Rebondir
est « encore »
à notre portée !*

 Contribution générale au congrès national de Dijon du Parti socialiste présentée par Vincent Assante, secrétaire national aux personnes handicapées.
18 janvier 2003

* " Rebondir est à notre portée ", tel était le titre de ma contribution en 1993.


 

De l'utilité de cette contribution

Les anathèmes ou les positionnements personnels en forme d'actes d'allégeance tactique n'augurent pas d'une volonté de débat et d'une clarification au fond. Tout attendre d'un leader, aussi estimable soit-il, sans formuler ses propres convictions devant l'ensemble des militants ne m'apparaît pas à la hauteur des exigences de la situation.

En réalité, mis à part les états généraux de 1994, il n'y a jamais eu réellement débat avec l'ensemble des militants, soit parce qu'il fallait geler les positions acquises, soit parce que les lois de la présidentielle, dans la Ve République, tendent à émanciper son candidat des volontés du parti, soit parce qu'il faut éviter d'affaiblir le gouvernement, et ceci fut vrai avant comme après 1997.

Or, la préparation d'un congrès est un moment privilégié pour réfléchir et débattre. Préciser ses idées, affirmer un accord ou un désaccord, ouvrir quelques pistes, les soumettre au feu de la critique, est un devoir et il est bon que chacun participe de manière active au débat.

Cette contribution n'a pas vocation à être exhaustive, mais a pour objectif d’une part de démontrer que notre volonté de transformation sociale ne peut s'accommoder de concepts approximatifs, et d'autre part de valider l'impérieuse nécessité qu'il y a à instaurer un rapport critique avec le capitalisme tant sa sécrétion idéologique, la pensée néo-libérale, pèse sur la société toute entière et y compris sur notre propre perception de certains phénomènes trop vite qualifiés de consubstantiels à la condition humaine.

C'est pourquoi le congrès de mai 2003 constitue un rendez-vous majeur pour tous les socialistes, et au-delà, fondamental pour toute la gauche et pour tous les Français. Il appartient aux militants, non point de s'aligner comme c'est traditionnellement le cas sur le point de vue supposé ou déclaré de tel ou tel leader, mais de s'inscrire dans la discussion et d’exprimer son point de vue - afin d'éviter les traditionnelles alliances qui reposent de moins en moins sur des accords politiques mais, de plus en plus sur des tentatives de préservation d'espaces de pouvoir -, et de permettre au débat de ressourcer nos points de vue, de vérifier notre doctrine, d'échanger nos analyses, et d'affirmer notre corpus pour les années à venir, que cela passe par une synthèse ou non – voire par la constitution d'une majorité et d'une minorité – afin de renouer le dialogue de façon positive avec l'ensemble des Français.

Cette contribution constitue également la matrice d’une éventuelle motion que je pourrais déposer si je m’y sens contraint.

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I/

Reconstruire
Refonder
Rénover
Remettre à plat

 
Objurgations des uns, objectifs des autres, comme si notre bilan n'existait pas, comme si l'important taux de confiance dont bénéficiait Lionel Jospin trois mois avant les élections n'avait jamais existé. Comme si nous étions incapables de comprendre la société française, ses clivages en évolution, ses modes d'organisation, ses attentes et ses frustrations.

À juste titre, Alain Bergounioux dénonce " le fantasme très français de la table rase ", ajoutant que " tout le travail sur le projet socialiste reste valable... tout n'est pas à repenser ".

Mais il est vrai que le 21 avril fut un choc pour tous les Français, puisque Lionel Jospin était éliminé du premier tour de la présidentielle, battu par Jean-Marie Le Pen de moins de 200.000 voix.

Les principales causes structurelles sont connues : crises politique et sociale non réglées mais inquiétantes comme la crise de la démocratie représentative et de son cortège d'abstentions ou de la désagrégation sociale et de ses conséquences en termes de sécurité par ailleurs surmédiatisées, inscription durable de l'extrême droite dans le paysage politique, renforcement de l'individualisme comme produit tout à la fois de l'idéologie libérale et des aspirations à la liberté nées de 1968, inquiétudes devant les effets d'une mondialisation qui dessine les contours nouveaux d'une redistribution des champs de production, progrès techniques facteurs de productivité accrue au détriment de l'emploi du plus grand nombre.

Les principales causes conjoncturelles sont également connues : l'inversion du calendrier politique qui renforçait le caractère présidentiel de la Vème république, la certitude des français de retrouver les deux principaux candidats au second tour, une campagne désastreuse, un candidat jouissant d'un crédit évident mais trop enfermé – et pour cause – dans sa fonction de Premier ministre, un projet peu lisible lié à un bilan certes considérable mais aussi porteur d'interrogations, le déficit d'image des socialistes chez les enseignants lié à des méthodes de concertation pour le moins discutables, le désamour accentué avec les chasseurs, le début du krach boursier sur les valeurs technologiques, les attentats du 11 septembre, le recul de la croissance, la montée conjointe du chômage.

Mais minimiser les secondes au profit des premières au prétexte que des voix intéressées, extérieures au parti, colportent l'idée que le socialisme est mort ou dépassé, ou bien que d'autres voix, socialistes cette fois, veulent affirmer la prééminence de la rénovation sur les fondements, me renforce dans la conviction qu'il importe de revenir sur les scores des candidats au premier tour et de bien mesurer les conséquences des choix politiques que nous avions fait dès le congrès de Grenoble.

Pour autant, à ce stade de l'analyse, il m'apparaît intéressant de citer les raisons que j'exposais pour expliquer la défaite de 1993 dans une contribution rédigée lors des États généraux de 1994.
" Beaucoup de raisons grandes ou petites ont été avancées pour expliquer la déroute du parti socialiste. Elles se résument en réalité en trois points :

Incapacité à changer la vie, perte d'identité du socialisme, flétrissure de l'image des dirigeants socialistes, grands ou petits.

 L'incapacité à changer la vie
, c'est essentiellement ne pas avoir réussi à faire reculer le chômage, mais au contraire, douze ans plus tard, constater qu'il a doublé ; juguler la pauvreté, criante aujourd'hui au quotidien dans les grandes villes et banlieues ; limiter le sentiment d'insécurité alimenté fatalement par la croissance de la petite et moyenne délinquance, phénomène exacerbé par le caractère répétitif, lancinant, de flashes d'informations délivrées par les médias omniprésents ; circonscrire le racisme, alimenté par l'amalgame délinquance-immigration ; offrir une perspective crédible à la jeunesse, mais au contraire lui léguer un avenir hypothétique ; stopper la déstructuration du monde rural ; consolider l'avenir des retraites et de la protection sociale ;

 La perte d'identité du socialisme, c'est parler de la rupture avec le capitalisme pour ouvrir une parenthèse sans gloire, puis déclarer huit ans plus tard qu'il borde notre horizon ; glorifier le service public pour célébrer ensuite l'initiative privée ; caractériser les institutions de la Vème République comme le " Coup d'Etat permanent " et ne pas les réformer ; transformer de fait le parti socialiste vivant et créateur - par essence au centre d'un tissu social imprégné de culture solidaire et de citoyenneté au travers notamment du mouvement syndical et associatif - en un parti " godillot " ; vouloir rendre la société aux citoyens pour ensuite rester sourd à leurs messages ou trop loin de leurs préoccupations ; vouloir assurer la primauté du politique, donc de la démocratie, et s'enliser dans une " ouverture " sans principes ;

 La flétrissure de l'image des dirigeants socialistes, grands ou petits, c'est incarner l'idée de justice et couvrir les turpitudes de quelques prévaricateurs ; proclamer la transparence et s'accommoder trop longtemps d'un système amoral de financement des partis ; stigmatiser le pouvoir de l'argent et s'afficher avec des hommes d'affaires flamboyants et douteux ; se déclarer réformateurs et se comporter comme des notables soucieux de leur avenir personnel et friands de pouvoirs et d'honneurs ".
Hormis le troisième élément concernant la flétrissure de l'image des dirigeants socialistes ou bien une situation de l'emploi dégradée citée dans le premier point et à propos desquelles la période 1997/2002 a marqué une rupture reconnue par tous, il est pour le moins troublant de constater 9 années plus tard que bien des raisons avancées à l'époque recoupent tout à fait les constats que nous pouvons faire aujourd'hui.

La contribution indiquait ensuite :
" Face à ce passif, le bilan non négligeable des socialistes ne pouvait peser lourd d'autant que les efforts réels en matière d'éducation venaient trop tard pour que l'on en ressente les efforts, la pérennisation du RMI symbolisait en réalité notre échec en matière d'emploi, et le partage du travail, tant vanté dans les derniers mois, apparaissait aux citoyens désillusionnés comme le partage de la pénurie.

L'absence, il faut bien le dire, d'une politique - sinon de rupture - du moins réformatrice et cohérente dans une perspective de transformation sociale devait fatalement sonner le glas d'une gauche dite " politique ", en délicatesse avec sa base sociale, de plus en plus déçue, voire désespérée et atomisée, sociologiquement et politiquement.

Il faut ajouter que l'ensemble de ces facteurs se sont inscrit dans un monde qui s'est considérablement modifié en douze ans, dans un mouvement qui va s'accélérant, où la rapidité de l'information et de l'image, de simples reflets deviennent tout à coup acteurs.

Loin d'être légitimés et nourris de l'effondrement des régimes staliniens et du retour, même dans le chaos, à l'économie de marché, les socialistes ont été au contraire déstabilisés, à la fois par la référence à l'utopie - indispensable à l'humain, on l'oublie trop souvent – et par l'affaiblissement en France du Parti Communiste, sans pour autant être en mesure de retenir leur électorat populaire, encore moins aujourd'hui qu'hier.

Désorientés par des discours et des attitudes d'hommes dont l'image tend à s'opacifier, l'électorat conquis dans les années 70 a préféré s'abstenir, s'éparpiller, voter blanc ou voter pour une opposition qualifiée de droite qui avait enfilé les habits de la réforme, traditionnelle à gauche, que pour une majorité qualifiée de gauche qui s'était convertie à l'orthodoxie financière classique, traditionnelle à droite ".
Certes, les constats de l'époque ne se superposent pas à l'identique sur les constats d’aujourd’hui, mais il faut constater que les Etats Généraux d'abord et les Assises de la transformation sociale ensuite n'ont pas permis de tirer toutes les leçons qui s'imposaient !

Du bilan en général...

    Bien entendu, rechercher les causes de la défaite impliquent que nous nous interrogions aussi sur la nature de notre bilan. Non pour le minimiser, mais pour l'analyser. Même brièvement.

