Projet de loi de réforme des retraites :
Motion de procédure
(exception d’irrecevabilité)

Pascal Terrasse
présentée par Pascal Terrasse, député de l'Ardèche, à l'Assemblée nationale le 10 juin 2003
 
La Représentation nationale est appelée à vivre ces jours-ci un moment fort, pour ne pas dire historique. Avec la question des retraites, elle se saisit en effet d’un dossier majeur.

Ce symbole du progrès social, cette sécurité fondamentale due à chaque citoyen, est l’incarnation la plus parfaite de la solidarité nationale. Les Français le savent. Ils savent que le débat qui s’est installé ne se limite pas à la question d’une durée de cotisation ou d’un taux de remplacement. Réformer les retraites, c’est en réalité redessiner la société de demain. C’est aussi repenser les rapports qu’entretiennent les générations entre elles et c’est pour cela que la France toute entière a les yeux tournés vers la représentation nationale.

Car en effet, la France s’est appropriée le débat. Ce débat est partout. Il est surtout dans la rue, une rue qui nous renvoie les signes de son inquiétude et qui attend de ses représentants ici présents qu’ils ne s’éloignent pas du seul objectif possible : la recherche du progrès social et seulement du progrès social. L’inverse est impensable et serait lourd de conséquences. Un an après le 21 avril, qui marque la plus grave crise civique qu’ait connu la Vème République, le retour de l’insécurité sociale nous entraînerait vers cet impensable scénario dans lequel l’avenir de nos enfants serait plus sombre que le nôtre.

L’avenir des retraites représente donc pour les Français un enjeu essentiel. Garantir la retraite par répartition, expression de la solidarité entre les générations et, par-là même, facteur de cohésion nationale, demeure l’un des termes les plus importants du pacte social. Il n’y aurait pas de pire réforme que celle qui romprait avec l’idée que la retraite est un dispositif collectif assis sur la solidarité.

Avant de s’engager sur la voie, forcément complexe, de la réforme, il convient de poser avec clarté les arguments qui conduisent à ne plus se satisfaire de l’état actuel de nos systèmes de retraite.

La réforme des retraites ne se justifie que par les améliorations sociales qu’elle promet et quels que soient les efforts qu’elle peut supposer. C’est à l’aune de ce postulat qu’il nous faut identifier clairement le sens du projet de loi qui vient de nous être présenté et les objectifs qui sont les siens. Je crains pour ma part, qu’il ne s’agisse en réalité d’une réforme dont le but se résume à achever sans complexe les mesures drastiques entreprises par Edouard Balladur dans la chaleur de l’été 93. C’est donc ainsi que ce projet remet en cause la République sociale voulue par le Conseil National de la Résistance au soir de la libération.

Certes, l’évolution démographique montre que les équilibres vont être bouleversés. L’allongement de la durée de vie et l’arrivée à la retraite des personnes nées dans l’après guerre entraînent un vieillissement de la population. Il faut cependant apprécier avec raison l’ampleur de ce choc démographique. Son avènement prochain n’est pas une découverte récente de quelques démographes éclairés. Pourtant, dans les années 60 et 70, les gouvernements de l’époque ont choisi de fermer les yeux sur cette réalité. Ce phénomène concerne tous les pays occidentaux, avec plus ou moins d’acuité. En France, les plus de 60 ans représentaient 16 % en 1946, 18 ,4 % en 1975, 20 % en 1995, ils seront 25 % en 2020.

Les projections établies sur ces bases peuvent donner lieu à un diagnostic alarmiste. Le poids des retraites dans le PIB passerait de 11,6 % aujourd’hui à une fourchette comprise entre 13 et 14 % en 2020, si aucun des paramètres de la réforme Balladur n’est modifié. Si l’on s’en tient aux seuls leviers que vous évoquez pour assurer le financement à cette échéance 2020, il faudrait soit diminuer le niveau des pensions, soit allonger la durée de cotisation. Pas de salut en dehors de ces 2 punitions infligées à la France qui travaille !

L’aspect catastrophique que vous donnez à votre présentation de la situation, tient en grande partie à sa construction. En effet, vous nous présentez l’urgence de la réforme de manière proprement comptable, statistique, et comme si la France devait faire face au problème dans l’immédiat.

Or, une analyse objective ne peut faire l’économie de l’ensemble des hypothèses, notamment de croissance et d’emplois. Sur les 30 dernières années, la croissance nous a permis de financer largement la montée en charge de notre système de retraites, et de faire face à un besoin accru de financement comparable de 2 points de PIB. Cela n’a pas empêché la France de voir son économie progresser ni de maintenir son niveau de vie et sa place dans le peloton de tête des pays riches. La situation sur le front de l’emploi représente quant à elle la principale variable qui nous assure, si nous nous en donnons réellement les moyens, des marges de manœuvre importantes face à l’échéance. Mon propos n’est pas de gommer l’importance de l’enjeu. Mais je pense que, sur l’ensemble de ces bancs et y compris au gouvernement, nous devons plus aux Françaises et aux Français que les discours catastrophistes que leur sert une large partie de la majorité, notamment celle qui voudrait dénoncer une prétendue inaction du précédent gouvernement et force donc le trait sur l’urgence et la gravité de la situation.

Comme le fit à juste titre remarquer l’ensemble des rapports remis à Michel Rocard, Alain Juppé et Lionel Jospin, la réduction du chômage par une politique de l’emploi soutenue d’ici 2020, permettrait de compenser grandement la dégradation des ratios. La question de la réorientation de certains financements socialisés, dans un scénario de croissance soutenue, est également possible.

J’aurai l’occasion de vous démontrer dans un moment qu’il n’existe pas d’impossibilité fondamentale de financement du régime général de retraite à l’échéance 2020. Le tout est d’accepter, sans idéologie, la perspective d’une action concertée et équilibrée, jouant sur l’ensemble des leviers, et refusant de noircir à tout prix la situation pour laisser notre modèle social se travestir en un modèle libéral.

L’inquiétude suscitée par la situation démographique et son évolution, ainsi que la perception grandissante des effets de la réforme Balladur sur le niveau des retraites, aurait voulu que le gouvernement détermine préalablement et de manière claire les objectifs à atteindre avant de déterminer les moyens à mettre en oeuvre. Or, il n’en est rien. C’est la réforme pour la réforme que vous avez choisi pour credo en prenant soin de faire croire aux Français qu’il n’y avait pas d’autre voie possible que le régime d’austérité ou le chaos.

Je crois que les Français ne sont pas dupes et qu’ils n’ont pas adhéré au discours réducteur et manichéen qui leur a été servi. En effet, les Français n’ont pas besoin d’être sensibilisés à la question des retraites. Ils le sont. L’ampleur des mouvements sociaux de ces deux derniers mois en témoigne. Malgré la guerre de communication que vous avez voulu engager contre les partenaires sociaux, en mobilisant plusieurs milliers d’Euros sur le dos du contribuable, rien n’aura affaiblit le mouvement social, bien au contraire.

Vous avez voulu asseoir votre réforme sur un discours catastrophiste plutôt que de consulter les

Français. De nombreux pays étrangers ont pris, avec succès, le temps de ce dialogue avec les partenaires sociaux. Pas vous. Je regrette également que vous ayez fait le choix de négliger le travail du Conseil d’Orientation des Retraites. Le sérieux de ce travail, établi dans un esprit de responsabilité et de pragmatisme, aurait mérité plus de considération.

Tous ces préalables auraient été souhaitables. En effet, toutes les enquêtes montrent que la retraite demeure un sujet de préoccupation essentiel pour les Français, notamment parce que cette question de société rend les générations solidaires entre elles. Ce lien entre génération est le cœur de notre pacte social. Aujourd’hui vous avez décidé de rompre cette chaîne de la solidarité qui unit dans un même corps notre république sociale.

Vous avez décidé d’achever l’entreprise de démolition sociale déjà engagée par votre prédécesseur en 1995. Vous avez certes une majorité écrasante, mais les Français sauront, le moment venu, se rappeler qu’en vérité vous n’avez aucunement répondu à leurs attentes et préféré user de votre force.

Leurs préoccupations se posent en des termes très clairs : quel montant de pension ? A quel âge et après quelle durée d’activité ?

A l’inverse de ce qui motive votre projet, nous socialistes, pensons que les mesures à prendre pour faire vivre la répartition et assurer son équilibre à long terme, ne sauraient comme vous le proposez se réduire à de simples ajustements de paramètres de fonctionnement sans qu’il ne soit besoin d’élargir le débat à d’autres questions, au premier rangs desquelles figure l’élément déterminant de la création d’emploi et de la politique qui l’accompagne.

L’articulation avec la politique de l’emploi

Pour les socialistes, la question de l’emploi est indissociable de celle des retraites. Il serait vain de s’interroger sur l’évolution des conditions d’âges au départ à la retraite ou sur la durée d’activité sans considérer que dans le secteur privé, plus d’une personne sur deux est aujourd’hui inactive avant l’ouverture de ses droits à pension.

