L'audiovisuel public
en péril



 Point de vue de Catherine Tasca, ancienne ministre de la culture et de la communication, paru dans l'hebdomadaire Le Nouvel Observateur daté du 29 janvier 2004


 
Depuis les années 1960 et l’avènement de la télévision de masse, l’audiovisuel public a vécu trois grandes phases. Jusqu’à la fin des années 1970, le temps de la voix de la France : le service public est aux ordres, la tutelle de l’Etat sur les entreprises publiques de l’audiovisuel reste étroite et très interventionniste.

Le temps de la mutation s’ouvre en 1981 et met fin au monopole. Dans cette phase, déjà la droite affaiblit le service public : privatisation de TF1 et baisse de la redevance, alors que la gauche a cherché à assurer le difficile équilibre entre privé et public. Y ont contribué plusieurs réformes : instance de régulation, présidence commune, puis holding France Télévisions, création d’Arte et de La Cinquième, réduction du recours à la recette publicitaire, consolidation des financements, redevance incluse bien sûr, mandat des PDG porté à cinq ans. Demain sera-t-il le temps de l’abandon ?

1. Quelles priorités pour les chaînes publiques ?
L’harmonisation des programmes présuppose une réflexion et une ambition. Or il manque de plus en plus une volonté nette chez les professionnels à la tête des sociétés de développer des programmes reconnaissables, spécifiques du service public. Ils sont trop souvent embarqués dans la course à l’audience, obnubilés par la comparaison de leurs résultats avec ceux du privé au point de se borner à reproduire des modèles éprouvés à l’étranger ou dans l’Hexagone par les chaînes commerciales. La discussion sur les moyens, largement aux mains du ministère de l’Economie et des Finances, occulte tout débat sur le contrat moral et sur les objectifs fondamentaux : création, information, pluralisme politique et diversité culturelle.

Depuis deux ans, les agressions contre le service public se sont multipliées : coup de frein sur les moyens, quasi-retrait du service public du projet de la télévision numérique terrestre, puisque le gouvernement ne lui concède qu’un canal, omniprésence de la majorité dans les émissions d’information et de plateau. Il est indispensable de rétablir les chances du service public sur la TNT, comme la BBC est en train de le réussir contrairement aux prédictions des Cassandre, et de lui restituer les moyens financiers que nous lui avions affectés dans ce but. Il faudra aussi replacer les obligations de programmes originaux au cœur du projet de chaque chaîne, ce qui exclut un recours accru à la publicité, comme celui qui semble envisagé.

2. La nomination des patrons de l’audiovisuel public relève-t-elle du CSA ?
Cet aspect du rôle du Conseil supérieur de l’Audiovisuel masque les responsabilités et place les sociétés publiques de radio et de télévision dans une position asymétrique, par rapport aux sociétés privées, et défavorable à l’exercice de leur mission. Pour que le CSA puisse exercer pleinement sa responsabilité de régulation et de contrôle de façon équitable à l’égard du privé et du public, ne faudrait-il pas sortir de cette instance théoriquement indépendante les nominations à la tête des sociétés publiques ? Celles-ci pourraient revenir en toute clarté au gouvernement, quitte à créer pour ce faire une commission ad hoc (et non une autorité administrative indépendante) qui aurait à dresser une liste d’aptitude pour encadrer les choix du pouvoir.

3. Comment valoriser les chaînes à vocation spécifique ?
Celles-ci assurent une offre gratuite diversifiée, nécessaire pour contrebalancer l’évolution monochrome des généralistes. Or leur avenir semble mal assuré. Ainsi RFO intégrée dans France Télévisions risque de perdre sa spécificité, RFI se trouve menacée d’être à nouveau fondue dans Radio-France. TV5 a réussi sa mue, mais sa place dans l’audiovisuel extérieur est périodiquement mise en question. Arte poursuit en solo, grâce à son statut franco-allemand, sa mission spécifique, sans avoir trouvé un vrai ancrage avec les autres chaînes publiques. France 5 souffre d’être bloquée dans sa demi-portion horaire, alors que cette chaîne incarne si bien la mission du service public. Enfin l’improbable mariage entre TF1 et France Télévisions pour la réalisation, souhaitable, d’une chaîne internationale d’information, qui ne sera même pas diffusée en France, laisse peu espérer du caractère de « service public » de la future CII, TF1 ayant le pilotage éditorial et l’Etat assumant le risque financier. La diversification est une nécessité du développement de l’audiovisuel public.

En résumé, les arguments de meilleure gestion si souvent invoqués sont parfois fondés, mais ils cachent une absence de perspectives pour l’audiovisuel public, et la résignation - ou la volonté - de céder le terrain au secteur privé déjà dominé par les groupes Bouygues et Bertelsmann-CLT. Cette évolution est hélas engagée aussi chez certains de nos voisins (Italie, Espagne, Portugal). Elle est l’un des fruits pernicieux de la mondialisation libérale, qui sert les enjeux financiers énormes de la production audiovisuelle et fait fi du pluralisme. Seule une volonté politique déterminée pourrait redonner un avenir à l’audiovisuel public. Souhaitons qu’une nouvelle génération se lève et ne se contente pas de gérer mais s’attache à la qualité des programmes.


© Copyright Le Nouvel Observateur

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