       Deux millions d'emplois créés et un million de chômeurs en moins, mais plusieurs centaines de milliers d'emplois à temps partiel ou à durée déterminée et 500.000 emplois aidés, et encore 2,3 millions de chômeurs vivant plus difficilement leur situation dès lors que le chômage régressait pour d'autres,

       des avancées sociales, telles que la loi contre les exclusions, mais qui, lorsqu'elle ne permet pas de déboucher sur un emploi laisse la désagréable impression au titulaire qu'il relève d'une politique d'assistance, la couverture maladie universelle ou l'allocation personnalisée d'autonomie, mais dont la réalisation tardive ne permettra pas de recueillir les retombées politiques naturelles,

       des avancées sociétales, telles que la parité et le pacs, très appréciées par des catégories ciblées de citoyens mais pas ressenties nécessairement d'importance pour toute la population (chez les femmes, Lionel Jospin recueillera 16 pour cent des voix contre... 22 pour cent à Jacques Chirac),

       un ersatz de réforme fiscale, cocktail de mesures ciblées, parfois intelligentes (comme la réduction de TVA pour les travaux d'appartements), parfois injustes (comme la réduction de l'impôt sur le revenu), franchement inégalitaires (comme la suppression de la vignette automobile), voire absurdes (comme l'allègement de la fiscalité sur les stock-options), ou nettement à contresens (comme la prime pour l'emploi) quand la solidarité nationale, vécue comme une assistance, prétend remplacer la valeur du salaire dans le revenu professionnel exonérant les entreprises de leurs responsabilités dans l'existence des bas salaires,

       des inflexions politiques inavouées ou incorrectement expliquées (comme les privatisations ou les ouvertures de capital), parfois peu justifiées ou contradictoires à nos principes et nos valeurs, en particulier dès lors qu'il s'agissait de services publics, auxquels les Français sont très attachés, parce qu'ils sont ouverts à tous et donc garants de la cohésion sociale et facteurs d'égalité sociale,

       des erreurs commises, (comme la proposition du droit de vote aux scrutins locaux pour les étrangers non ressortissants de la communauté européenne, non inscrite au bureau du Parlement au motif que le président s'y opposerait, et au final le Sénat aussi, perdant ainsi une occasion de prouver que pour les socialistes l'intégration avait un sens),

       une volonté de dialogue social insuffisamment affirmée ou à géométrie variable, expression d'une vision encore trop jacobine, voire étatique et centralisée,

       des accommodements avec nos propres règles, (comme le cumul de mandats, dans bien des cas pourtant prohibé),

       des mesures nécessaires mais affirmées tardivement et pas toujours bien assumées par l'ensemble des socialistes (comme les questions de sécurité, dont l'importance déjà s'était révélée dans les résultats des municipales de mars 2001), insuffisantes de surcroît pour compenser le sentiment largement perçu de perte de l'autorité de l'État,

       un début de politique globale en matière de handicap, mais là aussi trop tardif pour en recueillir les fruits,

       de nombreuses mesures face à la mondialisation (comme l'adoption du principe de la taxe Tobin, le début de l'annulation de la dette des pays pauvres, ou l'esquisse d'une coordination européenne des politiques économiques) mais qui apparaissent techniques et non pas incarner un grand dessein,

       et bien entendu, des frustrations et des attentes nouvelles générées aussi bien par les aspects positifs que négatifs de notre politique.

    Et pourtant, que de fois avons-nous vanté notre bilan, notamment à partir de l'an 2000, donnant même l'impression de n'avoir rien d'autre à proposer, comme si nous étions en panne de projet. Et pourtant, nous n'avions pas encore constitué le Fonds de réserve des retraites, ni pris les mesures de résorption de l'emploi précaire dans la fonction publique, ni même fait voter encore la loi sur l'allocation personnalisée d'autonomie.

...et des trente-cinq heures en particulier

    Il importe de souligner d’abord que les 35 heures ont permis la création ou le maintien d'emplois pour plus de 430 000 personnes. Mais il faut citer ensuite les effets pervers entraînés ici ou là par cette réforme.

    Disons d’emblée qu’il est regrettable que la réalisation de cette promesse de campagne ait semblé octroyée, voire imposée (nonobstant les négociations qu'elles ont permises dans de nombreuses entreprises, mais pas toutes, il faut le souligner) plutôt qu'ardemment désirée, voire obtenue ou arrachée, d'autant que la réduction du temps de travail s'est accompagnée de modération salariale dans la durée (l'augmentation mécanique du salaire horaire ne pouvant chez les petits et moyens salariés tenir lieu de satisfaction salariale) et même de baisse du pouvoir d'achat dans certaines branches par la disparition ou la raréfaction des heures supplémentaires, par ailleurs mieux payées.

    À quoi il faut ajouter l'individualisation du temps de travail qui, si elle a souvent permis le rééquilibrage global de la vie professionnelle et de la vie privée, a en corollaire réduit le caractère collectif des horaires, ce qui va à l'évidence dans le sens d'une évolution souhaitée chez les jeunes, mais a contribué à atomiser un peu plus le lien de l'intérêt collectif des salariés.

    Et de ce point de vue, même encadrée par l'intervention des partenaires sociaux, on ne peut nier que la notion de flexibilité a trouvé un peu plus droit de cité dans l'entreprise, sans que cela corresponde toujours à l'aspiration à la souplesse du temps de travail individuel.
Il faudra néanmoins peu de temps pour que le bilan de ces cinq années soit apprécié à sa juste valeur … a fortiori à la façon dont la droite s'y attaque.

Quant à la réduction du temps de travail, il est vraisemblable que nous devrons reprendre le moment venu, si nous sommes en situation, ce chantier et aller vers les 32 heures (plus trois heures de formation ?), mais d’une autre manière.

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II/ Dessein, projet, stratégie :
une nécessité

 
Jamais les questions n'ont paru aussi complexes face à la montée des périls, de la mondialisation et son cortège de crises financières et ses délocalisations, du renforcement des extrémismes et de leurs attentats meurtriers, du développement des progrès techniques et des inégalités dans un parallèle saisissant, et face à la déconfiture des grandes espérances et des principes qui les incarnaient.

À partir d'une grille de lecture qui redonnerait du sens aux événements et aux lignes de force qui rythment notre planète, de la définition d’une stratégie pour agir au plan national, européen et mondial avec nos concitoyens maîtrisant ensemble notre destin collectif, de l'élaboration d’un projet bâti sur le respect de l'individu et sa volonté d'autonomie dans le cadre d'une solidarité collective offrant aides et garanties pour permettre initiatives et responsabilités, du rassemblement de toutes les forces sociales qui s'inscrivent dans cette perspective, les socialistes devraient être en mesure d'assumer la mission qu'ils s'assignent et... de rebondir à nouveau !

Clarification et perspective : l'indentité du socialisme

    Toute notre attention, tous nos efforts, de la fondation du parti d'Epinay en 1971 à la victoire de 1981 ont été tendus vers le rassemblement des couches populaires d'abord, et des couches moyennes ensuite, sans oublier nombre d'intellectuels, par l'investissement et le militantisme dans les entreprises, les organisations, les associations et les universités. Puis, la conduite des affaires de l'Etat, l'inévitable nécessité de prioriser les priorités, le caractère antidémocratique des institutions de la Ve République qui voit le pouvoir procéder de l'exécutif, minimisant le rôle du Parlement et reléguant les partis au rang de supplétifs (sauf pendant les campagnes électorales) ont éloigné les gouvernants, trop alimentés par la technostructure, de l'ensemble des citoyens, et même souvent des élus de base, sans même parler des militants.

    Il est vrai que depuis les années 20, le balancier de l'histoire, orienté vers la gauche en tant que traduction politique d'événements sociaux voulant mettre un terme à une exploitation éhontée des classes ouvrière et paysanne, n'a cessé (quelques courtes périodes exceptées) de revenir vers la droite, semblant légitimer le système capitaliste et l'idéologie qu'il sécrète.

    Ne pas reconnaître que l'idéologie libérale pèse sur l'ensemble des composantes de la société au plan individuel et collectif, et par conséquent sur la gauche toute entière, en premier lieu sur ses dirigeants en raison même des choix qu'ils ont à faire et en particulier dans les conditions où il faut parfois les exercer, est dangereux.

    Exprimée dans les années 80 avec le dogme du seuil insupportable des taux d'imposition, puis du mouvement de réhabilitation du chef d'entreprise proclamé " nouveau héros " de cette fin de siècle, on ne peut que constater l'influence marquée de l’idéologie libérale, exercée dans nos rangs et sur notre politique ces quinze dernières années.

    D'où l'importance d'un parti et de ses militants pour un gouvernement socialiste, qui au lieu de les tenir à l'écart, devrait au contraire en permanence les associer à ses réflexions et à son action, car la lutte contre la mondialisation libérale ne peut se mener qu'à partir de bataillons de militants animés d'une volonté réformatrice de transformation sociale.

    En bon français, cela signifie en profondeur, pour ne pas dire radicale et chacun doit comprendre que cela ne peut s'exercer à la marge comme semblait le signifier les slogans " pour une France plus juste ", " pour une France plus humaine ".

    De ce point de vue, François Hollande a raison : s'il ne s'agit pas d'être " plus à gauche " ou d'être " mieux à gauche ", mais tout simplement d'être " socialiste ", alors soyons-le !

    Mais pour cela, recentrons nous sur nos acquis fondamentaux et sur ceux que prioritairement nous représentons.sans oublier ceux qu'historiquement nous associons !

    Il apparaît donc nécessaire à cette étape de préciser un certain nombre de notions, tels que le capitalisme, le libéralisme, le marché, le socialisme,...

    Qu'est-ce que le capitalisme, sinon un système économique dominé par une minorité qui concentre dans ses mains l'accumulation du capital et recherche un taux de profit maximum en raison même de la concurrence que ses différents protagonistes se livrent de manière acharnée, par une exploitation maximum des capacités productives de l'ensemble des salariés.

    Qu'est-ce que le libéralisme, sinon une doctrine qui tend à présenter le capitalisme comme un système naturel et les marchés comme étant capables de s'auto-réguler, rejetant par principe toute intervention de l'Etat.

    Qu'est-ce que le marché, sinon l'espace où les producteurs et les consommateurs s'échangent les biens et les services dans une offre de concurrence et de ressources plus ou moins disponibles. Imparfaits par nature, instables par essence, myopes et parfois aveugles par définition, le marché est un instrument à discipliner pour mieux répondre aux besoins des plus larges populations au lieu d'être en priorité, comme le souhaitent les libéraux, un instrument à générer les profits.

