L'avenir en rose

Henri Weber


Point de vue de Henri Weber, sénateur de la Seine-Maritime, paru dans le quotidien Libération daté du 9 avril 2004


 
Ce qui frappe ­ et qui mérite d'être expliqué ­ dans la victoire de la gauche aux élections des 21 et 28 mars 2004, ce n'est pas tant cette victoire elle-même : les « élections intermédiaires », on le sait, sont souvent défavorables au gouvernement en place et propice à l'opposition. Tout le monde s'attendait à ce que la gauche gagne 3 ou 4 régions et en perde éventuellement une. Ce qui laisse pantois dans cette victoire, c'est d'abord son ampleur : 20 régions sur 22 en France métropolitaine, les 4 Dom-Tom, 51 départements, la majorité absolue des suffrages exprimés. C'est ensuite la rapidité avec laquelle le PS et ses alliés sont parvenus à retrouver la faveur des électeurs. Il y a seulement dix-huit mois, le PS était donné pour agonisant, on lui promettait un « 21 avril interne », l'extrême gauche devait lui ravir la moitié de son électorat populaire ; l'UDF la moitié de ses électeurs des couches moyennes. Rien de cela ne s'est produit. En vingt et un mois, le PS a retrouvé ses bases, et la gauche de gouvernement la majorité absolue des votants.

La théorie du vote-sanction, qui explique ce succès par la volonté des Français de punir le gouvernement Raffarin est juste, mais un peu courte. Les électeurs disposaient d'autres moyens pour sanctionner le gouvernement que le vote socialiste. Ils pouvaient s'abstenir et on nous avait promis une abstention supérieure à 45 % ! ; ils pouvaient voter blanc, UDF, extrême gauche, FN... La palette était large. Si finalement ils ont préféré se saisir du bulletin socialiste, c'est certes parce que le PS constitue la principale force d'alternance : les électeurs ont compris que sanctionner la droite au pouvoir, c'est d'abord lui faire perdre des régions et des départements, et que cela, seul le vote PS pouvait y parvenir.

C'est ensuite parce que le PS a assumé pleinement son rôle d'opposition à la politique de régression sociale du gouvernement Raffarin, ce « thatchérisme à la française ». Il l'a fait, au Parlement et dans la rue, en liaison avec les syndicats et les mouvements sociaux, mais en avançant à chaque fois, quoi qu'on en ait dit, ses propres propositions alternatives. Il s'est montré unitaire pour quatre afin que toutes les familles de la gauche se présentent ensemble à la bataille électorale, et cette dynamique unitaire nationale a profité à tous, même dans les régions où elle n'a pas complètement abouti. Le PS a su présenter des programmes régionaux qui illustraient la « société solidaire » que la gauche réformiste appelle de ses vœux. A quoi on peut ajouter encore le remords des électeurs socialistes qui se sont abstenus ou dispersés le 21 avril 2002 afin d'adresser à Jospin un avertissement qu'ils croyaient sans frais et qui s'est soldé par l'éviction du candidat de la gauche dès le premier tour.

Mais si le PS a pu regagner si vite ­ vingt et un mois ! ­ et dans de telles proportions la faveur des électeurs, c'est aussi parce qu'il existe une proximité, une « affinité idéologique » entre une grande partie de l'opinion française et la gauche réformiste. Le vote du 28 mars 2004 est un peu plus qu'un vote purement instrumental. Le fond de l'air est rose : c'est ce qu'atteste la dernière livraison de l'étude annuelle dirigée par Olivier Duhamel et Brice Teinturier, l'Etat de l'opinion 2004 (Editions du Seuil) : la majorité des français ne se reconnaît pas dans l'idéologie du libéralisme économique que professe l'UMP. Elle ne se reconnaît pas dans le national-populisme xénophobe du FN, qui ne polarise qu'une (trop forte) minorité. Elle n'adhère pas à l'anticapitalisme ouvriériste et sectaire de l'ultragauche ; et encore moins au souverainisme des « républicains des deux rives ». L'opinion majoritaire en France est idéologiquement sociale-démocrate.

La grande majorité des Français est acquise à l'économie de marché ­ 69 %, d'entre eux perçoivent positivement le « libre-échange », la « concurrence »... ­, mais à la condition que cette économie assure la Sécurité sociale pour tous et qu'elle soit encadrée et régulée par la puissance publique.

62 % des salariés se déclarent pour le « maintien de la loi sur les 35 heures » (68 % parmi ceux qui en bénéficient). 54 % des Français ne font pas confiance aux chefs d'entreprise pour résoudre les difficultés économiques, alors qu'ils n'étaient que 25 % dans ce cas en 1985 ; 47 % se disent favorables à davantage de contrôle et de réglementation de la part de la puissance publique. 60 % perçoivent positivement les syndicats ; 61 % estiment que le « rôle des entreprises ne se limite pas à un rôle économique, et qu'elles doivent également intervenir dans le champ de la solidarité » ; 83 % pensent que les entreprises ont des devoirs principalement envers leurs salariés (8 % envers leurs actionnaires...). L'attente d'un nouveau pacte social est forte.

Le rejet du libéralisme économique s'accompagne d'une adhésion renforcée au libéralisme politique et culturel. En 2003, les Français se montrent plus tolérants qu'en 1990 à l'égard de la façon dont chacun mène sa vie privée : IVG, famille recomposée, homosexualité, euthanasie, consommation de drogue douce. Simultanément, ils réclament davantage de civilité, d'ordre et de régulations sociales. Ces aspirations entrent en résonance avec le discours et le programme de la social-démocratie. Cette configuration du paysage idéologique français (PIF), doit nous rendre raisonnablement optimistes pour la nouvelle phase ouverte par les élections régionales : celle de l'élaboration du projet socialiste, puis d'un programme commun de gouvernement des partis de gauche.

Ceux qui mettaient en doute la capacité des socialistes à surmonter rapidement le traumatisme du 21 avril 2002 , ceux qui ne croyaient pas en leur aptitude à reconquérir la confiance de leur électorat populaire dans un avenir prévisible se montrent aujourd'hui sceptiques sur leur faculté à élaborer un ensemble de propositions alternatives à la politique du gouvernement Raffarin III. Ceux-là se verront une troisième fois démentis. Contre la société du chacun pour soi et de la précarité grandissante pour tous que nous prépare la droite, sous couvert de responsabilité et de flexibilité, nous saurons, en concertation avec les syndicats et les associations, définir les contenus de la société solidaire.

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