Audiovisuel :
le respect du public

Point de vue signé par Catherine Trautmann, ministre de la Culture et de la Communication, paru dans le quotidien Libération daté du mercredi 30 septembre 1998


 
Le service public de l'audiovisuel est à la croisée des chemins. Sauf à rendre inéluctable une privatisation. L'Etat ne peut accepter, sans réagir, que la part publique du financement de France 2 et de France 3 s'amenuise sans cesse et que le temps d'antenne consacré par ces chaînes à la publicité ait doublé depuis 1992. La durée maximale de ces écrans, qui est aujourd'hui de douze minutes pour chaque heure d'antenne, sera donc réduite de plus de moitié, en une seule fois, dès l'année 2000. Nous mettrons ainsi fin aux «tunnels» publicitaires aux heures de grande écoute et, pour les deux chaînes, nous libérerons plus de 350 heures par an, sur l'ensemble de la journée. Moins de publicité, c'est donc davantage de programmes, un enchaînement plus rapide des émissions, des films qui commencent plus tôt. Au-delà de ces effets immédiatement perceptibles pour les spectateurs, la grille de ces chaînes pourra être repensée sans inutile mimétisme à l'égard des télévisions commerciales. Cette amélioration devra porter sur les soirées comme sur les programmes de la journée, trop souvent sacrifiés. La télévision publique redeviendra ainsi un formidable instrument de démocratisation culturelle et d'ouverture à la création sous toutes ses formes. La tâche est ambitieuse, et il ne faudra pas moins de l'année 1999 à France 2 et à France 3 pour s'y préparer.

Une identité éditoriale retrouvée. L'audiovisuel public est riche de la diversité de ses antennes. Il ne saurait y avoir d'équilibre du paysage audiovisuel sans une grande chaîne nationale qui ait vocation à rassembler les publics les plus larges, relever, au meilleur niveau, le défi de l'information et répondre avec inventivité aux attentes des téléspectateurs en matière de fiction et de divertissement. C'est le rôle de France 2. A ses côtés, France 3 sera renforcée dans sa mission régionale, tandis que le «cinquième réseau» verra se développer les programmes éducatifs de La Cinquième et les programmes culturels d'Arte, chaîne européenne.

Par leur potentiel économique et créatif, les chaînes publiques peuvent constituer le meilleur vivier de programmes pour le développement de l'offre thématique comme pour la diffusion audiovisuelle internationale. Le renouvellement de l'offre publique de programmes devra également prendre en compte la diversification des services audiovisuels qu'induit l'avènement du numérique. Il devient urgent pour Radio France d'anticiper les évolutions de contenu et d'organisation que la technique autorise et d'y mieux associer ses personnels. Pour la télévision, la perspective du numérique hertzien terrestre exige, au cours de la décennie qui vient, un redéploiement stratégique à la faveur duquel de multiples services nouveaux, notamment interactifs, viendront enrichir la mission actuelle du service public.

La création d'un groupe réunissant les télévisions publiques va permettre d'aborder tous ces enjeux de développement dans une stratégie industrielle commune. Tel est le premier but de la réforme.

Une nouvelle culture d'entreprise. Celle-ci tend également à responsabiliser les dirigeants des entreprises comme les pouvoirs publics dans la mise en œuvre de ce projet de développement à moyen terme.

Le rôle du CSA sera confirmé et même étendu: l'autorité de régulation, alors qu'elle nommait le président commun à France 2 et à France 3, désignera désormais le président d'un groupe élargi à La Cinquième et à La Sept-Arte fusionnées. C'est ce président qui proposera au conseil de surveillance du groupe le choix des présidents de chacune de ces chaînes et les autres membres du directoire.

