Drôles de relents !

Point de vue signé par Catherine Trautmann, ministre de la Culture, paru dans le quotidien Libération daté du mardi 23 juin 1998


 
La France est terre de liberté, tout peut s'y discuter, nous dit-on. Jusqu'aux principes de 1789. Mais ceux-ci sont si fermes, éprouvés par le temps, que nul depuis bien longtemps n'avait sérieusement songé à les remettre en cause. Si ce n'est Vichy qui troqua notre flamboyante devise «Liberté, Egalité, Fraternité» contre celle de «Travail, Famille, Patrie», Vichy qui sut donner un parfum si particulier à la préférence nationale... Et voilà qu'un ancien Premier ministre, par conviction ou stratégie électorale (on ne sait ce qui est le plus coupable), s'avise de proposer benoîtement une large discussion sur la préférence nationale. Ce fantôme surgi du passé, nous l'identifions sans mal : c'est celui de la remise en cause du fondement même de ce qui a fait notre histoire et notre fierté. La France, quatrième pays exportateur, doit sa puissance économique à son ouverture au monde. Terre d'asile, carrefour de toutes les cultures, elle ne serait plus la France si elle se laisser aller au repli mesquin, égoïste et immoral d'une «préférence nationale» qui n'est jamais que l'expression policée du rejet de l'autre, du rejet de l'humanité.

On sait quel rêve est tapi sous ce désir : une société de maîtres d'un côté, une société de métèques de l'autre. Pour les seconds, pas de logements, pas de prestations sociales... Et demain, plus de soins... On voit bien tout le parti qu'entendent tirer les partisans de la préférence nationale de l'aboutissement de leur théorie : moins de crèches, moins d'écoles, moins de services sociaux et donc moins d'impôts. Que d'argent économisé... Pour retrouver, quelques années plus tard, un pays ravagé par la misère car l'exclusion est la mère de toutes les détresses.

Français et étrangers ne sont pas égaux au regard de la citoyenneté. Je n'aurais jamais pensé avoir besoin de rappeler, dans mon pays, qu'ils le sont au regard de l'humanité. Georges Vedel l'avait écrit en termes définitifs : «L'égalité, c'est l'homme même... Si l'on peut dire que tous les hommes sont égaux, à l'inverse tous les égaux sont hommes, car si un homme refuse à un autre la qualité d'égal... il lui refuse la qualité d'homme. L'égalité est non un droit naturel mais le fondement même de tout droit naturel, car il n'y a plus de droit naturel si les hommes ne sont pas égaux entre eux, autrement dit si les hommes n'existent pas.»

La préférence nationale, c'est la variante de salon du racisme, de l'exclusion. Elle n'en est que plus odieuse. Lorsque la droite orléaniste extrême retrouve l'extrême droite sur fond de relents maurassiens, les enjeux deviennent clairs. Les républicains de toute sensibilité retrouvent alors le sens de leur combat, celui de l'idéal d'une société fraternelle et unie, d'une société qui met l'homme en général et non telle ou telle catégorie d'hommes au centre de ses préoccupations. S'il doit exister des différences entre les individus, elles ne peuvent être de droit mais de situation. Et elles ne doivent être assises que sur le mérite, le talent et la vertu. Puisque c'est ainsi que l'humanité progresse et construit. Pour ma part, comme femme, comme citoyenne, comme ministre, je ne cesserai un seul instant de me battre pour que règne l'égalité entre les hommes. A la préférence nationale, je préfère l'égalité républicaine, et je ne reconnais de droit que lié à la condition d'homme.

Reproduit avec l'aimable autorisation du quotidien
© Copyright Libération.com


Page précédente Haut de page

PSinfo.net : retourner à l'accueil

[Les documents] [Les élections] [Les dossiers] [Les entretiens] [Rechercher] [Contacter] [Liens]