Quant à l’allongement de la durée de vie, elle pose la question de l’aptitude au travail dans le temps et de la considération portée aux salariés les plus âgés. Pour un salarié, qu’il soit du secteur public ou privé, un possible allongement de sa durée de cotisation à 43 ans l’obligera inévitablement, soit à différer son départ à la retraite, soit à réduire le montant de sa pension. Allonger la durée de cotisation revient, de fait, à allonger la durée de la vie active et à poser avec encore plus d’acuité la problématique du chômage. Cette question est essentielle dans un contexte où un salarié est de plus en plus tôt considéré au sein de l’entreprises comme étant trop âgé, soit parce que son coût salarial est trop élevé pour l’employeur, soit parce que sa capacité de travail ne répond plus aux exigences de rendement.

En allongeant la durée de cotisation de manière unilatérale, sans véritable concertation ni négociation, vous ignorez l’accession difficile des plus jeunes à un premier emploi, le temps partiel subi et qui frappe les femmes en priorité ou bien encore les chômeurs âgés qui peinent à renouer avec une activité rémunérée.

Durcir les conditions d’accès aux préretraites progressives pour ceux qui le souhaiteraient, alors que l’accès à l’emploi est inégalitaire, reviendrait à accroître plus encore la concurrence parmi les salariés en les privant d’opportunités. Pour autant, il importe aussi de mieux utiliser les capacités de travail tout au long de la vie active et de rompre avec des pratiques qui consistent à faire de l’âge un élément de discrimination.

Seulement 3 % des salariés quittent leur emploi pour une retraite avant 55 ans. Il s’agit essentiellement des militaires et des femmes relevant des régimes de la fonction publique ayant élevé au moins 3 enfants. Entre 55 ans et 59 ans, ce sont essentiellement le corps des instituteurs (en voie d’extinction car remplacés par les professeurs des écoles qui eux partent à 60 ans). On retrouve également les fonctionnaires de police et le personnel soignant.

Vous nous parlez d’équité. Comment ces agents de la fonction publique ou ces militaires vont-ils être traités ? Garderont-ils un régime dérogatoire et sur quelle base ? On retrouve d’ailleurs d’autres métiers qui ont leur propre spécificité. Pourquoi ne pas profiter de cette réforme pour renvoyer à la négociation par secteurs de la fonction publique et par métiers la prise en compte de certaines pénibilités physiques et psychologiques ?

Vous avez choisi de faire l’impasse sur ces préoccupations pourtant essentielles. Et quand vous n’avez pas osé faire l’impasse, vous avez préféré masquer vos intentions. Il en est ainsi pour l’âge de départ à la retraite. En effet, plus de la moitié des salariés liquide ses droits à pension à 60 ans. Est-il besoin de rappeler que ce sont les Socialistes qui ont fait passer à 60 ans l’âge légal de la retraite qui jusqu’en 1981 était à 65 ans. C’est là un acquis social que nous entendons préserver. Repousser, comme le demande le MEDEF, de 160 à 172 trimestres de cotisation dans un premier temps pour aboutir à 188 trimestres à terme, revient en réalité à remettre en cause la retraite à taux plein à 60 ans pour tous. Vous ne dites pas la vérité au Français, en vous attaquant une à une aux grandes avancées sociales de ces 20 dernières années. Vous vous attaquez là à l’un des symboles du progrès social, une conquête de la Gauche devenue aujourd’hui un acquis dans l’esprit de tous les Français, fussent-ils vos électeurs.

Cette évolution aurait pu se traduire, certains émettaient cette crainte, par une paupérisation de la population âgée. Il n’en fut rien. C’est nous, socialistes, qui avons su prendre les mesures nécessaires pour que la sortie de la vie active ne soit plus obligatoirement suivie de l’entrée dans la vie précaire. Nous considérons qu’une société moderne se mesure à l’attention qu’elle porte à ses anciens et au partage auquel elle consent pour permettre aux plus âgés d’accéder à une fin de vie décente. Le niveau de vie moyen des retraités à aujourd’hui rejoint celui des actifs. Le minimum vieillesse concerne un peu moins de 90 000 personnes, aujourd’hui, contre plus de 2 millions dans les années 70. Qu’en sera-t-il demain ?

Nos retraites sont plus longues, nous en profitons mieux. C’est là une chance extraordinaire pour chacun d’entre nous, mais aussi le signe le plus évident d’une société ouverte au partage. Les retraités sont des acteurs économiques à part entière. Ce sont eux qui dans les périodes de crise tirent la consommation vers le haut, et pèsent ainsi d’un poids certain dans le maintien de la croissance.

Vous avez décidé de vous engager dans l’appauvrissement progressif des pensions de retraite. Ce choix aura bien évidemment de lourdes conséquences sur la croissance à venir et j’aurai l’occasion de vous démontrer que la réforme Balladur, ajoutée aux mesures anti-sociales contenues dans le projet de loi de financement de la sécurité sociale (augmentation des pensions de 1,5 %, alors que l’inflation sur les 12 derniers mois est de 2 %) ainsi que votre réforme, aboutiront au plus drastique des régimes : « Eau et pain sec ».

Vous avez délibérément choisi d’opérer un retour aux années 70, chères à certains de vos collègues, où un nombre important de retraités en dessous du seuil de pauvreté était monnaie courante.

Certes, les avancées dont les seniors ont pu bénéficier dans leur vie quotidienne ne reposent pas exclusivement sur notre système de retraites par répartition. Il convient notamment de mentionner les autres piliers de la protection sociale. Je place évidemment la branche maladie au cœur des avancées qui ont permis de mieux prendre en compte de nombreuses pathologies ou encore plus récemment la création de l’allocation personnalisée à l’autonomie. Il n’en demeure pas moins que la retraite à 60 ans a permis de faire émerger un nouvel âge de la vie. C’est bien cette avancée fondamentale qui a permis d’impulser une véritable politique à l’égard de cette catégorie sociale jusque là délaissée. Les retraités sont aujourd’hui organisés, acteurs de la vie sociale et peu enclin à se laisser enfermer dans un rôle d’inactifs qui n’est certainement pas le leur. Votre projet ne prend pas la mesure de cette évolution. Pire, il les ramène 20 ans en arrière !

Cette construction patiente et concertée, d’une politique sociale juste, a fait ses preuves dans l’opinion. Alors qu’en 1997 nous avons retrouvé des comptes sociaux au bord de l’explosion à la suite de 5 années de gestion R.P.R., nous avons su prendre les mesures structurelles nécessaires pour retrouver l’équilibre. Après 5 ans d’une gestion qui s’est traduite par une consolidation des comptes sociaux, une seule année vous a suffi pour ramener une nouvelle fois les comptes de la sécurité sociale dans une situation de quasi faillite à la suite de choix politiques qui n’incombent qu’à vous. Vous avez préféré laisser filer les déficits, pour mieux asseoir l’idée de la privatisation des régimes de sécurité sociale.

Dans quelques mois, vous nous ferez le coup de la menace qui pèse sur les régimes d’assurance maladie, afin de mieux les orienter vers les assureurs privés. Vous prônez la sauvegarde de la protection sociale mais en réalité vous n’avez de cesse que de la brader. Vous avez d’ailleurs, il y a quelques mois, voulu sauvegarder l’allocation personnalisée à l’autonomie en faisant payer les plus pauvres, quand dans le même temps vous allégiez à hauteur de 500 millions d’euros, la charge fiscale des ménages soumis a l’impôt sur la grande fortune.

On comprend que le mouvement social exprime les pires réticences quand il entend le Gouvernement affirmer sa volonté de « sauvegarder » l’Éducation nationale. En l’espace de 12 mois, vous venez surtout de réformer le vocabulaire français puisque désormais les notions de « réforme et de sauvegarde » sont synonymes de régression sociale et de démantèlement.

Comment faire comprendre à nos concitoyens, qu’ils peuvent vous faire confiance alors qu’ils sont inquiets face à une politique de l’emploi qui s’est traduite par 100 000 chômeurs de plus en 1 an. Inquiets également pour le niveau des retraites que vous avez décidé de réduire. Inquiets encore pour leur santé, leur service public d’éducation et d’une manière générale, inquiets pour l’avenir d’un modèle social que vous avez décidé de sacrifier sur l’autel du libéralisme.

La question des retraites, c’est avant tout un choix de société

Pour ce qui nous concerne, notre choix de société repose notamment sur le maintien du principe des retraites par répartition.

C’est lui qui a permis de faire en sorte que le niveau de vie des retraités se rapproche au mieux de celui des actifs même s’il convient de lutter plus encore contre les disparités qui subsistent dans la mesure où 3 retraités sur dix vivent avec moins de 530 euros par mois. Pour les catégories sociales les moins privilégiées, la retraite représente 80 % de leur revenu à 60 ans, alors que dans le même temps, pour les plus riches, la pension ne représente que 50 % des ressources, le reste étant tiré des revenus du patrimoine et du capital.

Dans son discours du 21 mars 2000, le Premier ministre avait raison de rappeler que la retraite « c’est toujours le patrimoine de ceux qui n’en ont pas ».

Monsieur le ministre, vous faites souvent allusion aux propos de Lionel Jospin en prenant soin de lui faire dire ce qui vous arrange. En réalité, les Français, qu’ils soient ou non dans la rue, ne s’y trompent guère. Ils mesurent aujourd’hui plus que jamais tout ce qui nous sépare, tant sur le fond que sur la forme.

