Campagne des législatives
de juin 2002



 3 juin 2002 : Discours à Nantes de Jean-Marc Ayrault, dont il est le député-maire.


 
Mesdames et Messieurs,
Chers amis, chers camarades,

Je suis heureux de vous accueillir, ce soir, à Nantes.

Nantes et la gauche vivent une belle histoire.
Par trois fois, elle m'a octroyé sa confiance à la tête d'une liste de gauche unie et rassemblée. Par deux fois, elle a donné une majorité à François Mitterrand. Et par deux fois encore, elle a placé Lionel Jospin en tête de l'élection présidentielle. Alors oui, merci à Nantes. Merci de votre mobilisation. Merci de votre chaleur. Vous témoignez mieux qu'un long discours la permanence de nos valeurs et de notre force.

Que la droite fasse taire son arrogance ! Comme toujours, elle croit gagner les batailles sans avoir à les livrer. Elle se croit propriétaire de la République. Elle se croit dépositaire d'un pouvoir de droit divin. Eh bien ici à Nantes, ici en Loire Atlantique, ici en Bretagne et dans tout l'Ouest, ici en France, la gauche est debout. Fière de ce qu'elle a accompli. Nous ne sommes pas candidats pour sauver les meubles ou faire de la figuration mais pour conquérir la confiance des Français.

Et j'en appelle ce soir aux millions d'entre eux qui n'acceptent pas de voir la République s'enferrer dans un sinistre face à face entre la droite et l'extrême-droite. Ne recommençons pas l'erreur tragique du 21 avril. Ne dispersons plus nos votes. Retrouvons le formidable élan de solidarité et de rassemblement qui a permis de renvoyer Le Pen à Saint Cloud. Car le Front national est toujours là, plus que jamais là, prêt à rééditer son coup de la présidentielle dans de nombreuses régions. Qui peut croire qu'il serait anodin d'élire des députés lepénistes à l'Assemblée ? Il est impératif de permettre partout aux candidats de la gauche unie d'être présent au second tour. Retrouvons le sens du vote ! Votons utile dès le premier tour !

Il faut également dire et redire à tous ceux qui ont voté par désespoir pour le Front national qu'ils n'y trouveront ni consolation, ni remède. Le FN sème la haine et la division. Il se drape dans le drapeau national mais il est l'héritier de ceux qui l'ont sali ou vendu à l'ennemi. Il se dit défenseur des petites gens mais les méprise dans son programme entièrement tourné vers la satisfaction des plus riches. Il propose l'ordre mais est facteur du plus grand des désordres en dressant les Français les uns contre les autres. Notre démocratie est parfois injuste, arbitraire, élitiste, mais elle sera toujours mille fois plus protectrice, mille fois plus égalitaire, mille fois plus libre que cet ordre extrême.

Alors oui une nouvelle fois la gauche fera tout pour lui barrer la route. Et l'on aimerait que la droite républicaine ait la même pugnacité. Qui ne voit l'investiture donnée par l'UMP à MM Millon, Blanc, Soisson, Mancel, au passé chargé de compromissions ? Qui ne voit ces arrangements discrets qui se trament dans certaines circonscriptions. Qui ne voit cette incapacité des dirigeants chiraquiens à dire clairement qu'ils feront tout pour empêcher l'élection d'un candidat FN ? Il n'est plus temps de tergiverser. Je demande ce soir solennellement aux responsables de l'UMP de s'engager à retirer leurs candidats qui n'ont aucune chance de l'emporter au second tour face à la gauche et au Front national comme le Parti socialiste a décidé de le faire. Les ambiguïtés, ça suffit ! La République a besoin de choix clairs.

Prenons donc Chirac au mot. Il a réclamé récemment une majorité, je cite, “ refusant clairement toute compromission avec les porteurs de haine, d'intolérance ou de xénophobie. ” Cette majorité, mes chers amis, elle existe. Elle est à gauche. Pas avec ses amis.

Le seul argument de la droite, c'est de demander les pleins pouvoirs. Pas un jour sans que MM Chirac, Raffarin, Sarkozy, Fillon ne nous disent que la cohabitation, c'est le règne de l'impuissance et de l'inaction. Les beaux pharisiens que voilà ! Je n'ai qu'une chose à leur dire. Si Jacques Chirac trouve que la cohabitation est néfaste pour la République, il n'avait qu'à démissionner quand les Français l'ont désavoué il y a cinq ans lors de son piteux échec de la dissolution. Il ne l'a pas fait alors qu'il ait aujourd'hui la décence de se taire. La cohabitation est le problème de Chirac, elle n'est pas le problème de la France.

