Instaurer un débat démocratique
sur l'avenir des retraites

Contribution au Congrès de Grenoble de novembre 2000,
présentée par Pascal Terrasse, membre du Bureau national du Parti socialiste, député de l'Ardèche et Christine Priotto, membre du Conseil national du Parti socialiste.


 
Depuis une dizaine d'années, les gouvernements et les acteurs sociaux s'alarment des risques pesant sur la pérennité de notre système de retraite. Les socialistes avaient établi un premier Livre Blanc en 1991, la droite avait commandé le rapport Briet de 1995. Aujourd'hui, le Premier Ministre, après avoir mis à contribution le Commissariat Général au Plan (rapport Charpin), vient de créer un Comité National des Retraites, dont l'objectif sera de définir les modalités pour pérenniser notre système de répartition.

L'évolution démographique projetée sur 20 ou 40 ans, telle qu'elle a servi de base aux travaux récents, montre que les équilibres vont être bouleversés. Mais, il convient de mesurer sereinement l'ampleur de ce choc démographique.

L'ampleur du choc démographique

La conjugaison de l'arrivée à l'âge de la retraite des baby-boomers et de l'allongement de la durée de vie entraîne un vieillissement de la population. Ce phénomène concerne tous les pays développés. Aux Etats-Unis, la part des plus de 65 ans devrait passer de 12 % actuellement à 20 % en 2030. En France, les plus de 60 ans représentaient 20 % de la population en 1995, ils en constitueront 27 % en 2020, 33 % en 2040. En 2010, les plus de 60 ans seront plus nombreux que les moins de 20 ans.

Les projections mécaniques établies sur ces bases ne peuvent évidemment aboutir qu'à un diagnostic terrifiant. Le poids des retraites dans le PIB passerait de 11,6 % aujourd'hui à 15 ou 18 % en 2040. Le trou financier serait de 403 milliards de francs pour le régime général, de 255 milliards pour les fonctionnaires de l'Etat. Le nombre de cotisants par retraité du régime général passerait de 1, 7 cotisant par retraité aujourd'hui à 1 en 2020 et 0,8 en 2040. Pour assumer le financement requis à cette échéance, les cotisations devraient augmenter de 60 % et la part des charges sociales dans le coût salarial devrait passer de 45,6 % à 54,7 %, à moins que les prestations aient été réduites de moitié. Les retraités ne le souhaitent pas et Lionel Jospin a annoncé en juin 1999, à l'Assemblée nationale, que les retraités d'aujourd'hui ne doivent pas être touchés par les réformes.

Le côté dramatique de la présentation tient en grande partie à sa construction. La charge est présentée comme si la France devait y faire face dans l'immédiat et de façon statique. En réalité, il n'y a ici d'analyse que tautologique. La population vieillissant, la part du revenu des plus de 60 ans croît. Qu'a-t-on démontré ? Rien.

C'est ainsi que si l'on considère, comme le proposent certains travaux du Commissariat Général au Plan, un " ratio de dépendance " plus large, rapportant l'ensemble des inactifs, qui comprennent les enfants, les chômeurs et les retraités, aux actifs occupés, l'augmentation des plus âgés est strictement compensée par la diminution de la part des plus jeunes jusqu'en 2020. La réduction du chômage de 6 points d'ici 2040 permettrait finalement d'absorber la dégradation de ce ratio à l'horizon 2040. Il y a donc une véritable question de réorientation des financements et de construction de notre avenir collectif, mais pas de problème fondamental de financement des retraites.

En outre, associée aux fruits de la croissance, la réorientation du financement est plus aisée. C'est ainsi que les taux de cotisation vieillesse ont été doublés en 30 ans, sans provoquer de rupture majeure. Comme le fait observer l'OFCE, la réduction du taux de chômage à 6 % d'ici 2040 permettrait de limiter l'augmentation des charges sociales à 0,3 point par an, alors que la croissance annuelle a été de 0,7 point de 1973 à 1983, de 0,5 point de 1983 à 1991 et de 0,35 point de 1991 à 1996.

