Pour débattre dans la clarté

Discours d'Henri Weber, secrétaire national à la formation, devant l'université d'été, le 1er septembre 2002
 

 

Mes chers camarades,

Cette Université d'été, fut, une fois de plus, un grand succès, et je voudrais remercie à mon tour tous ceux qui y ont contribué : Maxime Bono, député-maire de la Rochelle, qui nous a reçu, efficacement et chaleureusement, comme savait le faire, Michel Crépeau, son prédécesseur, que nous n'avons pas oublié.

La section socialiste de la Rochelle et la fédération de Charente-Maritime et son premier secrétaire Roland Beix, qui comme d'habitude n'a pas ménagé ses efforts.
Le collectif national formation du parti, et en particulier Yves Attou, délégué national à la formation, Ilona Eymat, Line Sombart, Danièle Cassou, qui ont eu à assurer le suivi organisationnel assez lourd de cette grande manifestation.
Marianne Delmaire qui a préparé pour chaque atelier les excellents dossiers qui vous ont été remis.
Axel Queval et l'équipe des formateurs du Secrétariat national à la formation qui ont réalisé en un temps record la totalité des compte-rendu d'atelier, disponibles dès à présent sur le site Web du parti.
Les divers secteurs du parti et les permanents qui ont veillé, chacun dans leur domaine, au bon déroulement de nos activités.
Les nombreux orateurs qui ont animé les débats, en séances plénières, et dans les 22 ateliers, qu'à votre demande, nous avons organisé. Vous tous enfin, qui avez pris sur ce dernier week-end de vacances pour venir participer à nos travaux.

D'autres l'on dit avant moi à cette tribune : c'est la première Université d'été que nous tenons depuis 5 ans sans Lionel Jospin. Je souhaite dédier nos travaux à son combat de 30 ans à la tête des socialistes, puis de la gauche plurielle, et à son action comme Premier Ministre du gouvernement.

Chacun se souvient de la qualité et de la hauteur de vue des discours que prononçait Lionel ici même, année après année, en conclusion à nos débats. Ces discours de la Rochelle avaient toujours une ambition doctrinale, ils visaient toujours à définir ce que devait être l'identité des socialistes français au tournant du siècle, à préciser, par touches successives, quelle devait être leur réponse particulière dans la recherche d'une nouvelle voie pour le socialisme démocratique qui occupe aujourd'hui tous les partis socialistes européens.

Ces discours ont été publiés dans les Cahiers de la Fondation Jean Jaurès. Pour éclairer notre débat de Congrès, je vous invite à vous y reporter.

Nous sommes ici dans le cadre de l'Université d'été de notre parti, il n'est donc pas déplacé, pour le secrétaire national à la formation que je suis, de consacrer mon propos à quelques considérations à caractère théorique, et donc un peu abstraites.

Passant, au cours de ces deux jours, dans les ateliers, j'ai constaté que beaucoup d'entre nous parlaient indifféremment, d'économie de marché, de capitalisme, de libéralisme, comme s'il s'agissait de synonymes désignant une seule et même réalité.

Or il s'agit de réalités différents, en aucun cas réductibles les unes aux autres. Si nous voulons débattre dans la clarté, il faut cesser de les confondre.

 L'économie de marché est une forme d'organisation de l'économie fondée sur la liberté de produire et d'échanger des biens et des services, que, comme toutes les libertés s'organise et se réglemente.

Il en existe des types très divers : l'économie de marché n'est pas la même en Suède et au Brésil, en Russie et en Californie. Le contraire de l'économie de marché, c'est l'économie étatisée et administrée, telle qu'on la connue dans les pays de l'Est.

Dressant les leçons de la faillite de la planification communiste, les sociaux-démocrates ont inventé un type particulier d'économie de marché - l'économie sociale de marché -, ce que nous avons appelé nous même " l'économie mixte ", qui combine le dynamisme du marché, l'action correctrice et anticipatrice de l'État, et celle, régulatrice, des partenaires sociaux.

