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    Voici notre Projet. Lisez-le avec attention, vous qui souhaitez savoir ce qu'en cette année 1980 pensent et proposent les socialistes pour la décennie à venir. Il n'efface pas nos textes antérieurs et ne se substitue ni au programme que nous avons adopté en mars 1972 et publié sous le beau titre " Changer la vie ", ni au Programme commun de gouvernement de la Gauche signé trois mois plus tard. Il les prolonge pour en élargir à la fois le champ d'action et la vision. Il les dépasse pour offrir aux Français, après la rupture de la Gauche et l'échec qui s'en est suivi, une perspective, une espérance.

Au lendemain des élections perdues de 1978 nous avons refusé d'admettre que la Droite, selon son arrogante prédiction, en avait encore pour vingt ans à régenter la France et que la direction du Parti communiste pourrait durablement, et à sa guise, continuer de freiner l'élan des forces populaires. Bref, nous avons refusé d'admettre que les jeux étaient faits. Avions-nous tort ? A l'heure où dominaient la querelle et le doute était-il insensé de croire aux chances de la Gauche ? Nous y avons cru pourtant avec assez de détermination pour commencer tout aussitôt la mise en chantier du projet que nous vous présentons aujourd'hui. Rien depuis lors n'a altéré cette conviction. Tout, au contraire, l'a affermie.
Le système qu'incarne M. Giscard d'Estaing a produit les fruits attendus. De jour en jour la société capitaliste a fait payer plus chèrement sa crise aux travailleurs. Docile aux riches et aux puissants, elle réserve aux faibles ses coups. Profit et privilèges sont sa philosophie. Inflation, chômage, inégalités, dirigisme, soumission aux intérêts du capitalisme étranger colorent le fond du tableau sur le devant duquel s'agitent les personnages qui décident pour la France et parlent en son nom.
Qui s'étonnera de l'amertume, de l'anxiété, parfois de la colère - et en tout cas du désir de changement des Français ? Un grand peuple ne supporte pas longtemps d'être privé d'un grand dessein.

    Mais pour combattre cette société il est difficile à un parti de l'opposition d'atteindre l'opinion. L'appareil des moyens audio-visuels, radio et télévision, constitue désormais, aux ordres du pouvoir, une police supplétive infiniment plus ductile et subtile que toute autre forme d'oppression. Pas une issue, par où pourrait se libérer l'information, qui ne soit gardée par une sentinelle, en dépit de la rectitude de nombreux journalistes attachés aux règles de leur honneur professionnel. C'est le chef de l'État qui pourvoit à la direction des trois chaînes de télévision et de Radio-France, ce sont ses agents ou ses obligés qui contrôlent Radio Monte-Carlo, Europe 1, R.T.L., Sud-Radio. Quant à la presse écrite, à mesure que s'accroissent ses charges et ses contraintes, elle voit se réduire le pré carré de son indépendance. Pour quelques-uns qui tiennent bon, la plupart des hebdomadaires et des quotidiens d'audience nationale et régionale cèdent à la pente naturelle du système. L'Agence France-Presse, distributrice des nouvelles, rejoindra-t-elle, à son tour, le gros de la troupe ? On ajoutera qu'à chaque période électorale l'argent du patronat entre en crue et rompt les digues des faux-semblants démocratiques. En 1978, on a pu évoquer, sans crainte d'être démenti, le milliard versé sous la table au parti du président de la République pour le défrayer de ses menues dépenses.

    Les socialistes ne possèdent rien de tout cela, n'y aspirent pas et ne s'en plaignent pas pour eux-mêmes. Mais ils s'inquiètent de cette mise en condition d'un peuple tout entier, de cet embargo sur la démocratie, de l'immoralité croissante de notre vie publique. Les moyens dont ils disposent pour faire front et, à partir de là, pour renverser le cours des choses, sont d'une autre nature :
- l'idée d'abord, celle qui n'a pas cessé d'inspirer un siècle et demi de luttes ouvrières, l'idée toujours neuve d'une société sans classes d'où les causes de l'exploitation de l'homme par l'homme, à l'ère industrielle, auront été éliminées par la transformation, notamment, des structures économiques et des rapports de production ;
- l'engagement ensuite, celui des hommes et des femmes, militants politiques et syndicaux, cette armée de volontaires mobilisés contre la fatalité de l'histoire et qui avancent, la tête pleine des révolutions qui font pencher le monde du côté de la liberté ;
- la connaissance enfin, ou le savoir, hors duquel l'humanité, comme aveugle, tournerait sans fin sur elle-même.
Porter plus loin l'idée, rassembler ceux qui la servent, convaincre les autres de l'utilité, de la nécessité de nos choix, par l'explication, le dialogue, l'approche honnête des faits et l'ampleur de nos vues, telle est notre ambition à travers ce Projet.

