Intégrité, fidélité, responsabilité, c'est ça ma gauche

Daniel Vaillant
Entretien accordé par Daniel Vaillant, ministre de l'Intérieur, à l'Hebdo des socialistes daté du vendredi 16 novembre 2001
propos recueillis par Claude Polak


 

Les qualités que les gens apprécient dans ce gouvernement, en lisant votre livre, on les retrouve chez vous. L'intégrité n'est-elle pas l'une des plus importantes.

L'intégrité est un trait de caractère indispensable pour un homme -ou une femme- politique. S'il n'a pas cette qualité, il vaut mieux qu'il fasse autre chose. On ne peut pas être un élu dans un arrondissement populaire comme le XVIIIe, on ne peut pas gouverner la France, si l'on n'a pas incorporé, dès le départ, l'intégrité dans sa propre démarche. Le gouvernement actuel, composé d'hommes et de femmes désintéressés, incarne effectivement cette intégrité. Je crois d'ailleurs que les gens le ressentent.

En tout cas, il est certain que, depuis quatre ans, nous ne gouvernons pas pour nous faire plaisir ou pour nous servir, mais véritablement parce que chacun trouve son épanouissement individuel dans l'intérêt général, au service du pays. Cet état d'esprit, dont je suis sûr qu'il est celui du Premier ministre et de son équipe, devrait être largement partagé sur les bancs de l'Assemblée nationale, à droite comme à gauche. Pour moi, c'est une évidence, parce que la politique a été tellement critiquée, son importance a été tellement relativisée dans l'opinion publique, qu'un des moyens de sa réhabilitation, - et Lionel Jospin l'a dit dans son ouvrage L'invention du possible - c'est d'être totalement exemplaire.

Autre qualité, la fidélité.

J'accepte ce compliment de fidélité à mes convictions, à mes origines familiales, sociales et à mes amis. C'est un tout. Si je suis fidèle, c'est une question d'affectivité. Fidèle à mes amis, certes, mais si eux-mêmes le sont à ma conception de la vie. Je ne suivrai pas aveuglément un ami s'il s'est fourvoyé, je ne suis pas un inconditionnel.

Fidèle à mes convictions politiques : je pense que le combat pour l'égalité et la justice est un combat permanent, essentiel. Et il faut donc trouver les voies et moyens pour y arriver. Pour moi, ce fut mon engagement aux côtés de François Mitterrand, puis dans le Parti socialiste rénové, incarnant une stratégie de rassemblement des forces de gauche, y compris le Parti communiste. Mon père a dans le passé voté communiste. Et moi j'aime le rassemblement, la dynamique collective.

Je suis fidèle à mes idées. Pourtant, si, à un moment, je me rends compte que je me suis trompé, j'accepte de changer. Ce droit à l'erreur, le Premier ministre l'a revendiqué dans sa déclaration de politique générale dès 1997. C'est un droit à se réformer soi-même, parce que la société a changé. Il ne faut pas rester fidèle à des convictions dépassées. Par exemple, aujourd'hui, je suis très heureux d'avoir Jean-Claude Gayssot comme collègue au gouvernement, mais c'est quelqu'un qui a changé. Il est resté fidèle à la gauche, pas à ce qu'incarnait le Parti communiste dans les années 50 ou 60.

Je tiens aussi à rester fidèle à mes électeurs, proche des gens. Je ne suis pas élitiste. Mais je n'ai pas non plus une vision angélique de la société. Je préfère affronter la réalité.

La bande des quatre du XVIIIe, une belle histoire...

Ce fut une rencontre de personnalités différentes par les origines, par l'âge et par la manière d'être. Claude Estier, pour parler du plus ancien, à la fois en âge et dans le XVIIIe, fut et reste un journaliste de conviction, de gauche, un militant de la paix en Algérie, puis de l'Union de la gauche. Il a fortement contribué à la candidature unique de Mitterrand en 1965.

Lionel Jospin est arrivé dans le XVIIIe en 1974, à la demande de François Mitterrand. Avec des origines de gauche, comme Claude Estier. Secrétaire national, puis numéro deux en 1979, et Premier secrétaire choisi par Mitterrand en 1981. Bertrand Delanoë nous a rejoints un peu avant. Jeune secrétaire fédéral dans l'Aveyron, dynamique, avec de fortes convictions qu'il ne tirait pas de ses parents.

Dès 1975-1976, tous les quatre, nous formons une équipe, avec un esprit de rassemblement, de travail en commun, d'abnégation qui nous a soudés. nous avons toujours trouvé plus d'intérêt et de bien-être politique et personnel dans l'esprit d'équipe que dans l'individualisme.

Et le meilleur fut atteint en 1981, quand nous avons réussi à avoir trois députés, Claude Estier, Lionel Jospin et Bertrand Delanoë dans le XVIIIe, alors qu'on ne s'y attendait pas et que j'avais fait le choix de laisser ma propre circonscription au Premier secrétaire du parti, puisque personne d'autre ne faisait ce geste. Nous avons été heureux de gagner ensemble, puisque je fus son suppléant.