Par une politique économique volontariste, dans un contexte de croissance que nous avons su entretenir et faire prospérer grâce à des mesures fortes, nous avions engagé la France sur la voie du plein emploi, la seule possible pour garantir un début de financement des retraites grâce à un équilibre souhaitable entre les cotisants et les retraités. En favorisant la création de 2 millions d’emplois et en permettant un recul du chômage sans précédent de près d’un million, la situation était bien différente de celle que vos choix génèrent aujourd’hui. En effet, depuis votre arrivée aux responsabilités, ce sont 100 000 chômeurs de plus, soit d’après l’excellent rapport sur l’assurance vieillesse de votre collègue Denis Jacquat, 200 millions d’euros en moins pour les caisses d’assurance vieillesse.

Je crains que votre politique de l’emploi ne revienne à se tirer une balle dans le pied. D’un excèdent des caisses vieillesses en 2001 de 1,5 milliard d’euros et de 1,7 milliard en 2002, la dynamique des cotisations sociales va se transformer très rapidement en une débâcle comparable à celle de l’assurance maladie. Votre gouvernement devra alors assumer sa pleine et entière responsabilité. Il ne vous sera plus possible à ce moment d’affirmer comme il vous plait de le faire si souvent : « c’est pas nous, c’est les autres ».

D’ailleurs, à ce stade, vous me permettrez de douter de votre volonté de trouver un point d’équilibre du régime vieillesse à l’horizon 2008. Ce n’est pas en allongeant la durée de cotisation des fonctionnaires, contrairement à ce que vous faites croire aux Français, que vous allez équilibrer les caisses du régime général. En effet, il n’y a pas de fongibilité entre ce qui relève du budget de l’Etat et ce qui relève des comptes sociaux. Ayez le courage de le dire, au moins dans cet hémicycle.

Au-delà des intentions et du doute quant à vos arrières pensées, je voudrais insister un moment sur la méthode. La détermination et le passage en force ne suffisent pas à faire une méthode. Le Gouvernement précédent l’avait bien compris. C’est pour cette raison qu’il s’était engagé dans une démarche d’ouverture : ni « droit dans ses bottes », ni autiste à l’égard d’une rue qui, si elle ne gouverne pas, continuera à choisir celles et ceux qui siègent dans cet hémicycle !

Que disait le précédent Gouvernement ? Je cite : « Pour saisir pleinement la question de l’équilibre des régimes de retraite, il faut la replacer dans la durée. Il serait illusoire de penser la résoudre aujourd’hui, pour 2040 » rappelait le Premier ministre Lionel Jospin et de rajouter « La question des retraites doit se gérer par un pilotage qui soit adapté en permanence aux réalités démographiques, sociologiques ou économiques du pays » avant de terminer son allocution de mars 2000 en rappelant que « le gouvernement n’entend pas imposer une solution. La concertation doit être la règle. Je souhaite donc qu’une négociation s’engage avec les organisations syndicales ». Voilà pour l’essentiel le cœur de nos profondes divergences. Votre méthode n’a pas à nous surprendre. 2003 n’est finalement guère différent de 1995: un semblant de concertation immédiatement suivie d’un rythme au pas de charge pour un passage à la hussarde. Voilà, à peu de chose près, votre méthode résumée.

Les organisations syndicales ne s’y sont d’ailleurs pas trompées puisque leurs réactions sont également très proches de celles manifestées en 1995. Que disaient-elles en 2000 lors de l’allocution du Premier ministre ? A la lecture très intéressante des dépêches AFP, je vais vous le rappeler :
     La CGT : « La priorité est dans une réforme du mode de financement de la protection sociale à partir de l’entreprise, en assujettissant « toutes les composantes de la rémunération au prélèvements sociaux », en créant « une cotisation sur les revenus financiers des entrepreneurs et en modifiant « le mode de calcul de la contribution patronale de manière à élargir l’assiette du financement ».

     FO Fonctionnaire : « Qu’elle ne saurait participer à une négociation qui a pour objectif une quelconque remise en cause du code des pensions ».

     CFDT : Mme Notat indiquait que « l’allongement des cotisations, tout comme la modification des taux de cotisations ne sont pas des tabous pour la CFDT » et de rajouter « Nous sommes un peu perplexes sur les chances de réussite de cette réforme pour les fonctionnaires », car « le fait de renvoyer à la négociation ne laisse pas augurer d’une réussite tout à fait assurée ». Quel aveu !
Je n’épiloguerai pas sur les positions du patronat. Vous connaissez mieux que moi son programme qui se résume à un allongement de la durée de cotisation à 180 annuités ! Personne n’aura d’ailleurs manqué de constater son silence assourdissant à l’heure actuelle… on n’aurait du mal à l’assimiler à de la déception. Au contraire, votre partenaire principal semble pour une fois avoir compris l’intérêt de la discrétion afin de soutenir votre projet.

Voilà en effet, la grande différence qui nous oppose et que nous ne manquerons pas de vous rappeler tout au long des débats. Vous avez rompu unilatéralement le dialogue social avec 6 des plus importants syndicats de salariés. Vous avez préféré vous appuyer sur les seules propositions du MEDEF, qui en effet, a de quoi être pleinement satisfait de vos orientations.

Ce projet représente à nos yeux, un virage à 180 degrés, une rupture manifeste avec l’histoire des politiques sociales telles qu’elles se sont construites depuis l’après guerre. En effet, durant près de 50 ans, les régimes de retraite des secteurs publics ont servi de référence au régime de retraite du secteur privé. Toutes les réformes opérées entre 1945 et 1993 (date de la réforme Balladur) ont consisté en un alignement progressif du régime général sur les garanties offertes par le secteur public. L’inversement de cette tendance à partir de 1993 constitue de ce point de vue une rupture majeure avec le passé que vous confirmez aujourd’hu !

Tourner le dos à près de 50 ans de progrès social et se payer le luxe de snober le dialogue et la concertation, voilà un excès de confiance et une nouvelle forme d’expérimentation hasardeuse à l’issue incertaine.

La voie de la négociation continue à nous apparaître comme étant la seule possible pour garantir des conditions de liquidation des droits à la retraite dans tous les régimes qui soient partagées par le plus grand nombre.

Votre méthode porte en elle une terrible négligence à l’égard de la France qui travaille. Ainsi, allonger de manière inconsidérée la durée de cotisation, sans tenir compte à la fois des spécificités de certains métiers, des évolutions des conditions de travail, des conséquences prévisibles sur la santé et l’aptitude à l’exercice de certaines activités à partir d’un certain âge, c’est méconnaître le monde du travail et lui accorder bien peu de considération.

Comment pouvez-vous aborder la réforme des retraites, sans évoquer l’usure prématurée de certaines catégories de travailleurs. En effet, ce sont souvent ceux qui ont commencé à travailler le plus tôt, qui perçoivent les pensions de retraite les plus modestes et qui malheureusement en profitent le moins longtemps.

La pénibilité physique ou psychologique, qui résulte de conditions de travail particulières (travail à la chaîne sous contrainte de rendement, travail de nuit et posté, exposition aux bruits, à la poussière, aux toxines, à l’humidité etc…) génèrent un risque grave sur la santé et par voie de conséquence sur la durée de vie de certaines catégories sociales. Rien dans votre projet ne paraît tenir compte de cette terrible réalité ! Du chantier au cimetière. Voilà pour de nombreux salariés la logique sous-jacente de votre projet !

Pour une période couvrant les années 1982 à 1997, entre un ouvrier et son directeur, les études de l’INSEE montrent une différence d’espérance de vie à 35 ans qui s’établit à 6,5 ans. Les risques de décès entre 35 ans et 65 ans sont deux fois plus importants en fonction des postes occupés, tant dans le secteur public que dans le secteur privé. On retrouve cette même analyse après 60 ans où la durée de vie passée à la retraite est très nettement inférieure suivant les emplois occupés tout au long de la vie. Demandez, Monsieur le Rapporteur, à un agent de la DDE de la Savoie ce qu’il pense d’un départ à la retraite à 63 ans, alors qu’il effectue des déneigements la nuit et le week-end, dans le froid et les intempéries.

Monsieur le Rapporteur, il faudra leurs expliquer que votre volonté est de les amener à la retraite à 65 ou 67 ans.

Pour ce qui nous concerne, à l’instar de ce qui est possible pour les militaires et les fonctionnaires de police, nous pensons qu’il serait judicieux de renvoyer à la négociation par fonction publique et par branches professionnelles du secteur privé, la possibilité de bénéficier de bonifications trimestrielles. Vous offrez cette possibilité aux seules infirmières à hauteur d’une année par période décennale, alors que pour les militaires la bonification est de 1 an tous les 5 ans. Y aurait-il deux catégories d’emplois pénibles ? Lorsque l’on connaît l’exercice difficile des personnels soignants, permettez-moi d’en douter.

Et les autres, les enseignants en zone sensible, en classe unique, les ouvriers de catégorie C, les chauffeurs de poids lourd, à ceux-là que dites-vous ? Vous ne leur dites rien. Et bien nous, nous pensons que la négociation était possible.

