Dans quel état nous laisseront-ils la France ?

Daniel Vaillant
Entretien avec Daniel Vaillant, député de la 19e circonscription de Paris, ancien ministre de l'Intérieur, paru dans Le Parisien daté du 2 juillet 2004.
Propos recueillis par Philippe Martinat et Dominique de Montvalon
 

Le gouvernement semble vouloir faire passer les 35 heures à la trappe...
Les 35 heures ont été une réforme utile. Certes, il y a eu, dans l'application de cette réforme, des difficultés, mais on en a tenu compte. Et qu'est-ce qui se passe ? Un virage sur l'aile de la droite. Pendant longtemps, elle a hésité à s'attaquer à ce nouvel acquis social. Chirac avait, en effet, dit à ses amis : « Stop. Sinon, on va droit dans le mur. » Mais Sarkozy a surgi. Lui veut détruire les 35 heures. Et le jour qu'il a choisi pour le redire n'est pas indifférent : c'est le jour où Borloo lance, à la demande de Chirac, un plan dit de cohésion sociale. Un plan qui, après deux ans d'atermoiement, donne le sentiment - simple « sentiment » - qu'on s'attaque enfin à la fracture sociale. Eh bien, emboîtant le pas du Medef, Sarkozy, soucieux de renforcer son emprise sur l'UMP, choisit la provoc. Son positionnement est à la fois conservateur, libéral et archaïque. Finalement, je suis tenté de vous dire, voyant cela, que Sarkozy était quand même meilleur au ministère de l'Intérieur qu'il ne l'est à Bercy.

Mais, pour la gauche, les 35 heures sont-elles un tabou ?
Il n'y a pas de tabou. Il peut y avoir des assouplissements négociés. Nous sommes pour le dialogue et la « contractualisation » dans les branches. Cela étant, s'il s'agit de céder aux pressions de M. Seillière et d'un grand patronat arrogant, alors, c'est non. Surtout quand l'argent coule à flots à la Bourse et dans tant de groupes financiers. Si la droite est vraiment conséquente, qu'elle légifère contre les 35 heures, et on verra bien ce qui se passera.

L'ex-terroriste italien d'extrême gauche Cesare Battisti risque l'extradition. A Rome, la gauche l'espère. A Paris, le PS s'indigne...
Je suis un adversaire de tous les terroristes, y compris quand ils prétendent agir au nom d'une cause juste. Vis-à-vis d'eux, il faut faire preuve d'une extrême fermeté. M. Battisti, s'il a tué et participé à des entreprises de déstabilisation de l'Italie, ce qui semble avéré, ne fera jamais partie de mes fréquentations. Cela ne m'empêche pas de dire que la continuité de l'Etat et la parole donnée par les gouvernements successifs (de gauche comme de droite), c'est quelque chose d'important. Si Battisti était extradé en Italie, son dossier judiciaire pourrait-il être rouvert ? Non. Le risque existe donc que la justice ne passe pas. Sans être en désaccord avec la gauche italienne qui condamne des actes sanglants, je suis donc hostile à cette extradition. Ce serait une erreur et une faute.

« Oui si », « plutôt non » : le PS flotte quand on l'interroge sur la Constitution européenne...
Ce n'est pas un débat fécond. Les socialistes ont mieux à faire, s'agissant de l'Europe, que de polémiquer entre eux, surtout à propos d'une question qui n'est pas aujourd'hui posée puisque personne ne sait s'il y aura ou non référendum. La réalité, tout le monde la connaît : le compromis de Bruxelles est meilleur que le texte de Nice, moins bon que ce qu'avait préparé la Convention Giscard et infiniment en retrait par rapport à notre demande d'une Europe sociale. Et si on en est là, c'est parce que le président de la République n'a pas fait son travail. Il a laissé Tony Blair imposer ses préférences. Cela ne m'encourage pas à répondre oui à... M. Chirac. Mais j'attends qu'il s'exprime le 14 juillet.

De quel côté penchez-vous ?
Je préférerais que, le moment venu, les socialistes soient en situation de refuser le non - qui déclencherait une crise dont nous serions tenus pour responsables. Evitons donc de nous disperser dans des querelles qui font le jeu de l'Elysée : il faut savoir gérer le temps, même si ça m'embêterait, je le répète, qu'on refuse une avancée, aussi mince soit-elle.

Vous récusez le « plan Borloo » ?
J'ai beau être dans l'opposition, je ne pratique pas la politique du tout ou rien. Si M. Borloo fait reculer demain l'exclusion sociale, eh bien essayons d'avancer ensemble. Mais quand je vois la faiblesse des moyens mis en œuvre, je me demande si on ne nous refait pas le « coup » de la fracture sociale de 1995 : « Paroles, paroles... » Comment dire banco à Borloo ? Le compte, vraiment, n'y est pas. A voir le triste spectacle qu'offre le gouvernement - et je songe aussi au plan Sécu en trompe-l'oeil qui a, hélas, toutes les chances d'échouer -, je me dis parfois : « Bon sang, mais dans quel état ils vont nous laisser la France si, en 2007, nous revenons aux responsabilités ? »

Jean-Pierre Raffarin est-il en sursis ?
Il semble en ballottage défavorable, mais je n'arrive pas à me réjouir de ses difficultés. Voilà le président qui , en son absence, reçoit à l'Elysée le ministre des Finances, et pour discuter de quoi ? Pas de la France, mais de la cuisine, voire de l'arrière-cuisine UMP ! Je ne sais pas comment ça va se terminer. Encore un peu, et on entendra un bruit de vaisselle cassée. Chirac et Sarkozy se concurrencent : les Français trinquent.

Où en est Lionel Jospin ?
Il assume son nouveau rôle : celui d'un homme libre, qui reste un homme d'Etat. Et il a la satisfaction de voir, grâce au trio Chirac-Raffarin-Sarkozy, son bilan déjà largement réhabilité. Jospin veut être utile à son camp et au PS. Il est présent dans la tête des Français.

Mais que pense-t-il, lui ?
Tel que je le connais, il ne peut pas être heureux de voir se creuser le fossé entre la masse des Français et les décideurs. La situation est suffisamment grave pour que personne ne se réjouisse des difficultés qu'engendre la droite. Il ne faut pas rester passif.

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