Pour un service
civique et citoyen

Daniel Vaillant
par Daniel Vaillant, député-maire du XVIIIème

Point de vue paru dans le quotidien Le Figaro daté du 28 novembre 2003

 
Député et maire d'un arrondissement populaire parisien, je prends chaque jour la mesure du désarroi de nos concitoyens devant la montée de l'individualisme qui engendre incivilité, violence et dilue le sentiment d'appartenance à la collectivité nationale. De toute évidence, le lien social s'est distendu de même qu'une confusion s'est établie entre droits et devoirs. Il est donc indispensable de s'interroger sur les moyens de mettre davantage les valeurs de la République à l'ordre du jour.

Un élément de réponse, avec d'autres, consisterait à mettre en place un service civique et citoyen. Un tel choix serait un véritable investissement républicain et témoignerait de la volonté de l'État de redonner du sens au pacte social.

Le service militaire tel qu'il existait jusqu'en 1997 était devenu obsolète et très inégalitaire : il ne concernait que les garçons et était vécu comme une contrainte inutile et traumatisante pour les carrières professionnelles. Par ailleurs, il semblait très désuet à beaucoup d'appelés au point que 150 000 d'entre eux bénéficiaient de passe-droits pour en être exemptés.

Néanmoins, le service militaire possédait des vertus évidentes. Il permettait à de nombreux jeunes de sortir du giron familial et d'en rencontrer d'autres, différents par leurs origines et leurs expériences. Il participait à la cohésion nationale. Enfin, il pouvait être l'occasion d'acquérir une formation.

Le service militaire fut officiellement suspendu en 1997 après que le président de la République eut pris la décision de professionnaliser nos armées. Évidemment, les jeunes apprécièrent d'être libérés de cette obligation, mais cette suspension a eu également des effets pervers. Entre autres, elle a contribué à accélérer dans la société l'affaiblissement du civisme, de la citoyenneté et de l'esprit républicain.

Il convient donc aujourd'hui de réinventer, sous une forme ou sous une autre, un système qui permettrait de réhabiliter les valeurs de la République. D'où l'idée d'un service civique et citoyen qui pourrait se définir comme un temps que chaque citoyen donnerait à la communauté, au nom des valeurs du pacte social. Quels pourraient être les contours de ce nouveau service civique et citoyen ?

A mon sens, il conviendrait qu'il s'effectue après le bac, soit environ à l'âge de 18 ans ou à la sortie du système scolaire et avant d'entamer des études supérieures ou une carrière professionnelle. Il serait obligatoire pour les hommes comme pour les femmes. Il serait également ouvert aux non-nationaux en situation régulière, sur la base du volontariat, l'enjeu, dans ce cas de figure, étant évidemment, d'améliorer l'intégration. Il comporterait deux périodes courtes de quinze jours, trois semaines ou un mois maximum.

La première année, la période obligatoire serait consacrée à une formation théorique où seraient rappelés les fondamentaux de notre société : les valeurs de la République, la laïcité, le civisme, le respect des autres et de soi, mais aussi quelques règles élémentaires d'hygiène de vie pour lutter contre le sida, les MST, l'alcool, le tabac, la drogue, etc. Des cours de culture générale et de vie pratique pourraient également être dispensés.

La seconde année, période toujours obligatoire, permettrait aux jeunes, en fonction de leurs intérêts, de leurs goûts et de leurs projets personnels, d'appréhender de manière pratique les matières qui les intéressent. Cette approche concrète se ferait au travers de modules spécialisés dans les domaines précités et dans des lieux spécifiques : écoles, écoles de police et de gendarmerie, hôpitaux, casernes de l'armée, maisons de retraite, parcs naturels nationaux ou régionaux, etc.

Enfin, à l'issue de ces deux périodes obligatoires, ceux qui le souhaiteraient pourraient avoir accès à une période de service prolongée, d'environ six mois, qui leur permettrait de valider certains acquis après formation et évaluation. Ceci offrirait à certains la formation initiale qu'ils n'auraient pas pu avoir au cours de leur scolarité. Pour d'autres, il pourrait s'agir d'une première étape vers la vie professionnelle.

J'ai bien conscience qu'une telle réforme soulève nombre de questions et de difficultés pratiques aux plans financier, juridique et logistique, quand il s'agit d'organiser le rassemblement d'environ 650 000 jeunes chaque année. Au plan financier, deux options se présentent : soit un financement par le budget de l'État, soit un financement lié à des revenus de l'État (Française des jeux, taxes sur le tabac ou l'alcool). Le budget nécessaire s'établirait autour de 2 milliards d'euros, soit l'équivalent de la baisse de 3 % de l'impôt sur le revenu décidée par le gouvernement actuel.

Au plan juridique, on pourrait peut-être créer un établissement public chargé de l'organisation du service et de la mise en place des conventions nécessaires entre l'État et les collectivités territoriales. Cet organisme d'État assurerait la coordination entre les différents ministères impliqués sous l'autorité du premier ministre. Il faudra également s'interroger sur la logistique et les infrastructures à mettre en place pour viabiliser un tel projet.

Il sera nécessaire de trouver un encadrement motivant et motivé pour accompagner les jeunes. Il apparaît dès aujourd'hui difficile de puiser dans le vivier de l'armée puisque la suspension du service militaire a fait supprimer les postes de 35 000 sous-officiers et des 3 000 à 4 000 officiers qui s'en occupaient. En revanche, il est envisageable de se tourner vers l'Éducation nationale et le milieu associatif pour trouver les formateurs nécessaires et compétents. De même, de jeune retraités pourraient être mobilisés pour assurer cette tâche.

Se pose aussi un problème de locaux susceptibles d'accueillir les jeunes. Ceux de l'armée, souvent rétrocédés aux communes après la disparition du service militaire, ne sont plus opérationnels. Mais des pistes existent, nous devons les explorer. Par exemple, nombre de locaux publics demeurent inoccupés au moins à certaines périodes de l'année (établissements scolaires et universitaires, salles communales, bâtiments militaires, etc.). Dans ce cadre, des conventions d'utilisation seraient signées entre l'État et les collectivités concernées.

Je suis donc certain que si cette réforme est bien expliquée, elle sera acceptée. Elle le sera car ce service civique et citoyen sera tout autant utile au développement personnel des jeunes qu'à celui de la société dans son ensemble.
© Copyright Le Figaro


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