La notion de pénibilité n’apparaît qu’une seule fois dans votre texte pour être renvoyée à d’hypothétiques discussions. Cette lacune traduit la nature profondément inégalitaire de votre projet. Plutôt qu’un véritable débat avec les organisations syndicales, vous avez préféré la fuite en fermant la porte du dialogue social. Il est loin le temps des beaux discours sur l’esprit de mai. Jamais depuis 1995, la France n’a été aussi mobilisée par des mouvements sociaux. Ne vous y trompez pas, il y a ceux qui manifestent, mais il y a aussi toutes celles et ceux qui, dans le secteur privé, sont contraints à la discrétion mais soutiennent néanmoins la grogne de la rue. Faut-il vous rappeler que si 83 % des Français jugent utile une réforme des retraites, 64 % jugent inégalitaire et injuste celle que vous leur proposez.

Alors que les socialistes sont à l’origine de la retraite à 60 ans, et, que déjà à cette époque vous refusiez de voter pour cette grande réforme sociale, vous essayez de faire croire à l’opinion que le précédent gouvernement aurait eu une attitude similaire à la vôtre. C’est bien mal connaître les députés socialistes, leur histoire et leur attachement à des valeurs qu’ils défendront ici, pied à pied !

Pour vous en persuader, je vous renvoie à la page 15 du discours de Lionel Jospin qui estime « pas nécessaire d’envisager, pour les assurés du régime général, un allongement supplémentaire de la durée de cotisations ». En tous points, nous marquerons notre différence, qu’il s’agisse de l’allongement, de la baisse des prestations ou de la méthode choisie. Assumez vos choix. Ils ne sont pas les nôtres !

Vous voulez la baisse des pensions et l’allongement de la durée de cotisation ? Nous vous opposons un autre choix de société fondé sur une meilleure répartition des richesses produites et la garantie d’un haut niveau de pension.

Vous savez qu’en dégradant à court et moyen terme le niveau des pensions, vous allez imposer des fonds de pension que nous avons rejeté sans hésitation en abrogeant la loi Thomas. C’est ainsi que votre projet se résume en une pièce en trois actes :

Acte 1 : Vous réduisez le montant des retraites
Acte 2 : Vous imposez les fonds de pensions comme la seule alternative
Acte 3 : Vous sacrifiez définitivement les retraites par répartition
Assumez donc, ici encore, vos choix !

La loi accorde une place de choix à l’épargne retraite, que son cadre soit purement individuel ou celui de l’entreprise. Comme pour la loi Thomas, directement inspirée des fonds de pension anglo-saxons, nous vous redisons que ce n’est pas en accordant des avantages fiscaux importants à ceux qui peuvent le plus facilement épargner que vous allez résoudre le problème des petites pensions.

Au contraire, le caractère gravement inégalitaire d’un tel dispositif, quel que soit le mécanisme d’épargne retenu, ne pourra que contribuer à dégrader les ressources des plus modestes.

J’ajouterai que vous n’avez en aucune manière approfondi la réflexion que nous avions entamé avec la création du plan d’épargne interentreprise. Vous vous contentez d’avoir recours à cet outil, mais sera-t-il réellement suffisant pour combler une inégalité supplémentaire face à la retraite, qui s’ajoute à celle qui discriminera les ménages selon leurs revenus, et qui tiendra à la taille de l’entreprise dans laquelle ils ont travaillé leur vie durant. Car vous le savez bien, une très grande entreprise, et elles ne sont pas nombreuses, et elles emploient de moins en moins de monde, a certainement une politique d’abondement plus intéressante que l’énorme majorité des PME-TPE dans notre pays. Car elle en a les moyens, et qu’elle sait que son image est en jeu. Cette fracture dans les conditions offertes aux salariés selon la taille des entreprises dans lesquelles ils travaillent, vous faites mine ici de l’ignorer, en proposant à tous les même conditions d’exonérations fiscales et sociales… dans ce cadre également, une traitement identique, non négocié, n’est pas toujours un gage d’égalité !

La encore, le but est d’affaiblir à très court terme les régimes de base et surtout les caisses de retraites complémentaires. La capitalisation, c’est la voie ouverte au siphonage du régime par répartition au moyen des exonérations de cotisations sociales.

Là où l’épargne salariale est utile, l’épargne retraite n’est qu’un pis-aller. La France est le pays européen où l’épargne des familles est la plus importante. Plus de 15 % du PIB est aujourd’hui placé dans des véhicules d’épargne peu productifs. Que l’on pose le problème d’une réorientation de l’épargne des ménages, pourquoi pas. Que cette épargne soit plus active et profite à l’économie, pourquoi pas encore. Mais ici, il s’agit de revenir sur les dispositifs Fabius, visant à créer une épargne retraite avec sortie en rente viagère que les socialistes avaient alors refusé. J’avais personnellement déposé un amendement allant dans ce sens. Nous avions également introduit un dispositif fiscal à caractère social visant à financer sous forme de ressources non contributives le fonds de réserve des retraites.

Votre projet est très loin de ces orientations et d’ailleurs vous ne dites rien sur les pertes de recettes pour l’Etat. Les exonérations que vous voulez accorder à ceux qui en auront les moyens vont se traduire par une perte de ressources considérable pour les comptes publics. Mais il est vrai que j’oubliais en vous disant cela que les déficits publics n’étaient pas votre préoccupation majeure. Permettez-moi quand même de rappeler ici que la Commission européenne vient de vous adresser un sérieux rappel à l’ordre quant à votre budget. Dans ce contexte, peut-être allez vous exposer à la Nation quelles sont les motivations de ce cadeau fiscal.

Sur cette question, vous pouvez, comme d’habitude, faire référence à la PREFON dont disposent moins de 250 000 fonctionnaires. Ces adhérents à la PREFON sont très souvent des hauts fonctionnaires qui voient dans ce dispositif un moyen de compenser la perte de leurs revenus, en raison de l’importance de leurs primes dont il n’est pas tenu compte dans le calcul de leur droits à pension. Ce n’est pas la secrétaire administrative du ministre des finances qui a les moyens de cotiser à la PREFON.

Demandez d’ailleurs aux fonctionnaires de l’Education nationale ce qu’ils pensent du CREF ou encore à certains des élus locaux qui se sont laissé tenter par ce type d’épargne.

Les pertes enregistrées par les actions ces 18 derniers mois et malgré les mesures de sécurisation obligatoires, devraient vous servir de leçon. Là encore, c’est une confiance aveugle que vous affichez alors qu’il nous semble irresponsable de proposer aux Français, comme vous le faites, de jouer sa retraite et son emploi à la bourse !

Nous sommes résolument contre toute forme d’épargne retraite. Demandez à l’Etat britannique qui a été obligé de rembourser les fonds Maxwell aux adhérents spoliés par la déroute financière. Demandez aux Chiliens qui ont fait aussi les frais d’une telle politique et aux salariés de ENRON qui ont perdu leur salaire, leur travail et leur retraite.

Pourquoi vouloir introduire de la capitalisation dans un pays qui ne demande qu’à voir le montant de son épargne réorienté !

L’épargne non productive pèse sur la croissance. Elle est aussi signe d’inquiétude sur l’avenir. Votre projet de réforme des retraites ne va qu’accentuer cette inquiétude. Pour que cette épargne serve à la croissance, il faut rassurer les Français sur leur avenir. Or, vos positions idéologiques ne servent en vérité que les organismes financiers au détriment de la croissance et de l’emploi.

Là encore, nos points de vue divergent et vous ne pouvez nier qu’en abrogeant la loi Thomas, en rendant plus lisible la participation et l’intéressement, en taxant mieux les stock options, en refusant l’épargne retraite individuelle, les socialistes n’ont absolument pas la même vision de la société que vous !

Les orientations que je vais à présent vous présenter sont en rupture avec votre projet dont l’ambition se résume à réduire avant tout le montant des pensions et à allonger la durée des cotisations alors même que le mouvement social s’étoffe chaque jour un peu plus pour exiger le retour d’une justice sociale qu’ils craignent de voir reculer avec vos projets.

Nous proposons de revenir sur la réforme Balladur pour en corriger les effets néfastes qui pèsent sur les salariés du secteur privé.

Les dispositions de la réforme Balladur sont aujourd’hui en place. Pour autant, le processus n’est pas encore achevé. Si on laisse en l’état ce processus aller à son terme, alors la dégradation des pensions de retraite pour les salariés atteindra 20 à 30 % d’ici 2008.

Je voudrai ici vous donner quelques exemples très précis, à partir des données du COR. La réforme Balladur, complétée de vos mesures, c’est la double peine pour les retraités et les salariés.

Un fonctionnaire qui a 1 400 euros de rémunération nette partant à la retraite à 60 ans avec 37,5 annuités, touchera une pension de plus en plus basse selon son année de départ :
    En 2003 : 1120 euros
    En 2008 : 982 euros
    En 2020 : 817 euros (décote et nouvelle indexation comprise).
Une femme fonctionnaire avec toujours 1400 euros de rémunération nette mais avec seulement 32 annuités à 60 ans (ce qui est le cas d’une femme fonctionnaire sur deux) verra s’établir le montant de sa pension de la manière suivante :
    En 2003 : 956 euros
    En 2008 : 692 euros
    En 2020 : 470 euros (décote comprise).
Un salarié du privé qui a 1 400 euros net de rémunération par mois, partant à la retraite à 60 ans, touchera selon son année de départ et son nombre d’annuités de cotisations :

Pour 40 annuités de cotisation

    En 2003 : 1148 euros
    En 2008 : 1106 euros
    En 2020 : 743 euros (décote 5 %)
Pour une femme avec 32 annuités et un salaire de 1400 euros :
    En 2003 : 581 euros
    En 2008 : 525 euros
    En 2020 : 482 euros (décote 5 %)
Les femmes représentent 56 % des retraités, dont 45 % ont acquis moins de 100 trimestres pour le calcul de leur retraite. Souvent interrompues dans leurs carrières pour des raisons familiales, elles seront les premières touchées par votre réforme.