La perspective d'une réduction du taux de chômage accompagnant le vieillissement de la population est cohérente avec l'évolution passée. La politique d'ouverture de la France à la mondialisation l'a conduit à avoir une croissance marquée par rapport à l'environnement international et à perdre en autonomie de capacité de création d'emploi. Dans ce contexte, un relatif dynamisme démographique s'est traduit par du chômage. A l'opposé, la baisse relative de la population active devrait permettre un recul mécanique du taux de chômage, le marché du travail va se tendre en raison notamment du départ en retraite de babyboomers.

Il ne faut donc pas se méprendre sur la nature réelle du débat. La remise en cause du système de répartition ne vise pas tant à sauver les retraites qu'à modifier profondément la structure du capitalisme français. Ainsi, lorsqu'en 1995, la loi Thomas introduisant les fonds de pension avait été votée par la droite, les compagnies d'assurance, par l'entremise de Denis Kessler, actuellement numéro 2 du MEDEF, avaient tenté d'obtenir un blocage de la part du PIB consacrée au système de répartition, le supplément devant être assuré par des canaux privés, notamment les fameux fonds de pension. Compte tenu du vieillissement de la population, un oligopole privé aurait ainsi de facto été constitué. C'est d'ailleurs dans ce cadre qu'une proposition de loi créant les Plans de Prévoyance Retraite a été présentée par le RPR et l'UDF le 28 janvier dernier et rejetée par les députés de la majorité. Il est pourtant notoire que le problème de l'économie française n'est nullement une insuffisance d'épargne puisqu'elle affiche un excédent de quelques 200 milliards de francs. 12 % du PIB est ainsi épargné, essentiellement en obligations.

L'objectif au regard des retraites serait d'alléger la charge des générations futures grâce à la constitution progressive d'une épargne par les actifs d'aujourd'hui. Pour autant, ces dividendes et intérêts resteront prélevés sur les dividendes des générations futures et la part du revenu des retraites n'en serait pas réduite. Comme le dit Patrick Artus, directeur des études économiques de la Caisse des Dépôts : " Ce qui compte, c'est trouver la solution pour passer de 12.5 % à 20% du PIB. D'un point de vue macro-économique, l'organisation de la collecte d'épargne importe peu. La seule question est : quel doit être le niveau de vie des actifs et des retraites ? "

De plus, on peut douter que la hausse des plus values financières, qui est déjà largement derrière nous, puisse assurer aux fonds de pension l'utilité dont on les gratifie. On observe même que les jeunes épargnent en achetant des actifs et que les plus âgés désépargnent en vendant des actifs. On peut donc s'attendre à une stabilisation, voire à une chute des cours, à moyen terme. Il convient de se souvenir des échecs passés, bien que parfois récents, comme celui des investisseurs, notamment des professions libérales et des commerçants, qui ont épargné en vue de leur retraite en achetant, il y a 15 ou 20 ans, des parts de sociétés de promotion immobilière et qui ont perdu pour certains 60 % de leur capital.

Les partisans des fonds de pension pensent, en investissant à l'étranger, asseoir une partie du financement des retraites sur la croissance étrangère. Mais comme le montre le soi-disant " modèle " américain, la fuite des fonds de pension accroît l'endettement des Etats-Unis à l'égard du reste du monde. L'Etat et les entreprises doivent alors s'endetter à l'étranger car ils ne disposent pas de possibilités nationales. In fine, ces agents contribuent toujours au financement des retraites.

Le modèle social des marchés financiers

Au delà de son inefficacité globale, le système des fonds de pension est également très pervers. La vision d'un actionnariat gaullien est difficilement compatible avec la réalité économique de la mondialisation. Les entreprises ne sont plus stables à l'échelle de la vie professionnelle d'un individu. Ainsi, les pertes du groupe Maxwell ont été couvertes par l'épargne de ses salariés. S'il y a des fonds d'épargne retraite, ils seront gérés par des professionnels bien éloignés de la vision des années 60 de la participation.