    Qu'est-ce que le socialisme aujourd'hui – il a connu diverses définitions au cours de l'histoire contemporaine, sinon une conception politique qui a pour objectif de favoriser l'épanouissement des capacités humaines des plus larges populations, par le développement du progrès, de la laïcité et de l’égalité, avec comme instrument la démocratie à étendre dans tous les compartiments de l'activité humaine. " Le socialisme, c'est la République jusqu'au bout ", disait Jaurès, pour qui l'égalité des citoyens dans la liberté et la fraternité demeurait le but ultime d'une nouvelle société à naître.

    Ainsi, " être socialiste ", comme le demande François Hollande, consiste aujourd’hui, sur la base de l'acceptation de " l'économie de marché ", à refuser " la société de marché " - c'est-à-dire un espace d'exploitation renforcée vers lequel tente en permanence de nous conduire le système capitaliste - en établissant un rapport critique avec le capitalisme et l'idéologie libérale qu'il secrète, c'est-à-dire en ne se laissant précisément pas contaminer par cette idéologie ou ses avatars, qu'ils se nomment " libéralisme social " ou " social libéralisme ".

    Si nul au parti socialiste ne se réclame du social libéralisme, certains sont accusés par d'autres de se laisser séduire par ses sirènes, tandis que les accusateurs se voient taxer à leur tour de céder à une " radicalité gauchisante ". Tandis que d'autres prônent un " social réformisme " ou d'autres encore un " réformisme de gauche ", comme pour chercher une nouvelle voie. Mais faut-il pour autant accuser les uns de " dérive sociale-libérale " et les autres de " crispation sociale démagogique " ?

    Formulé ainsi, ce débat a-t-il un sens ? Rien n'est moins sûr ! En tout cas il rappelle furieusement le débat qui opposait il y a vingt ans ceux qui se réclamaient du socialisme et ceux qui se réclamaient de la social-démocratie.

    Et il n'est pas inutile de revenir sur cette question, a fortiori à la façon avec laquelle l'idéologie libérale remet en cause tout ce qu'elle a été obligée de concéder lors des luttes sociales et politiques antérieures.

    Si la social-démocratie implique des rapports à la mode travailliste par le lien organique avec les syndicats ou à la mode de l'Europe du Nord avec ses coopératives, ses mutuelles, ses banques et bien sûr ses syndicats, alors le parti socialiste n'est pas social-démocrate.

    Mais si l'on considère la social-démocratie comme un compromis politique noué avec le capital au compte du salariat, le parti socialiste est à l’évidence social-démocrate.

    Et si la social-démocratie intègre l'influence de Keynes, des grands travaux façon New Deal, une économie mixte – voire des nationalisations – des modes de régulation du marché à l'occasion, un régime de protection sociale au caractère redistributif, une politique laïque d'éducation, alors le parti socialiste est social-démocrate et la France, dans une certaine mesure, vit encore aujourd'hui à l'heure social-démocrate même si le libéralisme, avoué ou insidieux, tend à lui rogner les ailes.

    Et si l'on veut bien admettre que le compromis politique cité plus haut est dénoncé par le capital lui-même au travers de la généralisation du chômage via les plans sociaux à répétition, l'heure n'est plus tout à fait à la recherche hypothétique de l'accord perdu, mais plutôt à une mobilisation continentale et planétaire, nécessairement continue et saccadée.

    De ce point de vue, la dimension programmatique, non seulement européenne mais aussi internationale, en relation avec les autres partis de gauche dans le monde, doit impérativement être intégrée dans les perspectives à ouvrir, sauf à s'impuissanter dans un cadre strictement national. Et en ce sens il y a " rupture ".

    En réalité, comme d'habitude la gauche est traversée par le débat de ses deux composantes historiques qui voient les réformistes radicaux inciter les réformistes prudents à donner de la consistance à la notion de transformation sociale. À ceci près, que le mur de Berlin est tombé, accentuant le retour du balancier vers la droite.

    Et s'il peut apparaître aujourd'hui un peu ridicule – nonobstant ce qui est écrit ci-dessus – compte tenu de la position du balancier de parler de " rupture avec le capitalisme ", il ne faut certainement pas affirmer que cette question ne se posera jamais, car sauf à croire que " le capitalisme borne notre horizon " (ce que nous avions collectivement contesté, je crois), les contradictions de la société capitaliste mondiale et son cortège d'injustices sont tels, qu'il serait présomptueux d'affirmer que les mouvements sociaux qui tentent de trouver une expression mondiale ne seront pas en mesure de remettre en mouvement, et dans le sens opposé, le balancier de l'histoire.

    En tout état de cause, que les mouvements sociaux trouvent une expression mondiale, nationale ou locale, les socialistes, au gouvernement ou pas, ne peuvent se tenir éloignés de ceux qui n'ont pas d'autre choix que de combattre par la grève ou la manifestation. Et tout au moins de les entendre.

    C'est ce que me semble dire les militants socialistes !

    Et comme militant, je récuse l'affirmation de Gérard Desportes et Laurent Mauduit pour qui " Ce premier tour de la présidentielle restera comme une date historique, le jour de la mort d'une certaine gauche. Mais pas n'importe laquelle : celle qui a rêvé pendant plus d'un siècle de changer la vie, d'abolir le travail aliénant, de répartir les richesses "

    Ces objectifs me semblent toujours dignes que l'on se batte pour eux, même si depuis vingt ans les socialistes ont dû collectivement reculer, après avoir néanmoins mis en oeuvre des réformes que l'idéologie libérale n'a pu totalement ou complètement remettre en cause !

    Mais ceci implique, et chacun doit bien le mesurer, que nous devons nous garder de toute influence de l'idéologie libérale, rebaptisée ou non " social libéralisme " ou "libéralisme social ", – et pas seulement de l'ultralibéralisme, ce qui laisserait supposer que nous pourrions nous accommoder du libéralisme tout court – et nous n'y parviendrons qu'en passant au crible de la critique chaque proposition que nous ferons.

    Car le réformisme, qui est l'essence même du socialisme, peut-il être autre chose que radical face à la violence exercée par le capitalisme à l'échelle mondiale ?

    Et ce réformisme,
    que j’appellerai radical pour bien montrer qu’il refuse tout compromis avec l’idéologie libérale ne peut se confondre avec ce que l’extrême gauche appelle de ses vœux, la constitution d’un " pôle de radicalité ", faux habillage d’une vraie politique de front unique, inexistante à cette étape.

Changer la société : un objectif indispensable !

    Changerla " société et non " de " société en disant " oui, à l'économie de marché " et " non, à une société de marché ", selon les formules employées par Lionel Jospin, doit pouvoir cadrer encore notre réflexion et notre action.

    L'échec, annoncé ces dernières années, du socialisme réel conjugué au formidable développement des échanges et des nouvelles technologies qui a façonné la mondialisation, mais aussi à l'impérieuse nécessité de vaincre l'inflation et d'oxygéner l'économie française telles qu'elles nous furent léguées par le septennat giscardien, a conduit les socialistes à abandonner le mot d'ordre de " rupture avec le capitalisme " exprimé au travers des nationalisations réalisées en 1981. La perspective de l'appropriation collective des moyens de production fut abandonnée dans la " déclaration de principe " adoptée au Congrès de Rennes en 1990 et le non-dépassement du capitalisme prophétisé au Congrès de l'Arche en 1991 tandis que la monnaie unique apparaissait comme le moyen ultime du salut et le chômage consubstantiel du monde moderne. On sait ce qu'il en advint.

    Il ne faudrait pas pour autant oublier quelques éléments significatifs du bilan, tel que le droit à la retraite à 60 ans (37, 5 années de travail échues), les 39 heures, la cinquième semaine de congés payés, l'augmentation du SMIC, la paix en Nouvelle-Calédonie, et, y compris, le traitement social du chômage. En revanche, on me pardonnera de ne pas citer la maîtrise de l'inflation obtenue essentiellement par la déconnexion des salaires et des prix.

    Mais au-delà de ce bilan matériel, il faut retenir la capacité qui fut la nôtre de rassembler la gauche en 1981 et à nouveau en 1988, et quelles que soient les erreurs et les faiblesses des socialistes, d'avoir ainsi démontré que la droite n'était pas hégémonique en France.

    Grâce à une droite la plus bête du monde, définie par Philippe Tesson comme " aliénée à ses pesanteurs culturelles et trop attentive à ces intérêts immédiats ", accréditant " l'idée qu'elle est dans son ensemble rebelle au mouvement naturel, sourde aux demandes d'évolution, aveugle devant la réalité ", et la redéfinition de notre projet politique de transformation sociale accompagnée du combat politique de l'élection présidentielle de 1995, nous avons été durant cinq ans, dans un monde certes complexe mais non ingouvernable, en situation de redonner du sens à l'action politique et économique.

    Si les objectifs d'une société " plus juste et plus humaine " et de " modernité partagée " ne peuvent suffire à caractériser un programme de " socialiste ", le plein emploi, l'émancipation des hommes et des peuples, traduire dans les faits la conscience internationale, défendre la démocratie, revivifier les termes du contrat social, être à l'écoute des aspirations fondamentales des hommes et des femmes, se questionner sans cesse, conjuguer l'internationalisme, combattre pour l'égalité des hommes et des peuples, maîtriser le développement de l'histoire et du monde, sont des objectifs, non seulement susceptibles d'exprimer notre identité, mais aussi de rallier autour de nous une majorité de nos concitoyens.

    Si, grâce à notre volontarisme politique, nous avons mis en oeuvre depuis 1997 un certain nombre de réformes, il n'en reste pas moins que les tendances lourdes de la société de marché sont à l’œuvre.

    Le passage de la société industrielle à la société de l'information, le développement sans précédent des nouvelles technologies, la financiarisation de la planète favorisée par une dérégulation outrancière, l'externalisation de la production au profit d'une sous-traitance sacrifiant le code du travail sur l'autel de la productivité, la sélection du capital humain, la supranationalité des pouvoirs économiques face à l'inadéquation des cadres de pouvoirs nationaux, pèsent lourd face à notre utopie constructive de redonner sa place au primat politique pour une société démocratique mondiale basée sur une citoyenneté partagée.

    Le déclassement impitoyable d'hommes et de femmes relégués aux confins de la société sous prétexte d'inadaptation réelle ou supposée, la dissolution du lien social conjuguée à la montée de l'individualisme, une citoyenneté remise en question, une crise endémique dite de " l'Etat providence ", imposent de reconsidérer un certain nombre de concepts et de notions.

