Sécurité,
la poudre aux yeux

Daniel Vaillant

Point de vue signé par Daniel Vaillant, député de la 19e circonscription de Paris, ancien ministre de l'Intérieur, paru dans le quotidien Libération daté du 22 avril 2004
 
Si effet Sarkozy il y eut, le moins que l'on puisse dire c'est qu'il ne s'est pas fait sentir lors des dernières élections. Ministre de l'Intérieur, il pensait résoudre à lui seul le problème de l'insécurité. Le voici réfugié à Bercy alors que les nuages s'amoncellent place Beauvau.

Il est temps de tirer un bilan de son action à l'Intérieur : au-delà de la communication, quels sont les résultats obtenus ?

Sa première habileté, facilitée par la campagne démagogique du candidat Chirac : faire passer pour des réussites personnelles les résultats obtenus grâce au travail de ses prédécesseurs et des policiers. Arrivant place Beauvau, il a trouvé un budget en forte augmentation. Les effectifs de police étaient en hausse, les écoles de police pleines, les commissariats ouvraient en nombre. La « démarche stratégique pour la police nationale de 2002 à 2006 » que j'avais élaborée fut à la source d'une grande partie des mesures utiles des lois Sarkozy.

Ces instruments à sa disposition, il a pu lancer des réformes que nous nous étions engagés à conduire : rapprochement police-gendarmerie, redéploiement des effectifs que nous avions enclenché, réforme des CRS ou de la police aux frontières, mise en place des « opérations ciblées répressives » rebaptisées GIR, ou encore renforcement de la police judiciaire. Mais, entraîné par son goût frénétique du faire-savoir, M. Sarkozy n'a pu s'empêcher de se laisser aller à la démagogie, ou à l'adoption de dispositions aussi spectaculaires qu'inopérantes.

De surcroît, sur bon nombre de sujets, la réalité fut bien en deçà des annonces. Le budget actuel de la police est moins bon qu'il n'y paraît, les rémunérations des policiers n'ont pas augmenté depuis 2002, le recrutement a cessé (1 700 fonctionnaires en moins en 2004 par rapport à 2003), les départs à la retraite ne sont pas intégralement compensés, les écoles ne sont plus pleines et les effectifs des adjoints de sécurité fondent.

Les policiers le savent : le seul moment où le nombre de fonctionnaires a significativement augmenté se situe début 2002, après les accords du 29 novembre 2001 signés par les syndicats et moi-même et le vote du budget 2002.

Plus grave, la volonté acharnée de l'ex-ministre de l'Intérieur de faire baisser les chiffres l'a conduit à les présenter de façon contestable. Dernièrement, ses services publiaient des statistiques ronflantes : - 7 % de faits délictueux constatés sur voie publique. M. Sarkozy les a commentés avec délectation, omettant un autre chiffre : 7 % d'augmentation des faits avec violence sur voie publique. Autre exemple, en juin 2003, le ministère n'a pas présenté les mauvaises statistiques du mois pour les fondre dans celles du premier semestre. Mais laissons là cette querelle stérile : la vérité éclatera quand l'Observatoire de la délinquance que j'ai initié publiera ses propres analyses...

Autre déviation à cette course éperdue aux «bons» chiffres : les citoyens souhaitant porter plainte pour des faits mineurs sont fortement incités à ne déposer que des «mains courantes» qui ne sont pas comptabilisées dans les chiffres officiels du ministère. Apparaît là un paradoxe : moins les policiers en font, plus les chiffres baissent ; plus ils sont présents, plus le nombre des faits constatés augmente. Enfin, la « culture du résultat » poussée à l'excès a des effets néfastes sur le moral de la police. La promotion marque le pas : qui irait s'exposer aux réprimandes infantilisantes de son ministre en prenant des responsabilités ? La conséquence de tout cela est que bon nombre de policiers ont le sentiment que l'on voulait faire d'eux des agents électoraux. M. Sarkozy a donné l'impression de mettre la police au service de ses ambitions politiques.

Son bilan doit être appréhendé avec objectivité. Il est contrasté. Les Français ne s'y sont pas trompés les 21 et 28 mars dernier. Les policiers commencent à ruer dans les brancards, les délinquants retrouvent assurance et arrogance, les 20 000 détenus supplémentaires depuis son arrivée vont sortir des prisons et recommencer, les liens de confiance instaurés peu à peu entre la police et la population se distendent. Cela traduit l'orientation des gouvernements Raffarin successifs qui n'ont jamais voulu s'attaquer aux causes de la délinquance.

C'est pourtant cette approche qui permettrait de réduire durablement l'insécurité. La répression est nécessaire. J'ai veillé, dans le respect du droit, à donner des moyens d'action supplémentaires aux policiers par la loi sur la sécurité quotidienne. Je suis favorable à laisser intact l'arsenal législatif actuel, à l'exception des dispositions législatives contestables et parfois inapplicables comme le racolage passif ou encore la mendicité agressive.

Mais c'est d'abord en réduisant l'insécurité sociale par l'éducation, en favorisant l'accès à l'emploi, en renforçant les services publics et l'équilibre entre les territoires, en luttant contre les discriminations et donc en améliorant l'intégration que nous ferons baisser vraiment et durablement la délinquance. Je le répète souvent : l'éducation d'aujourd'hui, c'est la sécurité de demain.

La sécurité fut une priorité du gouvernement Jospin. Nous avons obtenu des résultats par définition insuffisants ­ et trop discrètement défendus ­ mais nous allions dans la bonne direction.

La police de proximité est un exemple. M. Sarkozy l'a vidée de son contenu et peu à peu détournée de ses vrais objectifs. Elle était pourtant plébiscitée par la population et ses résultats étaient bons. On le constate à Paris, où la municipalité fut à l'origine du plan 1 000 (le recrutement de 1 000 agents de surveillance de Paris [ASP], financés par la mairie, permettant le redéploiement des policiers dans les quartiers difficiles). A l'inverse de ce qui se passe en province, cette police perdure dans ses missions : grâce à elle notamment, la délinquance a baissé de 30 % dans la capitale entre 2001 et 2004. Elle permet de réduire en profondeur la délinquance. Sans doute n'était-ce pas assez rapide et impressionnant pour M. Sarkozy...

Certains, à gauche, nous ont reproché notre sincérité sur les chiffres. L'« opération vérité » aurait nui à la campagne de Jospin. Si le thème de l'insécurité a joué un rôle dans le séisme du 21 avril 2002, c'est parce que la campagne démagogique et dangereuse du candidat Chirac a favorisé le FN. D'autant que cette campagne fut accompagnée par des médias qui ont outrepassé leur devoir d'information. Une seule statistique : de janvier à mai 2002, TF1 consacrait 284 sujets à l'insécurité, plus d'un par jour ! Dans les six mois suivant l'élection présidentielle, cette chaîne n'en programmait plus que 66...

Aujourd'hui, les Français constatent un décalage entre l'affichage de réussite et la réalité de leur vie quotidienne en matière de sécurité et de tranquillité. Les plus modestes en payent le prix.

M. Sarkozy aura eu l'habileté de quitter le navire avant qu'il ne tangue trop. Bon courage, M. de Villepin.


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