Comprendre

La crise des sociétés bureaucratiques

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C- Le problème de nos relations avec l'U.R.S.S.

    Deux questions se posent aux socialistes d'Occident :
- si le capitalisme n'est pas forcément la dernière société de classes de l'Histoire, comment envisager la transition au socialisme des sociétés qui vivent actuellement sous le régime de type soviétique ?
- et parallèlement, quel type de rapports nouer avec elles dans notre propre perspective de transition au socialisme ?

L'avenir des sociétés de type soviétique

Ce sont les forces sociales à l'œuvre dans les sociétés de l'Est qui détermineront prioritairement leur évolution. Si des distinctions doivent être faites (les démocraties populaires ne sont pas l'U.R.S.S., qui n'est pas la Chine), il est clair que le niveau d'éducation et la composition de la population active ne sont plus aujourd'hui ce qu'ils étaient il y a encore une trentaine d'années.

    Principalement composée d'ouvriers, d'employés, de cadres habitant la ville, pourvus d'un niveau de formation relativement élevé (75 % de la population a une éducation d'un niveau plus élevé que le primaire) la société soviétique est aujourd'hui très différente de celle qui a donné naissance au stalinisme.

    L'absence des libertés fondamentales empêche tout effort d'organisation indépendante des masses laborieuses. Mais inversement, des revendications limitées à l'obtention des droits civiques, si elles ne s'appuient pas sur un mouvement social profond, ont peu de chances d'aboutir.

    C'est là un des problèmes rencontrés par les " dissidents " qui, au-delà de leurs divisions, ne semblent pas avoir de programme social défini et restent relativement isolés dans la société soviétique.

    Même si leurs revendications correspondent aux exigences d'une société avancée (véracité et libre circulation des informations - liberté de la critique et de la recherche), elles traduisent pour le moment des préoccupations qui restent encore largement étrangères aux masses et paraissent souvent refléter à leurs yeux des " règlements de comptes " entre privilégiés. Par ailleurs, les tentatives de " libéralisation " économique (accroissement du rôle du profit et de l'autonomie de gestion des entreprises) mettraient en cause l'emprise du parti sur la société et risqueraient, principalement en U.R.S.S., de se heurter à certains intérêts acquis de la classe ouvrière. Parce que la liberté pour les managers de fixer le niveau des salaires et l'effectif employé serait sans doute ressentie comme une atteinte directe au pouvoir d'achat et à la sécurité de l'emploi, la bureaucratie du Parti peut sans doute compter sur une certaine base de masse.

    Si insuffisante que soit notre connaissance de la société soviétique, nous pouvons cependant poser quelques principes :

  1. - un bloc soviétique figé, replié sur lui-même est un frein à tout changement en Occident ;

  2. - si les dissidents ont droit à notre appui inconditionnel dès lors qu'ils posent le problème des libertés démocratiques dans leur pays et réclament l'application effective de l'ensemble des accords d'Helsinki, notamment les dispositions relatives aux Droits de l'homme, nous ne saurions cautionner toutes leurs interprétations et propositions (par exemple certaines propositions de boycott économique et financier des pays de l'Est par l'Occident) ;

  3. - il ne peut y avoir une transformation socialiste des pays de l'Est sans l'intervention d'un mouvement ouvrier organisé ;

  4. - nous ne saurions pour autant ignorer les conflits qui se manifestent au sein même de la classe dirigeante, sous prétexte que cette classe n'abandonnera jamais spontanément le pouvoir.
    En l'absence de toute vie démocratique ces conflits reflètent en effet, dans une certaine mesure, les contradictions de la société tout entière.

  5. - le développement des échanges avec l'Occident est un élément de nature à favoriser l'ouverture des sociétés de l'Est. Il doit donc être encouragé et intensifié vigoureusement.
    Plus généralement l'approfondissement de la détente en Europe doit être recherché aussi comme un moyen de faire progresser la démocratisation de la société soviétique. Inversement nous savons par expérience que les croisades antisoviétiques (par exemple dans les années trente et quarante) ont toujours abouti à resserrer l'étau du stalinisme.


    Le problème de nos relations avec l'U.R.S.S. ne peut pas être posé indépendamment de notre propre perspective de transition au socialisme.

    Deux préalables à cet égard doivent être levés :
- si le goulag peut être considéré comme une véritable pathologie du système soviétique (comme le nazisme était la forme pathologique d'un régime capitaliste en crise) nous ne saurions pour autant confondre le système soviétique et les dictatures fascistes dans la même rubrique comme certains hier confondaient Hitler et Staline. Ce serait méconnaître la différence de ces régimes, dans leurs racines historiques, leur fonction sociale et enfin quant à leur rôle dans l'équilibre d'un monde qui reste dominé par le capitalisme.

