Attika : la motion

Congrès de Grenoble de novembre 2000,
motion présentée par la Gauche socialiste.


 

C’est quand même ultra-naïf de croire qu’on peut changer le monde sans changer les règles du jeu, comme si on pouvait faire les poches au capitalisme pendant qu’il fait la sieste


Le cœur du débat ne se situe pas entre la suppression de la vignette auto ou la baisse des cotisations sociales

Il y a du vrai et du faux dans ce qu’ils ont dit. Mais enfin, ça faisait surtout panique à bord, comme ambiance. C’est pour ça que j’étais d’accord avec ce qu’a dit Claire, qui s’est présentée comme quelqu’un de la Gauche Socialiste. Mon voisin en costard cravate qui ne faisait que de me répéter qu’en 1968, il avait été trotskyste, m’a dit qu’il fallait s’en méfier comme de la peste. Sans jamais m’expliquer pourquoi il n’était pas d’accord avec elle. D’ailleurs, personne n’a opposé à Claire d’arguments convaincants. Et, après son intervention, ils se sont empressés de passer au point suivant, les municipales, la question visiblement très attendue. Et leurs chamailleries sont reparties de plus belle.

Je vous le dis franchement, de ce que j’ai vu, pour militer dans votre parti, il faut avoir le cœur bien accroché. Quand on n’a pas pour ambition d’être candidat à quelque chose, on se demande un peu ce qu’on fait là.

Qu’est-ce qu’elle a dit Claire ? Que le cœur du débat ne se situait pas entre la suppression de la vignette auto ou la baisse des cotisations sociales. Qu’elle ne croyait pas non plus qu’il y ait une différence manifeste de politique économique et sociale entre 1997, 98, 99 et 2000. Et qu’elle croyait encore moins que la hausse du prix du pétrole puisse remettre en cause le retour de la croissance. Claire a rappelé que les cycles de croissance connaissaient certes des hauts et des bas, mais sans qu’ils ne brisent jamais la tendance. Depuis 1997, cette tendance est positive.

La croissance pour le moment, c’est dans le journal, pas vraiment dans l’assiette

La croissance porte bien son nom. Avec elle, tout s’accroît. Le travail, certes. C’est bon à prendre. Mais aussi les inégalités. Comment pourrait-il en être autrement ? Vingt ans de prise d’avantages du capital sur le travail ne s’effaceront pas par magie. Il y a trop d’intérêts en cause. Ca ne vous a pas frappé de voir en même temps des bons chiffres pour l’emploi et l’annonce de profits gigantesques ? Il y a des gens qui pensent que ça ne peut pas être autrement. Mais moi je vois bien que ceux qui disent ça y trouvent souvent leur compte...

Résultat : on produit sans doute davantage de richesses, mais qui en profite ? Le SMIC est toujours aussi bas, le pouvoir d’achat ne décolle pas et les fins de mois sont toujours aussi difficiles pour ceux qui n’ont pas la chance d’être tombés du bon côté de la tartine, côté beurre et confiture. La croissance pour le moment, c’est dans le journal, pas vraiment dans l’assiette.

J’ai très bien compris ce que Claire voulait dire. C’est vrai que par exemple, aux Etats-Unis, la croissance continue, ça fait 10 ans qu’ils l’ont. Et ça n’a pas empêché les inégalités de progresser plus vite encore. Claire a même donné un chiffre hallucinant : là-bas, 1 % de la population reçoit autant de revenus que les 38 % les plus pauvres, et ça s’aggrave. Alors, c’est vrai, y’a de l’embauche en Amérique. Y’en a tellement que parfois, les gens ont trois boulots, mais à temps partiel et avec des salaires d’esclaves.

Dans ce paquetage de la mondialisation financière, il n’y a rien à prendre et tout à rejeter

" La vérité, a-t-elle ensuite expliqué, c’est que la croissance ne tempère pas le capitalisme : c’est dans sa nature de produire de l’inégalité. C’est même son carburant vital. S’il y a des riches, c’est parce qu’il y a des pauvres. Si les pays dominants s’enrichissent autant, c’est parce que les bas-fonds de la mondialisation sont cantonnés à la pauvreté absolue. Et dans le capitalisme de notre temps, qui est financier et transnational, cette logique profonde de l’exploitation fonctionne à plein. Sa caractéristique particulière ? Un gain de temps, de profit et un changement d’échelle. Car la tutelle qu’exerce sur toutes les catégories d’activités la strate financière du capital a des conséquences profondes. La finance s’est aujourd’hui rendue autonome par rapport à la production. Ses transactions n’ont aucun besoin de correspondre à des échanges réels. Du coup, elles se déroulent sans mécanisme de régulation extérieur à elles-mêmes. L’investissement productif, les stratégies industrielles et commerciales de long terme et la dimension sociale sont alors placés hors-jeu ".

Tenter de panser les dégâts sociaux engendrés par le système équivaut à vider le Titanic avec un seau

Je partage assez les conclusions qu’elle en tire. Dans ce paquetage de la mondialisation financière, il n’y a rien à prendre et tout à jeter. Du coup, tenter de panser les dégâts sociaux engendrés par le système équivaut à vider le Titanic avec un seau. Pourtant, quand Claire a dit que pour s’en sortir, il fallait que les socialistes proposent des réformes de rupture qui s’attaquent à la logique du système, à la racine des problèmes, les autres camarades l’ont taxée d’éternelle rêveuse.

Je ne sais pas si vous êtes d’accord, mais moi, je trouve que ce sont eux qui rêvent. C’est quand même ultra-naïf de croire qu’on peut changer le monde sans changer les règles du jeu, comme si on pouvait faire les poches au capitalisme pendant qu’il fait la sieste.

Vous voyez, en rentrant chez moi après la réunion, je me suis dit qu’il y avait quelque chose de bizarre dans ce parti. Alors que la gauche est au pouvoir en France et en Europe, elle semble résignée à accepter le cours des choses. Tous les militants présents étaient sincères dans leur engagement socialiste mais ils avaient l’air tellement désarmés et si désabusés…

Moi, même si je suis la " petite nouvelle ", comme ils m’ont gentiment appelée dans ma section, et même si je n’ai pas un avis très clair sur l’OPEP et la TIPP, il y a une chose dont je suis sûre : ça fait 150 ans que des gens se battent pour changer le monde, et le capitalisme ne nous a toujours pas apporté la preuve qu’il pouvait rendre les gens heureux.