Les sociaux-démocrates des années 30 et 50 croyaient dans la possibilité de mettre les forces du marché au service du progrès social, démocratique et culturel. Ils y sont à peu près parvenus, en Europe occidentale, dans la seconde moitié du XXème siècle. A la fin des années 80 encore, en Allemagne, en Autriche, dans les pays scandinaves, les taux de chômage étaient les plus bas, les salaires réels les plus élevés, la protection sociale la plus développée et le taux de croissance plutôt haute, malgré les niveaux records de prélèvements obligatoires.

Mais l'internationalisation du capital, la mondialisation des grandes entreprises et des marchés, ont privé en partie de son efficacité l'action des États-Providences que nos aînés avaient édifié, et nous devons accomplir aujourd'hui, au niveau international, ce qu'ils ont réalisé dans le cadre de l'Etat-Nation.

 Le capitalisme, c'est cette forme d'économie de marché, dans laquelle les possédants se sont donnés pour buts le profit maximum et l'accumulation illimitée du capital. Là aussi, il en existe de nombreux types. Il n'y a pas de capitalisme sans économie de marché. Mais il y a eu des économies de marché sans capitalisme, (ce que Marx appelait " la petite production marchande "). Inversement, le capitalisme est une menace pour l'économie de marché, dans la mesure où il tend à l'entente, pour limiter la concurrence, et au monopole.

 Le libéralisme, c'est encore autre chose. Tout d'abord, là aussi il y faut distinguer : il y a le libéralisme politique, le libéralisme culturel, le libéralisme économique.
     Le libéralisme politique est une doctrine née au XVIIème siècle et qui s'efforcent de répondre à la question : " comment peut-on être gouverné sans être opprimé ? sans être livré à la volonté changeante, capricieuse, arbitraire, despotique des puissants ? "

    La réponse vous la connaissez : c'est l'Etat de droit, la séparation des pouvoirs, le respect des droits de l'homme et du citoyen, la démocratie. Inutile de dire, que les socialistes partagent ces valeurs et ces objectifs, et qu'ils se situent à la pointe du combat pour les libertés.

     Le libéralisme culturel s'efforce d'émanciper les individus du joug de la Tradition et de ces interdits. Il a présidé à la libéralisation des mœurs, comme au mouvement d'émancipation des femmes. En instituant les PACS, en votant la loi sur la parité, en défendant la loi sur l'IVG, les socialistes s'affirment comme les champions du libéralisme culturel.

     Le libéralisme économique, quant à lui, est une idéologie bien précise. Cette idéologie prétend que les marchés sont toujours plus intelligents que les gouvernements   que les chefs d'entreprise et les financiers sont toujours mieux avisés que les politiques et les syndicalistes ; et qu'en conséquence, moins l'Etat intervient dans l'économie, mieux l'économie et la société se portent ; plus il lâche la bride aux patrons et aux banquiers, plus la croissance est forte.
Le libéralisme économique, c'est cette idéologie qui croit dans les vertus auto-régulatrices des marchés, au niveau national comme au niveau international, et qui préconise l'extension des rapports marchands au maximum de secteurs d'activité.

C'est pourquoi les libéraux veulent toujours moins d'impôts, moins de charges, moins de lois, moins d'Etat... on les a vu à l'œuvre aux Etats-Unis sous Ronald Reagan, et à nouveau aujourd'hui sous l'administration Bush... en Grande Bretagne sous Margaret Tatcher.

On les voit à l'œuvre à la tête des principales institutions économiques internationales - le FMI, la Banque mondiale... -, avec le succès que l'on sait. Cette idéologie est sortie complètement discréditée de la grande Dépression des années 30. Pendant 40 ans, on n'en a plus entendu parler. Mais elle a fait un retour en force à la fin des années 70 et s'est imposée comme idéologie dominante. On a appelé cela " la contre-révolution conservatrice .

Les socialistes français, ne partagent pas cette idéologie et ne pratiquent pas cette politique.

Leur conviction a été exposée, ici même, par Lionel Jospin, année après année.
Souvenez-vous :

Nous sommes pour une économie de marché, mais contre une société de marché " s'écriait-il à cette tribune en 1998.