    De ce que ces régimes aient des caractéristiques communes (la dictature d'un parti unique, seul maître de l'État, sur la société) ne s'ensuit pas que nous devions mettre entre eux un signe d'égalité.
- en second lieu si l'extorsion de la plus-value dans la société soviétique peut s'exercer dans un cadre international par transfert de valeur des pays dominés (par exemple certaines démocraties populaires au lendemain de la Seconde Guerre mondiale) vers le pays dominant (l'U.R.S.S.), ce phénomène ne permet pas de parler d'un " impérialisme " soviétique au sens moderne de ce terme. Si l'exportation de capitaux et l'intensification de l'exploitation à l'échelle mondiale constituent une tendance fondamentale du capitalisme au XXe siècle, rien n'indique qu'il en soit de même du système soviétique. Par contre, on pourra parler d'un expansionnisme ou d'un hégémonisme soviétique sur une base essentiellement militaire et idéologique en particulier en Europe de l'Est et plus généralement d'une politique de grande puissance, les intérêts d'État prenant le pas sur toute autre considération (soutien de l'Éthiopie dans la reconquête de l'Érythrée, occupation de l'Afghanistan, etc.).

    La question posée aux socialistes n'est donc pas de savoir si l'U.R.S.S. est pour eux un modèle : elle ne l'a jamais été, même s'il est vrai qu'elle a ouvert la première brèche dans le monopole de l'impérialisme. Il y a une opposition fondamentale entre la conception du socialisme autogestionnaire, fondé sur la reconnaissance et la liberté d'expression des contradictions à tous les niveaux de la société socialiste et le fonctionnement du régime soviétique. Le problème est ailleurs : il est celui des rapports d'une France en marche vers le socialisme avec l'U.R.S.S. telle qu'elle est.

    Est-ce que l'U.R.S.S., au nom de ses intérêts d'État, pèsera demain à travers le Parti communiste pour empêcher la victoire de la Gauche en France ?

    De tout temps, les chefs de gouvernement conservateurs, qu'il s'agisse de Laval en 1935, de De Gaulle en 1944 ou en 1968, de Pompidou, et plus récemment encore de Giscard, ont cherché à Moscou la garantie de l'ordre intérieur en échange d'une politique extérieure plus ou moins ouverte aux préoccupations soviétiques.

    Deuxième question corollaire de la précédénte : si la victoire de la Gauche était néanmoins possible dans ces conditions, cela signifierait-il un risque d'évolution vers une société de type soviétique en France ?

    Notre alliance avec le Parti communiste a déchaîné contre nous les critiques de la Droite comme jamais sans doute depuis le Front Populaire. Nous serions, au mieux, des naïfs de nous être alliés avec le Parti communiste ou plus vraisemblablement des irresponsables, des aveugles tout juste préoccupés d'accéder au pouvoir mais incapables de l'exercer vraiment. Cette offensive idéologique déclenchée contre nous doit être combattue sans la moindre complaisance. La difficulté vient de ce que notre rigueur doit s'appliquer à faire simultanément deux démonstrations. La première, que le socialisme en France ne saurait s'identifier à celui des pays de l'Est (comme le prétend la propagande de la Droite et semble s'y résigner le P.C.), la seconde, que notre démarche ne saurait être confondue avec celle d'un " projet réformateur " qui sous prétexte d'éviter l'issue précédente maintiendrait intactes les structures de la société capitaliste.

    Nous devons apporter à ces questions des réponses rigoureuses et claires :

1)- première question : est-il vrai que le partage de Yalta aurait condamné la France à perpétuité à la domination de la Droite.

    Yalta n'a pas été seulement un acte de démembrement géographique de l'Europe entre les deux superpuissances. Il a tracé le partage des systèmes et des philosophies. Si le système soviétique ne peut être qualifié d'impérialisme - on l'a dit - sur le plan de l'économie, la Russie soviétique tend, elle, à l'empire, l'a imposé à l'Europe de l'Est et cherche à accroître ses positions en Afrique et en Asie. Le marxisme-léninisme, tel que Staline le formalisa dans les années trente, a certes perdu beaucoup de sa capacité de rayonnement mais il continue d'irriguer plus ou moins le réseau des États et des Partis communistes.

    Si l'unité théorique du monde communiste a cessé d'exister en profondeur, l'U.R.S.S. en effet pèse assez lourd aujourd'hui dans les relations internationales pour les analyses des communistes coïncident largement avec les siennes - au moins dans le domaine de la politique étrangère.