    D'emblée, la résistance à la tendance au consensus intellectuel et politique autour du caractère, sinon naturel du moins inéluctable, de l'exclusion ou de la marginalité présentée comme la conséquence du progrès, doit être encouragée car l'existence d'antagonismes sociaux est une réalité, et la logique du conflit et nécessairement du compromis, porte le mouvement de la société.

    D'emblée, l'importance de l'intervention politique des socialistes dans le secteur social doit être clairement réaffirmée dans la mesure où la question sociale de l'exclusion ou des " situations de handicap " engendrée par la logique productiviste inhérente au capitalisme se pose aujourd'hui avec une acuité renouvelée, tant il apparaît important dans un même mouvement d'irriguer le tissu social tout en se nourrissant des réalités du terrain.

    Le combat pour le socialisme démocratique ne peut s'accommoder de la précarisation généralisée, développée non seulement dans le monde professionnel par une flexibilité dérégulatrice, mais aussi dans la vie sociale, source de décomposition sociétale et de violence endémique.

    Le combat pour le socialisme démocratique ne peut accepter une citoyenneté où co-existerait à deux niveaux des " membres actifs " et des " figurants ", les uns représentatifs d'une situation de travail, les autres vivant de la solidarité, c'est-à-dire le plus souvent de l'assistance, mal masquée par un discours sur la fraternité incapable de freiner la relégation de nombre de nos concitoyens. Si les valeurs d'égalité des chances et de solidarité mises à mal par la déstructuration du tissu social conservent pour les socialistes une signification forte, il faut néanmoins préférer les principes de citoyenneté et le primat du collectif sur l'individualisme, consubstantiels du socialisme.

    Le combat pour le socialisme démocratique impose de renouer avec l'analyse des socialistes du début du siècle, sauf à s'interdire de s'émanciper de la vision libérale qui par exemple, en ce qui concerne les personnes en " situations de handicap " ou en situation d'exclusion, préfère invoquer la fatalité ou la responsabilité individuelle en développant des politiques solidaro-assistancielles plutôt que de remettre en cause les fondements mêmes de la société, pourtant à l'origine non seulement de facteurs de désintégration sociale mais aussi de freins aux politiques de réintégration esquissées, même imparfaitement par la gauche.

    La modernité affole, la mondialisation effraie. Pour les uns, l'individualisme seul, peut tenir lieu de perspectives ; d'autres déplorent qu'il tienne lieu de perspectives sans fraternité, n'est-ce pas là l'habillage chrétien de la solidarité soi-disant laïque ?

    Contre l'équité, l'égalité reste un concept novateur, d'autant que la fragilisation de l'avenir par la poussée de l'individualisme redonne au social et au collectif un point d'ancrage, non seulement pour résister aujourd'hui, mais aussi pour rebondir demain.

Handicap et transformation sociale

    L'accident ou le handicap sont-ils partie intégrante de la condition humaine ?

    Parfois, si l'on considère la fragilité de l'homme physique face à l'événement extérieur ; pas nécessairement, si l'accident ou le handicap ont pour origine le contexte social.

    Il est remarquable de constater que les intéressés sont recrutés à tous les niveaux du tissu social par l'aléa, à la naissance ou au cours de la vie, qui semble arracher l'individu à son groupe social d'origine pour le plonger dans un monde étiqueté et stigmatisé. Le processus est simple : dès la survenance de la déficience, conduisant le plus souvent à une incapacité d'ordre divers, le maintien de la personne devenue " handicapée " dans son milieu habituel apparaît impossible à l'entourage, aux décideurs sociaux éventuels, et par contrecoup à la personne handicapée elle-même, que ce soit au domicile ou dans l'entreprise où la personne était auparavant employée. Elle est devenue " handicapée " par rapport à son contexte social.

    Dès lors, une relation inégalitaire avec toutes les composantes de la société s'instaure, que ce soit au travers de l'accession plus difficile que la moyenne à l'instruction, à la culture, au travail et aux loisirs, ou au travers de conditions matérielles d'existence nettement inférieures à la moyenne.

    Nonobstant la déficience, le handicap apparaît bien être une construction sociale, et nécessairement politique.

    D’ailleurs, comment comprendre la faiblesse des moyens financiers consacrés aux politiques de prévention comparés aux moyens consacrés à la santé en termes de soins et de réadaptation, sinon que l'idéologie libérale peut concéder des efforts pour restaurer l'homme brisé et l'assister, mais ne peut permettre le développement d'une logique de prévention au-delà du champ peu ou prou accordé aujourd'hui, sans risquer de voir ses fondements, c'est-à-dire l'exploitation de l'homme par l'homme, remis en cause.

    L'existence d'un nombre important de personnes en " situation de handicap " dans notre pays constitue un révélateur essentiel des injustices générées par une société libérale qui n'a d'obsession que de se conserver. Fondamentalement, c'est l'inaccomplissement des principes républicains accompagné d'un individualisme outrancier reposant sur un productivisme exacerbé qui alimente et maintient les " situations de handicap ".

    Aussi, lutter contre la stigmatisation des individus désignés comme " différents " au travers de l'histoire contemporaine et encore de nos jours, pour l'unique raison qu'ils sont porteurs de déficiences, ou d'incapacités nées de déficiences, favoriser l'autonomie et la libre circulation des personnes – à la base d'une citoyenneté active – impose de supprimer, réduire et ou compenser chaque fois que de besoin, les " situations de handicap " vécues au quotidien par les personnes dites " handicapées ".

    La lutte pour la réduction ou la suppression des " situations de handicap ", seule à même d'exprimer la cohérence et la globalité d'une politique du handicap, est inséparable du combat contre la désagrégation sociale générée par la société de marché, en termes d'emploi, d'habitat et de loisirs, c'est-à-dire de vie sociale.

De la charité… à la solidarité

    Quelles que soient les expressions diverses qu'elle ait pris au cours des siècles, la charité apparaît comme un remède aux plaies sociales. Sur le plan idéologique et de l'équilibre social, elle semble tout à la fois indispensable et suffisante durant de longues périodes. À l'acte de charité exprimé comme un signe envoyé à Dieu par l'individu qui le commet, succédera une vision collective, nécessairement éthique, à l'origine d'un ordre social qui perdurera, directement ou de manière transversale, durant de nombreux siècles.

    Anonyme, la charité a des expressions de générosité naturelle. Publique, elle devient un acte institutionnel, la réponse des puissants envers les faibles et les déshérités. Aujourd'hui, camouflée en " solidarités individuelles " par la magie de la sémantique, elle se justifierait par le nécessaire défi à lancer aux maladies et institutionnalisée par la grâce du Dieu média, pour qui la puissance de l'image le dispute à la logique de la raison.

    Le caractère naturel de l'aléa de la vie appelait l'acte charitable parce que chacun y voyait la main de Dieu ou la fatalité ; le caractère technique de l'accident industriel appela le secours et la réadaptation au nom de l'assistance : la solidarité était née. Le terme fera florès de 1848 à nos jours, au point de devenir l'un des maîtres mots du discours socialiste actuel, quasiment synonyme de justice sociale et de citoyenneté.

    Ce sont les combats sociaux, les revendications exprimées et les notions de justice en corollaire avec la lutte contre les privilèges et en relation avec l'apparition de l'idée de nation qui donnèrent corps à la notion de solidarité.

    Face à ces modifications en profondeur de la société toute entière et du déplacement des lignes des frontières séparant les différentes couches sociales, le libéralisme, expression idéologique d'un marché aux espérances illimitées, sut parfaitement s'adapter à cette sorte de " laïcisation " de la charité, dès lors que les intérêts fondamentaux de la classe dominante n'étaient pas remis en cause et que l'ordre établi apparaissait comme intangible.

    Souvent présentée comme un acte moral, éthique, dont toute politique doit faire preuve, comme une valeur identique à la liberté et à l'égalité, proche cousine laïque de la fraternité chrétienne, le concept de " solidarité nationale " n'a pas grand chose à voir avec le contrat social qui, lui, repose clairement sur un compromis, librement accepté, à partir de la conscience de l'existence d'un bien commun.

    L'utilisation du concept de solidarité au début du moyen âge, à la fin du moyen âge, lors de la révolution française, puis des débats parlementaires qui ont émaillé les grands moments des différentes républiques en France, montre bien qu'il s'agit à chaque fois d'un baume que l'on veut appliquer d'en haut sur les blessures des déshérités, victimes des inégalités sociales.

    La solidarité, pour être réelle, doit toujours impliquer la réciprocité : encore faut-il que les deux protagonistes soient sur un même pied d'égalité. Ainsi, la solidarité ouvrière avait un sens pour des hommes et les femmes en lutte à une exploitation éhontée et contre une classe oppressive, sens qui exprimait une inégalité principielle. Dès lors que ce critère n'existe pas, l'acte se réalise entre celui qui possède et celui qui ne possède pas : la solidarité s'exerce à sens unique, confirme celui qui reçoit dans un statut d'assisté, indépendamment de la volonté de celui qui donne, et tend à geler les rapports sociaux.

    D'ailleurs, Lionel Jospin différenciait nettement " aides publiques " et " solidarité nationale ", assimilant semble-t-il cette dernière notion à de la compassion en déclarant aux victimes des inondations, selon les propos rapportés par le Monde du 20 novembre 1999 : " Je suis venu aujourd'hui, pas seulement pour manifester une solidarité nationale, mais pour annoncer des mesures extrêmement importantes que l'Etat a décidées ".

    Il est remarquable d'observer également que le terme " solidarité " est peu utilisé par les personnes handicapées, elles qui luttent pour être reconnues comme personnes à part entière avant que d'être " handicapées ". Parler " d’handicapés " ou de " RMIstes ", outre la stigmatisation que cela implique, c'est confondre l'apparence et le réel, c'est négliger cette aspiration à la reconnaissance de personnes à part entière, c'est-à-dire au statut de citoyenneté, impliquant nécessairement l'exercice de droits et de devoirs.

