L'intérêt des intermittents



 Point de vue de Catherine Tasca, ancienne ministre de la culture et de la communication, paru dans le quotidien Le Monde daté du 12 juillet 2003


 
Ce lundi, nous étions nombreux à attendre la conférence de presse du ministre de la culture, Jean-Jacques Aillagon, mais l'espoir créé par ses propos a fait long feu. La conclusion d'un accord entre le Medef et des syndicats minoritaires dans le spectacle sur le régime de l'intermittence a enfermé l'ensemble du secteur culturel dans une impasse mortelle dont il faut absolument sortir.

Après avoir menacé de mettre fin à ce régime, le Medef s'attribue le mérite de le " pérenniser ", tout en s'octroyant le droit d'en imposer une réécriture qui marque une régression pour les plus précaires, et qui ne règle en rien les abus.

Il faut comprendre que les intermittents ne puissent s'y résigner. C'est d'ailleurs pour cela que, déjà en février 2002, nous avions fait une loi prorogeant leur régime et invitant les partenaires à négocier jusqu'à un nouvel accord acceptable par toutes les parties. Mais qu'a-t-on fait de ce temps de répit ? Rien d'autre qu'un accord perdant dans lequel la majorité des personnels concernés ne se retrouvent pas.

Ayant échappé au pire - la disparition de leur assurance-chômage spécifique -, les artistes et techniciens du spectacle devraient accepter sans rechigner le passage au nouveau régime. Pour exprimer leur refus, il ne leur restait d'autre voie que de faire grève, quitte à faire annuler représentations et festivals. Or ceux-ci, chaque année, non seulement enchantent l'été d'un très nombreux public, mais aussi constituent le point d'orgue de toute une année de travail artistique, préparant depuis des mois cette rencontre irremplaçable qui donne souvent aux spectacles la chance d'une deuxième vie. C'est donc la mort dans l'âme que les intermittents renoncent à jouer.

Comment donc accepter cet arrêt de mort après quarante ans de politique culturelle où l'Etat et les collectivités locales ont additionné leurs efforts pour que vive dans ce pays un pluralisme culturel qu'on nous envie au-delà de nos frontières ?

Comment justifier cette fin auprès de tous ceux, professionnels et public, français et étrangers, pour qui Aix, Avignon, Chalon, Les Vieilles Charrues et tant d'autres sonnent comme des rendez-vous indispensables de la création et de cette diversité culturelle que tout le monde revendique ?

Le ministre de la culture avait proposé un sursis et, surtout, fait vraiment nouveau, il avait appelé à la renégociation. Aujourd'hui, celle-ci a échoué. Dramatiquement, puisque des manifestations artistiques majeures sont annulées. Mais demain ? Rien n'est réglé. Alors pourquoi agréer maintenant l'accord si fortement contesté ?

Qui peut dire que quelques mois de dialogue ne serviraient à rien ? C'est plus qu'il ne faut pour recréer un vrai lieu de négociation entre tous les partenaires. C'est assez pour mettre en place les moyens de contrôle et d'un vrai assainissement du système, aujourd'hui envahi abusivement, détourné par des employeurs sans scrupule. C'est assez aussi pour que les villes dont l'économie ne peut supporter la disparition de leur festival fassent bien entendre leur voix, et comprendre que l'intérêt des intermittents, c'est aussi notre intérêt à tous.

Pour faire du temps un allié, pour donner à chacun la possibilité de mieux faire entendre son point de vue, encore faut-il que, de part et d'autre, on ne s'enferme pas dans un calendrier qui est la négation même du dialogue réclamé. Il faut surtout que le Medef cesse ses anathèmes et ses propos trompeurs et injurieux pour tous ceux qui veulent sincèrement que la culture garde une vraie place dans notre société.


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