Je comprends qu’on puisse rêver d’avoir la recette du socialisme avec les ingrédients du capitalisme. Tout changer sans rien changer. C’est tentant et sûrement confortable. Le problème, c’est que ça ne marche pas. Même quand les ouvriers cessent de croire à la lutte des classes, les patrons, eux, ne désarment pas.

Le capitalisme ne nous a toujours pas apporté la preuve qu’il pouvait rendre les gens heureux

Si nous-mêmes, socialistes, on accrédite l’idée selon laquelle il n’y a qu’un seul système possible, je comprends que ça ne se bouscule pas pour adhérer. Reconnaissez que le gâchis serait énorme. Car moi, je crois vraiment qu’inverser le cours des choses est plus que jamais possible. D’accord, les libéraux ont marqué des points décisifs ces dernières années, mais en même temps, les gens font vite le lien entre la dégradation de leurs conditions de vie et le système économique qui en est responsable. Croyez-moi, quand l’eau, l’air et la nourriture sont " pollués " au point d’être imbuvable, irrespirable et immangeable, quand on perd son job alors que sa boîte fait des profits " historiques ", je vous jure que chacun comprend que la World Company des Guignols, ce n’est plus de la fiction.

C’est pour ça que les licenciements de Michelin, les stock-options de Jaffré ou le scandale de l’Erika indignent tout le monde. C’est pour ça que José Bové est perçu comme un Robin des Bois des temps modernes. Pour nous, et je suis sûre que là, vous serez d’accord, cette contestation nouvelle est une chance. Elle est un point d’appui exceptionnel pour la progression des idées de gauche.

Moi je crois qu’on pourrait proposer des réformes radicales, qui rompent avec la logique du système

Tout le monde répète que l’économie est florissante, qu’une cagnotte en cache toujours une autre, alors personne ne comprendrait que tout continue comme avant. Tout le monde voit bien qu’on a les moyens de se battre. Dans les boîtes, maintenant qu’on sait que les patrons ont besoin d’embaucher, les salariés ne se laissent plus faire. La crise leur a déjà coûté assez cher. Ils veulent autre chose que subir et se taire. Tant mieux. C’est à la gauche de leur répondre, vous ne trouvez pas ?

En tout cas, sur beaucoup de points essentiels comme les ghettos, le travail ou l’Europe, moi je crois qu’on pourrait proposer des réformes radicales, qui rompent avec la logique du système.

C’est le principe de réalité qui nous impose cette voie. Vous devez d’ailleurs mieux le savoir que moi, je l’ai lu dans la déclaration de principes du PS qu’on m’a donnée quand j’ai adhéré : " Le socialisme moderne met les méthodes du réformisme au service de l’idéal révolutionnaire ".
Attika.

Le moment est venu
de partager le gâteau
en augmentant les salaires

Le 25 septembre.
Cher Premier secrétaire,

J’ai une question à vous poser : d’après vous, que veulent les salariés dans ce pays ? 
 a) le nouveau management dans l’entreprise
 b) l’épargne salariale
 c) la refondation sociale
 d) le million !

Réfléchissez bien avant de donner votre réponse. Ca y est ? C’est votre choix, c’est bien votre choix ? Vous êtes sûr ? C’est votre dernier mot ?

Bon, je vous donne la réponse. Ils veulent " le million ". De la thune, des pépettes, du flouze, du blé, de la maille, du pèze, du fric, du pognon quoi ! Y’en a marre de se serrer la ceinture. Vingt ans que ça dure.

Vous avez un boulot, c’est formidable ! ", sous-entendu " Vous n’êtes pas chômeur, vous n’avez pas le droit de vous plaindre "

Ras-le-bol du spectacle de ces produits de consommation étalés à longueur de spots télé aussi accessibles au commun des mortels que de courir le 100 mètres en moins de 8 secondes. Il y a plus de 20 millions de salariés dans ce pays : 90 % de la population active ! Un sur deux vit avec un salaire de moins de 8900 francs. Deux millions et demi avec le SMIC. Sincèrement, qui peut croire que c’est le bonheur de vivre avec 6500 francs par mois quand il faut choisir entre payer la facture d’EDF ou celle de France Télécom, entre le paquet de clopes ou le journal, entre les fringues des gosses et les vacances ?
Personnellement, ça me dégoûte tous ces discours sur le thème " Vous avez un boulot, c’est formidable ! ", sous-entendu " Vous n’êtes pas chômeur, vous n’avez pas le droit de vous plaindre ".

Pourquoi on ne déciderait pas d’augmenter le SMIC à 7000 francs nets ? Pourquoi on ne convoquerait pas chaque année une conférence salariale ?

Alors, oui, le moment est venu de partager le gâteau en augmentant les salaires. Sinon, ça sert à quoi d’être socialiste ? Honnêtement, dire à chaque salarié qu’il faut construire le rapport de force boîte par boîte, c’est pas très sérieux. Autant dire à un soldat en première ligne du front : " vas-y, fonce, on te couvre " ! Non mais sans blague, le gouvernement il est de gauche ! Pourquoi on ne déciderait pas d’augmenter le SMIC à 7000 francs nets ? Pourquoi on ne convoquerait pas chaque année une conférence salariale ?

Car croyez-moi, ça piaffe, ça grince, ça coince dans les entreprises. Je ne vous parle pas de ceux qui comptent leur salaire en KF et négocient leurs primes en stock-options. Je vous parle des autres, ceux qui n’ont pas été augmentés depuis 10 ans, ceux qui sont obligés de passer par la pointeuse pour la pause pipi, ceux dont les conventions collectives prévoient qu’ils sont payés moins que le SMIC. Les caissières qu’on fait venir pour 3 heures et qui gagnent pour tout salaire la valeur d’un RMI et un dos en compote. Ceux qui passent de l’intérim au CDD et vont chercher de l’embauche tous les lundis matin, comme au XIXe siècle. Les fonctionnaires, les infirmières qui font à deux le boulot qu’ils faisaient auparavant à cinq. Ceux-là regardent passer la croissance à la télé et dans le bilan comptable des entreprises. A la loterie des accords de branche, certains ont gagné grâce aux 35 heures une demi-journée de travail en moins, et en sont très heureux. D’autres, moins chanceux, sont contraints de produire en 35 heures autant qu’en 39 heures et attendent toujours les embauches supplémentaires. Ils ne confondent pas la masse salariale et leur feuille de paye. Ils savent très bien que l’augmentation du volume des salaires, c’est un effet mécanique de la baisse du chômage qui ne leur fait pas du tout oublier la stagnation de leur pouvoir d’achat.