    Un militant socialiste se tromperait s'il concevait son rôle autrement. Son premier devoir est de comprendre pour faire comprendre, de n'oublier jamais que l'action politique relève avant tout de la pédagogie. Assener l'argument, mitraillette à la main, répéter le mensonge pour qu'à l'usure il se maquille en vérité, flatter l'ignorance pour capter le pouvoir, n'est pas dans notre genre. Nous croyons en la raison comme instrument capable de pénétrer la conscience des hommes et les secrets de l'univers et nous n'entendons pas nous écarter de ses chemins.
Mais nous mesurons aussi ses limites là où commence l'interrogation, spiritualiste ou non, de chacun sur soi-même et le sens de sa vie. On n'adhère pas au socialisme sans une certaine vision de l'homme, de ce qu'il veut, de ce qu'il peut, de ce qu'il doit, de ses droits et de ses besoins. Mais le socialisme n'est pas une religion. Il se trahit dès qu'il se fige en dogme, s'érige en église et se donne aux grands prêtres. L'histoire contemporaine procure trop d'exemples de ces déviations et de leurs tragiques effets pour que les socialistes ne veillent pas avec un extrême scrupule à s'en garder.
C'est dans cet esprit qu'a été conçu et rédigé ce projet. Non seulement nous récusons tout dogme maître du monde et des consciences, assurés que nous sommes que nulle tyrannie n'est pire que celle de la pensée qui se veut souveraine par la coercition, mais encore nous laissons aux nôtres le soin d'aller aux sources socialistes de leur préférence, la seule règle étant d'observer la charte d'Épinay qui nous unit et qui retient comme un acquis irremplaçable l'œuvre et l'enseignement des grands théoriciens du dernier siècle.

    Notre volonté est d'établir une méthode aussi précise, aussi concrète que possible, pour passer d'un état économique, social, culturel et par conséquent politique à un autre, du système capitaliste en France à la société socialiste. De cette société nous ne fournissons pas un modèle, codifié une fois pour toutes. Nous inscrivons notre démarche dans une logique de rupture dont la cohérence interdit d'isoler les éléments particuliers ou d'accommoder le dispositif au grè des circonstances.
Que cela forme un tout, le lecteur s'en convaincra au fil des pages et notre intention n'est pas de le lui démontrer par avance. Si nous voulions en peu de mots exprimer l'essentiel, nous écririons que nous avons la certitude profonde, définitive, qu'il n'est de socialisme que celui de la liberté, qu'il n'est de liberté que celle du socialisme - et qu'aucune puissance au monde n'étouffera cette évidence. Inutile, à cet égard, d'être devin pour pressentir que, le projet à peine diffusé, les propagandes croisées de nos divers antagonistes s'appliqueront massivement, systématiquement, à défigurer le Projet socialiste pour n'en extraire que les petites phrases séparées du contexte et l'enfermer dans les schémas qu'elles auront elles-mêmes esquissés, à lui reprocher tour à tour d'avoir trop ou de n'avoir pas assez concédé à la théorie, d'avoir visé trop court, trop long et jamais juste.
Face aux offensives qui nous assailleront de tous bords, nous aurons pour notre défense et pour la contre-attaque le triple avantage du travail, de la bonne foi, de la rigueur.
- Le travail : un an et demi de réflexion, d'études, de débats à tous les niveaux du Parti.
- La bonne foi : nous sommes les seuls à prendre le risque d'exposer nos thèses noir sur blanc, avec l'irréductible du papier imprimé.
- La rigueur : nous nous montrons tels que nous sommes, nous désignons nos adversaires et nous en appelons à la raison critique. mais cela ne suffirait pas sans la présence, du début à la fin, d'une idée force, d'une idée claire. Et celle qui habite, qui nourrit, qui parcourt notre texte se nomme liberté.

    Évitons à ce propos les faux débats. Nous savons que sans la victoire et sans son corollaire, le changement de société, nos succès resterons précaires. Mais on ne nous empêchera pas de penser que toute liberté est bonne à prendre où elle se trouve. Ou, mieux, les libertés. Dans une pareille affaire, il n'y a pas de tout ou rien. Et puisqu'il s'agit d'un Projet pour le gouvernement des Français, nous réclamons d'être jugés sur notre capacité d'élargir les espaces de liberté.

