Contre
les " chicken wings "



Point de vue de Catherine Tasca, ancienne ministre de la culture et de la communication, paru dans le quotidien Le Monde daté du 6 septembre 2002

 
La Commission européenne a l'intention de lancer une procédure contre la France si celle-ci continue de faire étiqueter les denrées alimentaires en langue nationale. Adieu ailes de poulet, bonjour welcome les chicken wings. Cela n'est qu'un aperçu de la routine européenne.

Technocrates fascinés par l'eldorado américain et marchands obnubilés par les profits du commerce mondial ont partie liée pour imposer sans le dire le recours à l'anglais et mener une guerre larvée contre la diversité linguistique.

Jacques Toubon ne m'en voudra pas de rappeler que j'avais largement préparé avant mars 1993 la loi qu'il a fort heureusement menée à terme le 4 août 1994 pour l'usage de la langue française. Si nous naissons de plus en plus consommateurs avant que d'être citoyens, il n'en demeure pas moins que la langue est un des « fondamentaux » de toute culture nationale et de toute capacité de création originale. Le destin d'un pays n'est pas écrit dans la mondialisation des profits ni dans la banalisation de la communication. La vitalité de sa langue est sa meilleure marque de fabrique. Le rappeler est aujourd'hui souvent brocardé et classé au rang des archaïsmes.

Jusqu'où irons-nous dans le renoncement ?

Déjà le gouvernement auquel j'appartenais a cédé du terrain à deux reprises et je n'en suis pas fière. Il a publié deux textes, l'un en 2001 autorisant à remplacer le français par des pictogrammes et une mention en anglais, l'autre en 2002 substituant le mot « Master » à l'orthographe Mastaire ou Mastère comme si nos diplômes universitaires pouvaient s'en trouver valorisés ! J'ai résisté, en vain.

Chacun sait que malgré la construction européenne, malgré les annonces de nos ministres successifs de l'Education nationale, l'enseignement des langues n'a guère progressé dans notre pays. A commencer d'ailleurs par celui du français, pourtant si nécessaire à la République. Est-ce pour faire oublier cette insuffisance que dans ce même pays on trouve parmi les élites tant de zélateurs du parler français ?

Ne pourrions-nous avoir l'ambition de faire avec nos jeunes concitoyens ce qui est banalité dans tant de foyers africains où la pratique est courante d'au moins deux langues nationales, celles des parents souvent d'origine différente, et d'une langue « internationale » ?

Avec la nouvelle offensive des autorités européennes, il y a là une belle occasion de s'exprimer et d'agir pour tous ceux qui se sont retrouvés unis il n'y a pas si longtemps dans la défense de la diversité culturelle, et de sa condition nécessaire, la défense par chacun des pays de l'Union de son droit à «l'exception culturelle». Il y a là pour le nouveau gouvernement l'occasion de mettre en pratique des déclarations électorales qui ne lui ont pas si mal réussi. Courage !


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