Pour une justice d'intérêt général


Des magistrats ne doivent plus être « intouchables ».
André Vallini
par André Vallini,
député de l'Isère
rapporteur du projet de loi sur les rapports entre la chancellerie et le parquet.


Point de vue paru dans les pages " Débats " de Libération daté du jeudi 18 novembre 1999

 
Les attentes des Français vis-à-vis de la justice sont doubles  : elles concernent autant son fonctionnement quotidien que ses rapports avec le pouvoir politique. En tant que justiciables, ils sont désarmés face à des procédures trop complexes ou trop lentes  : la crédibilité de la justice en est affaiblie. En tant que citoyens, ils sont révoltés face aux procédures étouffées ou manipulées: la légitimité de la justice en est menacée.

En fait, si les Français souhaitent une justice plus accessible, ils exigent tout autant une justice plus impartiale.

Détournements de procédures, étouffements d'affaires « sensibles », nominations de magistrats contre l'avis du Conseil supérieur de la magistrature, nos concitoyens ont jugé ces pratiques, et sanctionné par leur vote ceux qui s'en étaient rendus coupables.

Depuis plus de deux ans maintenant, et alors que la loi ne l'impose pas encore, il n'y a plus d'intervention du garde des Sceaux dans les affaires individuelles. De même, les avis du Conseil supérieur de la magistrature pour les nominations des magistrats du Parquet sont tous respectés. Mais pour que cette pratique devienne la norme, quels que soient ceux qui seront amenés à gouverner dans l'avenir, il faut la fixer dans la loi : c'est l'un des objets de la réforme en cours.

Pour autant, il est clair que le gouvernement, responsable de la politique de la Nation devant le Parlement et donc de la politique pénale, doit continuer à la définir mais aussi à la faire appliquer : ce sera l'objet des directives du garde des Sceaux aux procureurs, pour assurer à la fois la cohérence et l'efficacité de la politique pénale de l'Etat sur l'ensemble du territoire. Et il est évident, à mes yeux, que la non-application de ces directives par les procureurs pourra entraîner la mise en cause de leur responsabilité sur le plan disciplinaire.

De même que, pour permettre à l'Etat de rester efficace et de n'être pas désarmé dans des circonstances exceptionnelles, la réforme prévoit un droit d'action propre du garde des Sceaux, qui lui permettra, si l'intérêt général le justifie, d'actionner une procédure que personne n'aurait initiée, mais en aucun cas d'infléchir une procédure que d'autres auraient engagée.

De la même façon, les citoyens ont le droit d'être exigeants envers ceux qui les jugent : aux termes de la future réforme du statut de la magistrature, ils pourront se plaindre d'un magistrat dont le comportement à leur égard aura pu constituer une faute professionnelle.

Comment admettre en effet que les magistrats n'aient le plus souvent de compte à rendre à personne et qu'ils puissent se tromper parfois lourdement sans avoir à en répondre. Bref qu'ils apparaissent comme les derniers « intouchables ». Loin de marquer une défiance envers les magistrats, il s'agit donc de reconnaître la place de plus en plus grande qu'ils occupent dans le fonctionnement de la société. Et donc de la responsabilité accrue qui leur incombe. Responsabilité sans laquelle, en effet, il ne saurait y avoir ni pouvoir ni même contre-pouvoir.

Les Français attendent une grande réforme de la justice. Celle que proposent Lionel Jospin et Elisabeth Guigou répond à leur double attente : celle d'une justice accessible à tous, notamment aux plus faibles. Et celle d'une justice libre à l'égard de tous, notamment des puissants. La démocratie va y gagner. Mais cette réforme va rendre aussi la justice plus responsable: la République ne devrait pas y perdre.

Reproduit avec l'aimable autorisation du quotidien
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