    On observera toutefois que cela n'est vrai ni de la Chine, ni de la Yougoslavie, ni même de la Roumaine et qu'à des degrés divers, dans certains domaines et dans des limites compatibles avec le fonctionnement du système, les démocraties populaires s'autorisent maintenant quelques libertés. De même, des partis euro-communistes tendent à affirmer leur originalité par rapport au P.C.U.S.

    Reste qu'en matière de politique étrangère, la vision du monde dont le Parti communiste français fat dériver ses choix demeure grosso modo celle de Moscou : le monde est essentiellement divisé en deux camps et la marche vers le socialisme dépend en dernier ressort, face à l'impérialisme, du renforcement du camp " socialiste ", c'est-à-dire de l'U.R.S.S.

    Plutôt que d'incriminer la main de Moscou, ou même d'évoquer cette " dépendance psychique " dont parlait Léon Blum à propos des communistes, nous préférons nous situer sur le terrain des réalités : comment en effet ne pas voir que la transformation socialiste de la France ne saurait être que l'œuvre des trvailleurs de France ?

    C'est pourquoi le Parti socialiste entend affirmer son souci intransigeant de l'indépendance nationale aussi bien face à ceux qui voudraient faire dépendre nos choix politiques intérieurs de considérations géostratégiques intéressant Moscou que face à la diplomatie du dollar et aux multinationales.

    Il n'est pas admissible que les grands choix politiques de notre peuple soient examinés d'abord et presque mécaniquement, par une sorte de réflexe conditionné, du point de vue de Moscou ou de Washington.

    Sans doute, nous n'aurons garde d'oublier que la France fait partie du système capitaliste et qu'elle se trouve placée depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale dans la sphère d'influence des États-Unis. Dans la vie quotidienne, nous voyons bien aussi que la substance de la France est plus menacée par le capitalisme que par l'U.R.S.S. Nous savons aussi que les chars soviétiques, s'ils peuvent aller à Prague, n'iraient pas aussi facilement à Paris, où un coup de Santiago est davantage à craindre. Quant à la question de savoir si les Soviétiques peuvent faire perdre les élections à la Gauche, elle reste ouverte et le restera sans doute... jusqu'au jour où la Gauche les gagnera.

    Reste que la forme d'esprit et la capacité d'influence du Parti communiste dans la société française, l'héritage de l'histoire étant ce qu'il est, renforcent l'obligation qui s'impose aux socialistes d'assumer pleinement le destin national.

    Les rapports entre la France, dès lors qu'elle s'engagera sur la voie du socialisme, et l'U.R.S.S., ne passeront donc pas par le Parti communiste français. Ces rapports ne sauraient être que des rapports d'État à État fondés sur le respect réciproque, les liens tissés entre les deux peuples au long de l'histoire et sur une coopération d'égal à égal. Nous devons impérativement distinguer de l'analyse idéologique, les rapports de parti à parti d'abord, d'État à État ensuite.

    L'avenir des relations franco-soviétiques doir être conçu avant tout dans le cadre de la sécurité collective et de l'organisation d'une paix durable en Europe. La différence des systèmes économiques et sociaux non seulement n'est pas un obstacle à la coexistence pacifique mais elle constitue la base même de cette politique.

    L'intérêt de tous les peuples est de faire de notre continent une zone de paix et de coopération et par conséquent, de refuser d'entrer dans une stratégie périlleuse qui consisterait à prêter la main à l'armement de la Chine contre l'U.R.S.S.

    Enfin, les intérêts communs en Europe sont nombreux et anciens entre la France et l'U.R.S.S.

    Ces principes directeurs nous conduisent à affirmer la nécessité d'une France forte et indépendante, capable d'exercer la responsabilité que la géographie et l'histoire lui assignent en Europe.

    Ce n'est pas un hasard si l'indépendance nationale se trouve être le môle à partir duquel, dans un monde dominé par les blocs, une expérience socialiste originale s'avère être possible : pour avancer, il faut, par la force des choses, s'appuyer sur ce qui existe.

    Les socialistes feront donc en sorte que notre pays apporte toute sa contribution à l'organisation de la paix en Europe. Ils peuvent le faire mieux que d'autres pour la raison simple et forte que le socialisme est l'avenir du monde. Il n'y a aucune raison de penser, bien au contraire, qu'une France en marche vers le socialisme ne servirait pas la détente et la coexistence pacifique mieux que la France conservatrice. Cette dernière ne peut en effet que donner des prolongements modestes à ses déclarations d'intention en faveur de la coopération avec les pays de l'Est.