Ce sont eux qui pensent de plus en plus fort que la gauche, c’est bien mais que c’est pour les autres. Depuis que j’ai adhéré au Parti Socialiste, je branche tout le monde, la famille, les voisins, les collègues de boulot de mes parents. Sur certains sujets, je m’en sors bien. Sur la CMU ou le PACS, j’arrive à les convaincre que le gouvernement fait des choses super. Mais alors, quand on discute des conditions de vie des travailleurs là, François, SOS, qu’est-ce qu’il faut dire ?

L’épargne salariale, c’est du salaire versé avec un élastique : il revient dans la poche du patron

Tiens, j’ai même tenté l’épargne salariale… Qu’est-ce que j’ai pris et vous aussi par la même occasion ! A la place des augmentations de salaires, on va donner aux salariés des actions de leur entreprise qui seront bloquées pendant des années. L’épargne salariale, c’est du salaire versé avec un élastique : il revient dans la poche du patron qui s’en occupe à la place du salarié. Et pourquoi pas des emprunts russes tant qu’on y est !

Et vous imaginez la schizophrénie ! D’un côté des actionnaires qui poussent à licencier et à réduire la masse salariale pour que leurs actions rapportent un maximum, de l’autre les salariés qui essayent de résister. Et, au milieu, les actionnaires salariés qui ne savent plus de quel côté ils sont. Cette année, les gars, vous ne serez plus payés en salaires mais en dividendes. Salut les 3x8, bienvenue au CAC 40 ! Les actionnaires salariés sont dupés et du coup, il y en a de moins en moins. En 1987, il y avait plus de porteurs d’actions en France que maintenant. Que le MEDEF qui n’en pince que pour les fonds de pension défende l’épargne salariale, c’est logique, mais expliquez-moi ce qu’un gouvernement de gauche est allé faire dans cette galère. Il y avait quand même d’autres choses sacrément plus urgentes et plus utiles à réformer.

Vous avez sans doute remarqué que les gens n’ont pas accueilli les baisses d’impôts avec autant d’enthousiasme que vous deviez l’espérer. Bien sûr, il y a eu l’affaire du prix de l’essence. Mais je crois aussi que les gens en ont assez de voir que la feuille de paye ne bouge toujours pas. Il y a des chiffres qui donnent le tournis : + 230 % de profit pour France Télécom, + 170 % pour Alcatel. Il paraît qu’en 6 mois, les grandes entreprises ont fait autant de profit que pendant toute l’année dernière.

Vous avez vu comme le gouvernement est populaire quand il s’oppose à l’accord sur l’UNEDIC que le MEDEF voulait imposer ?

Pendant les années de crise, les gens se sont serré la ceinture parce qu’ils croyaient que leur entreprise était au bord de la faillite. Maintenant, vous ne pouvez plus leur demander de continuer à être les seuls à se sacrifier. Les fruits de la croissance, pour le moment, ce n’est pas dans le panier de la ménagère qu’on les trouve !

Vous avez vu comme le gouvernement est populaire quand il s’oppose à l’accord sur l’UNEDIC que le MEDEF voulait imposer ? Alors, si on le fait sur l’UNEDIC, pourquoi le gouvernement n’aurait pas le droit de mettre son grain de sel dans les salaires ? Une conférence salariale, ce serait un bon moyen d’organiser le dialogue social autrement que sur les bases du patronat.

Mais alors le plus effarant dans tout cela, c’est l’indécence du MEDEF. L’UNEDIC, la sécu, le contrat de travail, la retraite, et même la médecine du travail, tout ce que les salariés ont pu protéger, sauvegarder pendant la crise, ils veulent tout prendre. Leur objectif, c’est clair, c’est la destruction du salariat et du Code du travail. François, il ne faut rien leur céder, et mieux encore il faut profiter de la nouvelle donne et de la croissance pour rétablir un ordre public social.

Je vous prends peut-être un peu la tête avec tout cela, mais ce que je vous raconte c’est ce que j’entends en discutant avec des gens qui bossent dans des milieux très différents. Moi, mon expérience personnelle du monde du travail, on en a vite fait le tour, mais elle est du genre qui ne s’oublie pas. Un job d’étudiante au Mac Do, ça ne suffit peut-être pas pour dire qu’on connaît l’usine, mais croyez-moi, ça suffit pour dire qu’on connaît l’exploitation !

Si on se décidait enfin à mettre de l’ordre dans ce que l’inspecteur Filoche appelle " le travail jetable ", elles viendraient toutes vous embrasser sur la bouche

Aujourd’hui, dans les boîtes, c’est toujours aussi dur et il y a toujours la menace d’être viré. Et si tu fais la forte tête, tu as le droit aux brimades. Ce n’est pas un hasard si on parle autant de harcèlement au travail. La moitié des patrons ricanent quand on dit " Code du Travail ", et tu peux toujours menacer de faire appel à l’inspecteur du travail ! Vu leur nombre et avec le boulot qu’ils ont, t’as des chances d’en attraper un entre 2 heures et 4 heures du matin !

Vous avez l’air d’être vachement fiers de vos chiffres sur le chômage. C’est bien, le nombre de demandeurs d’emplois baisse. Mais le chômage de masse n’a pas disparu : il y ceux qui ne trouvent toujours pas, ceux qui ne sont pas inscrits, qu’on a radiés, qu’on ne décompte pas. Et puis quand je vois autour de moi les jeunes qui ont trouvé du travail, il ne faut pas être trop regardant sur le genre de boulot que c’est. A part les emplois-jeunes, les autres ce n’est que CDD, intérim et temps partiel. Pour un jeune ordinaire, dégoter un CDI à plein temps, c’est encore à peu près aussi difficile que d’avoir les trois télés au jeu du millionnaire.

