Refuser le foulard
sans l'interdire

Manuel Valls
par Manuel Valls, député de l'Essonne et maire d'Evry.
Point de vue paru dans les pages " Rebonds " du quotidien Libération daté du vendredi 30 mai 2003


 
C'est à l'endroit même où la République a gagné la bataille de la laïcité que la question du sens de cette spécificité française resurgit. L'Ecole, parce qu'elle est, aux côtés de la famille, l'autre agent de transmission des savoirs et des valeurs, est un espace à (re)conquérir.

La façon dont nous répondrons à cette problématique est essentielle pour l'avenir de notre pacte républicain. Nous devons protéger la laïcité, les valeurs républicaines mais en leur redonnant du sens, en les faisant accepter et non pas en les imposant. C'est pourquoi je ne pense pas qu'il soit bon d'adopter une posture laïque, une position de principe, déconnectée de la réalité. La laïcité est souvent vécue par les musulmans comme un prétexte pour empêcher la pratique des croyants. C'est la raison pour laquelle je crois qu'il faut faire évoluer la loi de 1905 afin de permettre la construction des lieux de culte à travers un financement transparent et donc public.

La laïcité est d'abord un combat, pas une loi, c'est une valeur partagée par tous pas une contrainte ; sinon, c'est un échec. Interdire, par la loi, comme le proposent Jack Lang ou Laurent Fabius, le foulard de l'enceinte des écoles manifesterait notre incapacité à recréer du « vivre ensemble ». L'intransigeance ne ferait qu'accroître l'incompréhension entre les musulmans de France et le reste de la société. Elle servirait de prétexte à tous ceux qui souhaitent une communautarisation de l'éducation, ce qui serait dramatique. Elle ferait le jeu de ceux que, malheureusement, le gouvernement actuel privilégie au détriment de l'immense majorité de nos concitoyens musulmans. Suivre les préconisations fermes du Conseil d'Etat, privilégier le dialogue, ce n'est pas renoncer à la laïcité, c'est lui donner une chance d'être acceptée par tous. Car ce que la résurgence des foulards marque, ce n'est pas le refus de la laïcité et de la République, c'est un double échec ; l'échec du modèle français d'intégration et l'échec de la modernisation de l'islam.

Notre modèle d'intégration fonctionne mal ou ne fonctionne plus. Une ségrégation sociale, territoriale et ethnique s'est progressivement établie dans notre pays. L'ascenseur social est bloqué et les populations issues de l'immigration se sentent souvent condamnées à jouer un rôle mineur dans une société qui produit de la discrimination et refuse de l'admettre. Les femmes ­ et les jeunes filles ­ dans les quartiers difficiles sont les premières victimes de la violence sociale, d'une régression des mœurs et des coutumes qui ne s'apparentent pas qu'au voile. C'est plus vers elles que nous devons nous tourner, la marche des femmes contre les ghettos et pour l'égalité a montré la voie d'un nouveau combat pour le féminisme.

Le repli religieux offre des repères, une solidarité, un sentiment fort d'appartenance que la République ne semble plus en mesure d'apporter. Là est notre défi. Le recul des intégrismes viendra de notre capacité à retrouver une ambition éducative, à casser les ghettos géographiques et symboliques par une autre politique, à lutter contre les discriminations, à briser la spirale de la délinquance, à permettre une véritable promotion sociale et aussi politique, à redonner du sens à la Nation et à faire aimer la France, ses valeurs et ses symboles. Chercher à l'obtenir par la force revient à couper la société en deux et à ne pas répondre à la vraie question qui est d'abord sociale.

Autre enseignement, le processus de modernisation de l'islam, cassé par les enjeux de la guerre froide, doit reprendre. Le rêve nassérien d'une laïcité arabe, le rêve de modernité des non-alignés à Bandung ont été brisés dans l'affrontement des blocs. Ils doivent revivre et l'Internationale socialiste doit peser pour permettre une autre mondialisation respectueuse des peuples, une mondialisation qui ne soit pas vécue comme une souffrance mais comme une ouverture fertile. La remise en cause des principes qui régissent l'OMC, une exigence démocratique et un plan ambitieux de développement international sont nécessaires pour empêcher le repli religieux. C'est donc en redéfinissant notre modèle républicain d'intégration et en construisant une autre mondialisation, que nous parviendrons à faire reculer le foulard.

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