La gauche a montré le 5 mai qu'elle plaçait l'intérêt de la République au dessus de tout et dans l'Ouest, tout particulièrement. Si nous gagnons, nous gouvernerons avec cette même foi. La crise de confiance que traverse notre pays est trop profonde pour que nous nous contentions d'absorber sans rien dire la potion soporifique du bon Docteur Raffarin. La France, comme l'Europe, a besoin de retrouver un véritable projet de société qui la soude et qui la transcende. C'est à nous, socialistes, de lui proposer une nouvelle perspective sociale et politique qui soit plus sûre, plus juste, plus simple mais aussi plus ambitieuse.

Notre premier défi est de redonner de l'égalité. C'est vrai la gauche n'a pas répondu à toutes les attentes. La baisse massive du chômage n'a pas réduit la précarité du travail. L'application des 35 heures a été parfois détournée de ses objectifs par les directions d'entreprises. La réforme de l'Etat n'a pas avancé assez vite. Ces insuffisances ont engendré des déceptions, notamment parmi les plus modestes. Mais arrêtons de raser les murs. Arrêtons de croire que nous pouvions contenir, seuls, tous les ravages d'une mondialisation effrénée. Quel gouvernement en France et en Europe a réussi à créer deux millions d'emplois, à réduire le temps de travail tout en augmentant le pouvoir d'achat, à porter des réformes aussi justes que la CMU, l'APA et à faire reculer les inégalités ? Certainement pas les amis de MM Chirac et Raffarin qui à chaque fois qu'ils ont eu les pleins pouvoirs n'ont réussi qu'une chose : provoquer de graves crises sociales nées de leur vision conservatrice de la société et de leur incapacité à tenir leurs promesses démagogiques.

Ce qui nous a manqué, c'est de réussir à faire lever un mouvement de la société autour de nos réformes. La loi ne peut pas tout. Les corporatismes sont devenus trop puissants. C'est pourquoi je crois le temps venu d'un grand compromis historique entre l'Etat, les employeurs, et les forces syndicales. Toutes les grandes questions sociales doivent être mises sur la table : l'emploi, les retraites, les bas salaires, la précarité du travail, la protection sociale, la démocratie dans l'entreprise.

C'est le seul moyen pour redonner l'espoir et la confiance au monde du travail. L'associer à la modernisation du pays. Lui rendre sa juste part des efforts qu'il a consentis. Et s'il y a blocage, alors n'en doutez pas, le gouvernement de la gauche prendra ses responsabilités et demandera aux Français de trancher.

Il y a beaucoup d'autres choses à faire. Le rééquilibrage de la fiscalité au profit du travail, la rénovation de l'Etat et des services publics. Il faut surtout accomplir la redistribution des pouvoirs avec la décentralisation. La droite en parle beaucoup mais ne l'a jamais faite. C'est encore à nous, la gauche, de reprendre la trace des lois Defferre, de casser la logique d'un Etat lointain qui confond égalité et centralisation, unité et uniformité pour le plus grand plaisir d'une élite économique et médiatique qui veut lui imposer son idéologie du tout libéral. La République a besoin de s'aérer, de responsabiliser les citoyens, de faire émerger de nouveaux dirigeants venus de toutes les couches de la société et plus en osmose avec elle. Il nous faut réinventer une démocratie plus simple, plus participative et en définitive plus solidaire et plus représentative.

Notre deuxième défi, mes chers amis, c'est la reconquête de l'esprit public, de l'esprit civique. Il faut développer le respect des règles, des valeurs et des personnes sans lequel il n'y a pas de vie collective possible. L'Etat de droit n'est pas l'Etat de faiblesse. La responsabilité individuelle est la base de la citoyenneté : on commet une faute, on la paye. Ce principe vaut pour tous, du plus haut personnage de l'Etat jusqu'au plus modeste des citoyens.

Mais soyez sûr d'une chose. Ce ne sont pas les opérations coup de poing et les descentes de M.Sarkozy devant les caméras de télévision qui vont régler le problème. C'est du cinéma pour épater l'électeur.