Puisque je parle du temps partiel, je ne peux pas m’empêcher de vous parler un peu des femmes. Pas les superwomen qui ont décidé qu’elle ne céderaient pas un pouce de terrain et qui programment les biberons sur leur Organizer. Non, je pense à toutes celles à qui on essaye de faire croire que le temps partiel c’est mieux pour s’occuper des mômes, qui constituent les deux-tiers des travailleurs les plus pauvres. Celles-là, je peux vous dire que si on se décidait enfin à mettre de l’ordre dans ce que l’inspecteur Filoche appelle "le travail jetable", elles viendraient toutes vous embrasser sur la bouche. La perspective est quand même plus exitante que la refondation sociale de Denis Kessler.

La citoyenneté, elle est d’abord sociale

Lionel a dit que l’objectif des socialistes, c’est le plein emploi. Alors allons-y, chiche ! Les patrons eux, ils parlent de pleine " employabilité ", tout est dans la nuance. Et elle est de taille : des milliers de travailleurs-pauvres, de salariés précarisés et un taux de chômage permanent soit-disant " structurel ". Si on veut vraiment faire le plein emploi, y’a pas trente six mille solutions : ce sont de vrais salaires, un bon statut, et des droits pour chaque salarié. Sinon, ça nous fait une belle jambe d’être des citoyens " libres et égaux en droits ". Il faut aussi en avoir les moyens ! La citoyenneté elle est d’abord sociale.

Tout ce que je vous raconte, pour moi, c’est un vrai modèle de société. Et je vous le garantis, le jour où vous appelez à une manif pour obliger les patrons à venir discuter autour de la table de la conférence pour l’augmentation des salaires et pour l’ordre public social, tous les gens dont je vous ai parlé et bien d’autres, vous pouvez compter sur eux, ils feront République-Bastille avec vous, même s’il pleut.

Attika.

Les propositions de la Gauche Socialiste

Augmenter les salaires

  • Augmenter le SMIC à 7000 F nets.
  • Une conférence salariale annuelle tripartite (syndicats, patronat, gouvernement).
  • Indexer les salaires sur les prix.
  • Par la loi, ajuster automatiquement au niveau du SMIC tous les minima conventionnels.
  • Refuser l’épargne salariale et les fonds de pension.

Pour l’ordre public social

  • Contrôler les licenciements :

  •  En cas de doute sur leur motivation, l’inspection du travail doit pouvoir les suspendre.
     L’employeur devra alors saisir le juge pour les justifier et les obtenir.
     Contrôle réel des plans sociaux par l’Etat pour interdire les " licenciements Michelin ".

  • Combattre l’intérim et la précarité :

  •  pas plus de 5 % de CDD et d’intérim dans les entreprises de plus de 20 salariés (20 % dans les autres),
     hausse de la prime de précarité de 6 à 10 % et de la prime d’intérim de 10 à 15 %.

  • Lutter contre les heures supplémentaires :

  •  les rendre plus coûteuses que l’embauche (majoration de 25 % après 35h, de 50 % après 40h),
     baisser les durées maxima du travail (44h hebdomadaires).

    - deux jours de repos consécutifs pour tous,
     refus du rétablissement du travail de nuit pour les femmes. Encadrement du travail de nuit pour tous.

  • Contrôler la sous-traitance :

  •  alignement des droits des salariés des entreprises sous-traitantes sur ceux des donneuses d’ordre,
     reconnaissance des " unités économiques et sociales " par l’inspection du travail.

  • Abrogation de la loi quinquennale de Giraud.

Renforcer les droits des salariés dans l'entreprise

  • Renforcer les représentations collectives des salariés :

  •  élection de délégués du personnel à partir de 5 salariés,
     renforcement des conseillers du salarié,
     extension de l’obligation d’obtenir pour l’employeur un avis conforme des CE ou des délégués du personnel sur les questions relatives aux horaires, conditions de travail, application des conventions.
     les CHSCT doivent pouvoir imposer une "une obligation de faire" à l’employeur.

  • Plus de moyens pour l'inspection du travai! :

  •  doublement des sections,
     suivi systématique en justice des PV dressés.

  • Respecter les organisations représentatives :

  •  tout accord de branche ou d’entreprise, pour être valide, doit être signé par les organisations syndicales représentatives majoritaires,
     des fonds publics pour les syndicats selon leur représentativité.

La solidarité par la Sécurité Sociale

  • Convocation des élections dans les caisses de Sécurité sociale.

  • Rétablissement des 37,5 annuités pour la retraite, retour au calcul sur les dix meilleures années.

  • Indexation des retraites sur l'évolution moyenne des salaires.

  • Abrogation du plan Juppé (rationnement des soins, RDS, étatisation).

  • Plan massif de relance de l'hôpital public, basé sur une analyse de santé publique dégageant les besoins non satisfaits de la population.

  • Amélioration des remboursements de l'assurance maladie, notamment l'optique et la dentisterie.

Il faut rompre
avec les ghettos
qui tuent la République

Le 26 septembre.
Monsieur le Premier secrétaire,

Quand j’ai reçu les deux pavés de contributions générales et thématiques publiées par l’Hebdo des socialistes, j’ai pensé à vous. Vous faites vraiment un boulot qui ne doit pas être marrant tous les jours ! Lire tout ça d’un coup, c’est mission impossible. Même en avalant une sacrée dose de caféine, je n’y suis pas arrivée : mes paupières me sont tombées dessus. Heureusement, les " 7 jours dans la vie d’Attika ", vous avez pu les lire pendant les vacances, c’est toujours ça de moins à faire à la rentrée !

J’imagine que vous vous souvenez de la cité des Bois-Fleuris ? Je ne sais pas ce que vous en avez pensé, mais moi ça m’a fichu un sacré bourdon de voir ce qu’est devenue la cité de mon enfance. Et si je tiens à vous en parler, c’est que je suis persuadée que vous ne faites pas partie de ceux qui disent, bien assis au fond de leur fauteuil, que tous ces problèmes de cité et de violence sont exagérés et dramatisés à outrance.

Il y en a même qui ne se gênent pas pour affirmer que l’été ne s’est pas si mal passé, sans banlieues qui brûlent, sans casseurs, sans affrontements entre jeunes et policiers. Ceux-là concluent en général leurs propos rassurants par un " nos cités sont loin de ressembler aux quartiers ghettos des Etats-Unis " !

