Un procès malhonnête et dangereux

Daniel Vaillant
Entretien avec Daniel Vaillant, député de la 19e circonscription de Paris, ancien ministre de l'Intérieur, paru dans Le Parisien daté du 30 avril 2004.
Propos recueillis par Bernard Mazières
 

Lorsque, hier, Jacques Chirac affirme que l'antisémitisme est un sujet « trop grave pour la polémique », désavoue-t-il Nicolas Sarkozy ?
Oui. Sa réponse n'était pas improvisée. Il désapprouve Nicolas Sarkozy qui a pris l'initiative de cette polémique injustifiée, stérile et politicienne.
La lutte contre l'antisémitisme et toutes les formes de racisme ne peut souffrir d'aucun esprit polémique. En plus, je rappelle que, durant la période 1997-2002, le président n'aurait pas manqué de souligner, s'il y en avait eu, les faiblesses du gouvernement Jospin en la matière. Il ne l'a pas fait.
Les chiffres, il est vrai, ne lui en ont pas donné l'occasion. Rien ne vient donc étayer ce qu'affirme de façon dangereuse Sarkozy.

Est-ce une provocation ou un dérapage ?
Les deux ! Sarkozy fonctionne, parfois avec talent, mais toujours avec véhémence. Au risque de rentrer dans le mur, comme cette fois. Quand on est ministre d'Etat et que l'on aspire à de hautes fonctions, il faut éviter de faire de l'autoallumage et d'être dans un état de surexcitation anormale. Qu'il veuille flatter son camp et régler son compte au président de la République, c'est son affaire. Mais ce n'est pas comme cela que l'on est crédible. Le principal adversaire de Sarkozy, c'est Sarkozy lui-même. Il va trop loin. Son appétit pour la conquête du pouvoir le pousse à la gaffe ou à la faute. Cette fois, plus qu'une gaffe, c'est une faute.

Le gouvernement Jospin a-t-il été suffisamment ferme à l'égard des actes antisémites ?
Face à de tels actes, on n'est jamais suffisamment répressif. On peut toujours mieux faire. Mais j'estime que l'on a fait notre devoir.
Aujourd'hui, Sarkozy se livre à un procès malhonnête. Il ne sert pas la démocratie. N'oublions pas que c'est Lionel Jospin qui a respecté les engagements pris pour indemniser les Juifs de France spoliés pendant la seconde Guerre mondiale et permis la création de la Fondation pour la mémoire de la Shoah que préside Simone Veil.

Comme il l'aurait lancé à Henri Emmanuelli, diriez-vous à Sarkozy : « Fais gaffe ! »
Non. Je le rappelle seulement à son devoir. Etre un démocrate, c'est accepter de ne pas avoir toujours raison et de respecter le Parlement dans sa diversité. Le résultat des régionales devrait apprendre la modestie à ce monsieur au surmoi un peu trop développé.

Ces propos peuvent-ils jeter le trouble dans la communauté juive ?
Oui. Même si les plus hautes personnalités de la communauté les récusent, cela met mal à l'aise. Tout le monde sait qu'il y a de l'antisémitisme en France. Celui de l'extrême droite, il est ancien et persistant et il faut le combattre. Il ne faut jamais faire les yeux doux aux tenants de l'antisémitisme. Et cela vaut pour Nicolas Sarkozy et certains de ses amis ministres qui ont appartenu à des groupes extrémistes. Il y a aussi l'antisémitisme sur fond de tension au Proche-Orient et on voit bien que, en 2000, 2002 et 2003, cela a provoqué des montées d'actes antisémites. Il faut, là aussi, être vigilant et répressif.

N'est ce pas un « règlement de comptes » entre ex-ministres de l'Intérieur ?
Non. Quand Nicolas Sarkozy fait des bonnes choses, j'ai tendance à approuver. Quitte à me faire tancer par mes amis. Mais, aujourd'hui, et je le regrette, son bilan à l'Intérieur est moins idyllique qu'il ne l'a dit. Son successeur Dominique de Villepin doit lui-même le constater.
Il y a autant de violence dans les quartiers qu'avant, malheureusement. Il est vrai que Sarkozy ne s'est pas attaqué aux racines du mal. Il s'est laissé aller, lorsqu'il était à l'Intérieur, à une forme de libéralisme échevelé qu'il incarne au sein de l'actuel gouvernement.

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