La parité,
vite

par Marisol Touraine et Bernard Roman
Marisol Touraine est députée d'Indre-et-Loire
Bernard Roman est député du Nord

Point de vue paru dans les pages " Débats " de Libération daté du lundi 28 juin 1999

Une fois adopté le projet de loi constitutionnelle sur la parité, il ne se passera rien si le législateur ne force pas à nouveau le destin. Nous voulons mettre en application l'objectif de parité des les prochaines échéances électorales.


Marisol Touraine
Marisol Touraine

Bernard Roman
Bernard Roman

Le Parlement a adopté le 10 mars dernier le projet de loi constitutionnelle relatif à l'égalité entre les femmes et les hommes, après des débats passionés. De fait, l'interrogation philosophique sur l'universalité républicaine n'était pas illégitime. Ce principe, depuis deux siècles, fonde en effet notre démocratie. Malheureusement, depuis deux siècles aussi, ce principe reste sans effet : les femmes françaises n'ont obtenu le droit de vote qu'en 1944, et le droit d'être élues peut leur sembler théorique : 11 % de femmes à l'Assemblée nationale, moins de 6 % au Sénat ; 7 femmes maires sur les 226 communes de plus de 30 000 habitants, 1 seule présidente de conseil général. Roselyne Bachelot et Gisèle Halimi ont justement évoqué une " démocratie inachevée ".

Ainsi, à ceux qui nous ont reproché de défendre une cause juste par des voies inadaptées, nous répondons que le législateur est dans son rôle lorsqu'il fait progresser la démocratie. Face à une situation archaïque, anachronique, injuste et révoltante, nous devions forcer le destin.

La réunion à versailles du Congrès du Parlement permet aujourd'hui l'adoption définitive de ce projet de loi constitutionnelle, et nous en sommes fiers.

Mais que va-t-il se passer maintenant ? Si le législateur ne force pas à nouveau le destin, rien.

S'il ne se passait rien, nous en serions responsables. Nous voulions mettre en application l'objectif de parité dès les prochaines échéances électorales. Élisabeth Guigou l'a rappelé devant les députés : « L'habilitation constitutionnelle donnée par la loi peut permettre soit l'obligation, soit l'incitation. Au législateur d'en décider, et certainement pas au juge constitutionnel ». Eh bien, nous disons : chiche ! La loi peut exiger des partis l'égalité des candidatures de manière immédiate et systématique. Elle doit le prévoir dès les municipales de 2001 pour les communes de plus de 3 500 habitants. Aux élections régionales, la parité pourra s'imposer comme nous avions voulu le faire lors de la modification du mode de scrutin. Elle est devenue la règle socialiste depuis cinq ans pour les élections européennes. La liste paritaire conduite le 13 juin par François Hollande est arrivée en tête. Il y a désormais 35 Françaises élues au Parlement européen, soit 40,2 %. La proportion n'était que de 29,9 % en 1994. Même le Sénat, malgré l'archaïsme dont il a fait part, prouve en la matière que rien ne s'oppose à l'application du principe de parité dans les départements, où la représentation proportionnelle est en vigueur.

Reste la question des scrutins uninominaux, qui régissent les élections cantonales et législatives. La sanction financière est un puissant levier : le législateur pourra inciter à la réalisation de la parité par la modulation du financement public des partis, en fonction de la proportion de candidates dans des circonscriptions ou des sièges gagnables. La pénalisation paraît préférable à l'incitation. Elle devra porter sur la fraction du financement public des partis dont la repartition s'effectue proportionnellement au nombre d'élus, afin d'éviter que les femmes se voient réserver les cantons ou les circonscriptions imprenables.

Pour être efficaces; les sanctions devront être lourdes. En deçà d'une représentativité féminine conforme aux objectifs, la dotation publique aux partis devra être réduite de façon drastique.
Il sera vain d'attendre l'émergence spontanée de femmes dans les structures locales des mouvements politiques. Les freins sont réels : le machisme ambiant, souvent insidieux, parfois violent, du milieu politique dissuade encore trop souvent les engagements féminins, sans parler des horaires et de la fréquence des réunions.
Des aménagements simples s'imposent et participent d'une rénovation globale de la vie publique et de la démocratisation des mouvements politiques. Il est plus que jamais indispensable de préparer à moyen et long terme les candidatures féminines.

La " réservation " d'un certain nombre de circonscriptions aux candidatures féminines ne suffira plus. Il faut maintenant permettre l'implantation de femmes dans des circonscriptions par définition gagnables, puisque gagnées : tous les députés sortants qui ne se représentent plus de même que les élus qui démissionnent ou démissionneront en raison de la loi relative au cumul des mandats devraient être remplacés par des femmes.
En supposant que demain l'ensemble des députés-maires choisisse de se consacrer pleinement à l'un ou l'autre de leurs mandats, ils permettront alors à l'Assemblée nationale d'atteindre l'objectif de parité en seulement deux renouvellements.

Le troisième principe réside dans le respect préalable de la parité au cours des élections municipales. Ces élections vont en effet permettre à des dizaines de milliers de femmes d'accèder, pour la première fois, à une responsabilité politique. Cette arrivée massive de femmes au sein de la vie politique ne devrait pas manquer de révéler des talents et des vocations qui en peu de temps contribueront à alimenter les candidatures féminines pour les élections uninominales.

Nous proposons que se mette rapidement en place un groupe de travail associant les parlementaires.
Dans les trois mois qui viennent, ce groupe devra proposer l'examen des propositions de loi nécessaires, et la mise en place de règlements internes permettant une application concrète de la parité dès les prochaines échéances électorales.

Le compte à rebours a commencé. Osons démontrer que les partis politiques peuvent encore changer la société, en montrant la voie du partage du pouvoir entre les sexes.

Reproduit avec l'aimable autorisation du quotidien
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