Petit à petit, beaucoup de gens se sont résolus à accepter la violence et les ghettos comme une fatalité

Ce n’est pas à vous que je vais apprendre le bon vieux dicton " il faut se méfier de l’eau qui dort ". Surtout… quand elle ne dort pas ! Dans les cités, derrière le calme apparent, un certain ordre s’est bel et bien imposé. Pas l’ordre social, non. Mais l’ordre des caïds et des dealers qui font du business sur le dos de la marginalisation de populations qu’ils tiennent désormais en coupe réglée. Et je peux vous dire que le deal leur procure un énorme profit, vu que certaines substances illicites relèvent maintenant de la consommation de masse. (Je vous le dis en passant, il faudra bien un jour qu’on discute à fond sur le statut de ces substances, si on veut vraiment s’attaquer au problème de l’économie parallèle). Les dealers ont besoin d’un calme relatif pour organiser ce trafic. Par contre, quand ça barde, il n’y a plus de limite. Récemment deux policiers se sont fait tirer dessus avec des armes à feu, et ça n’a pas suscité d’émotion particulière. C’est dire si petit à petit, beaucoup de gens se sont résolus à accepter la violence et les ghettos comme une fatalité.

D’ailleurs, qu’est-ce qu’on fait pour l’empêcher ? On " gère " le problème en mettant de temps en temps des cordons de CRS autour des quartiers chauds... Pour le reste, on prie le Dieu " croissance " qu’il veuille bien nous débarrasser de toute cette misère… Après tout, c’est comme cela qu’ils font aux Etats-Unis. Et là bas, ils ont même construit suffisamment de prisons pour enfermer 2 millions de personnes.

Les habitants des quartiers sont victimes d’un double abandon. Après avoir été abandonnés par la crise, ils sont abandonnés par la reprise

Ah ! la croissance, on en voit les effets. Ma copine Marie-Claude a fini par trouver un boulot au SMIC. Le lendemain de la signature de son contrat de travail, elle a fait les cartons pour déménager avec mari et enfants. Pas à cause de la tronche des immeubles, non, mais pour protéger ses enfants des mauvaises fréquentations. Vous savez, c’est un peu comme ces gens de gauche attachés à la laïcité qui mettent leurs enfants dans le privé parce qu’ils trouvent que l’école du coin n’est pas terrible. C’est vrai quoi : quand on est parent, on n’a pas le choix, on veut ce qu’il y a de mieux pour ses enfants ! Aux Bois-Fleuris c’est la même chose. Quand quelqu’un voit le bout du tunnel, il s’en va aussitôt. Résultat : le quartier s’enfonce encore plus et ceux qui restent avec. J’ai même entendu le Ministre de la ville dire que "le risque existe que la reprise s’arrête à la porte des cités". Il a raison. Maintenant, les habitants des quartiers sont victimes d’un double abandon. Après avoir été abandonnés par la crise, ils sont abandonnés par la reprise. Nous avons nos ghettos à la française, des vrais ghettos violents, et le taux de croissance du PIB n’y change rien.

Je vais vous dire : je ne suis pas sûre que ce soit un hasard. Dans le nouveau contexte économique, ces ghettos sont une sacrée aubaine pour les libéraux. Ils créent la violence, la peur, les discriminations et l’insécurité qui opposent les uns aux les autres quand on devrait se battre tous ensemble. A croire que la criminalisation de la misère est désormais pour eux une stratégie délibérée. Les caïds se font les promoteurs des valeurs de la jungle libérale qui tuent l’esprit de contestation de la jeunesse des quartiers pour l’éduquer aux préceptes des marques, du fric facile, du consumérisme absolu. Il y en a qui ont bien compris que tout ça servait leurs intérêts. Plus on est divisé, moins on revendique.

A entendre la façon dont certains responsables parlent des cités, on dirait que ces problèmes ne concernent qu’une partie marginale de la population française

Vous voyez, François, je ne me fais plus d’illusions. Je sais désormais que ce n’est pas la "main invisible du marché" qui va mettre fin à ces situations. D’où ma question : qu’est-ce qu’on attend ? Pour tout vous dire, je me suis fait ma petite opinion sur le sujet. A entendre la façon dont certains responsables parlent des cités, on dirait que ces problèmes ne concernent qu’une partie marginale de la population française. Au contraire, tout le monde est concerné. Qui est capable de citer une ville de plus de 10 000 habitants qui n’a pas son quartier à problèmes et ses voitures qui brûlent ? Vous qui êtes Premier secrétaire du premier parti de France, qui vous déplacez dans tout le pays, vous les entendez ces profs, ces travailleurs sociaux, ces policiers, ces parents, ces chauffeurs de bus, épuisés, excédés, qui habitent des grands-ensembles ou qui vont y travailler la peur au ventre ? Vous les voyez ceux qui n’en peuvent plus et qui finissent par désespérer qu’on leur propose enfin des solutions pour ne pas céder eux-mêmes aux sirènes sécuritaires ? Tous ceux-là, c’est quand même plus la gauche que les patrons routiers, non ? Moi j’en connais beaucoup aux Bois-Fleuris et ailleurs qui attendent un signe pour que ça change.

Pour rétablir la sécurité dans la vie quotidienne de chacun, il faut casser les ghettos

François, je ne suis pas une spécialiste des sondages, mais quand je vois que toutes les "enquêtes d’opinion" montrent que l’insécurité est la première préoccupation des Français, je me dis que la gauche est vraiment attendue au tournant. J’ai beau tourner le problème dans tous les sens : pour rétablir la sécurité dans la vie quotidienne de chacun, il faut casser les ghettos. Il faut briser ces usines à produire de la misère, de la violence et du désespoir. Il faut rompre avec la ségrégation rampante qui tue la République. Au début du siècle, la République dans la vie quotidienne de chaque citoyen, c’était l’école publique laïque et obligatoire. Et bien aujourd’hui, pour que la République retrouve un sens concret dans la vie de chacun, il faut casser les ghettos. Sinon, elle n’est qu’un discours désincarné impuissant face au chacun pour soi et au communautarisme qui finiront par l’emporter.