    Il existe un ordre d'urgence. Ces espaces de liberté, c'est d'abord sur le système en place qu'il faut les conquérir, sur sa classe dirigeante et ses maîtres ou tireurs de ficelle qui, dans l'anonymat des multinationales, décident pour nous tous, sur ses rapports de production et son modèle de croissance, sur son organisation, ses cadences, se durée du travail, sur son détournement du temps libre, sur son État, sa police, sa justice, sa bureaucratie et sa fiscalité, sur ses critères culturels, sa presse, sa radio et sa télévision, sur l'inégale condition de l'homme et de la femme, parmi tant d'autres inégalités qui sont sa raison d'être. Bilan fait des servitudes propres à la société capitaliste, le Projet socialiste ouvre la voie des libérations nécessaires, multiplie les initiatives et corrige les idées reçues.

    Prenons pour seul exemple l'un des points les plus controversés de nos propositions : la socialisation des grands moyens de production. Avons-nous assez entendu nos adversaires vaticiner qu'avec les nationalisations, c'en était fini de la liberté des échanges, sinon de la liberté tout court ? Et de tracer le portrait d'une monstrueuse machine à broyer la personne humaine. Et de crier au paradoxe. Quoi ? les socialistes osent parler de liberté ? C'est qu'en effet, pour le vieux parti conservateur et ses modernes " managers ", le socialisme, utopie ou conjuration, relève d'une construction de l'esprit qui, par ignorance du réel, tend à contrarier l'ordre inné et à réduire l'individu à la fonction de rouage, pièce automatisée d'un mécanisme collectif. " Je vous le demande, M. Mitterrand, êtes-vous collectiviste ? Répondez par oui ou par non " insistait à l'envi M. Giscard d'Estaing lors des confrontations qui l'opposaient à son concurrent de 1974. Par oui ou par non, comme c'était simple ! Collectivisme, sitôt le mot lâché et non point par hasard; surgissent les fantasmes, ruche, termitière, fourmilière, que la littérature à gages entretient et répand pour la commodité de ses inspirateurs. On devine ce que cache ce langage de loup qui se fait berger. Assécher la source du pouvoir de l'argent, organiser la société, comme le veulent les socialistes, par consultation et par la décision de ceux qui la composent, dérange ceux qui la dirigent par la seule vertu du pouvoir de classe qu'ils détiennent. Haro donc sur les socialistes renvoyés à l'époque où le prolétariat et ses millions d'êtres humains écrasés sous le talon de quelques-uns, avait imaginé, au pire de sa misère, la cité idéale. Crime inexpiable, crime inexpié. Quel M. Thiers s'est jamais demandé si le rêve n'était pas l'ultime refuge des pauvres, volés, après le reste, de pain et d'espérance ? Il n'était pas maladroit non plus de prêter à confusion en brassant dans la même cuve, d'où sortent des vapeurs d'enfer, communisme et socialisme, Staline et Front populaire, les régimes de l'Est et l'Union de la Gauche. " Si la Gauche l'emporte, déclarait un vendredi M. Poniatowski, les chars soviétiques camperont mardi prochain sur la place de la Concorde "

    Négligeons ces outrances et ces stupidités. Nous voulons convaincre nos lecteurs que le combat que nous menons serait vide de sens si socialiser n'était pas libérer : libérer les travailleurs de l'exploitation qu'ils subissent, libérer les consommateurs des normes et des prix que la loi du profit impose, libérer la puissance publique du diktat du grand capital, libérer enfin le marché du poids des entreprises qui exercent un monopole dans un secteur-clef de notre économie ou qui fabriquent des biens indispensables à la vie et à la sécurité du pays. Les nationalisations ont pour objet de répondre à ces exigences. Qu'il convienne de rectifier ce que la Droite a fait des entreprises nationalisées, en 1945, par le gouvernement de général de Gaulle, ne nous échappe pas. La Droite étatise ce que la Gauche nationalise. Une gestion plus autonome où travailleurs et usagers joueront un rôle déterminant, plus une décentralisation régionale, tandis que, parallèlement, se développera l'économie sociale, moduleront à l'avenir des structures jusqu'ici exagérément rigides et uniformes.
Nous ne tairons pas davantage le danger que présente la colossale emprise du monopole d'État. Trop d'expériences vécues nous ont enseigné que le socialisme s'y perdait en même temps que la liberté. De là notre volonté d'entreprendre un autre itinéraire et de le suivre jusqu'à son terme, l'autogestion, c'est-à-dire l'État social qui permettra à des hommes et à des femmes responsables, là où ils vivent et travaillent, toute forme de centralisme et de gigantisme cassée, de décider ce qui leur semblera bon pour eux et pour la collectivité. Qu'on ne nous accuse pas ici de moralisme. Fût-il autogestionnaire, le socialisme ne fera pas l'impasse sur la stratégie de rupture ou bien il périra. Notre Projet, on le verra, ne barguigne pas là-dessus.

