Un grand marché dont le contenu social est quasi inexistant
Congrès de Dijon - 16 mai 2003

Discours d'Alain Vidalies, député des Landes, signataire de la motion E (Nouveau Monde)


 
Chers camarades,
je voudrais d’abord remercier les militants qui nous ont fait confiance en votant pour la motion présentée par Nouveau monde. Certes, le résultat est inférieur à nos espérances, pourquoi le cacher ? Mais nous avons eu la satisfaction de participer à un vrai débat, impliquant beaucoup de militants socialistes et qui, pour l’essentiel, s’est déroulé dans de bonnes conditions. C’est un acquis collectif pour les socialistes.

La motion présentée par la direction du parti est majoritaire, et nous en prenons acte. A l’évidence, elle a bénéficié d’un réflexe légitimiste qui a été largement cultivé dans les jours précédents le vote. L’appel au rassemblement, à l’unité, à la cohésion de socialistes n’est pas une nouveauté, mais l’enseignement de ce congrès, c’est qu’il fonctionne toujours au bénéfice des mêmes et dans toutes les circonstances.

Lorsque nous sommes au pouvoir, l’argument est fort, puisque toute expression différente est suspectée d’affaiblir le gouvernement que nous soutenons. Mais, même après une défaite sévère, l’argument fonctionne toujours : pour être efficace contre la droite, nous devons montrer notre force et notre unité. C’est en quelque sorte : à tous les coups on gagne.

La vraie question est de savoir si ce message sera compris et partagé par les électrices et les électeurs de gauche qui n’étaient pas au rendez-vous du 21 avril 2002. Car c’était bien la question de l’interprétation de cet événement politique majeur qui nous divisait. Quand le candidat socialiste, après cinq années d’exercice du pouvoir, n’obtient que 13 % des voix parmi les ouvriers et les employés, l’objectif qui s’impose à notre congrès est d’abord de s’adresser à ces millions de femmes et d’hommes qui vivent difficilement et pour qui nous n’avons plus représenté l’espérance.

Oui, nous avons baissé l’impôt sur le revenu, y compris la tranche supérieure, alors que c’est le seul impôt progressif et juste. Oui, nous avons baissé la fiscalité sur les stock-options. Oui, la campagne de notre candidat a été perturbée par des déclarations sur l’ouverture du capital des entreprises publiques, et notamment EDF. Oui, nous avons refusé aux salariés ayant acquis quarante annuités de partir à la retraite avant 60 ans, alors qu’il s’agissait presque toujours d’hommes et de femmes usés par le travail commencé très jeune. Oui, nous avons accepté sans réflexion de fond le principe de l’impôt négatif avec la prime pour l’emploi. Oui, l’épargne salariale, malgré quelques précautions, va servir de cadre à la droite pour instaurer une part de capitalisation dans notre système de retraites.

Notre analyse, c’est que ces mesures ont troublé les électeurs de gauche et ont fait, pour partie, oublier les succès dans la lutte contre le chômage, les acquis sociaux, au premier rang desquels nous rangeons les 35 heures, la CMU, la lutte contre l’exclusion, la modernisation de la société grâce au Pacs et à la parité et toutes ces lois que nous avons faites ensemble. La vérité, c’est que peu à peu, sans jamais le dire, sans jamais consulter les militants socialistes, nous avons inscrit notre action dans les traces de ce que certains qualifient de modernité et que j’appelle dérive de la social-démocratie européenne.

Cette question est toujours devant nous. Dans nos débats d’avant congrès, certains se dédouanaient facilement en rappelant qu’un éminent signataire du Nouveau monde avait reconnu que le gouvernement de Lionel Jospin était le plus à gauche de toute l'Europe. Le verdict était juste, mais reconnaissons que la compétition n’était pas féroce.

Nous partageons tous un engagement européen identitaire pour les socialistes, car nous sommes convaincus que la lutte pour la démocratie et la lutte pour l’égalité sont indissociables. Nous nous sommes toujours prononcés pour une Europe fédérale, avec un gouvernement européen issu de la majorité du Parlement européen. Je rappelle, pour mémoire, que l’affirmation de cet engagement fédéraliste a été combattue et repoussée au profit de la fédération des Etats-nations, concept contradictoire dans son libellé, et à ce titre incompréhensible et t’ailleurs incompris par la quasi-totalité de nos concitoyens.