Je vous le dis tout net, François : pour casser les ghettos il va falloir mouiller votre chemise

Jusqu’ici, les bonnes intentions n’ont pas manqué. Mais dans les actes, qu’est-ce qu’on fait ? Les moyens sont maigres et les dispositifs technocratiques tellement complexes que plus personne n’y comprend rien. Franchement, je ne crois pas qu’on pourra s’en sortir avec ce genre de vieilles recettes. Il faut tourner la page de la " politique de la ville " qui s’est transformée peu à peu en une politique d’aménagement du ghetto qui ne dit pas son nom. Pour moi, le pire serait que la gauche reste immobile, enfermée dans le dilemme de la carotte et du bâton, avec l’assistanat d’un côté et la répression de l’autre. A ce jeu-là, tôt ou tard, nous serons condamnés à mettre le doigt dans l’engrenage de la fuite en avant du tout répressif.

Je vous le dis tout net, François : pour casser les ghettos il va falloir mouiller votre chemise et mettre le paquet. Ca doit être une priorité absolue pour la gauche, votre priorité de premier secrétaire des socialistes.

Depuis plusieurs mois, je suis souvent retournée voir Rachid et Franck, mes copains des Bois-Fleuris pour tchatcher tranquille. On a beaucoup réfléchi à notre projet de Plan Marshall. Cette idée qu’il faut un effort massif de la nation toute entière pendant plusieurs années pour venir à bout de ces ghettos nous a franchement convaincus. Fini les demi-mesures et le rafistolage ! Il y a des nouvelles marges de manœuvre économiques, alors je suis persuadée qu’on peut dégager les moyens pour investir massivement, mobiliser toutes les énergies et attaquer sur tous les fronts en même temps. Une mobilisation générale qui s’attaque en même temps aux immeubles qu’il faut détruire et à ceux qu’il faut construire, qui lutte contre l’échec scolaire, qui développe des équipements culturels et sportifs de qualité, qui forme et soutient les travailleurs sociaux, qui encourage les associations, qui aide tous les parents et qui entraîne les services publics. D’ailleurs, avec Franck et Rachid, on a interrogé toute la terre aux Bois-Fleuris : la mairie, le commissaire de police, les enseignants, les assistantes sociales, pour rassembler leurs idées et leurs propositions. Je leur ai promis que je vous les enverrai, alors vous les trouverez ci-jointes.

Ca serait quand même un beau projet pour notre Parti de changer la vie des habitants des quartiers populaires et de débarrasser la société française de l’insécurité qui l’empoisonne. C’est comme ça que l’on montrerait aux gens que la politique, c’est bien… et c’est utile.Vous vous souvenez peut-être que je fais des études pour devenir prof. Je ne me suis pas mis cette idée en tête avec pour horizon la sécurité de l’emploi qu’offre le statut de fonctionnaire. Si j’y arrive, moi je ne voudrais pas être prof n’importe où, et si je pouvais choisir, je voudrais me consacrer à ça : être militante du Plan Marshall pour casser les ghettos. J’ai envie d’être utile aux autres et à quelque chose. Et il faut aller vite, très vite, car on a déjà perdu beaucoup trop de temps.

Attika.

Les propositions de la Gauche socialiste
Un plan Marshall pour casser les ghettos

La fin des grands-ensembles

  • Un grand emprunt d'Etat de 100 milliards de francs pour financer les investissements massifs en moyens humains et matériels.

  • Un vrai Ministère de la ville doté d'un budget et d'une administration propres pour :
     assurer un pilotage de l'Etat sans faille,
     mettre en œuvre une simplification radicale des procédures.

  • En finir avec les réhabilitations de quartiers invivables :
     plan pluriannuel d’investissement pour la démolition ou la restructuration des grands ensembles avec un chiffrage site par site débattu et voté par le Parlement,
     un fonds unique regroupant les crédits aujourd’hui dispersés pour simplifier et accélérer la mise en oeuvre de la démolition à la recomposition du quartier.
     relogement en HLM à des loyers comparables des habitants des HLM démolis, en préalable à toute démolition.

  • Construction de logements sociaux de qualité et répartis dans toute la ville, et dans toutes les villes.

En finir avec la violence et l’insécurité

  • Une promotion spéciale pour le recrutement de professionnels qualifiés et formés pour travailler dans les quartiers et assurer le maillage humain qui fait cruellement défaut : enseignants, éducateurs, assistants sociaux, psychologues, animateurs sportifs…

  • La création d’Ecoles des parents animées par des équipes de professionnels à même d’aider les familles désemparées face à leurs enfants et travaillant en relation avec les PMI, les écoles et collèges.

  • Une loi de programmation pour la police de proximité pour permettre l’ouverture de vrais commissariats dans les quartiers ouverts 24h sur 24 et dotés de policiers formés et qualifiés, d’agents chargés des tâches administratives et de personnels spécialement affectés à l’accueil et à l’accompagnement des victimes.

  • Une cellule de coordination de l’ensemble des services publics doit permettre, dans chaque quartier, de coordonner les interventions des différents acteurs, d’adapter les réponses au plus près des réalités de terrain pour gagner en efficacité, de travailler tous ensemble main dans la main au lieu de se renvoyer les responsabilités.

  • Création d’un service public d’aide aux victimes.

Action republicaine pour la jeunesse des quartiers

  • La relance d’une politique culturelle et sportive de masse : création massive de MJC, bibliothèques, équipements sportifs de qualité, encadrés par des animateurs professionnels.

  • Créer une cellule sociale dans chaque école primaire et collège regroupant assistante sociale, psychologue, équipe pédagogique, pour détecter très tôt les difficultés des enfants et y apporter des remèdes.

  • Ouvrir des internats d’excellence pédagogique avec pour objectif un taux de réussite au bac de 80 %.

  • Création d’une banque associative permettant de financer les actions des associations de terrain.

  • Développer de nouvelles formes de démocratie participative permettant la confrontation entre élus et habitants sur l’ensemble de la vie locale et permettant de définir l’intérêt général.