    Pour des raisons idéologiques d'abord, l'antisoviétisme qui fait flèche de tout bois est un des ressorts fondamentaux de la propagande conservatrice.

    Le cadet de ses soucis est bien évidemment l'intérêt des peuples soumis aux régimes qu'il dénonce. Son effet le plus sûr est de renforcer encore la dépendance de la France à l'égard de la puissance américaine. Surtout la dénonciation sans retenue, sans mesure, incessante, de l'U.R.S.S. présente l'avantage de détourner l'attention de l'opinion publique des vrais problèmes qui assaillent notre société.

    Des raisons politiques plus générales, enfin, limitent les perspectives de développement de la coopération avec les pays de l'Est. Elles tiennent à l'insertion toujours plus prononcée de la France actuelle dans la diplomatie et le dispositif militaire de l'Occident capitaliste.

    Les socialistes entendent au contraire assumer toutes leurs responsabilités dans l'évolution pacifique du continent en évitant toute rupture brutale de l'équilibre européen. A supposer qu'elle le veuille et qu'elle le puisse, l'U.R.S.S. ne pourrait donc interdire la victoire de la Gauche en France qu'en enfermant le Parti communiste français dans une impasse stratégique redoutable et en ruinant son crédit et sa capacité d'influence. Pour les socialistes le partage de Yalta ne saurait signifier en aucun cas le maintien du statu quo social en France.

2)- La deuxième question corollaire de la première est donc de savoir si la victoire de la Gauche comporterait le moindre risque de favoriser l'évolution de la société française vers un régime de type soviétique.

    C'est là un thème rabattu de la propagande de la Droite que nous devons refuter de la manière la plus complète. En faisant semblant de croire, avant 1978, que les nationalisations prévues par le programme commun pouvaient signifier l'avènement du goulag en France du fait de la concentration du pouvoir d'État et du pouvoir social dans les mêmes mains, certains esprits ont allègrement oublié à la fois que le pluralisme politique eut été la règle, que Paris n'est pas Prague, que la classe ouvrière n'est pas le Parti communiste, et qu'enfin, les entreprises publiques auraient joui de leur autonomie dans le cadre du Plan sans qu'il puisse en résulter sur elles la mainmise d'un parti, en raison même des dispositions adoptées pour la désignation des responsables.

    Sans reprendre l'argument d'ailleurs ambigu d'Enrico Berlinguer selon lequel l'appartenance à l'alliance atlantique permettrait l'avancée vers le socialisme, il est clair que l'équilibre mondial existant aujourd'hui enlève toute actualité à la menace d'une intervention militaire directe de l'Union soviétique en France, ce qui n'empêche pas d'ailleurs M. Poniatowski d'annoncer à la veille de chaque élection, l'arrivée des chars russes sur notre sol.

    L'existence d'un puissant Parti socialiste, condition nécessaire du rassemblement d'une majorité de Gauche en France, est en même temps la plus solide garantie d'un pluralisme réel. En signant le Programme commun, nous avons pris soin d'obtenir du Parti communiste qu'il se rallie au principe de l'alternance démocratique. Le seul principe de légitimité étant le suffrage universel, le devoir des socialistes serait, en cas de manquement grave aux engagements pris, de faire le peuple juge.

    Le dernier argument employé par la Droite consiste à agiter la menace d'une stratégie de débordement et de noyautage qui aboutirait à dresser face au pouvoir légitime un double pouvoir soi-disant populaire. La théorie du double pouvoir n'est pas la nôtre.

    Le dernier mot doit toujours à la volonté politique librement exprimée par le suffrage universel.

    Qui pourrait croire que les socialistes puissent un jour sacrifier le fond même de leurs convictions et de leur doctrine à un modèle aujourd'hui trop connu d'ailleurs pour n'avoir pas perdu de son rayonnement ? Les socialistes font confiance aux travailleurs et aux citoyens de ce pays comme ils se font confiance à eux-mêmes. La réalité de la société française et des aspirations qui s'y font jour aussi bien que l'équilibre des forces en son sein condamneraient à l'avance la folle entreprise qui voudrait lui imposer un tel modèle.

    L'organisation du Parti socialiste, le niveau de conscience de ses militants, son implantation accrue dans le monde du travail, le sens de la République chez ses militants et ses dirigeants, sont en définitive la meilleure garantie du socialisme dans la liberté.

D- La montée de la Chine

    La montée de la Chine mérite, par les effets qu'il convient d'en attendre à tous égards dans l'avenir, une place à part dans notre analyse.

    Le conflit entre la Chine et l'Union soviétique est l'un des aspects majeurs des contradictions des sociétés bureaucratiques. Il implique, comme nous le verrons, une responsabilité nouvelle pour notre diplomatie dans l'approfondissement de la détente et de la coopération sur le continent européen.

