cette poursuite des réformes engagées jusqu’en 2001 doit également s’accompagner d’un dispositif effectif de modernisation de l’action publique, qui assure à la fois le meilleur rapport/qualité prix possible, mais aussi un équilibre plus équitable entre zone urbaines, zones dites « sensibles » et zones rurales. En effet, même s’il subsiste des écarts importants, seuls les services publics sont aujourd’hui présents partout - y compris en zone rurale ou dans les zones dites « sensibles ». Les entreprises privées doivent donc être appelées à participer à cet effort.

Assurer l’équilibre entre retraités d’aujourd’hui et de demain

    Tel que nous le connaissons actuellement, le régime de retraite repose sur des principes de cohésion sociale (équité entre les générations, solidarité entre les régimes, existence d’un minimum vieillesse). Ces principes doivent être défendus. Certes, les grands paramètres de ce système (taux de remplacement, taux de cotisation, mode de financement, âge de départs à la retraite) ont évolué en donnant naissance à de nouvelles inégalités Il doit donc lui-même évoluer, pour s’adapter à ces nouvelles inégalités.

    Apporter une solution à cette « affaire de famille » sans opposer les jeunes et les anciens nécessite, en premier lieu, un consensus sur la situation actuelle des régimes de retraite ? C’est l’objet que visait la création du Conseil d’Orientation des Retraites. Cette première étape était nécessaire pour créer les conditions d’une réforme acceptée par tous. Il faut désormais aborder la deuxième étape : la consolidation du régime par répartition par la création d’un consensus sur l’évolution des différents paramètres du régime de retraite.

    La réforme doit être globale : il faut fixer de nouvelles règles, qui garantissent à l’avenir la pérennité de la retraite par répartition tout en assurant plus d’équité pour ceux qui ont commencé à travailler tôt, ou qui exercent des professions pénibles, et qui repose sur un financement équilibré entre les avantages individuels financés par cotisation sociale et les avantages collectifs (tel que le minimum retraite) pesant davantage sur l’ensemble des revenus, du capital aussi bien que du travail.

    Cette remise à plat doit s’accompagner du refus des « remèdes miracles » : les fonds de pension d’entreprise ne résoudront pas le problème - ils reportent un risque excessif sur les retraités, créent un antagonisme d’intérêt entre les retraités et les actifs, incitent à trop privilégier l’épargne salariale au détriment des salaires. Ils sont dangereux à la fois pour l’équilibre des marchés financiers et pour les salariés comme l’a prouvé la débâcle d’Enron. De la même façon, L’épargne individuelle même défiscalisée n’aura pas d’autre conséquence que de permettre à ceux qui épargnent déjà le plus de bénéficier des plus grosses réductions d’impôts. Qui peut penser que les entreprises donneraient à leurs salariés sous forme d’actions ce qu’elles leurs refusent en salaire ou en retraite par répartion ? En revanche, une épargne salariale directement et collectivement maîtrisée par les salariés et investie dans les projets socialement responsables et diversifiés reste utile et souhaitable. Enfin, accabler les fonctionnaires sur leur durée de cotisation sans donner tous les éléments du débat n’a pas de sens. Si l’équité entre régimes peut être posée, elle doit intégrer l’ensemble des paramètres : la durée de cotisation, mais aussi le niveau des salaires. C’est pourquoi nous soutenons la démarche des syndicats pour une réforme négociée et durable des retraites.

Vers un nouvel équilibre européen

    En Europe, et malgré les progrès enregistrés depuis 1997, beaucoup reste à faire pour construire un véritable gouvernement économique européen.
    La coordination européenne centrée sur le pacte de stabilité, limité à la surveillance de critères macroéconomiques de déficit, a conduit à négliger les autres aspects des politiques publiques où le manque de coordination est toujours criant, notamment en ce qui concerne le social et la fiscalité. Il faut donc remettre à plat les instruments de la coordination des politiques économiques en Europe. Ainsi, les objectifs de la banque centrale européenne doivent prendre en compte davantage l’objectif de plein emploi et être moins focalisés sur le seul niveau des taux d’inflation. D’une façon plus générale, les critères économiques fixés par les États membres doivent être élargis, inclure les objectifs sociaux - notamment le plein emploi et la pleine activité - sans pour autant renier l’objectif de retour vers l’équilibre à terme des finances publiques, gage du respect de l’équité entre les générations actuelles et les générations à venir.

    Historiquement, la construction européenne s’est longtemps adossée sur la régulation et le volontarisme économique - c’est le cas avec la politique agricole commune, la politique régionale, les réseaux de transport trans-européens, la TVA européenne ou l’euro. C’est toujours le cas avec certaines initiatives européennes comme l’agenda de Lisbonne (innovation) ou le programme-cadre de recherche et développement (PCRD). Mais ne nous y trompons pas : constater les limites de l’Europe actuelle n’est pas rejeter l’Europe. Au contraire, seule l’Europe a la taille critique pour contribuer à la régulation de la mondialisation. L’idéologie libérale qui domine souvent l’Europe aujourd’hui n’a rien de définitif, au contraire : c’est aux socialistes européens d’y mettre un terme.