Ce n’est pas parce que 50 extra-terrestres nagent dans une rivière de stock-options qu’il faudrait qu’on croie qu’on est tous devenus des yuppies

Le 27 septembre.
Monsieur le Premier secrétaire,

C’est sûr : eux, on les voit beaucoup. Ces mecs sans cravate et ces nanas en Nike qui racontent à longueur de reportages télé et d’articles de presse le dérouleur précis de leur " conte de fée " qu’est leur rencontre avec la net-économie. Toutes ces jeunes pousses de la reprise économique version point com, qui sont présentées comme les porte-drapeaux de la fin de la galère des jeunes générations, on ne voit qu’eux et ça m’énerve. Parce qu’ils sont comme leur job : virtuels. Construits sur du vent, vendant du vent, portés par le vent, ils ne ressemblent en rien à la plupart des jeunes. Et je n’aimerais pas qu’on fasse l’amalgame. Ce n’est pas parce que 50 extra-terrestres nagent dans une rivière de stock-options qu’il faudrait qu’on croie qu’on est tous devenus des yuppies.

Et je peux vous dire qu’avec nous les jeunes, le système a particulièrement la dent dure

Vous savez, c’est pareil pour les jeunes que pour le reste de la société : la reprise, tout le monde n’en voit pas la couleur. Je vous l’ai déjà écrit : faut pas rêver, la croissance n’abolit pas le capitalisme. Et je peux vous dire qu’avec nous les jeunes, le système a particulièrement la dent dure. Sa logique, on l’encaisse en pleine face. Précarité, flexibilité, recul de l’âge auquel on peut bouger de chez nos parents, discriminations raciales, montée de la violence à l’école : tous les compartiments de la vie sont touchés. Sans être parano, ça frise l’acharnement.

Peut-être que je me plante, mais je ne crois pas qu’il y ait du hasard dans cette situation. Après tout, on est la société de demain ! On est une cible décisive pour ceux qui souhaitent que les salariés du futur soient dociles, amorphes et modelés aux exigences du système. C’est simple : la précarité et la souffrance au biberon, la tête baissée et l’exploitation comme apprentissage de la vie, c’est une assurance tous risques contre les revendications sociales futures. La galère ? Ben oui, c’est une évidence naturelle, une donnée de base, un axiome, on a toujours connu, ça ne peut pas changer. Et en plus, ils voudraient même qu’on apprenne à dire merci ! Remarquez, en échange, on nous donne la possibilité de choisir entre 30 marques de baskets. C’est déjà bien : consommer, consommer, et consommer. Quel horizon !

On a plutôt l’impression que la société n’aime pas sa jeunesse

François, on a besoin de la gauche pour résister à ce rouleau compresseur. Et je le dis franchement, pour le moment, on ne se sent pas tellement aidés. On a plutôt l’impression que la société n’aime pas sa jeunesse. Non seulement elle ne nous apporte pas de réponses, mais surtout, c’est limite si elle a conscience des problèmes qu’on rencontre.

C’est simple, si ça continue, le monde de demain ne se partagera plus entre gauche et droite, mais entre Nike et Adidas

Je suis sûre que vous êtes sensible à ce que je vous raconte. Mais au cas où vous hésiteriez à mettre toutes vos forces dans cette bataille pour la jeunesse, je vous livre un argument qui vous touchera forcément. C’est simple, si ça continue, le monde de demain ne se partagera plus entre gauche et droite, mais entre Nike et Adidas. Et ce passage de la lutte des classes à la lutte des marques signifierait la fin définitive de votre raison d’être. Comment transformer la société sans demande de changement ? Comment porter un projet si les jeunes s’en désintéressent ? Voilà pourquoi les réformes à engager sont profondes.

D’abord, les élèves ne fument pas des joints toute la journée. Ensuite, les profs ne sont pas des alcoolos

Bon. Je vous propose de commencer par là où tout commence : l’école. Et là, je peux vous dire que j’en connais un rayon, vu le nombre d’heures que je passe dans des salles de cours. Je n’y vais pas par quatre chemins.

D’abord, les élèves ne fument pas des joints toute la journée. Ensuite, les profs ne sont pas des alcoolos. Surtout, j’en ai marre d’entendre tous ces gens qui disent que le niveau baisse, que les enseignants ne foutent rien, que tout le monde baisse les bras. A les écouter, une bonne taloche, en rang par deux et le latin coefficient 20 aux examens régleraient tous les problèmes…

Je peux vous dire que la réalité est bien éloignée de ces canons des mandarins. Ce que je vois tous les jours, c’est qu’au contraire, les profs et le personnel éducatif font leur boulot du mieux qu’ils peuvent. Simplement, on ne peut plus faire comme si on était au début du siècle. Le temps où l’école n’avait que deux tâches, alphabétiser la grande masse et produire une élite qui aujourd’hui n’a plus rien de républicaine, est bien derrière nous.

En l’an 2000, l’enseignement est massifié grâce à la gauche. Mais l’objectif est bien sa démocratisation. Tous à l’école ! Tous avec un diplôme, tous formés, tous éduqués ! Voilà ce qu’il faut arriver à faire. Mais là François, on en est loin. Combien de jeunes sortent du système scolaire sans rien ? Combien sont obligés d’arrêter parce qu’ils ne peuvent plus suivre financièrement ? Combien sont orientés dans des filières aux noms abracadabrants, qui n’éclairent en rien sur l’avenir qu’elles sont censées préparer ? Combien de jeunes se disent " les études, c’est pas pour moi " ?

Si on veut en finir avec cette situation, il va bien falloir révolutionner le système scolaire. Et j’ai quelques idées sur la question.

L’école ne fait pas que qualifier : elle doit aussi éduquer et former des jeunes libres dans leur tête

Avant tout, il faut faire en sorte que chacun se sente à l’école comme dans une deuxième maison. La richesse du pays, la qualité des enseignants, les nouvelles technologies doivent nous permettre de prendre en compte la diversité des jeunes. Pour donner sa chance à chaque élève, le système doit s’adapter et ainsi répondre au défi du nombre. La pédagogie ne peut pas être la même pour tous, sinon, ce sont toujours les mêmes qui s’en sortent et toujours les mêmes qu’on maintiendra coûte que coûte dans le système… jusqu’à ce qu’ils aient 16 ou 18 ans.

Comment faire ? D’abord en cessant de considérer que toutes les voies d’enseignements ne se valent pas. Quand j’entends des gens parler des jeunes qui sont en Bac Pro, c’est limite mépris de classe ! Mais je crois que ces élites ignorent tout des métiers qu’on enseigne dans ces filières. Or ces savoirs réclament un haut degré de qualification, qu’il n’est pas possible d’atteindre sans culture générale, sans intelligence concrète et abstraite.