Ce n’est d’ailleurs pas la dernière conférence de la famille qui va nous inciter à croire que vous menez une politique familiale ambitieuse. Il s’agit d’une politique en trompe l’oeil, dont l’affichage médiatique va s’effacer pour laisser place à la réalité subie par les familles. Ce n’est d’ailleurs pas la présidente de la CNAF, qui viendra à vous rappelez le véritable hold-up que vous avez opéré sur la branche famille avec l’augmentation des prélèvements et le siphonage des excédents à hauteur de 1,8 milliard d’euros, soit une augmentation de 100 % par rapport à l’année 2002. Promis, juré, nous dites vous, ce sera la dernière année ! Malheureusement, je crains que le déficit structurel du FSV, en raison notamment de la forte augmentation du chômage, comme le constate dans son rapport Denis Jacquat, ne vienne à vous rappeler la dure réalité de vos choix politiques et de leurs conséquences. Contrairement à vos affirmations, ce ne sont pas les 35 heures qui ont affaibli le F.S.V., mais le manque de ressources lié à la médiocrité de votre politique de l’emploi.

Alors que la conférence de la famille aurait été l’occasion de poser les fondations d’une politique forte et ambitieuse à l’égard des familles, vous préférez l’illusion. Vous avez d’ores et déjà décidé de revenir sur certains avantages familiaux, au motif fallacieux d’harmonisation européenne. Votre seul but réel est de limiter le coût de cette harmonisation, tout en refusant de chercher les moyens de tenir compte de la réalité des différences de carrière entre femmes et hommes. Grâce au congé paternité voté par la gauche, le bénéfice de la bonification sera aussi étendu aux hommes, on s’en réjouit, mais cela cache les possibilités offertes aux femmes de partir après 15 ans de carrière. Cela est-il de nature à favoriser une politique familiale active ? J’en doute.

Et pourtant, l’amélioration du sort des futurs retraités est possible, de même qu’il est possible et souhaitable de donner des signes clairs à celles et ceux qui ont déjà tourné la page de la vie active.

Nous proposons par exemple que la revalorisation des pensions soit calculée sur la base d’un objectif national qui garantisse une évolution du pouvoir d’achat des retraites.

A l’instar de la conférence annuelle sur les salaires, nous proposons la création d’une conférence annuelle des retraites, dans laquelle siègeraient, outre les représentants des salariés, des représentants des retraités.

Le paramètre de calcul des pensions sur les 25 meilleures années ne sera effectif qu’en 2008.
Nous proposons que soient ouvertes de nouvelles négociations sur ce point. Cela est d’autant plus souhaitable que, s’agissant des fonctionnaires, vous avez finalement choisi de calculer la retraite sur les 6 derniers mois, contre 3 ans dans votre projet initial. Ce serait une insulte au principe d’équité que vous prônez, que de laisser les fonctionnaires à 6 mois et les salariés du privé à 25 ans. Nous attendons de vous un signe à l’égard des salariés du privé.

Cette attente relève d’une demande forte. Vous avez fait marche arrière pour le secteur public, en raison notamment des exigences de la rue. Quand allez-vous aussi porter attention aux salariés du secteur privé ? Il est vrai qu’en choisissant de faire passer les décrets Balladur une fois les Françaises et les Français partis en vacances, vous aviez clairement choisi d’éviter à tout prix d’avoir à les entendre...

Des exigences nouvelles pour les salariés aux carrières longues

Depuis 20 ans, s’est développée en France une coalition d’intérêts entre les entreprises et les salariés pour reporter sur la collectivité le coût financier d’un départ anticipé en retraite, dès 55 ans ou parfois même avant.

Pour les salariés, les raisons sont évidentes. Partir en préretraite, c’est d’abord en finir avec les craintes du chômage et surtout, d’un chômage dont on pense qu’à cet âge, il ne sera pas facile d’en sortir. C’est en même temps s’assurer un niveau de revenus souvent jugé suffisant à une période de la vie où les besoins diminuent avec l’accession des enfants à l’autonomie financière.

Tous les sondages, ou plus encore les études de la DREES, font état d’une aspiration commune à quitter la vie professionnelle plusieurs années avant 60 ans lorsque l’entrée dans la vie active s’est faite très tôt.

Dans ces conditions, nous considérons que deux réformes s’imposent. Tout d’abord celle permettant aux salariés qui ont une durée de cotisation suffisante, soit 40 annuités, de partir en retraite avant 60 ans, c’est à dire généralement dès 56 ans contre 58 ans dans votre projet.

Ensuite, et de façon toute aussi primordiale, nous considérons qu’il faut rendre plus accessible le marché du travail aux actifs de plus de 50 ans.

Pour cela, il est nécessaire d’améliorer les dispositifs d’incitation à conserver dans l’entreprise les salariés âgés. Et il ne suffit pas pour cela de l’affirmer dans la loi.

Surtout quand votre principal partenaire, pour lequel le mot de social est largement usurpé, je songe au MEDEF, vous souffle des amendements permettant aux entrepreneurs de conserver le droit, le plus longtemps possible, de se débarrasser sans pénalité des salariés âgés. Votre proposition permettant d’exonérer de la contribution Delalande les salariés employés à partir de 45 ans pointait déjà du doigt les protections dont bénéficient ces salariés dont tout ce que vous pensez est qu’elles nuisent prétendument à leur employabilité. Mais vous êtes allés plus loin en commission, quand certains de vos collègues ont ouvertement proposé de conserver le droit au licenciement à 60 ans… en total décalage avec la prétendue nécessité d’allonger les carrières. Je crains, au regard de la nécessité de donner des gages à votre allié patronal, que nous n’ayons l’occasion de voir reparaître cet amendement en séance…

De même quand des mesures prises par l’Etat employeur par exemple sont radicalement contraires à ce principe. Ne pensez-vous pas que les salariés de GIAT ou de la Banque de France, notamment les plus précaires d’entre eux car tous n’étaient pas titulaires, auraient voulu travailler jusqu’au terme de leur contrat ? Ils seront les premiers à subir les effets de la décote que vous leur imposez. Et si l’on ajoute à cela la suppression du Congé de Fin d’Activité, alors c’est le chômage que vous leur offrez comme seule perspective.

Pour agir sur l’emploi, faut-il encore s’appuyer sur des leviers pertinents : l’éducation, la formation, une ambition pour la recherche, une politique forte qui permette aux plus précaires de retrouver l’espoir. Malheureusement, votre démarche fragmentée, sans stratégie globale pour relever le défi de l’emploi, laisse peu d’espoir à ces perspectives. Les plans sociaux qui se multiplient en sont le plus dramatique témoignage. Pas un mois ne s’écoule sans son lot de plan social et de drames humains qui les accompagnent.

Tous les leviers pour favoriser l’emploi ont été mis en sommeil et les gels de crédits en sont l’exemple le plus criant. Comment envisager de mieux former tout au long de la vie les salariés, quand la casse du service de l’Education nationale est programmée ? Que dire de l’inquiétude des agents de l’AFPA qui voient dans la décentralisation un moyen d’affaiblir leur champ d’intervention ? Sans compter toutes les associations qui interviennent dans le champ de l’insertion et dont les crédits cette année sont divisés par deux ?

Voilà dans quel contexte s’inscrit votre démarche. Nous aimerions souscrire à vos belles intentions de promouvoir un modèle partagé par tous. Malheureusement, les faits sont là, et bien là, pour nous prouver l’inaction de votre gouvernement en matière d’emploi. Les salariés doutent et le moral des ménages est en berne !

Venons-en à présent au minimum contributif ! Créé par Pierre Mauroy en 1983, encore l’une des avancées majeures obtenues par la gauche, vous laissez entendre que votre projet de loi va améliorer la dégradation des basses retraites résultant des mesures Balladur. A sa création, le minimum contributif visait à garantir aux assurés du régime général à bas salaire une pension égale à 95 % du SMIC net avec une retraite complémentaire. Du seul fait de l’indexation sur les prix des salaires portés au compte selon la volonté de vos amis politiques, le minimum contributif a décroché par rapport au SMIC.

Votre texte propose de le porter à 85 % du SMIC seulement en 2008. Où est le gain pour les salariés ? Il s’agit ici, et cela mérite d’être rappelé, des salariés modestes ayant effectué une carrière complète. Au cours de l’année 2000, 40 % des retraites nouvellement attribuées, l’ont été au niveau du minimum contributif. Les trois quarts concernaient des femmes. C’est dire si cette question est majeure, d’autant qu’il ne s’agit pas d’un simple filet de sécurité mais bien de conditions de vie durable.