    Cette logique a atteint ses limites avec l’absence de réponse politique au ralentissement économique - contrairement aux États-Unis, qui ont immédiatement mis à l’étude un plan de relance. De même, la concurrence fiscale a atteint des niveaux difficilement soutenables pour les finances publiques, même pour les États libéraux, et l’élargissement devrait renforcer ce sentiment, avec l’entrée de pays encore plus agressifs (l’Estonie, par exemple, n’a pas d’impôt sur les sociétés). Surtout, cette logique va se heurter de plus en plus durement à la réalité du modèle de société européen, au moins continental, qui repose sur l’équilibre social-démocrate entre liberté et justice sociale, économie de marché et redistribution.

    Face à ces enjeux, on peut identifier quatre axes de travail pour l’avenir.

     Le premier est celui de la régulation macroéconomique. Il faut mettre en place un gouvernement économique européen : pour cela, l’Eurogroupe doit être renforcé et doté d’un pouvoir de décision. Il serait chargé de la coordination budgétaire, de la solidarité européenne (avec la gestion d’un fonds d’action conjoncturel), de la représentation internationale de la zone euro. Il faudra également donner à ce gouvernement des marges de manoeuvre politiques en modifiant les disciplines actuelles : le pacte de stabilité ne doit plus viser à uniformiser les comportements budgétaires nationaux et se recentrer sur les comportements mettant en cause le bon fonctionnement de la zone euro, quitte à être plus coercitif dans ces cas-là. Enfin, une obligation de dialogue entre la BCE et l’Eurogroupe doit être inscrite dans les traités, afin de permettre la définition du « policy mix ».

     Le second axe est celui de la progression des politiques communes : politique fiscale, politique de l’innovation, régulation financière, politique des transports. Avec deux enjeux centraux : l’harmonisation fiscale, autour de l’impôt sur les sociétés, pour mettre un terme au « dumping » qui sévit aujourd’hui en Europe, et qui aboutit à la multiplication de « paradis fiscaux internes », la recherche, où l’Europe a désormais un retard considérable par rapport aux États-Unis, et où la mise en commun des moyens offrirait une force de frappe incomparable.

     Le troisième axe est celui des services publics. Ils sont au coeur du modèle de société européen. Certes, les moyens de sa mise en oeuvre varient : entreprises publiques, économie mixte, partenariat public/privé, secteur d’économie sociale et solidaire… Mais les missions de service public sont bien un point fort européen : tous les Etats européens considèrent que certains secteurs économiques nécessitent une régulation spécifique parce qu’ils sont porteurs de besoins stratégiques pour les citoyens.

     Le dernier axe est celui d’un traité social européen. Des résultats significatifs ont déjà été obtenus, notamment grâce au gouvernement de Lionel Jospin : l’Europe a produit près de 400 textes sociaux ; un « agenda social » a été arrêté, qui fixe le programme de travail de l’Union sur cinq ans en matière sociale ; un processus de coordination sociale européenne - le « processus de Luxembourg » - aboutit à des lignes directrices collectives que les États doivent respecter. La Convention est l’occasion de progresser de manière décisive : intégration de la notion de « progrès social » dans le traité (qui est aujourd’hui cantonné à l’économie) ; pleine valeur juridique à la Charte des droits fondamentaux, qui comprend notamment les droits sociaux du citoyen ; intégration de nouveaux principes comme celui d’un salaire minimum européen.

Les choix de politique économique doivent être débattus dans la transparence.

La commission économique a toujours été un lieu de débats - ils ont continué pendant que la gauche était au gouvernement. Elle n’a pas vocation à être un « club », mais au contraire à s’ouvrir à toutes les sensibilités représentées dans le parti, et à tous les camarades qui souhaitent débattre ou s’informer sur les orientations économiques.

Car les choix économiques ne sont pas une « science infuse » - ils doivent au contraire être débattus pour tenir compte des attentes de nos concitoyens et éviter les dogmes. Car les idées - surtout lorsqu’elles sont bonnes - ne doivent pas être instrumentalisées, captives, ou rejetées parce qu’elles ont été produites dans le secret d’un « courant ». Elles doivent être jugées non pas à leur nom ou à leur filiation, mais à l’aune de leur effet et de leur compatibilité avec nos valeurs.

Après le succès de la réunion du 30 novembre consacrée à la régulation, nous proposons la tenue régulière de débats militants de la commission économique. La première réunion s’est tenue à Paris ; les autres doivent permettre aux membres de la commission d’aller à la rencontre des militants sur le terrain. Enfin, tout au long des 5 années à venir, le parti socialiste doit continuer à faire entendre sa voix à chaque fois que de prétendus « experts » tenteront d’invoquer des prétextes économiques.

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