Ce qui veut dire que nous voulons favoriser l'initiative, l'innovation, l'esprit d'entreprise, la création d'entreprise et leur développement, car le socialisme doit se préoccuper de la production des richesses, et pas seulement de leur redistribution. Sans croissance forte de la production, il n'y a pas de redistribution possible.

Mais en même temps, -  et c'est en cela que nous sommes contre la société de marché -, nous voulons rénover et développer les services publics, assurer un haut niveau de redistribution sociale, limiter le champ de la marchandisation en France et dans le monde, restituer au pouvoir politique et syndical, en construisant l'Europe, la puissance que la mondialisation leur a fait perdre.

Le capitalisme est une force qui va, mais qui ne sait pas où elle va ", nous rappelait encore Lionel. Autrement dit, il peut aussi nous mener dans le mur.

Six crises économiques et financières en 12 ans sont venues étayer ses propos. Pour les banaliser, les journalistes leur ont donné à chacune un nom de liqueur alcoolisée : Tequila pour la crise mexicaine de 1994, Saké pour la crise asiatique de 1997, Vodka pour la crise russe de 1998.

Mais chacune de ses crises signifie des millions de familles précipitées dans la misère et le désespoir, comme on le voit aujourd'hui en Argentine, et hier dans sept pays de l'Asie du Sud Est.

Longtemps ces crises ont dévasté la périphérie du système capitaliste, l'Afrique, l'Asie, l'Amérique Latine, aujourd'hui elles frappent en son centre et jette le discrédit sur un certain capitalisme financier.

Karchs boursiers, spoliant les petits épargnants, comptes d'entreprises truqués par les dirigeants, analystes achetés, explosion des inégalités...

Rarement la nécessité d'imposer de nouvelles règles de fonctionnement à l'économie mondiale, d'édifier un ensemble d'institutions, capables de les faire appliquer, aura revêtu une telle acuité.

Les socialistes doivent réaliser, au niveau international, ce qu'ils ont réussi, au XXème siècle, dans le cadre de leurs États-Nations : encadrer, réguler, contrôler le capitalisme, afin d'orienter les forces du marché au service du progrès social, du co-développement avec les pays du Sud et de l'Est dans la préservation de l'environnement. Voilà le contenu concret du Nouvel Internationalisme que les socialistes doivent promouvoir.

Dans ce combat, l'Union européenne doit devenir notre fer de lance et ce qu'on appelle à tort, le mouvement anti-mondialisation notre allié.

Nous étions, ensemble, à Porto Alegre, François, et nous avons vu les forces sociales qui vont porter ce combat prolongé, dont la social-démocratie internationale doit devenir l'interprète et le relais politique au niveau des États : il y avait les représentants de centaines de syndicats de salariés, d'associations de défense des peuples du Sud, et des dizaines de milliers de jeunes mobilisés pour " qu'un autre monde soit possible ".

Chers camarades,

Comme chaque fois que nous subissons une défaite, des chœurs s'élèvent de toute part pour chanter l'oraison funèbre de la social-démocratie, cela fait un siècle et demi que ça dure. Cette fois-ci encore nos fossoyeurs trop pressés en seront pour leurs frais. Ce qui fait la pérennité du socialisme démocratique, c'est d'abord, les tares du capitalisme libéral : crises économiques en série, exploitation des travailleurs, aliénation des citoyens.

C'est l'aspiration, ensuite, à une démocratie accomplie, un avenir collectif maîtrisé, une société civilisée.

La plus belle définition du socialisme nous a été donnée, il y a un demi-siècle par un grand militant italien - Rosselli.

Le socialisme disait-il, c'est la liberté apportée aux plus humbles ".

Il y a des millions d'exclus, de travailleurs précaires, de salariés modestes en France et en Europe, des milliards d'humbles, sur notre Terre, qui entendent bien accéder à la liberté et à la dignité. C'est pourquoi nous avons beaucoup de pain sur la planche, mes camarades et que nous pouvons être confiants dans l'avenir du socialisme.