    Il est usuel de parler de solidarité collective lorsque l'on évoque les régimes de protection sociale en Europe, mais curieusement d'État Providence en ce qui concerne la France, alors même que le principe de la sécurité sociale repose sur un acte de solidarité collective, à l'origine entre tous les salariés strictement, visant à créer une couverture solidaire et égalitaire face aux aléas de l'existence, et gérée de manière paritaire. Il est vrai que l'extension de la sécurité sociale à d'autres catégories que les seuls salariés au cours des dernières décennies, sécurité sociale financée complémentairement par l'impôt, tend à donner un contenu à la notion de " solidarité nationale ". Encore que l'on peut s'interroger, dans un cas comme dans l'autre, sur le sens exact de solidarité dès lors qu'elle s'exerce à l'égard d'un pensionné dans la mesure où le montant de sa pension lorsqu'il est reconnu incapable de travailler, est très souvent inférieur au SMIC si son salaire antérieur avoisinait ce niveau, situation de millions de travailleurs à l'heure actuelle en France.

    Sur le plan du revenu, la solidarité s'exprime autour du seuil de pauvreté, axe autour duquel pivotent les diverses allocations, allant des minima sociaux à un niveau dit " de solidarité ", dont les conditions d'obtention montre qu'il s'agit d'un régime d'aide sociale, c'est-à-dire d'assistance, tandis que la citoyenneté ne peut réellement exister qu'à partir du SMIC, considéré comme un minimum décent pour vivre.

Renforcer la citoyenneté pour conforter la solidarité

    En vérité, la confusion entre citoyenneté et solidarité est patente. La solidarité nationale n'apparaît donc plus comme constitutive de citoyenneté, mais bien comme un masque commode à des inégalités toujours plus criantes.

    Il n'est pas anecdotique de rapporter ici l'inquiétude d'un certain nombre de publicitaires s'exprimant dans le journal Le Monde le 13 novembre 1999 pour qui " il n'est pas inutile que la publicité devienne plus subtile, plus humaine, plus solidaire, au moment où l'opinion publique s'interroge sur les inégalités croissantes qui déstructurent nos sociétés ". Ces spécialistes du message bref mais ciblé et puissant, mesurant l'inquiétude de plus en plus prégnante de la population tentent, non de porter remède à la situation (ce n'est d'ailleurs pas leur rôle), mais d'utiliser l'aspiration de la population à plus de justice sociale pour lui distiller à travers un message la rassurant, l'invitation fondamentale à consommer. On rassure le citoyen pour permettre au consommateur d'exister pour le plus grand bonheur du marché. Comme le disent nos très humanistes publicitaires : " le marketing éthique tombe juste ".

    Dans le même esprit, il remarquable de constater que " le Téléthon est devenu un nouveau facteur de communication pour les entreprises qui y trouve des intérêts autres qu'une simple défiscalisation de leur aide financière ", selon le fondateur de la fondation les " Voix du Téléthon " pour qui " le partenariat permet à l'entreprise d'afficher une bonne action en termes de communication externe. Il accompagne souvent une mobilisation du personnel de l'entreprise autour et pour le Téléthon. Le Téléthon devient alors un vecteur extraordinaire de communication interne au sein du personnel, étant même intégré quelquefois à la culture de l'entreprise. "

    Ainsi, l'intérêt dont font preuve un certain nombre de grandes entreprises, via des fondations créées à cet effet, à l'action d'associations luttant contre l'exclusion alors même qu'elles n'hésitent pas à licencier parfois massivement, et dans des conditions discutables, est remarquable. A fortiori lorsqu'elles n'hésitent pas à entraîner avec elles une partie de leur personnel pour les entraîner dans une action dite de " solidarité ", étrange ballet d'un jeu de rôles qui rappelle une forme de paternalisme que l'on croyait disparue.

    Certes, l'Etat a pour fonction de synthétiser les intérêts catégoriels et de faire prévaloir ce qu'il est convenu d'appeler l'intérêt général. Certes, le Parlement, voire le Gouvernement, instances représentatives au terme d'élections démocratiques, ont pour fonction de gérer des discours et des volontés contradictoires et même conflictuelles, pour là encore faire prévaloir l'intérêt général, l'intérêt républicain, la méthode reposant sur le débat et parfois le compromis, empreints de bon sens et de civilité.

    C'est la magie de l'État républicain que de renvoyer à la société un discours global, tout de cohérence et d'espoir, par essence audible par tous, transcendant les intérêts particuliers, sachant réunir autour de l'intérêt national, qui de fait devient l'objet de consensus. Mais l’intérêt national ne peut faire objet de consensus de manière pérenne au faîte de la pyramide, que si à la base de la pyramide, de manière pérenne, l'intérêt vital de chaque individu est préservé, instaurant par la même un modèle social dont la solidarité devient le ciment.

    L'homme en tant qu'individu isolé n'existe pas dans la société. Et parce qu'il n'existe qu'en tant qu'être social, il ne peut exister qu'en tant que citoyen, même si cette existence le conduit à un combat sans cesse renouvelé pour faire valoir ses droits. En ce sens, le combat pour la citoyenneté est un combat résolument moderne parce que porteur d'égalité, tandis que l'humanisme dont semble se prévaloir le combat pour la solidarité nationale ne peut conduire qu'à isoler l'humain du contexte social dans lequel il vit pour le conduire vers une spiritualité, dont on se doit de respecter les fondamentaux mais qui reste nécessairement une aventure strictement personnelle, une quête individuelle, une recherche de sens, une sorte de chemin de croix.

    Opposer la solidarité à l'individualisme, c'est en quelque sorte habiller les effets de l'individualisme d'une charité saupoudrée.

    Autre chose est l'action publique qui concourt à l'élaboration d'un projet collectif, voire d'un destin collectif à construire. Le partage des conséquences du progrès repose sur une notion d'égalité, de droits et de devoirs, c'est-à-dire de citoyenneté. La pratique effective de la citoyenneté par tous et pour tous est le moyen essentiel de remettre en cause le concept de " norme " justifiant toutes les inégalités. Ce sont les citoyens et non l'opinion qui doivent déterminer ce que sont les normes d'acceptabilité.

    Il s'agit en réalité d'opposer à l'individualisme le concept d'égalité, acte fondateur d'une citoyenneté accomplie.

    A " l’égalité des chances ", concept issu de la vision libérale, à " l’égalité des possibles ", concept ambigu issu d’une vision gelée des rapports sociaux, il faut y substituer l’action pour tendre vers " l’égalité des conditions ", objectif citoyen par essence puisqu’il prend le contre pied de l’idéologie inégalitaire libérale.

    La citoyenneté, c'est aussi l'association de tous les citoyens, égaux et dissemblables tout à la fois. La citoyenneté s'exprime au travers du droit de participer et d'intervenir dans la vie de la Cité, a fortiori sur les décisions qui concernent la personne elle-même. Le droit et le devoir de participer et d'intervenir dans la vie sociale est à la base de démocratie.

    En revanche, le développement du capitalisme, puis d'un système économique hégémonique et planétaire contribue à remettre en cause fondamentalement les principes républicains de liberté et d'égalité, a fortiori de fraternité. La société de marché conduit à une fracture isolant deux groupes d'individus, le premier se situant au cœur de l'organisation de la production et des richesses, le second relégué dans un monde de marginalisation et d'exclusion dès lors qu'il ne peut prendre part à une activité de production dominée par une logique productiviste outrancière.

    C'est à l'aune de cette situation que le Medef tente de théoriser, au nom de la modernité et d'une " nouvelle constitution sociale ", de nouvelles relations sociales, de " nouveaux espaces de liberté " (selon leurs propres termes), en réalité, un vieux cheval de Troie pour en finir avec une République laïque, démocratique et sociale.

    Sauf à céder continuellement du terrain au libéralisme dont les moyens de pression sont énormes, le réformisme doit opposer sa détermination... et l'appui des plus larges populations s'il parvient à être reconnu comme le meilleur instrument pour parvenir à construire un espace social plus harmonieux.

Classes populaires ou classes moyennes ?

    Bien entendu, ce débat, récurrent au Parti socialiste, se poursuit.

    Pour quelques-uns, le radicalisme de certains apparaît daté impliquant un retour (aux errements ?) d'avant 1981 et serait susceptible d'éloigner de nous les classes moyennes. Pour quelques autres, les rapports de classes ne seraient plus les seuls fondements de l'action politique, l'essentiel serait sociétal, et seule la société solidaire serait la réponse moderne aux problèmes de notre temps. N'est-ce pas là confondre l'apparence et la réalité.

    Certes, la perception que les catégories sociales ont elles mêmes s’est très largement modifié, à la fois par l'uniformisation intrinsèque du mode de vie et du poids de l'image – de l'homme moderne ? – que véhiculent les médias et qui tend à façonner les générations, d'autant qu’elles-mêmes semblent y rechercher une nouvelle source d'identité.

    Certes, l'individualisme a progressé durant cette décennie alimentée par l'image de l'homme qui gagne, l'entrepreneur, et à l'autre bout, son corollaire, le " looser ", qui ne doit sa survie qu'à une prise en charge de l'indigence.

    Mais, pour autant, les ressorts fondamentaux du capitalisme dominant le marché ont-ils changé ? La recherche forcenée du profit s'est-elle estompée ? La vente de sa force de travail et de ses connaissances acquises contre salaires a-t-elle disparu ?

    Il est de bon ton, en particulier depuis la chute du mur de Berlin, de considérer que l'antagonisme entre les intérêts des investisseurs et le monde salarié tel que décrit par Marx, est dépassé – les socialistes n'ont-ils pas réhabilité l'entreprise ? –, que le prolétariat n'existe plus depuis longtemps, qu'on ne peut plus parler de classe ouvrière et, même parfois, que la lutte des classes est un concept dépassé. Voire !

    Certes, la composition sociologique de la population s'est considérablement modifiée sous la double poussée des technologies et des restructurations industrielles. Mais ce n'est pas la nature de l'activité professionnelle (manuelle ou pas) ni le niveau du salaire (hors cadres supérieurs aux salaires de PDG) qui détermine l'appartenance (pardon pour le terme) au prolétariat. Ce qui le définit c'est le salariat en tant que tel, c'est-à-dire la vente de la force de travail, manuelle ou intellectuelle, ou les deux à la fois.

    De ce point de vue, et quelles que soient les mutations internes de composition sociologique du salariat, on ne peut nier, réduction d'horaires de travail aidant, que le salariat a augmenté en volume, ne serait-ce que par la disparition des petits commerçants aux agriculteurs, l'apparition sur le marché du travail, au cours de ces dernières décennies, d'un nombre croissant de femmes, ou par le développement de la démographie et de la croissance.

    Que sous l'effet de la révolution cathodique et des effets de mode, l'image prime la réalité est une chose, mais les faits sont têtus et la vérité apparaît crûment avec l'approfondissement de la crise économique structurelle du capitalisme que nous vivons, qui touche toutes les couches de la société et prive de perspectives la jeunesse d'aujourd'hui. D’ailleurs, selon une étude de l’I.N.S.E.E., les ouvriers et les employés représentent toujours 56 % de la population active.

