Traité constitutionnel européen | |
Échange paru dans le quotidien Ouest France daté du 29 novembre 2004 entre deux députés européens : Bernard Poignant, partisan du Oui et Henri Weber, partisan du Non. Propos recueillis par Nicolas Gros-Verheyde | |
A la lecture de la Constitution, qu'est-ce qui, personnellement, vous fait incliner vers le « oui » ou le « non » ?Ce qui me choque principalement dans ce texte c'est qu'il n'est pas, contrairement à ce qui est souvent prétendu, un cadre politiquement neutre, qui puisse contenir les politiques les plus diverses. Il ne se contente pas de définir des règles du jeu, il définit le jeu lui-même. Il est, en effet, composé aux trois quarts - 345 articles sur 448 - d'une troisième partie qui définit des politiques concrètes - transports, monnaie, banque centrale... - Qu'est-ce que cela a à faire dans une Constitution ? Beaucoup de ces politiques sont contraignantes et d'inspiration libérale. Le plus grand défaut de cette Constitution, en fait, est d'entraver de cent façons l'action publique au niveau de l'Union européenne comme des États membres et de libérer en même temps les forces du marché. Elle pérennise la dérive actuelle, et empêche le redressement de la construction européenne. Bernard Poignant J'approuve ce texte car il poursuit une histoire. C'est le septième traité de notre histoire. Je ne crois pas à la France seule en Europe. J'approuve ce texte car il équilibre les objectifs de l'Union mieux que ce qui existe aujourd'hui. A côté de la libre concurrence, qui est inscrite depuis 1957 dans les traités, rappelons-le, il existe désormais une base juridique pour nos services publics. Et le plein emploi, la justice sociale et le développement durable figurent également comme des objectifs. J'approuve ce texte car on n'aura pas de meilleur traité. Les tenants du « non » dans les 24 autres États sont soit des « non » plus ou moins nationalistes, soit des « non » antilaïcs (comme en Pologne), soit antieuropéens (exemple le Royaume-Uni). Dire « non » aujourd'hui, c'est garder cette fameuse troisième partie qui définit les politiques concrètes et fait partie des traités, mais se priver des apports nouveaux, positifs dans la première et la deuxième partie. C'est garder ce qu'il y a de pire et se priver de ce qu'on peut estimer de meilleur. S'il y avait un autre sujet à retenir, symbolique de ce choix ?Cette Constitution prive l'Union européenne de ressources. Elle lui interdit d'avoir recours à l'emprunt ou à l'impôt. Elle donne le droit de veto sur le budget à chacun des 25 et, bientôt, des 30 États membres. Autant dire que ce budget n'est pas près d'être augmenté ! Comment financer, dans ces conditions, le développement des dix nouveaux pays que nous venons d'accueillir ; la reconversion de nos régions en difficulté ; les grands travaux d'infrastructure nécessaires à notre croissance ; le doublement indispensable de notre effort de recherche ? Comment réaliser le plein emploi, une bonne protection pour tous, si la troisième partie de la Constitution nous prive des moyens d'atteindre ces objectifs. Bernard Poignant La raison - qui me suffirait -, c'est l'inscription de la Charte des droits fondamentaux dans la Constitution européenne. L'écriture même de cette Charte, l'introduction de certains droits sociaux, leur inscription dans le marbre constitutionnel viennent d'une demande de la gauche. Plusieurs pays, comme le Royaume-Uni, ne le souhaitaient ni l'un ni l'autre. Je souhaiterais que, demain, dans toutes les écoles du continent, les enfants puissent lire et apprendre trois documents : la Charte, qui est l'apport européen au monde, à côté de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen - l'apport de la France au monde - et de la Déclaration universelle des droits de l'homme - l'apport de l'humanité à nous tous. Si l'on vous avait laissé la plume de la Constitution, qu'auriez-vous mis de plus ?Réécrire une vraie Constitution, qui définit des valeurs, des objectifs et une organisation du pouvoir, cela fait 30 pages. Pas plus ! Il faut donc sortir la troisième partie, très contraignante et paralysante, pour l'action publique. Il faut aussi baisser le nombre d'États qui peuvent s'engager dans une coopération renforcée à six. Car, à dix, c'est compliqué. Il faut aussi rendre le texte révisable à la majorité qualifiée. De même que nous avons obtenu un grand traité monétaire, de même il nous faut un grand traité social. Bernard Poignant On peut améliorer ce texte en permettant l'harmonisation fiscale à la majorité qualifiée, au moins dans la zone euro. Mais pas sur tout. L'abandon de l'unanimité n'est pas aussi simple. La majorité suppose d'accepter d'être mis en minorité. Ce qui n'est pas toujours aux avantages de l'Europe que nous voulons. Nous sommes 25 autour de la table. Chacun doit donc bien comprendre que l'harmonisation fiscale ne se fera pas toujours en gardant notre système. Si nous baissons par exemple l'impôt sur les sociétés, il faudra bien trouver d'autres ressources en interne pour compenser. Si nous harmonisons les salaires minimum, il n'est pas dit que cela ne se traduise pas par une baisse du Smic. Est-ce cela que nous voulons ? Un autre État ne ratifie pas la Constitution, les Britanniques par exemple. Comment la France et les socialistes peuvent-ils défendre leur position ?Il importe qu'il n'y ait pas seulement des « non » anti-européens, à l'anglaise ou à la polonaise, mais qu'il y ait aussi des « non » de gauche, pour peser sur la renégociation. Je crois qu'il est possible de renégocier ce texte et de l'améliorer. Bernard Poignant Si les Anglais disent « non » et nous avons dit « oui », nous serons en position de défendre le traité pour qu'il n'y ait pas de recul. On sera fort de la ratification. Les autres seront en position de demandeur. Au-delà des différences d'aujourd'hui, y a-t-il un idéal commun européen chez vous ?Ce qui nous rassemble, est plus important - et de loin ! - que ce qui nous divise. On l'a vu lors de la campagne européenne. Nous nous faisons une certaine idée de l'Europe, qui n'est pas partagée par d'autres, anglo-saxons et certains pays de l'Est, une Europe puissance, capable de peser sur la scène internationale, une Europe qui défende un certain type de civilisation, très différent de ce qui peut exister au Japon ou aux États-Unis, qui place en avant le temps libre, l'éducation et la culture, les services publics, tous aspects qui font la douceur de vivre sur ce continent. Bernard Poignant Un socialiste, c'est quoi ? D'abord un internationaliste, il a cela en lui. Et l'Europe est un morceau de l'internationalisme sur la planète. Ensuite un humaniste qui aime non seulement la rencontre avec les autres mais que l'autre vous change quand vous l'avez rencontré. Et bien d'autres choses encore. Paris ne s'est pas fait en un jour. L'Europe ne se fera pas en un jour. |
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