Pour diriger les fédérations du PS, puis le ministère des Relations avec le Parlement et même celui de l'Intérieur, faut-il savoir négocier ?

Lorsqu'on anime un secteur comme les fédérations du PS, il faut d'abord aimer ce qu'on fait et avoir envie de réussir parce que c'est une mission, et non pas pour satisfaire son ego ou sa cote de popularité. Ensuite, c'est vrai qu'il faut des qualités humaines. Aimer les autres, les comprendre et les respecter. Quand on mène des négociations sur les contentieux internes au PS, en réussissant à en régler beaucoup, c'est parce qu'on essaye de comprendre de quelle manière est arrivée la difficulté et comment on peut la surmonter. Toujours choisir ce qui rassemble plutôt que ce qui divise par égoïsme ou sectarisme.

J'ai été l'un des négociateurs qui ont préparé les accords de 1997, avec les Radicaux de gauche, le MDC, le PC et les Verts. Les Verts m'ont fait comprendre que c'était la première fois qu'on les prenait au sérieux et ils ont vu que je voulais aboutir. Je ne faisais pas semblant. J'étais là pour trouver un accord et l'appliquer, pas pour tromper les autres. Quand on n'a pas une démarche sincère, honnête, cela se voit un jour ou l'autre.

La Gauche plurielle une idée novatrice, du jamais vu en France ?

C'est vrai, c'est une démarche nouvelle qui n'est pas fondée sur un rapport de force, mais sur une dynamique. Le Parti socialiste a eu la sagesse de ne pas être dominateur. Parce que dominer une gauche minoritaire, c'est moins intéressant que d'être le partenaire principal dans une gauche majoritaire. Et là on en vient à la culture qui est la mienne : je préfère une culture de la responsabilité, je préfère la gauche au pouvoir parce que les électeurs l'ont voulu, qu'une gauche minoritaire, dans la rue, dans l'opposition, comme le souhaitent ceux qui ont peur de trahir en prenant des responsabilités. Je préfère être au pied du mur, comme le maçon, pour agir, transformer, réformer, réussir.

1997 est une démarche nouvelle, les écologistes ont été reconnus dans leur existence démocratique et durable, les communistes respectés pour ce qu'ils sont, et non pas des militants trop longtemps assimilés à la déviance soviétique.

Enfin, les radicaux et MDC ont été reconnus dans leur identité. Comme quoi l'on peut respecter l'identité des autres sans mettre en cause l'intérêt général. C'était un contrat avec les Français, que Jospin a respecté. Et cela a réussi parce que les contrats, ça se respecte. C'est ça la fidélité et la loyauté.

Depuis 1997, une manière inédite de faire de la politique n'a-t-elle pas été mise en œuvre ?

Si, et une manière moderne. On a eu trop longtemps, dans notre bonne et vieille démocratie républicaine, le goût du pouvoir personnel, de l'incarnation du pouvoir par un homme, ce qu'illustre, à sa manière, l'élection du président de la République au suffrage universel. Jospin a introduit de la modernité, c'est-à-dire du collectif. Il n'y a pas d'individu libre dans une société, si le collectif n'est pas présent, au nom du respect de la règle par chacun. Ce qui n'empêche pas d'être pour la libre initiative ou l'émulation. Jospin décide, il arbitre et gouverne, c'est un homme d'autorité, un homme d'État. Mais il le fait sur la base d'une maturation, d'un débat collectif. Parce que l'on est plus intelligent à plusieurs, et que l'on risque moins de faire des erreurs. Donc, il a inauguré des réunions de tous les ministres, chaque quinzaine, où ils ont le droit de dire tout ce qu'ils pensent, tout ce qu'ils ont sur le cœur. Puis la décision est prise et elle devient celle de tous.

Ministre de l'Intérieur, c'est dur ?

Effectivement, si l'on veut une vie confortable, tranquille, sans avoir à prendre des responsabilités, je ne conseille pas de devenir ministre de l'Intérieur. S'il y en a qui le souhaitent, il faut qu'ils soient courageux, travailleurs, honnêtes et qu'ils sachent prendre quelques risques, sans avoir les yeux rivés sur les sondages tous les matins. Car, c'est sans doute le ministère le plus dur, physiquement et à cause des décisions à prendre. C'est rude, c'est périlleux, mais c'est exaltant parce qu'on est au service de l'État, donc de la collectivité nationale. On n'est pas là dans une démarche égocentrique. Dans ce bureau, on prend des décisions ensemble, après avoir tout pesé. Il arrive qu'une d'entre elles soit incomprise ou qu'il faille du temps pour qu'elle s'avère cohérente, comme ce fut le cas pour les rave-parties.

Enfin, le ministre de l'Intérieur doit être en confiance avec le Premier ministre. Et c'est le choix que nous avons fait. Je n'ai pas fait le choix de servir un homme, mais d'être aux côtés d'un ami qui incarne les valeurs du Parti socialiste, de la Gauche plurielle rassemblée et plus largement de l'État et de la République. Et, chez nous, dans notre culture, ce ne sont pas que des mots.


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