    Cela signifierait-il que le salariat serait l'électorat captif des socialistes ? Ce serait une absurdité que de le penser car ce serait faire bien peu cas des déterminations individuelles et des parcours personnels, d'autant que d'autres forces politiques se font les chantres, soit du populisme, soit du racisme, soit de la démagogie, 'exerçant des attractions non négligeables par la culture sciemment organisée des traditions, peurs, fantasmes, ou désir d'identification à d'autres degrés de l'échelle sociale.

    Mais on le voit, la crise du capitalisme mondial crée nombre de critiques et force ressentiments en raison de l'insécurité généralisée qu'elle entraîne dans toutes les couches de la société.

    C'est la raison pour laquelle il est erroné d'opposer classes populaires et classes moyennes dans la mesure où elles paient ensemble le plus lourd tribut à la survivance du système.

Affirmer le dialogue social

    Le dialogue social ne consiste pas en une audition convenue et rituelle des partenaires sociaux à la manière d'une formalité qu'il faudrait accomplir. Il ne peut encore moins consister en une opération destinée à mettre en valeur la politique gouvernementale.

    Le dialogue social exige le respect de la démocratie, une volonté réelle d'écoute, la conviction profonde que notre société ne peut se gouverner à partir d'une vision jacobine et étatiste mais bien à partir d'un échange avec tous les acteurs sociaux, ce qui suppose le temps de la négociation, voire de la confrontation, et en tout état de cause, la recherche de l'intérêt général qui peut impliquer des compromis dès lors qu'ils ne se réduisent pas à la satisfaction d'intérêts catégoriels particuliers.

    Qui ne comprend dès lors que le dialogue social peut être un instrument de réforme ? Une réforme préparée, négociée est une réforme qui devient la propriété de tous les acteurs et une expression de la démocratie participative, des organisations et associations comme des citoyens. Comme l'indique Michel Rocard lui-même dans Le monde du 9 juillet : " une politique de gauche aujourd'hui ne peut être mise en œuvre qu'avec l'appui vigoureux du mouvement social, ce qui implique qu'il soit associé à sa définition. "

    C'est pourquoi il faut renforcer la légitimité des partenaires sociaux en substituant à l'option de la signature unique la règle de l'accord majoritaire et en leur offrant de plus grandes capacités de contrôle au sein des entreprises.

    Cette volonté d'approfondir le dialogue social pourrait s'exprimer autour de l'idée émise par la CGT de " sécurité sociale professionnelle " qui consisterait à accorder des droits transférables d'une entreprise à l'autre aux salariés, permettant ainsi d'accompagner les ruptures douloureuses avec le lieu de travail d'origine et de limiter les conséquences handicapantes des parcours professionnels heurtés, générés par les fluctuations économiques et sociales actuelles.

    De même, il faut poser la question du financement, nécessairement à élargir, de notre système de retraite, qui est à préserver dans ses caractéristiques d’aujourd’hui de répartition.

    Il faut aussi redonner à la politique son sens initial : " vie de la cité ", en saisissant les Français sur les grandes décisions de société, et reconnaître au mouvement associatif, gestionnaire, de défense ou consumériste, son rôle social et d’intérêt public par l’établissement d’un véritable partenariat en faisant jouer toutes les synergies, seule manière de dépasser collectivement les conceptions corporatistes, de perdre cette mentalité d’assiégé et de mettre en exergue l’intérêt général, nouveau creuset de solidarités collectives.

De la mondialisation

    Là aussi, il nous faut clarifier !

    En effet, nous avons une propension, à chaque fois qu'un phénomène de marché apparaît dans le monde, de qualifier le phénomène de nouveau : " nouvelle période du capitalisme ", ou " nouvel âge du capitalisme ", comme si ce système se régénérait de l'intérieur préfigurant un avenir meilleur pour l'ensemble des populations.

    Ce fut vrai pour la globalisation des marchés ou la révolution technologique de l'information. Sans mesurer que la globalisation des marchés n'était que la conséquence des dérèglements financiers organisés dans la plupart des pays avancés, et que la révolution technologique de l'information ne devrait pas être confondue avec la spéculation financière qui vint se greffer autour, même si celle-ci était baptisée " nouvelle économie ", d'autant que les experts qui la baptisaient ainsi étaient eux-mêmes les spéculateurs, les récents scandales l'ayant amplement prouvé.

    En réalité, il ne s'agit rien d'autre à chaque fois que de l'exploitation financière d'un progrès technique, issu le plus souvent de la recherche fondamentale ou appliquée, à une échelle planétaire – mais ceci est vrai depuis le début du siècle – dans des temps infiniment plus rapides – mais ceci n'est vrai que depuis l'avènement de l'informatique et d'Internet –. Encore une fois, la confusion entre l'apparence et la réalité est totale.

    En 1994, dans le cadre de la préparation du congrès, j'écrivais :
    " Si les rapports économiques mondiaux des différents pays industrialisés du Sud-Est asiatique ou en voie de développement confirmé, étaient parfois masqués par la division du monde en deux blocs, ils apparaissent à présent fort crûment dans le cadre d'une guerre économique mondiale commencée en 1971, et qui s'intensifie sans cesse.

    Pour une raison simple. Si à l'origine l'entrepreneur peut-être un créateur, le capitalisme, lui, n'est guidé que par la recherche du profit. À l'étroit dans les frontières nationales, il a conquis le monde, aidé en cela par la faillite du communisme ruiné par le stalinisme, et surtout la vitesse des échanges. La mondialisation de l'économie est en passe d'être achevée. Tout est objet de spéculation, les monnaies en particulier, et la libre concurrence a fait place à des monstres capitalistiques en dépossédant la politique du pouvoir réel.

    Mais le développement du capitalisme ne va pas de pair avec le développement harmonieux de l'humanité, a fortiori en période de concurrence exacerbée, notamment mondiale. La recherche du profit ou le maintien du taux de profit en pervertit tous les rouages, au détriment même du minimum vital de ses propres populations.

    Somme d'innombrables intérêts particuliers et contradictoires, le capitalisme national ou mondial ignore le long terme et l'intérêt général. Il n'apporte pas de réponse au fait que les quatre cinquièmes du globe souffre de sous consommation tandis que les pays industrialisés se tordent de convulsions dans des crises de surproduction.

    À l'interpénétration des économies répond en écho la fragmentation du monde en zones nouvelles à vocation impérialiste tandis que face à la magnifique possibilité de libération de l'homme par la machine se profile la précarisation généralisée de l'emploi à l'échelle mondiale dans un système exclusivement basé sur le profit.

    Les délocalisations sont parfois dues à des raisons géostratégiques de conquête de marché, mais le plus souvent, à la recherche d'une main-d’œuvre à bon marché ou à faible protection sociale. Dès lors que le capitalisme s'exerce à une échelle planétaire dans le domaine de l'économie, des échanges et de la finance, la compétitivité s'obtient par la variation des taux de change et le dumping social. Ainsi, l'industrie française a vu s'étioler ses plus beaux fleurons : textile, sidérurgie des chantiers navals, et... le cortège des chômeurs s'allonger.

    Le paradoxe est patent : nous créons des emplois à l'étranger en détruisant les nôtres et en réduisant du même coup la capacité d'achat de nos propres ménages.

    Ainsi la France, la Grande-Bretagne et l'Italie obtiennent depuis 1974 des gains de productivité par les licenciements tandis que l'Allemagne et le Japon les obtiennent par l'augmentation de la valeur ajoutée dans le domaine des technologies de pointe, des services marchands de production industrielle, à une échelle moindre pour les USA. "
    Hormis le dernier paragraphe, tout à fait daté il n'y a pas grand-chose à retoucher ! À ceci près que la mondialisation est à présent achevée, une financiarisation échevelée ayant submergée la planète. J'aurais pu ajouter néanmoins que durant la même période la consommation en France de psychotropes et d'anti- dépresseurs a été multipliée par cinq pour atteindre cent trente huit millions de boîtes !

    Cela étant, il est vrai que la mondialisation des échanges va dans le sens de l'Histoire, à ceci près que le capitalisme mondial y impose, pour le moment, sa seule loi ! De fait, l'angoisse du présent et l'avenir peu lisible menacent la démocratie.

    Mais les remises en cause de la croissance due à l'éclatement des bulles spéculatives, la perspective d'un abaissement du niveau de vie individuel lié à une réduction conjuguée du temps de travail et de salaire, le maintien de poches de pauvreté, le creusement des inégalités apparaîtra de plus en plus inacceptable pour des couches de populations, sans cesse grandissantes et de plus en plus jeunes, menacées de paupérisation.

    C'est pourquoi à l'ère de l'informatique, il nous faut renouer avec la vision planétaire des premiers socialistes.

    Loin d'atténuer les effets, plutôt que de contenir ou de corriger l'économie de marché, il faut la mettre, fût-ce de manière contraignante, au service de la société mondiale tout entière, défi de longue haleine, en s'appuyant sur les aspirations des populations à une plus grande justice sociale et sur une force sociale organisée. Contraindre un système sans conscience, somme d'intérêts particuliers, à une action et à une morale, expression de l'intérêt général avec pour objectif central l'emploi et la satisfaction des besoins les plus élémentaires des plus larges populations.

    À cette fin, il faut recréer des liens forts avec le mouvement politique et social, partis, syndicats et associations, sur le plan national bien sûr, mais aussi sur le plan européen et mondial.

    Il remarquable de constater combien, durant vingt ans, nous avons pris des initiatives mondiales de gouvernement à gouvernement, et si peu de parti de gauche à parti de gauche. Tout aussi remarquable est de constater combien nous avons gouverné de manière classique, sans jamais nous appuyer sur les forces sociales, nationales ou européennes.

    Or, les socialistes ne peuvent progresser qu'en harmonie profonde avec l'immense majorité des hommes et des femmes qui composent le tissu social salarié, en particulier à l'heure où la classe dominante, pour survivre de ses crises, est contrainte de remettre en cause tout ce qu'elle a dû concéder lors des luttes sociales antérieures, droits conquis et scandaleusement dénommés, y compris dans nos rangs parfois, État providence, comme si bénéficier de droits sociaux était source de privilèges.

    Cet appauvrissement généralisé du salariat est non seulement un crime contre l'humanité, mais aussi une absurdité, en particulier dans une économie de marché car sans consommateurs au pouvoir d'achat décent, il y a inéluctablement atonie du marché, tandis que les capitaux ne peuvent trouver une meilleure rémunération que dans la spéculation généralisée, a fortiori quand la norme de rémunération attendue doit impérativement frôler les quinze pour cent.