    La politique de la Chine vise à obtenir plus qu'une simple autonomie envers l'U.R.S.S. : la rupture du bloc sino-soviétique s'est transformée en une opposition violent de part et d'autre. Presque sur tous les théâtres du monde, la politique extérieure chinoise prend le contre-pied de la politique soviétique, jusqu'à établir immédiatement des relations avec le Chili de Pinochet. Alors que toutes deux, à des degrés et par des moyens différents, avaient soutenu le Vietnam en lutte contre l'Amérique, le Sud-Est asiatique est devenu le lieu de leur affrontement. La Chine a été jusqu'à appuyer les Khmers rouges et " donner une leçon " au Vietnam dont elle dénonce les visées sur l'ensemble de l'ancienne Indochine.

    Dans ce conflit entre deux pays qui ont tous deux opéré une révolution anticapitaliste, les disputes de frontière ne paraissent pas l'essentiel. Chacune des deux parties redoute la puissance de l'autre. Il n'en a pas toujours été ainsi. Quand Mao a gagné en 1949, et bien que son originalité eût été de s'appuyer sur la paysannerie populaire, les premiers plans, les premières machines ont été dus à des experts et des livraisons soviétiques jusqu'à ce que les uns fassent brusquement rappelés et les pièces de rechange pour les autres cessassent même d'être fournies.

    Les priorités de la planification ont alors été renversées, celle de l'industrie lourde à céder la place à celle de l'agriculture, suivie de l'industrie de consommation. Mais les retournements, dans un pays où une oligarchie très secrète domine, jettent un doute sur l'évolution future.

    Les luttes pour le pouvoir font apparaître tour à tour deux grands thèmes : tantôt l'accent est mis sur la création de l'homme nouveau, dégagé de l'intérêt personnel, tantôt, sur le développement des forces productives. La révolution culturelle a été la phase la plus violent de la lutte contre l'économisme et pour l'égalité. L'élimination de la " bande des quatre " s'accompagne d'un nouveau recours aux stimulants matériels et même aux emprunts à l'étranger pour hâter l'équipement du pays. La Chine ne paraît pas encore avoir surmonté un dilemne fondamental : ne produire que ce qui peut être immédiatement étendu à tous, en tournant le dos à la société de consommation - mais comment, par-delà le chômage déguisé qu'on constate déjà aujourd'hui, assurer l'emploi ? - ou revenir par l'industrialisation à un développement plus rapide mais plus inégalitaire.

    Ces soubresauts et les mystères dont ils s'enveloppent n'empêchent pas de constater les réalisations accomplies en trente ans. Le régime communiste avait pris une population de 520 millions d'hommes affamés, illetrés, sujets aux épidémies. Aujourd'hui, un milliard d'hommes, le quart de la population du monde, sont nourris, soignés, logés, éduqués. C'est un accomplissement historique considérable.

    De quel prix en termes de culture, d'originalité individuelle, de libertés, de vies humaines, ce bond en avant s'est payé, on ne doit en aucun cas le dissimuler.
L'organisation économique combine de grandes industries d'État dont la gestion est très centralisée dans des ministères à la manière stalinienne avec des entreprises relevant des provinces, des villes ou même des quartiers, et dans l'agriculture des communes populaires ont été démultipliées jusqu'au niveau de l'équipe qui ne regroupe que quelques familles. La base discute plutôt qu'elle ne décide, elle approuve les choix de dirigeants proposés par le Parti, et la subordination à l'échelon supérieur demeure en place.

    Ainsi le modèle chinois paraît encore complexe et ambigu, quelque intérêt qu'il suscite auprès de certains pays du Tiers Monde par la priorité donnée au développement agricole et les résultats obtenué pour limiter un accroissement explosif de la population.

    La fascination que la Chine a pu inspirer à certains hommes de droite tient sans doute à l'opposition violente qu'ils en attendaient à l'égard de l'Union soviétique. Le rapprochement actuel avec le Japon et les États-Unis, l'ouverture aux capitaux occidentaux, le slogan des quatre modernisations ouvrent la voie à des évolutions encore largement imprévisibles. On peut aujourd'hui se demander si le communisme chinois après avoir abondamment dénoncé les deux superpuissances n'est pas tenté de développer à son tour une volonté d'hégémonie.

    La Gauche pour sa part conserve une totale liberté de jugement face à la Chine. Elle ne doit pas hésiter à marquer son désaccord quand les prises de position de politique étrangère de la Chine reposent plus sur les affrontements de puissance que sur des visées socialistes.




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