L’amélioration par rapport au niveau actuel, qui est estimé à 83 %, est largement en trompe l’oeil puisque ce taux est aujourd’hui accordé sur la base de 150 trimestres. Les 85 % de votre projet nécessitent 160 trimestres. De plus, les périodes dites non contributives (année supplémentaire pour enfant par exemple) seront exclues de ce décompte. Une fois de plus, ce sont les femmes qui en feront largement les frais, comme si leur situation le leur permettait !

Et que dire de l’indexation de ce dispositif dont rien ne nous garantit qu’elle se fera sur la base du SMIG. Indexé sur les prix par exemple, le minimum contributif s’établira à 72 % du SMIG en 2010.

Pour les socialistes, le minimum contributif doit revenir à sa situation initiale. Il s’agit là d’un principe de justice sociale pour ceux qui ont travaillé dur ! Il faut que les revenus tirés du travail ne se retrouvent pas au dessous des minima sociaux et en particulier du minimum vieillesse.

Si le flou se limitait seulement à cette question, croyez bien que votre projet aurait mon indulgence. Mais tel n’est pas le cas, notamment lorsque l’on se penche sur la question des conditions de ressources retenues pour le calcul des pensions de réversion.

Conjoint survivant

Pour le conjoint survivant, il est indispensable de porter à un niveau plus favorable les règles de cumul entre droit personnel et pension de réversion. Il me semble d’ailleurs qu’il s’agit là d’une promesse du candidat Chirac à la présidence de la République. Vous l’avez manifestement oublié.

En effet, rien ne figure sur l’évolution du taux de réversion qui est de 54 %. En réalité, avec les associations de conjoints survivants, nous pensions par mesure de justice sociale que ce taux pourrait évoluer dans la durée pour atteindre 60 %. Malgré la suppression des conditions d’âge et de durée de remariage, la limitation des seuils de ressources introduite par le texte de loi, va limiter la portée de ce dispositif. Décidément, le diable se cache dans les détails !
    - L’assurance veuvage est abrogée, rien n’indique que la pension en assurera le relais complet, en particulier pour les jeunes ménages en raison de la décote.
    - La majoration forfaitaire par enfant de moins de 20 ans perd son caractère forfaitaire. Elle évoluera comme les pensions.
    - La majoration pour conjoint à charge est supprimée ! Les familles qui en bénéficient seront heureuses de l’apprendre en 2004 !...
Enfin, en ce qui concerne le calcul des périodes non travaillées, là aussi, il est urgent d’attendre pour en savoir plus.

Votre texte aurait pu, comme nous y invitait Lionel Jospin, ouvrir le chantier du passage progressif de l’activité à la retraite.

Il n’en est rien, pas plus que de la réflexion pourtant incontournable des périodes d’inactivité subies ou encouragées, s’agissant notamment des mères au foyer. Ainsi, l’article 32 de la loi est un recul considérable. Il va pénaliser les femmes dont les enfants seront nés après le 1er janvier prochain. Malgré la possibilité de validation des périodes de congé parental introduit dans l’article 29, la validation d’années pleines pour les temps partiels est une autre inconnue de votre texte.

Permettez-moi alors de réaffirmer la nécessité de valider des périodes d’inactivité, notamment pour les jeunes en formation professionnelle en alternance, les stagiaires en conversion, celles et ceux qui sont en incapacité de travail pour cause de longue maladie, d’invalidité, d’accident professionnel. Ce ne sont pas des propositions de rachat de cotisations à un coût prohibitif (en moyenne 7000 euros) qui vont permettre une quelconque compensation. Qui en dehors de ceux ayant accompli leurs études dans les grandes écoles, que vous avez bien pris soin de viser explicitement, pourront bénéficier d’un tel dispositif ?

En vérité, ce dispositif, en raison de l’âge que vous décidez de fixer par décret et d’autre part des conditions actuarielles neutres, relève encore d’un effet de manche dont la portée sera extrêmement limitée. Il ne concernera que quelques centaines de personnes par an. Mes chers Collègues, je vous l’annonce ici : C’est le grand retour des rentiers.

La retraite à la carte n’a guère plus d’ambition. Elle s’inscrit dans une soit-disant avancée, alors qu’elle n’est rien d’autre qu’une mesure visant à autoriser le cumul emploi retraite. En raison d’un taux de chômage important, il serait inacceptable de permettre aux bénéficiaires d’une retraite satisfaisante de venir occuper le marché du travail et générer ainsi un phénomène de dumping sur les salaires qui frappera de plein fouet les jeunes diplômés. Car cette fois, nulle question de s’interroger sur la différence de traitement entre public et privé, alors que les dispositions proposées dans le code des pensions - possibilité d’un cumul intégral si l’employeur n’est pas l’employeur public d’origine mais un employeur du privé - auraient pu inspirer certaines réflexions. Comme si le rallongement de la durée de cotisation ne suffisait pas, voilà maintenant que quelques retraités de la fonction publique pourront aller se vendre à bas prix au secteur privé pour mettre du beurre dans les épinards. Il y avait le cumul des mandats. Vous venez d’instaurer le cumul des revenus. Sans en dire plus, je vous invite à sonder la jeunesse sur la popularité d’un tel dispositif…

Avant d’en venir aux modalités financières, je voudrais sur le registre des lacunes et des carences nombreuses de votre texte, faire référence aux personnes handicapées et a leur entourage.

L’année européenne du handicap, et manifestement votre volonté de réformer dès cette année la loi d’orientation en faveur des handicapés, aurait voulu que l’on se penche sur le sort des personnes handicapées ainsi que sur celui de leur entourage.

En raison des difficultés qui frappent encore plus durement les travailleurs handicapés sur le marché du travail, victimes d’une exclusion quasi systématique à un âge avancé, il eût été opportun de renforcer leurs droits, notamment en mettant en place une bonification d’annuité selon le taux de handicap. Ce type de mesure existe dans d’autres pays européen.

L’entourage des personnes handicapées aurait également pu faire l’objet d’un examen attentif. Combien d’hommes et de femmes sont contraints d’interrompre leur activité professionnelle pour accompagner un parent, un enfant, un époux, dépendant dans sa vie quotidienne ? Là aussi, la mise en place d’une validation des périodes aurait été bienvenue ! Comment voulez-vous mieux assurer l’intégration des personnes handicapées, si la famille n’est pas l’élément central dans le dispositif de prise en charge ? Là encore, vous préférez nous objecter des paramètres financiers, alors que c’est une réponse sociale forte qui est attendue.

Les personnes handicapées bénéficient au même titre que les autres de l’allongement de la vie. Mais dans le même temps, à 45 ans ou 50 ans, leur état physique ne leur permet plus nécessairement d’assurer convenablement leur mission. Il faut en tenir compte et ne pas les laisser dans de simples dispositifs d’assistance sociale à la seule charge des départements. Le groupe socialiste avait des amendements dans ce sens. Ils ont été rejetés en vertu de l’article 40. Je souhaite cependant que nous ayons l’occasion d’en reparler.

Au chapitre de la longue cohorte des catégories oubliées, je voudrais ici évoquer le titre IV dont deux chapitres et quelques articles portent sur les professions artisanales, industrielles et commerciales ainsi que sur le régime de base des professions libérales et des exploitants agricoles.

La loi du 10 juillet 1982, encore sous un gouvernement de gauche, a institué le statut de conjoint collaborateur des artisans et des commerçants qui autorise les conjoints collaborateurs à acquérir des droits personnels à la retraite.

En 1999 et en 2000, le gouvernement précédent a décidé de mensualiser les pensions des artisans et des commerçants contrairement à ce que vous avez toujours refusé de faire. Nous nous étions engagés, lorsque nous avons mis en place la retraite complémentaire agricole, à mensualiser également dès le 1er janvier 2004, les ressortissants du régime de la Mutuelle sociale agricole ! J’ai cru comprendre qu’à présent, le ministre des finances s’y opposait pour une raison qui m’échappe. Sa volonté serait de reporter cette mesure au 1er janvier 2005, sans doute pour ne jamais l’appliquer au final. Vous aurez dans le débat tout le loisir de nous motiver cette reculade inadmissible si elle venait à ce confirmer. Quant à mon collègue Germinal PEIRO, spécialiste des questions agricoles, il aura l’occasion de vous présenter une série d’amendements lors de l’examen des articles.

Seul l’Article 56, relatif à l’évolution de la couverture vieillesse des caisses de l’ORGANIC, conformément aux attentes de cette institution, pourrait nous permettre d’entrevoir un début de consensus dans ce texte. Vous noterez que sur ce point la négociation a porté ses fruits. Cet exemple aurait pu vous inspirer pour bien d’autres catégories socio-professionnelles.

Le financement

Permettez moi à ce stade d’en venir enfin à la question du financement de la retraite.

Voilà une question qui paraît vous embarrasser. Pourquoi ? Tout simplement parce que votre projet ne permet pas de faire face aux besoins identifiés en 2020. D’abord, j’y reviens même si cela a déjà été largement commenté, parce que votre refus de mener une véritable politique pour l’emploi, votre échec patent sur le front du chômage, vous éloignent déjà des perspectives tracées par le COR.