    Tout ceci repose sur le postulat libéral, selon lequel le coût du travail est l'unique cause du chômage et, partant, que les salaires et le système social doivent être ajustés aux lois de la compétitivité mondiale, indépendamment des conséquences désastreuses que génère un tel raisonnement.

    Aussi, nouer des liens avec le mouvement anti-mondialisation, ne pas le laisser aux seules organisations d’extrême gauche, mais lui offrir un débouché politique concret devient un impératif absolu.

    Aussi, faire de l'internationale socialiste le lieu transparent et public de débats pour l'ébauche d'un programme socialiste mondial qui, partant de l'état du monde et des disparités économiques qui existent entre les grandes zones géographiques mondiales, ouvrirait des perspectives de développement harmonieux, devient une urgente nécessité.

    Tenant compte de la non-égalité économique entre les pays producteurs et, contrairement à la philosophie anglo-saxonne du libre-échange, on pourrait suggérer de mettre en place des grandes zones économiques composées de pays aux niveaux de vie proches au sein desquelles les relations commerciales seront libres tandis que les échanges commerciaux avec des pays hors zone communautaire s'établiraient sur des bases conjointement négociées avec pour objectif d'opérer des rapprochements progressifs et contrôlés.

    Ceci permettrait tout à la fois au sein de la zone considérée de répartir les gains de productivité pour une réduction du temps de travail, de mieux agir sur un vaste marché à tendance uniforme ou production et consommation peuvent mieux s'ajuster, de peser à l'extension de la protection sociale aux fins de rattrapage des législations les plus avancées, de différencier les attitudes envers les pays socialement défavorisés et relevant du quart monde, et les nouveaux pays industrialisés aux capacités technologiques modernes.

    Une telle volonté interventionniste s'impose d'autant plus qu'en raison du krach des valeurs technologiques entamé en 2001 notamment les investissements directs étrangers (IDE) ont fondu de moitié cette année-là.

    On pourrait aussi proposer de créer une contribution à la charge des entreprises qui délocalisent leur production, contribution destinée à alimenter un fonds international de développement ayant pour mission de financer la création d'entreprises, à la fois par les nationaux des pays d'accueil - pénalisés par le frein à la délocalisation d'emploi que pourrait constituer une telle mesure -, que par les nationaux des pays où était implantée auparavant l'entreprise délocalisatrice, dont par ailleurs l'intérêt pour des raisons à long terme auront pu conduire à expatrier sa production.

    On pourrait aussi proposer de créer une taxe additionnelle sur les pays producteurs de matières premières telles que le pétrole et l’or, les pays producteurs d’atome et les productions à forte valeur ajoutée mais à faible création d’emplois, taxe à verser au Fonds, déjà cité, en vue d’actions écologiques et de fixation des populations en voie d’immigration massive par un développement économique local.

    On pourrait aussi proposer.......

    Les propositions ne manquent pas, si l'on veut bien réfléchir ! Reste qu'il s'agit là d'un combat politique qui ne peut être mené que par le mouvement social organisé, ce qui donne bien évidemment aux socialistes un rôle tout à fait fondamental à jouer... dès lors qu'ils auront clarifié leur dessein !

De l'Europe et des services publics

    Quel type de société voulons-nous ? Quelle Europe ? Quelle place pour la France dans l'Union européenne et dans le monde ?

    L'Europe ne peut être un substitut, une fuite en avant mais bien la traduction d'une vision de l'avenir national et européen, le seul cadre ad hoc pour constituer une alternative face à la volonté des États-Unis de s'ériger en monopole de politique étrangère à l'échelle de la planète au prétexte qu'ils auraient seuls les moyens d'intervenir en tout lieu.

    Il importe d'aller plus loin dans la mobilisation de l'Europe, d'une part en matière de plein emploi, de retraites, de protection sociale, de salaire minimum, et de lutte contre les exclusions afin de parvenir à ce que ce soit un objectif en soi, et non simplement un aspect de la politique de l'union économique européenne, et d'autre part en matière de réduction négociée de la durée du travail dans le cadre d'une redistribution des productions, des ressources et des revenus, en associant à ses réflexions et négociations l'ensemble des partenaires sociaux des différents pays de la communauté, leur ouvrant ainsi un nouvel horizon et favorisant une certaine forme de démocratie participative.

    Il est urgent également que l’Europe se dote à la fois d'une constitution et d'une direction politique, expression précise de la volonté des peuples, par une rénovation du processus électoral, par un renforcement du Parlement, par une lisibilité du gouvernement européen à établir.

    Ainsi, la question de savoir si l'Europe doit se construire autour d'un grand marché livré à la concurrence, ou bien si l'Europe doit se construire comme un ensemble où l'économique et le social trouveront un équilibre respectueux des principes de cohésion sociale, de solidarité réelle et de citoyenneté, constitue un enjeu majeur que seule la volonté politique, respectueuse des aspirations des populations, peut permettre de résoudre positivement. Les gouvernements et les peuples devront arbitrer entre les principes de concurrence indispensable à une économie de marché et l'intérêt général, ciment de la cohésion sociale.

    De ce point de vue, le principe d'égalité exprimé au travers de l'accès de tous aux services publics, renforce s'il en était besoin, l'importance de la défense des services publics. On peut d'ailleurs même imaginer que la notion de services publics en France et en Europe pourrait occuper plus largement l'espace social, que ce soit dans le domaine de l'accès à la formation, au logement, voire au crédit, pour mieux solvabiliser les populations en situation précaire et leur éviter de tomber dans la spirale de l'endettement massif et la précarité renforcée.

    Il renforce aussi la nécessité de réformer les services publics, dans le cadre d’un dialogue patient, raisonné et volontaire avec les partenaires, par l’évolution du service rendu, par la simplification des strates hiérarchiques, et le développement de l’initiative et de la capacité de contractualiser.

    Si les missions de l'État et des services publics peuvent être modifiées, si le concept même de services publics peut être revu, si les frontières entre public et privé peuvent fluctuer, si le partage des rôles entre ces deux domaines peut évoluer, l'essentiel est que la qualité du service et l'égalité des citoyens soient non seulement sauvegardées mais approfondies.

    De ce point de vue, les champs nouveaux sans cesse confiés aux différents acteurs associatifs dont la souplesse et la capacité d'innovation sont largement reconnues, contribuent à élargir l'action civile, ce qui est en soi un facteur de démocratie

    Cette question est au cœur de notre identité et l’apport qui peut être le nôtre à l’édification de l’Europe.

    Jeter les bases de l’Europe sociale pour dessiner les bases de l’Europe politique apparaît être la seule méthode cohérente

    Les prochaines échéances électorales européennes de 2004 nous imposent de préparer avec les autres partis socialistes européens, un document qui préciserait nos conceptions communes sur l'ensemble des domaines sociaux et politiques susceptibles de répondre à l'attente des plus larges populations européennes, document qui serait soumis aux débats et aux votes des militants des différents partis socialistes nationaux. Dans cette perspective, nous pourrions également préparer des conventions des socialistes des différents pays sur des thèmes centraux.

De l'État et de l'impôt

    Les citoyens attendent beaucoup de la République, et cela est bien légitime.

    Que ce soit à partir de l'Etat, des Collectivités, ou des services publics, ils attendent que l'ensemble des réponses sociales édifiées au fil des ans répondent à leurs besoins, eux-mêmes en évolution.

    Face au discours populiste d'une part, et à la pression du libéralisme d'autre part, les socialistes ont les moyens d'affirmer une vision raisonnée et argumentée susceptible d'emporter l'adhésion de nos concitoyens.

      Primo, le plein emploi parce qu'il est le sésame du progrès social ; y compris en offrant une activité sociale rémunérée, accompagné de périodes de formation qualifiante aux chômeurs.

      Secondo, une politique d'égalité des droits, par une réaffirmation et une extension des services publics, par un accès pour tous au logement, par une politique des transports équilibrée au plan hexagonal,

      tertio, une politique renforcée et renouvelée d'éducation et de formation, pour instruire mais aussi éduquer, pour enseigner le civisme et renforcer l’égalité; y compris tout au long de la vie pour favoriser l’évolution des parcours professionnels ;

      quarto, une politique de prévention dans tous les compartiments de l'activité humaine ;

      cinco, une politique sanitaire et sociale qui outre les risques traditionnels (ou plus récemment couverts comme la dépendance) doit prendre en compte de nouvelles situations, comme l'éclatement des familles ou le chômage de longue durée ;

      sexto, une politique de justice et de sécurité publique conforme à l'attente de nos concitoyens ;

      septimo, une politique d’immigration, nécessairement fondée sur des quotas, et d’intégration respectueuse du cadre laïc ;

      octo, une politique de développement durable soucieuse du respect de l'environnement.

    Ce que l'on appelle globalement la " protection sociale " constitue l’œuvre majeure des luttes sociales et politiques animées par la gauche européenne. Développer la démocratie en permettant aux hommes et aux femmes de jouir d'une certaine liberté à partir d'un contrat social en a été la matrice. Conquis mais non octroyés, ces acquis sont sans cesse remis en cause par l'idéologie libérale sécrétée par le système capitaliste.

    Qui ne comprend que dans ces conditions l'Etat, gardien et acteur du pacte républicain et laïc renouvelé, en relations étroites avec l'ensemble des acteurs sociaux et les citoyens, a un rôle fondamental à jouer pour mieux porter une politique citoyenne et de solidarité réelle.

    De ce point de vue, la rapidité avec laquelle le virus libéral de la baisse des impôts a contaminé nos principaux dirigeants est absolument confondante !

    Car comment concevoir que l’on puisse promettre de répondre aux besoins exprimés - augmentation du nombre d’enseignants, de surveillants, de médecins scolaires, d’auxiliaires de vie scolaire, de policiers, d’inspecteur du travail, d’infirmiers, d’auxiliaires de vie sociale, de places d’accueil pour populations en difficultés ou handicapées, de muscler les D.D.A.S.S. sinistrées, etc. - et en même temps réduire les recettes de la Nation ?

    Sauf
    à prioriser les priorités, à réformer à minima, et à ne satisfaire personne, ce qui décrit assez bien dans de nombreux domaines le bilan des socialistes (ne parlons évidemment pas de la Droite !) depuis 1981 !

    Cette question est centrale pour définir l’identité des socialistes !