    Mais puisque nous avons, au passage, dénoncé le danger du monopole d'État, arrêtons-nous un instant pour observer le régime dont il résulte et qu'il sous-tend.
D'espaces de liberté, le marxisme-léninisme n'en a guère laissé subsister depuis le règne de Staline. Ses mérites sont d'un autre ordre. Ni son parti unique, ni sa bureaustructure, ni sa technostructure, ni sa pratique économique, ni sa presse officielle ni sa technique policière, ni ses camps de concentration, n'ont cherché à donner le change. Aux yeux des doctrinaires, la liberté façon 89 reste fille de ses origines, et donc à jamais suspecte. On sait que telle n'est pas notre opinion, quelque réserve que nous fassions sur l'imposture qui a suivi. Ce n'est pas à l'Est, décidément, que les socialistes découvriront le nombre d'or. La liberté est chose trop précieuse pour qu'elle cède le pas à l'idéologie.

    Au demeurant, tout se tient. Capitaliste ou communiste, la société industrielle, dans ses aspects urbains, par la dégradation des équilibres naturels et par ses critères scientifiques, se ressemble plus qu'elle ne diffère. Partout la ville absorbe des millions et des millions d'hommes et les rend à leur solitude. Partout les éléments basculent " avant que nature meure ", sous la poussée des convoitises. Vivre, respirer, sentir, communiquer, là encore, que d'espaces de liberté à conquérir !
Mais les socialistes d'égareraient s'ils s'inventaient iun avenir où le temps irait à rebours. La ville est à maîtriser et non pas à maudire. La nature est à sauver et non à sanctifier. Nous nous garderons également du ton chagrin employé par certains pour déplorer les progrès de la science. Quel socialiste condamnerait le don d'imaginer et de créer ? Le péril ne réside pas dans l'esprit du savant. Nucléaire, génétique, informatique, télématique, c'est une affaire de société : la responsabilité est ici plus qu'ailleurs facteur de liberté.

    D'où l'importance des institutions. Déclarons tout de suite que nous considérons comme nôtre, par droit de succession, l'héritage de la démocratie politique, qui fut inaugurée par les bourgeois de robe du temps du roi Louis XVI. Certes nous faisons la différence entre ce que fut cette bourgeoisie quand, Tiers-état, elle sut traduire, et de quelle manière, les aspirations populaires, et ce qu'elle devint peu après quand, propriétaire du foncier, de l'industrie et de la banque, elle jeta aux orties les immortels principes pour fonder à son tour sa féodalité. De l'" enrichissez-vous " de Guizot à l'" enrichissez-vous, mais ne le montrez pas " de Valéry Giscard d'Estaing, il n'y a de degré que dans l'hypocrisie. Mais le discours n'a pas changé. Nous n'oublions pas davantage que la démocratie politique a servi d'alibi aux fusilleurs de 48 et de 71 afin d'en terminer avec le " spectre rouge " de la démocratie sociale et qu'elle masque encore aujourd'hui l'insidieuse avancée d'un régime présidentiel débarrassé, comme jamais depuis Pétain et le Prince-Président, de ses ordinaires contre-poids. Rien ne nous fera cependant renoncer à la filiation directe qui les rend inséparables l'une de l'autre. C'est pour s'être obstiné sur cette vérité première que Léon Blum, à Tours, a choisi la rupture avec le communisme. Ce qui nous conduit, soixante ans plus tard, à poser aux mêmes les mêmes questions.

    Cette présentation du Projet socialiste ne serait pas complète, sur le plan où elle se situe, si nous n'évoquions pas les contraintes du temps qui pèsent sur la nation et les espaces de liberté à conquérir pour notre peuple. La présence en Europe des deux superpuissances et de leurs intérêts, tantôt complémentaires tantôt antagonistes, le rapport de forces économique et militaire, la balance démographique, la géographie des matières premières et le désordre des monnaies marquent les limites de l'étroit défilé qu'il nous faut traverser pour préserver, au prix d'une résolution implacable et tranquille, l'indépendance de nos choix.
Partons d'un postulat : nous n'élargirons notre espace de liberté qu'en comptant d'abord sur nous-mêmes. Mais nous ne chanterons pas d'hymne à la France seule. Les socialistes continueront d'opter pour les communautés internationales, en premier lieu l'Europe du Marché commun, sans être dupes de leurs faiblesses. Ils participeront à toute initiative où le désarmement, l'arbitrage et la sécurité collective consolideront la paix et ils témoigneront aussi haut qu'ils le pourront pour la cause des peuples abandonnés à l'arbitraire et à la mort.

    Encore un mot. Que veulent les socialistes ? Une société plus juste, un pouvoir partagé, un savoir sans frontières, une vie mieux remplie, la vie mieux respectée. Un peuple libre peut le faire.



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