Celui-ci a construit ses hypothèses sur un taux de chômage de 7% dès 2005, qui continuerait ensuite à baisser pour atteindre 4,5 % à partir de 2010. On ne peut, comme vous le faîtes, accepter les chiffrages du COR sur les besoins de financement et oublier un des éléments fondamentaux permettant de les calculer. Car l’enjeu est de taille : le COR a lui-même chiffré l’impact des variations affectant le taux de chômage. Je rappellerai seulement ce chiffre : si le taux de chômage se stabilisait à 7 % en 2010 au lieu de 4,5 %, le besoin de financement serait creusé de 0,7 points en 2040, soit la quasi-totalité des effets prévus de la réforme que vous nous présentez aujourd’hui…

J’ajouterai que vous avez été plus loin en estimant que les gains tirés de l’amélioration de la situation de l’emploi pourraient être affectés, en totalité dans votre présentation, au financement des retraites. Une augmentation des cotisations vieillesse serait compensée par une baisse des cotisations chômage. C’est promettre au système de retraites un financement déjà convoité par beaucoup, parfois très légitimement. La baisse du chômage donnera par exemple des marges de manoeuvres nouvelles pour mieux traiter le chômage résiduel, que les partenaires sociaux pourraient vouloir utiliser. De même, et nous aurons l’occasion d’en discuter lors du débat sur l’assurance maladie, les besoins de financement seront très importants pour la branche maladie qui pourrait elle aussi légitimement réclamer une part des moyens dégagés au niveau de l’assurance chômage.

Plus globalement, la question du financement est évidemment l’un des points faibles de votre réforme, et c’est peu de le dire : sauver la retraite par répartition, cela aurait nécessité de présenter aux Français un projet permettant de faire face à l’ensemble des besoins de financement en 2020, voire même en 2040 puisque les travaux du COR nous permettent d’estimer les besoins jusqu’à cette date.

Ce qui vous retient n’est pas l’ampleur des besoins. C’est votre volonté d’exclure du débat un des trois leviers sur lesquels il serait possible de jouer.

Comme je l’ai démontré tout au long de mon intervention, vous n’avez joué que sur deux de ces trois leviers. La durée de cotisation et le niveau des pensions, dans un sens négatif dans les deux cas. Reste le troisième, qui est le niveau des cotisations, et plus généralement l’ensemble des moyens financiers consacrés au système de retraites.

D’emblée, vous refusez le recours à ce levier. Malgré vos protestations de principe et l’augmentation de 0,2 points des cotisations vieillesse que vous avez concédées pour 2006, il est bien clair que vous avez refusé d’utiliser ce levier. Denis Jacquat a eu l’honnêteté de le reconnaître en commission des affaires sociales. Je le cite : « Trois clés de modulation étaient envisageables ; les cotisations, les prestations, les durées d’activité et d’assurance. C’est cette troisième variable qui a été retenue car elle est la plus à même de préserver un haut niveau de prestations ».

Nous, socialistes, sommes prêts à expliquer aux Français qu’assurer la pérennité de notre système de retraites pas répartition exigera sans doute un effort financier, qui doit être un effort partagé par tous, et non réservé aux seuls salariés.

Rappelons l’ampleur des enjeux, qui n’est en aucun cas négligeable. Les besoins identifiés par le COR sont de l’ordre de 1,8 à 2 points de PIB en 2020 dans le cas où aucun ajustement à la réforme Balladur ne serait décidé. Cette estimation est celle que vous retenez quand vous chiffrez les besoins à 43 milliards d’euros par an à l’horizon 2020.

Si je reprends les chiffres que vous-même mettez en avant, vous considérez que votre réforme permettrait de couvrir 20 milliards d’euros grâce à l’allongement programmé de la durée de cotisation et l’indexation des retraites sur l’évolution des prix. Vous estimez également que ce que vous avez dû concéder est de l’ordre de 2,7 milliards d’euros, coût que vous assignez au relèvement du minimum contributif et aux nouvelles règles pour les pluri-pensionnés.

Je soulignerai à cet égard que votre chiffrage du coût du relèvement du minimum contributif à 85 % du SMIC est à lui seul un triste présage quant aux perspectives de votre politique sociale. Nous avions exprimé nos craintes lors de la présentation de votre projet d’alignement des différents niveaux de SMIC, qui prévoyait une désindexation par rapport à la progression du pouvoir d’achat pour ne plus tenir compte que de l’évolution des prix. Il semblerait que nous ayons eu raison. Car, soit votre chiffrage concernant le minimum contributif est largement sous-estimé à compter de 2008, soit la réalité est que vous envisagez de ne plus faire évoluer le SMIC qu’en fonction des prix. Je pense pour ma part que votre niveau de chiffrage constitue un aveu : vous n’envisagez pas de réindexer le SMIC sur une part du pouvoir d‘achat de l’ensemble des salariés. Et par-là, la progression du pouvoir d’achat du minimum contributif que vous promettez dans ce projet, sera largement limitée à moyen terme.

Mais restons-en à votre propre présentation, aussi fragile soit-elle. Vous admettez ainsi, dans le meilleur des cas, n’améliorer le besoin de financement que de 17 milliards en 2020, soit 0,8 points de PIB. Tous ces chiffres proviennent de votre propre ministère, je ne pense pas que vous les contesterez.

Je rappellerai pour mémoire, alors que vous insistez sur le fait qu’il n’y a pas d’autre politique possible, que ces 0,8 points de PIB représentent l’équivalent de 1,5 points de CSG, ou de 4 points de cotisations sociales déplafonnées.

Impensable me direz-vous ? C’est le raisonnement que vous nous avez tenu lors de votre audition en commission des affaires sociales. Pourtant, les Français ne manquerons pas de noter que si vous refusez toute hausse des prélèvements aujourd’hui, préférant dégrader leur niveau de pension et augmenter leur durée d’activité, vous n’hésitez pas à utiliser la hausse des prélèvements lorsqu’il s’agit, à plus long terme, de proposer un bouclage financier pour une réforme que vous savez non financée.

Que veut dire en effet votre renvoi à 2008 d’une hausse de 3 points des cotisations qui pourrait, si le chômage diminuait finalement, être gagée par une baisse des cotisations ? Vous reconnaissez ainsi implicitement la possibilité d’une hausse des prélèvements, mais pour plus tard, et si possible après les prochaines élections. La ficelle est grosse… Comment mettre en cohérence cette perspective et vos déclarations, notamment en commission, condamnant toute hausse des prélèvements obligatoires, et même le maintien de leur niveau actuel.

Surtout, votre refus d’augmenter les prélèvements au profit du système doit être analysé dans le cadre global de la politique économique et fiscale que mène votre gouvernement. Vous insistez constamment sur l’urgence de la réforme et son caractère inéluctable. Si la nécessité de la réforme est indiscutable, dois-je vous rappeler, pour fixer les ordres de grandeur, que les 2 points de PIB qu’il nous faut financer en 2020 représentent autant que la totalité des baisses d’impôt promises par Jacques Chirac durant les élections. Ces promesses portaient pour moitié sur l’impôt sur le revenu : si cette perspective s’éloigne de plus en plus, personne sur vos bancs ne présentait comme irresponsable l’idée de promettre une baisse de l’impôt sur le revenu représentant plus d’1 point de PIB actuel.

Cessez donc d’écarter d’un revers de la main les propositions de l’opposition qui songe à mobiliser pour une part les prélèvements au profit du système de retraites. Vous envisagiez de faire cette réforme tout en baissant les prélèvements. Nous considérons qu’il serait possible de ne pas les baisser afin de réussir la réforme au profit de tous et non pas au seul détriment des salariés.

Vous n’avez pas hésité pour votre part à creuser les déficits, comme l’a récemment souligné la Cour des Comptes, de plus de 2,5 milliards d’euros en 2002 avec une baisse de 5 % de l’impôt sur le revenu. Dans une période budgétaire particulièrement tendue, vous avez aggravé la dépense fiscale en baissant de 500 millions d’euros l’impôt sur le revenu en 2003. S’ajoutent, entre autres, 900 millions d’euros dans le projet de loi d’initiative économique, dont plus de 500 millions d’euros de baisse de l’ISF. C’est déjà l’équivalent de ce que rapporterait plus d’un point de cotisations sociales que vous avez offert aux ménages les plus aisés…

Il est au contraire essentiel à nos yeux de proposer aux Français une réforme équilibrée, jouant sur l’ensemble de ces leviers afin que les salariés ne soient pas, comme dans votre projet, les seuls à devoir supporter les efforts pour maintenir le régime par répartition. Nous considérons une nouvelle fois que des financements nouveaux doivent être affectés au régime de retraites, financements dont l’assiette devra toucher d’autres revenus que ceux des salariés. Qu’il s’agisse de la CSG dont 1 point représente 0,5 points de PIB, de la CRDS qui représente 0,6 points, ou de prélèvements, notamment sur les revenus des capitaux, permettant un abondement du fonds de réserve des retraites, nous refusons d’exclure par principe la mobilisation des ressources fiscales.

Votre propre projet contribue à l’inverse à menacer encore plus l’équilibre du régime des retraites par répartition. Les exonérations sociales et fiscales que vous proposez dans le cadre de la retraite par capitalisation que vous mettez en place au titre V, ne pourront que venir dégrader les comptes publics d’autant plus que ces dispositifs seront utilisés par les Français, inquiets de la dégradation de leur niveau de retraites. Il est significatif que vous n’ayez pas jugé bon de fournir à la représentation nationale une étude d’impact de votre projet. Ces mesures auront un coût, il est indispensable que vous nous fournissiez une évaluation de celui-ci.