    Qu'une telle réforme ne soit pas nécessairement populaire, on peut le comprendre aisément. C'est pourquoi, il importe donc de rendre transparent l'affectation du budget national, de chiffrer l'ensemble des besoins, que ce soit en termes de sécurité, d'éducation, de logement, de transport..., et d'indiquer comment à travers une réforme fiscale à élaborer intégrant nécessairement un accroissement des ressources publiques, il sera possible sur un plan pluriannuel de satisfaire les besoins et répondre à l'attente des citoyens.

    Qu'un grand débat sur le sujet soit alors nécessaire, est une évidence ; mais c'est avec les citoyens que l'on peut faire évoluer la société vers une plus grande harmonie, et non malgré eux. Il faut agir impérativement " avec " eux, et non pas seulement " pour " eux.

    À cette étape, nous pouvons constater que substituer au terme " impôt ", le terme ancien de " contribution ", permettrait de mieux comprendre combien cette ressource est facteur de citoyenneté et de cohésion sociale. Certes, encore faudrait-il que la politique fiscale soit juste et équilibrée. Raison de plus pour engager une réforme fiscale sans cesse repoussée mais dont on voit bien la nécessité et l'urgence, a fortiori lorsque la protection sociale concerne à présent tous les citoyens et pas seulement les salariés. Le financement de la protection sociale par l'impôt et non plus par les salaires, entamé avec l'instauration de la CSG, doit être poursuivi en parallèle à une réforme proprement fiscale.

    Il est remarquable de constater que le contribuable français paie un impôt sur le revenu, par nature progressif, moins important que ses homologues européens, mais qu'en contrepartie le contribuable français paie plus de cotisations sociales, par nature proportionnelles aux salaires, que ses homologues européens.

    Car, s’il est illogique que la protection sociale de l’ensemble des Français (et non des seuls salariés ou ayants droits) soit assurée par les seuls salaires, et s’il est exact que les bas salaires, exemptés d’impôts mais s’acquittant de leurs charges, sont, compte tenu du système des plafonds, désavantagés par rapport aux hauts salaires et pourraient avoir meilleur compte à payer l’impôt contre une diminution de leurs propres charges, chacun comprend bien que l’enjeu est de transformer un impôt, bâtard certes, mais progressif en impôt proportionnel, avantageant les hauts salaires, sans même parler des hauts revenus et avantages en nature non contrôlés, mais considérables qui les accompagnent.

    C'est pourquoi, la réforme engagée par l'instauration de la CSG devra être poursuivie en même temps que la réforme fiscale devra porter sur l'ensemble des sources d'enrichissement, mobilières, immobilières, patrimoniales, foncières,...

    On pourrait ainsi lancer un plan national d’habitat social et d’équipements annexes par un impôt ad hoc sur les revenus des capitaux.

    On pourrait ainsi…

Se réapproprier le Parti socialiste

    Le Parti socialiste s'est construit à partir de 1971 en tissant des liens avec tous les secteurs de la société, et en particulier avec le mouvement associatif et syndical. Mais l'exercice du pouvoir dans le cadre des institutions de la Vème République – institutions de type bonapartiste – s'affiche comme oligarchique, cohabitation ou pas. Tout procède de l'exécutif, reléguant le Parlement à un rôle subalterne, conduit à subir ou entériner pour l'essentiel les décisions, en particulier en période de cohabitation, sauf à fragiliser le gouvernement face au président.

    Aussi, réformer les institutions est devenu, depuis longtemps déjà, une nécessité afin de redonner au Parlement un rôle plus conforme à la démocratie telle qu'elle est souhaitée par nos concitoyens qui, malgré le 21 avril, souhaitent si l'on en croit le sondage de CSA les 27 et 28 août 2002, à 73 pour cent la présence de tous les partis politiques, même les plus petits, à l'Assemblée nationale, et à 66 pour cent que les hommes politiques respectent leurs promesses.

    Avec la Vème République, les partis de gouvernements deviennent des partis godillots – a fortiori en période de cohabitation – situation peu pénalisante pour la droite, mais dévastatrice pour le PS, dont la direction en est réduite à justifier la politique gouvernementale auprès de ses militants et sympathisants, sans être en mesure de peser sérieusement sur les décisions et de faire entendre la voie de la base auprès des membres du gouvernement, trop souvent émancipés du mandat donné, a fortiori lorsque la technostructure est majoritaire dans les cabinets ministériels.

    Il en est parfois même de membres du Parlement ou de collectivités territoriales qui oublient qu'ils ne sont que les dépositaires d'une volonté collective, éléments d'un personnel politique dont l'existence n'est due qu'à une confiance momentanément accordée.

    Le Parti socialiste, devenu au fil du temps un parti d'élus, cumulant souvent et depuis longtemps différents mandats, doit prendre la décision de rajeunir et varier l'origine de ses organes dirigeants afin d'éviter qu'ils se figent dans leur composition. Ainsi, il ne s'agit pas seulement de rendre la parole aux militants, mais bien de rendre le parti aux militants.

    On pourrait ainsi :

       Partager la maîtrise de l’ordre du jour du Parlement, entre le gouvernement d’une part, et les partis représentés d’autre part,

       Instituer le mandat unique, renouvelable une fois, en offrant ensuite la possibilité d’être candidat à une autre fonction soumise au suffrage en instaurant le " statut de l’élu, et en harmonisant la durée des mandats au quinquennat,

       Combiner le scrutin majoritaire et le scrutin proportionnel pour faciliter une représentation diversifiée au Parlement

       Associer le parti, c’est-à-dire les secteurs concernés et au-delà, les délégués fédéraux, sous des formes ad hoc, à la réflexion de la politique élaborée dans les ministères d’une part, au sein des groupes parlementaires d’autre part.

       Mettre le secrétariat national du PS plus en harmonie avec les réalités en regroupant les secteurs aux ramifications évidentes et donner plus de souplesse par une plus grande transversabilité confiée aux délégués nationaux.

       Accorder dans le parti plus d’intérêt aux questions de société : handicap, dépendance, drogue, sida, délinquance, non seulement par des débats et colloques, mais aussi à travers les structures du parti à tous les niveaux, en relation avec les acteurs sociaux.

    Sans réforme des institutions, la démocratie réelle n’existe pas, quel que soit le contenu des discours.

    Sans pouvoir des militants, le parti est une fiction, quelles que soient les qualités de ses dirigeants.

    Faut-il envisager la suppression des courants ?

    Certes, aujourd’hui cela ressemble plus à des clans qu’à des courants. Mais la raison, là encore, est à rechercher dans les institutions de la Vè République et des conditions de l’exercice du pouvoir qui ont relégué le Parti Socialiste à un rôle mineur. Dès lors les débats se vidaient de toute substance et le choix des hommes se substituait tout naturellement aux choix des idées.

    Revenons aux questions essentielles et la notion de courant retrouvera tout son sens, car seul le débat politique permet de mettre une borne aux perversions ou aux ambitions non légitimes, d’autant que les réformes statutaires pré-annoncées pourraient se révéler une erreur magistrale.

Préparer les prochaines échéances

    Demeurer réformiste implique l'alliance avec ceux qui s'inscrivent dans une perspective de réforme et de transformation sociale. Qu'une partie de la gauche s'inscrive dans une perspective de radicalité ne change rien à l'affaire : François Mitterrand nous l'a appris en 1971 ! Les " forces de l'argent ", aujourd'hui mondialisées, et a fortiori parce qu'elles sont mondialisées, ne resteront pas " inertes " devant la volonté de transformation sociale qui sourd de tous les pores de la " société moderne ". Au réformisme, nécessairement sans compromissions, de s'imposer !

    Oeuvrer pour le développement durable nécessite de retricoter le tissu sociétal des multiples protagonistes proches de la nature, agriculteurs, chasseurs, écologistes, ou bien encore, ingénieurs, ouvriers du nucléaire, et écologistes, par la mise en place avec l'aide de scientifiques de tables rondes et de colloques pour tenter de combler le fossé qui s'est créé entre les tenants de la tradition des usages sociaux et de la sauvegarde de la nature, alors même que les acteurs devenus ennemis procèdent des mêmes valeurs.

    Faut-il envisager dès maintenant la création d'un parti de toute la gauche ?

    Aussi, lancer, lors du Congrès de mai 2003, la perspective des États Généraux de toute la gauche, permettant aux militants des partis concernés de développer à l’échelon local, puis départemental, régional et national, les fondamentaux de ce qui pourrait devenir le programme de toute la Gauche, défendu dans un cadre ad hoc à construire, est une nécessité pour ouvrir en 2004 à nouveau un espoir et dessiner une nouvelle période.

    Mais il apparaît nécessaire de clarifier d'abord et de nouer des alliances ensuite. Mais cette clarification pour avoir lieu devra prendre en compte les aspirations, les espoirs déçus et les messages clairement exprimés lors des diverses élections par notre traditionnelle base sociale. C'est sur cette orientation que les autres éléments progressistes d'une gauche émiettée ne pourront pas ignorer – à condition bien sûr que toute démagogie en soit bannie – que l'on pourra densifier la gauche. Encore faut-il ne pas considérer comme impossible ou utopique ce qui est difficile et idéal.

    En revanche, il est évident que les lignes forces de notre projet devront indiquer ce que devra être pour nous le mandat présidentiel et sur lequel devra s'engager le candidat désigné. Mais ce qui est vrai pour le projet présidentiel est également vrai pour les échéances électorales prochaines, européennes et régionales. Elles devraient être l'occasion de faire émerger une vague de militants politiques, qu'ils soient issus de l'immigration, des banlieues, ou du monde du handicap, dès lors qu'ils entendent occuper leur place, non sur une base de minorités, mais bien sur les fondements républicains.

    Après avoir su avancer dans la voie de la parité, nous devons décider que nos listes doivent exprimer plus encore la réalité sociale qui s'exprime dans nos rangs. Agir en termes de transformation sociale implique que l'on agisse non seulement pour le corps social, mais avec le corps social.

    Sur ce point les propositions abondent !

    Nous aurons donc prochainement l'occasion de supprimer, du moins partiellement, le décalage entre notre parti et la réalité de notre société exprimée dans sa diversité. Sachons en saisir l’opportunité !

    Car la politique est une chose beaucoup trop sérieuse pour que sa maîtrise en soit laissée aux seuls dirigeants avant que le peuple, et a fortiori les militants, ne se soient prononcés sur les enjeux et les objectifs.

    Mais comme chacun sait... nul n'est prophète en son parti !

    Vincent ASSANTE
    Membre du conseil national
    Secrétaire national aux personnes handicapées



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