Cette organisation concilie le pouvoir de coordination exécutive confié au directoire du groupe, la responsabilité éditoriale et de gestion reconnue à chacune des chaînes et la fonction de contrôle exercée à travers le conseil de surveillance du groupe et le conseil d'administration de chacune de ses filiales. Les mandats des dirigeants de l'audiovisuel public seront portés de trois à cinq ans, tandis que le financement de ces sociétés sera programmé sur plusieurs années à travers des contrats d'objectifs et de moyens engageant l'Etat. Les présidents d'entreprise seront ainsi assurés de la continuité de leur action. En retour, il pourra être jugé de leurs résultats à travers des indicateurs visant tant la rigueur de leur gestion que la fidélisation des publics ou la qualité des programmes.

L'enjeu est donc bien que se forge une culture rénovée du management public qui, libérée des surenchères mercantiles, sache allier performance industrielle, ambition créatrice et respect des publics. Un tel défi engage aussi tous les personnels du service public qui y trouveront, j'en suis sûre, de nouvelles motivations à moderniser un régime conventionnel né d'un stade antérieur des savoir-faire et des métiers.

Un effet de levier en faveur des industries de programmes. Le gouvernement l'a décidé, la réduction du recours à la publicité sera intégralement financée par l'ouverture de crédits au budget de l'Etat. Cela signifie que les chaînes publiques ne seront pas atteintes dans leurs moyens de développement et que la redevance ne sera pas augmentée au-delà de ce qui est socialement acceptable. Un tel choix créera une force considérable d'entraînement pour l'économie du secteur. Assurées de la pérennité de leurs moyens, les chaînes publiques seront, plus que jamais, le moteur d'un développement diversifié de la création cinématographique et des industries de programmes: fiction et documentaire, animation et émissions pour la jeunesse, programmes éducatifs et culturels.

Mais, dans le même temps, c'est une ressource approchant les 2 milliards de francs qui se trouvera libérée sur le marché publicitaire. Nul ne se plaindra qu'une partie de ce flux profite, directement ou indirectement, à des médias tels que les radios généralistes, les chaînes thématiques, la presse écrite ou les télévisions locales. S'agissant des télévisions hertziennes privées, le gouvernement prendra, par ailleurs, toutes mesures pour que soient évités des enrichissements porteurs de surenchères nuisibles sur les divers marchés audiovisuels. Le «compte de soutien du cinéma et de l'industrie des programmes audiovisuels» sera notamment adapté, afin que tout transfert de ressource aux chaînes privées contribue au développement de la production indépendante, à l'innovation en matière d'images et à la diffusion internationale de nos programmes.

La modernisation du service public audiovisuel est indissociable d'une réforme législative d'ensemble qui fasse définitivement entrer notre système audiovisuel dans l'ère du numérique et des nouveaux réseaux, sans sacrifier aucune des exigences de la démocratie ou de la diversité créatrice. Cela signifie ouvrir la régulation audiovisuelle aux développements du câble, des chaînes thématiques, des bouquets satellitaires, de l'Internet, du DAB, du futur numérique terrestre... Ce second train de la réforme sera soumis au Parlement dans la foulée du premier.

La France n'est pas seule en Europe à parier sur l'avenir de l'audiovisuel public. Le prestige de la BBC, la force industrielle des chaînes publiques allemandes, la réforme actuelle de la RAI en témoignent. Face aux tenants de l'ultralibéralisme, le traité d'Amsterdam a consacré la légitimité institutionnelle d'entreprises publiques de télévision. Et la volonté de renouveau portée par les principaux pays d'Europe constitue déjà une référence pour les nouveaux entrants dans l'Union.

Le service public doit aujourd'hui renouer le contrat de citoyenneté qui le lie aux téléspectateurs et aux auditeurs, et se porter à l'avant-garde des mutations de la communication audiovisuelle. Tel est bien le sens de la réforme que j'ai proposée et que le gouvernement fait sienne. Compte tenu de l'importance des choix qu'elle comporte et de ses implications financières, elle n'aurait pas été possible sans l'engagement personnel du Premier ministre.
Reproduit avec l'aimable autorisation du quotidien
© Copyright Libération.com


Page précédente Haut de page

PSinfo.net : retourner à l'accueil

[Les documents] [Les élections] [Les dossiers] [Les entretiens] [Rechercher] [Contacter] [Liens]