Le modèle social des fonds de pension serait d'autant plus marqué qu'ils subiraient eux aussi la pression démographique. Prélevant le financement des pensions par le truchement du dividende au lieu de la cotisation, la gestion des fonds de pension constitue une pression sur les coûts salariaux afin de rentabiliser au mieux l'investissement en action. Soumis au même choc démographique que les régimes par répartition, les fonds de pension exigent des sociétés où ils investissent des rendements de 15 % afin de garantir au jour le jour le niveau des pensions. L'entreprise Michelin n'est-elle pas le plus bel échec de la globalisation ou du rendement exponentiel ?

L'agressivité des fonds de pension à l'origine, par exemple, de la chute de 45 % en deux jours de la valeur de l'action Alcatel en septembre dernier, les amènent à jouer un rôle déstabilisateur dénoncé par l'OCDE. Ses experts indiquent à propos de la crise asiatique qu' " il est prouvé que les fonds de pension et autres investisseurs institutionnels ont joué un rôle crucial, leur revirement contribuant à amplifier la volatilité du marché ". Tout ceci est bien loin du modèle social européen que nous avons défendu lors des élections européennes.

Enfin, on observera dans une approche plus conjoncturelle qu'il serait paradoxal pour le gouvernement d'introduire aujourd'hui un nouveau système d'incitation à l'épargne alors qu'il a pris des mesures diamétralement opposées dans la loi de finances pour 1999, afin de stimuler la consommation au détriment des placements financiers. D'ailleurs, l'augmentation actuelle de l'épargne des ménages en vue de la retraite pourrait devenir un sujet d'inquiétude si, à l'instar de l'implosion du système japonais, elle devait conduire à une sous consommation durable.

Les adaptations nécessaires

Nicole Notat affirme qu'il faut concurrencer les fonds de pension anglo-saxons qui commencent à pénétrer les entreprises françaises. S'il s'agit de constituer un produit d'épargne salariale appropriée et attractif, n'importe lequel peut faire l'affaire, mais alors sans grand rapport avec le financement des retraites. On peut imaginer ainsi un instrument qui s'apparenterait aux Plans d'Epargne Entreprise dans le privé et à la Préfon dans le secteur public. Ceci permettrait également de trouver un substitut acceptable aux avantage des contrats d'assurance-vie qui ne faisaient pas de distinction selon l'origine patrimoniale ou salariale de l'épargne investie. Il appartient aux partenaire sociaux de faire en sorte que les salariés des PME ne soient pas exclus du système, les propositions de Laurent Fabius sur l'Epargne Salariale étant sur ce point très intéressantes.

En ce qui concerne les retraites elles-mêmes, plusieurs mesures majeures sont nécessaires. Tout d'abord, la multitude des régimes particuliers n'a aujourd'hui plus de justification. Une justification souvent avancée est que le secteur public offrait, en terme relatif, de meilleures retraites en contrepartie d'une rémunération plus faible en période d'activité. La réalité sociale et la précarité ne permet plus de défendre ce point de vue. En outre, l'équilibre financier de la majeure partie de ces régimes est préoccupant et nécessite un appel à une solidarité globale. Une convergence devrait être mise progressivement en place pour aboutir in fine à une prestation vieillesse universelle.

En ce qui concerne l'équilibre général, il faut s'interroger sur l'utilisation de l'augmentation de l'espérance de vie. D'ores et déjà, les jeunes prolongent leurs études au delà de ce que faisaient leurs parents. Il serait naturel que la période de vie active soit également affectée par l'heureuse évolution de la durée de vie. Un passage, à l'horizon de 2020, de l'âge de la retraite de 60 à 62 ans absorberait l'effet de l'allongement de l'espérance de vie sur l'équilibre des retraites. Certains ont proposé de substituer à cette modification de l'âge d'ouverture des droits la suppression de la notion, au profit d'une unique référence à la durée d'activité. Ceci irait sans doute dans le sens d'une meilleure égalité des droits (allongement progressif de la durée de cotisation).