Ensuite, il faut passer par une réforme ambitieuse des rythmes scolaires, qui permettrait de dégager du temps pour plus de cours en petits groupes et pour introduire l’enseignement de nouvelles matières, culturelles, sportives et artistiques. Pas pour " occuper " les jeunes. Mais bien pour développer leur esprit critique, leur autonomie intellectuelle et les qualités propres à chacun. L’école ne fait pas que qualifier : elle doit aussi éduquer et former des jeunes libres dans leurs têtes. C’est surtout comme ça que l’on pourra efficacement leur " apprendre à apprendre ".

Une dernière chose à propos de l’école. Comme je crois qu’il est impossible de réformer quoi que ce soit à la base sans rien toucher à la tête, n’oubliez pas de réformer de fond en comble l’ENA. Demandez-vous pourquoi il y a là-dedans une telle proportion de fils d’énarques, c’est devenu une affaire de famille ! Faites-y entrer les gens du terrain. Et cessez de prendre au somment de l’Etat les derniers pondus sans expérience de la vie. Je sais bien que vous en êtes diplômé mais dans votre promotion, combien sont ceux qui aujourd’hui dirigent des boîtes privées ? Sérieusement, elle n’a plus rien à voir avec l’Administration cette école ! Autant les Mines, les Ponts et Chaussées et Polytechnique restent bien des modèles d’excellence Républicaine, autant l’ENA ne sert plus qu’à former une aristocratie. Honnêtement, je vois bien en quoi Jean-Marie Messier est utile à Vivendi, mais à la République, j’ai du mal !

Si tout commence à l’école, les problèmes que rencontre la jeunesse ne s’y arrêtent pas. Il n’est pas normal que des couples qui frisent la trentaine vivent encore chez leurs parents. Qu’il faille passer par 5 stages et 3 CDD avant de pouvoir enfin avoir un statut qui permette de se projeter dans l’avenir non plus. Encore moins que les aides sociales des jeunes soient calculées en fonction de la situation des parents ou même versées aux parents par le biais du mécanisme de la demi-part fiscale. Un peu infantilisant, non ?

Ce que je propose, c’est de créer pour chaque jeune majeur en formation une allocation autonomie

Pourtant, dès 16 ans, quand on fait une connerie, on peut aller en prison. Et à 18 ans, on vote. En fait, on est majeur civilement à 18 ans mais on reste mineur socialement jusqu’au premier emploi stable. Or la stabilité de l’emploi, on ne peut pas dire qu’elle arrive tôt.

Franchement, François, il est temps de mettre sur pied un système qui permette aux jeunes majeurs de faire leurs choix professionnels, de formation et de vie librement, loin des pressions financières, sociales et familiales qu’ils connaissent aujourd’hui.

Ce que je propose, c’est de créer pour chaque jeune majeur en formation une allocation autonomie. Allocation d’études pour les étudiants dès leur majorité, allocation de formation pour ceux qui souhaitent parfaire leur profil avant l’emploi pour faciliter une insertion professionnelle durable.

Ce qu’il faut, c’est un vrai statut pour tous les jeunes

Vous constaterez vous-même qu’on est bien loin des fausses solutions du type RMI-Jeunes que beaucoup présentent comme des progrès. Si on écoutait ces balivernes, les jeunes n’auraient droit qu’à une société minimum ; revenu minimum, emploi minimum, santé minimum, loisirs minimum. Bref, l’apprentissage de la galère et de l’assistance à vie. Non merci ! On n’est pas preneurs. Ce que nous voulons, c’est pouvoir maîtriser nos vies et nos parcours, c’est vivre, pas survivre. On peut le tourner dans tous les sens, mais aucun raccourci n’est possible : ce qu’il faut, c’est un vrai statut pour tous les jeunes. L’Allocation autonomie permet de s’engager dans cette voie.

Loin des apitoiements qu’on nous a servis des années durant du type " ça doit être dur la vie pour vous les jeunes " ou " mais pour nous aussi c’était dur ", on ne demande pas de la commisération. On veut rentrer dans la vie. Et la croquer à pleines dents. J’ai bon appétit !

Attika.

Les propositions de la Gauche socialiste

Statut social et droit à l'autonomie du jeune

  • Allocation autonomie garantissant matériellement le droit à la poursuite des études ou à toute formation professionnelle, calculée en fonction des revenus propres du jeune. En conséquence, suppression de la demi-part fiscale, socialement injuste et qui fait du jeune une personne à charge de sa famille.

  • Maintien du régime étudiant de sécurité sociale et garantie de sa viabilité.

  • Réglementation nationale des stages en entreprise, incluant leur rétribution.

  • Reconnaissance effective dans l’entreprise des niveaux de formation acquis.

  • Plan d’embauche des emplois-jeunes donnant à chaque titulaire un débouché sur un statut et une rémunération conformes à ses qualifications et à la mission remplie. Ouverture des concours internes de la fonction publique aux emplois-jeunes du secteur public.

  • Instauration d’une caution de solidarité en faveur des jeunes adultes (étudiants et salariés). Un organisme public payerait tout ou partie de la caution nécessaire à la location d’un logement et se porterait garant à la place d’une personne physique. dans l’entreprise des niveaux de formation acquis.

La démocratisation de l'enseignement

  • Priorité budgétaire à l’éducation.

  • Réforme des rythmes scolaires qui permette à chaque jeune d’avoir accès aux disciplines artistiques, culturelles et sportives dans le cadre de l’Education Nationale.

  • Plus de filières en impasse : pas de formation sans possibilité de poursuite d’études. Amélioration de la fluidité du système éducatif par la multiplication des passerelles entre filières.

  • Egalité des trois voies d’enseignement (technique, professionnel, général).

  • Rendre effective la gratuité de l’enseignement (manuels, transports, équipements, nouvelles technologies).

  • Gratuité du permis de conduire et organisation de son passage dans le cadre du cursus scolaire.

  • Mise en place de nouveaux indicateurs d’évaluation qualitatifs du système éducatif qui rompent avec l’élitisme en privilégiant la réussite du plus grand nombre.





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