J’en viens enfin à la question du fonds de réserve des retraites. Si vous avez choisi de limiter le chiffrage des effets de votre projet à 2020, il faut rappeler que nous avons conçu le fonds de réserve pour permettre d’amortir pour moitié les effets de l’évolution démographique sur le régime général. En ce sens, il est indispensable de se préoccuper dès aujourd’hui de l’abondement du fonds.

Or, que nous proposez-vous ? Il est intéressant de noter que vous n’hésitez pas à critiquer une nouvelle fois les pistes proposées par l’opposition, concernant par exemple la taxation des plus-values des entreprises, en soulignant leur caractère instable. Mais lorsqu’il s’agit d’abonder le fonds, vous n’hésitez pas à proposer une recette vouée…. à disparaître !

En effet, la taxation des préretraites maison est avant tout destinée, vous nous le dites, à dissuader les entreprises d’avoir recours à ces mécanismes. Si cette taxation atteint son but et que les entreprises n’ont plus recours à ces dispositifs, alors elle ne devrait donc plus rien rapporter… vous admettrez qu’il ne s’agit pas là de la forme la plus pérenne de financement à long terme que vous ayez trouvé.

Que dire également des recettes de privatisations ? La discussion du projet de loi de privatisation d’Air France nous a permis de souligner la dégradation du cours de l’action de cette société, dans un contexte global d’effondrement des marchés. Et surtout, qui nous garantit que vous affecterez réellement les produits des privatisations au fonds de réserve, alors même que vos difficultés budgétaires se multiplient ?

Au total donc, comme en sont conscients l’ensemble des Françaises et des Français, votre projet n’est financé que par les seuls salariés, sous la forme d’une dégradation du niveau de leur retraites et d’un allongement de la durée de cotisation. Et votre inquiétude à l’idée de voir un texte trop décrié vous a conduit à un projet minimaliste qui occulte les besoins dans leur ensemble, ce qui ne pourra in fine qu’accroître l’incertitude de nos concitoyens et pousser ceux qui en auront les moyens vers les régimes de capitalisation que vous leur offrez.

Enfin, je ne voudrais pas terminer mon intervention dans le cadre de la défense d’une exception d’irrecevabilité sans évoquer une question portant plus strictement sur le caractère inconstitutionnel de votre projet.
D’une part car vous ne manquerez pas, M. le Ministre, de relever, dans le cas contraire et selon une méthode éprouvée, l’absence de motif portant strictement sur le respect de la constitution… usant ainsi d’un moyen habile pour relativiser la portée des critiques exprimées.
D’autre part car ce motif d’inconstitutionnalité porte sur ce qui constitue l’un des articles phares de votre projet. L'article 4 de votre projet de loi, dont vous faite grand cas même si j’ai démontré qu’il fallait en relativiser largement la portée, prévoit en effet que, je le cite :
    " L'assurance vieillesse a pour objectif d'assurer, après une carrière complète, un montant total de pension de retraite de base et de retraite complémentaire légalement obligatoire au moins égal, lors de la liquidation, à 75 % du salaire minimum de croissance net.

    A cet effet, à l'occasion de chaque rendez-vous prévu aux III et IV de l'article 5, le Conseil d'orientation des retraites examine le montant de pension de retraite de base et complémentaire légalement obligatoire correspondant à une carrière complète au salaire minimum de croissance. Si le montant de cette pension nette des cotisations et contributions sociales est inférieur à 75 % du salaire minimum de croissance net des cotisations et contributions sociales, le Conseil d'orientation des retraites transmet dans les trois mois aux présidents des caisses de retraite et au Gouvernement un rapport sur les mesures envisageables pour rétablir un ratio au moins égal à 75 % dans le respect des équilibres financiers de long terme des régimes de retraite. "
De 75 % dans le projet initial, l'objectif de pension pour les salariés modestes disposant d'une carrière complète au SMIC serait porté à 85 % en 2008.

Cet objectif serait réexaminé tous les 5 ans en tenant compte des perspectives financières des régimes d'assurance-vieillesse.

La question qui se pose est de savoir à quel titre le gouvernement est à même d'imposer à un régime géré paritairement de nouvelles charges futures et de plus imprévisibles (puisque non encore fixées).

En d'autres termes, si la loi fixe un niveau général de pension (retraite de base + retraite complémentaire), elle donne un blanc-seing au gouvernement qui pourra très bien décider ultérieurement - au nom du respect des équilibres financiers - de ne pas augmenter suffisamment le montant de la pension de retraite de base, mettant ainsi à la charge des régimes complémentaires l'obligation d'assurer le complément permettant d'atteindre le niveau exigé.

L'atteinte au paritarisme et à la liberté de négociation des partenaires sociaux semblent claires. Constitutionnellement, je rappellerai que selon l’article 10 du Préambule de la Constitution de1946, « la nation assure à l’individu et à la famille les conditions nécessaires à leur développement » ; selon son article 11, « elle garantit à tous, notamment à l’enfant, à la mère et aux vieux travailleurs, la protection de la santé, la sécurité matérielle, le repos et les loisirs… ».

Cette exigence constitutionnelle implique la mise en oeuvre d’une politique de solidarité nationale en faveur des retraités ; s’il est certes loisible au législateur, pour satisfaire cette exigence, de choisir des modalités qui lui paraissent appropriées, encore faut-il que les dispositions choisies n’imposent pas aux institutions de retraite complémentaire des charges nouvelles et aléatoires, qu’elles n’auraient pas elles-mêmes décidées.

Les institutions de retraites complémentaires constituent des provisions pour couvrir les engagements qu’elles prennent à l’égard de leurs bénéficiaires.

Or, le mécanisme prévu par le projet de loi peut permettre au gouvernement de limiter (voire de diminuer) le montant des pensions de base, ce qui obligera les régimes complémentaires (et les salariés dont les cotisations augmenteraient) à « compenser » pour maintenir le niveau global exigé par la loi.

Ce faisant, il peut être mis à la charge des caisses de retraites des obligations et des charges financières nouvelles bien supérieures à ce qui était prévu, ce qui constitue en plus de l’atteinte à l’économie des contrats légalement conclu, une rupture d’égalité.

De plus, cette incertitude, cet « aléa » dépend de la seule volonté du gouvernement (selon une pratique qui s’apparente au « fait du prince ».

Conclusion

En conclusion, je tiens tout d’abord à rappeler que ce Gouvernement a réussi à galvauder le mot de réforme. Comme je l’ai indiqué, elle devient synonyme de régression.

Nous sommes pour une réforme, mais pas celle que vous nous proposez. Nous sommes pour une réforme, mais pas pour opposer les Français les uns aux autres au mépris de la cohésion nationale.

Nous sommes pour une réforme, mais pas pour revenir sur des acquis sociaux comme la retraite à 60 ans. Nous sommes pour une réforme, mais pas pour la mener dans la précipitation lorsque le système de répartition est en jeu. Que vous le vouliez ou non, votre projet casse la répartition, réduit les pensions à une peau de chagrin et pousse de façon insidieuse presque sournoise les Françaises et les Français vers les financements individuels, vers la capitalisation.

Nous refusons ce projet car c’est une entreprise de démolition pour notre système de retraite. Il est injuste, car l’augmentation uniforme de la durée de cotisation ne tient pas compte des inégalités de pénibilité et d’espérance de vie. Il est injuste car il confond durée d’activité et durée de cotisation. Il est injuste, car les pensions de retraite vont diminuer. Il est injuste, car il met fin à la retraite à 60 ans. Il est dangereux, car il repose sur un pari impossible selon lequel le gouvernement allait mettre en place une politique de plein emploi. Il est dangereux car il ralentit le rythme d’alimentation du fonds de réserve des retraites. Il est dangereux car il met en place la capitalisation.

Une autre réforme est possible.
Elle suppose de mettre en place un pacte national pour l’emploi, allonger la durée d’activité plutôt que la durée de cotisation.
Elle suppose de mener une véritable négociation sur les durées de cotisation et tenir compte de la spécificité des métiers, de la pénibilité mais aussi des inégalités d’espérance de vie.
Elle suppose un financement équitable et des efforts partagés.

Cette autre réforme vous l’avez refusé, vous avez préféré le catastrophisme pour imposer une réforme libérale, au nom paraît il du courage. Mais le courage ce n’est pas d’applaudir debout un Premier ministre à l’Assemblée nationale, comme d’autres l’ont fait en 1995. Le courage c’est de reconnaître qu’il y a d’autres choix, d’autres alternatives. La majorité est restée sourde, elle a choisit le dogme celui de faire croire qu’il suffisait simplement de travailler plus longtemps. Ce dogme, ce diktat, nous le refusons. Je vous invite pour toutes ces raisons à adopter l’exception d’irrecevabilité que je viens de vous présenter.

Page précédente Haut de page

PSinfo.net : retourner à l'accueil

[Les documents] [Les élections] [Les dossiers] [Les entretiens] [Rechercher] [Contacter] [Liens]