Il va de soi que ceci n'a de sens que si l'économie retrouve une meilleure situation de l'emploi. Dans le cas contraire, cette perspective serait fermée, le recours à la préretraite restant sans doute une modalité importante de la gestion sociale de la crise. La question de l'emploi est donc bien cruciale pour l'avenir de notre modèle social de solidarité intergénérationnelle.

Cette solidarité conduit à la question concernant le niveau de vie respectif des actifs et des retraités. Depuis 1993, le revenu moyen des retraités a dépassé celui des actifs. Cette situation s'explique notamment par le fait que les premiers possèdent plus de 50 % du patrimoine immobilier et des valeurs mobilières. Simultanément, cette situation d'ensemble cache une très grande disparité entre retraités.

Il convient donc d'infléchir le système actuel afin de réduire les inégalités entre retraités et d'instaurer un équilibre de revenus entre actifs et retraités. Hormis l'indexation des prestations sur les prix plutôt que sur les salaires, ceci passe nécessairement par le renforcement des prélèvements sur les revenus mobiliers et immobiliers et par un allégement des prélèvements sur les revenus du travail. Ceci est d'autant plus nécessaire que l'ouverture de l'économie incite naturellement à la suppression de tous les prélèvements assis exclusivement sur la rémunération du travail.

Le financement du système de retraite doit donc être revu fondamentalement et ne plus porter exclusivement sur la masse salariale. Le financement des ménages devrait évoluer par un transfert des cotisations vers la contribution sociale généralisée (CSG) assise sur l'ensemble des revenus. Le financement apporté par les entreprises devrait, parallèlement, être assis sur la valeur ajoutée et non plus sur la seule masse salariale. De la sorte, le financement de la retraite ne constituerait plus une incitation à la substitution du capital au travail.

La conjugaison de l'ensemble de ces mesures : utilisation des ressources financières libérées par les autres catégories d'inactifs , recul de l'âge de la retraite, convergence des différents régimes vers une prestation vieillesse universelle, substitution de la CSG aux cotisations et élargissements de l'assiette de l'impôt des entreprises à l'ensemble de la valeur ajoutée, permettrait de désamorcer largement les craintes sur l'avenir des retraites tout en assurant un équilibre compatible avec les impératifs de solidarité et d'efficacité. Tel est le sens de la proposition du commissaire au plan, celle ci nécessite débat.

Mais, au regard des fonds de pension, cette solution a un effet politique. Elle conduit à maintenir le financement des retraites dans la catégorie des prélèvements obligatoires sur lesquels existe une pression internationale pour en obtenir une réduction forte. Pourtant, le conseil d'Analyse Economique du Premier Ministre vient d'apporter une contribution importante en comparant entre pays les prélèvements obligatoires à prestations équivalentes. C'est ainsi que les prélèvements pour les fonds de pension britanniques apparaissent aujourd'hui plus élevés que les prélèvements pour le système de répartition. Une fois ce débat sémantique éclairci, l'intérêt politique des fonds de pension apparaîtrait bien moindre, notamment au représentant du tout catastrophe.

La priorité des priorités est d'abord de conforter et de consolider nos régimes de retraite par répartition. C'est une priorité, une exigence fondamentale de justice et de solidarité.

La méthode qui devrait présider à la mise en œuvre de l'évolution de notre système de retraite pourrait s'énoncer en trois principes :
     L'ajustement des régimes de retraite durera plusieurs décennies et il s'agira d'un processus continu ;

     Les efforts devront être partagés équitablement entre actifs et inactifs, entre catégories sociales, entre générations ;

     Les régimes de base et complémentaires légaux doivent être le pilier, le socle sur lequel repose l'essentiel des revenus de remplacement.
C'est pourquoi il nous parait important d'instaurer un véritable débat démocratique sur l'avenir des retraites.

Page précédente Haut de page

PSinfo.net : retourner à l'accueil

[Les documents] [Les élections] [Les dossiers] [Les entretiens] [Rechercher] [Contacter] [Liens]