La sécurité est tout sauf un spectacle. Elle appelle une présence policière et judiciaire constante avec de vrais moyens comme la gauche a commencé de le faire avec la police de proximité. Mais vous pouvez mettre tous les policiers que vous voulez dans la rue, vous n'aboutirez pas si dans le même temps vous oubliez de traiter la déshérence sociale, éducative et civique qui nourrit la délinquance et les incivilités. Il faut mettre le paquet dans ces trois domaines pour sortir les quartiers dits “ sensibles ” de la discrimination. Soyons clairs : cela veut dire faire des choix. Le ministère de la ville, de la citoyenneté et de l'intégration doit devenir l'un des trois principaux ministères d'un gouvernement de gauche. Sans quoi on continuera de dériver vers des quartiers “ chics ” surprotégés et des quartiers “ choc ” livrés aux bandes. Et ça MM Chirac, Raffarin et Sarkozy ne l'ont pas compris. Leur seule réponse, c'est la matraque policière. Et tant pis pour ce que certains appellent “ les dommages collatéraux ”.

La plus grand défi qui nous attend c'est bien d'apprivoiser cette mondialisation qui provoque autant de ravages qu'elle crée de richesses, qui creuse encore plus le fossé des inégalités entre le Nord et le Sud. Je veux le dire tout net. C'est très beau de condamner Le Pen comme l'ont fait les dirigeants européens. C'est encore mieux de régler les problèmes qui le font prospérer. Tant que les socialistes européens ne sont pas capables de réfléchir ensemble à un programme commun pour réguler la folle expansion des marchés, ils ne seront pas prêts de retrouver la confiance de leurs peuples et tous les populismes continueront d'avoir de beaux jours devant eux. C'est pourquoi j'en appelle à un véritable projet de société pour la France, un véritable projet de société pour l'Europe, pour une Europe ouverte sur le monde et solidaire du Tiers-Monde.

Pour ce qui concerne notre pays, c'est au Parti socialiste de prendre l'initiative. Quoiqu'il arrive le 16 juin, il est en demeure de dessiner une nouvelle espérance. De s'ouvrir à toutes les forces associatives, syndicales qui font bouger la société. De mieux représenter sa pluralité d'origines et d'appartenances sociales. Etats généraux de la gauche européenne, Etats généraux du socialisme français. Dans cette double géographie, va se réinventer la gauche de demain.

Mes chers amis, La France est devant un choix crucial. Elle voit son modèle s'éroder et redoute de devenir une simple dépendance de la mondialisation libérale. Elle est en quête d'un renouveau, d'une renaissance. Le gouvernement de Lionel Jospin en a jeté les bases. N'arrêtons pas en route. Donner tous les pouvoirs au plus mauvais président de la Vème République ne fera qu'accroître la crise que nous traversons.

Le gouvernement, très provisoire, de M.Raffarin est déjà dans l'incapacité de satisfaire la liste invraisemblable de promesses contradictoires qu'a dispensées Chirac durant sa campagne. Emploi et pouvoir d'achat ont disparu des discours. L'augmentation forte du SMIC serait pourtant un signe fort pour des millions de salariés mal payés. Et puis l'on commence à faire entendre qu'il va “ falloir payer pour sa santé. ” A ce rythme là on va tout droit vers la disparition de la CMU et l'instauration d'une sécurité sociale privée.

Les quelques engagements qui tiennent encore sentent le moisi de la revanche sociale et des inégalités. Remise en cause des 35 heures, instauration des fonds de pension, baisse de l'impôt sur le revenu et sur les droits de succession favorables à la minorité de Français la plus aisée. Le Medef peut annoncer qu'il vote UMP. Il a le gouvernement de ses rêves. Le monde du travail commence, lui, à redécouvrir en accéléré que la “ gouvernance ” de MM Chirac et Raffarin consiste a endormir “ la France d'en bas ” pour mieux satisfaire la France d'en haut. M.Raffarin aime tellement “ la France d'en bas ” qu'il souhaite qu'elle reste tout en bas !

L'Etat UMP ne vaut pas mieux que l'Etat RPR. La reprise en main de l'administration a commencé. La justice ne perd rien pour attendre avec le retour des interventions de la chancellerie dans les affaires individuelles. Et se profile déjà le spectre d'une amnistie politico-financière qui blanchirait le chef de l'Etat et ses amis de leurs affaires d'emplois fictifs et de détournement de fonds publics.
Leur victoire le 16 juin serait une injustice morale, une injustice sociale et une injustice politique.
Mon cher François [Hollande], j'avais dit ici même à Nantes, pendant la campagne présidentielle, que tu porterais un jour les espoirs de la gauche. L'heure est venue plus tôt que nous l'imaginions alors. Mais la grandeur du politique est d'être au rendez-vous que lui propose l'histoire. Alors faisons lever l'espoir. Entraînons ces millions de Français vers la renaissance Républicaine à laquelle ils aspirent. Il ne tient qu'à nous d'être à leur rendez vous !


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