Aujourd’hui, enfin, j’allais dire, la référence au fédéralisme apparaît dans la motion majoritaire. Mais si ce débat peut être utile, nous souhaiterions savoir si le fédéralisme s’arrête au vote à la majorité qualifiée ou si c’est un véritable engagement vers la citoyenneté européenne. J’entends bien l’objection immédiate, et elle a été rappelée ici souvent : tirer de notre isolement pour faire avancer nos aspirations sociales dans l'Europe fédérale que nous appelons de nos vœux. Curieux raisonnement, à vrai dire, pour le coup, qui ne peut s’inscrire dans l’histoire du mouvement socialiste ! Heureusement que nos aînés n’ont pas renoncé à convaincre et qu’ils n’ont pas déposé les armes avant d’avoir livré la bataille.

L'Europe qui se construit avec notre assentiment n’est en vérité qu’un grand marché dont le contenu social est quasi inexistant. Pire, l’ouverture à la concurrence, qui n’est pas en soi une dérive, génère en permanence une adaptation par le bas des législations sociales. La remise en cause des services publics, la flexibilité du marché du travail, la critique systématique des politiques publiques sont des références permanentes de l'Union européenne. Il n’est jamais question de salaire minimum européen, de protection contre les licenciements, de lutte contre la précarité.

Nous devons porter ces questions au cœur du débat politique européen, avec tous ceux qui, en Europe, partagent nos aspirations. A l’évidence, cela suppose de ne pas maintenir la fiction d’une social-démocratie européenne qui aurait un projet politique commun pour l'Europe. Lorsque Tony Blair vient devant l'Assemblée nationale expliquer que l’économie n’est ni de droite ni de gauche mais bonne ou mauvaise, il déclenche les sourires ravis des députés de droite. Nous nous opposons à cette dérive. Nous l’appelons communément social-libéralisme, mais convenons au moins entre nous que la social-démocratie est ainsi peu à peu vidée de tout contenu.

Si la législation sociale au bénéfice des salariés et des plus démunis est identifiée comme un frein à la compétitivité, si l’impôt n’est plus un outil privilégié de la redistribution, si les services publics ne sont plus un moyen d’écarter de la marchandisation les besoins essentiels de nos concitoyens, alors que reste-il de la social-démocratie ? Rien ou pas grand chose. Depuis longtemps, nous votons des textes sur la démocratisation du Parti socialiste européen sans que jamais les militants ne soient consultés. Aujourd’hui, il est temps de dire non à cette européenne libérale et de mener dans le cadre européen le combat que nous prétendons mener en France.

Quand au nom de l'Europe et des impératifs de la compétitivité seule, le moins-disant social est à l’ordre du jour, de nouveaux horizons s’ouvrent aux souverainistes, au premier rang desquels l’extrême droite. Voilà pourquoi nous sommes contre l’élargissement sans préalable sur le contenu social de l'Europe.

Aujourd’hui, il n’existe pas d’autre voie qu’une réponse forte qui inscrit le combat pour le socialisme dans un combat pour l'Europe, sans oublier aucun des deux termes, comme Jaurès a su en son temps lutter à la fois pour la République et pour le socialisme. Notre mission, c’est de redonner l’espérance, du sens au combat politique de la gauche. L’abstention qui, à chaque consultation, augmente, et d’abord dans les milieux populaires, est un signal d’alarme que nul ne peut ignorer. Lorsque le salarié de Lu ou de Danone enregistre que la politique ne peut plus rien pour lui, alors il se désintéresse de la politique. Quand à l’exclusion sociale ou à la précarité se rajoute l’exclusion politique, on marche sur les chemins d’une démocratie sans les pauvres où la violence individuelle remplace le projet collectif. C’est sur ce terreau que l’extrême droite prospère et que l’aventure remplace l’espérance.

Notre tâche collective est donc immense. Nous y prendrons toute notre part, à notre place et d’abord dans le combat contre la droite. L’unité du parti n’est pas en cause. Nous n’avons pas commis une motion, selon une expression malheureuse. Ce n’est pas une mauvaise action. C’était, et cela reste, une proposition. Nos analyses sont parties intégrantes de la diversité du Parti socialiste et des débats légitimes que nous avons et que nous aurons pour répondre, unis et ensemble, aux exigences du rassemblement de toute la gauche.



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