Campagne des législatives
de juin 2002



 3 juin 2002 : Discours à Nantes de François Hollande, premier secrétaire du Parti socialiste.


 
Chers amis, chers camarades,

Nous sommes là pour les gagner, les élections législatives.

J’avais plusieurs raisons de venir ici à Nantes pour les élections législatives. La première, pour Jean-Marc Ayrault, le Maire de Nantes, celui qui a su reconquérir cette ville, celui qui a su emporter les plus beaux succès, celui qui a su, dans tout l’Ouest, porter avec d’autres notre idéal commun. Jean-Marc Ayrault, le président estimé du groupe socialiste, celui qui a su, avec sagesse, maîtrise et discernement, faire à chaque fois avancer non seulement le groupe socialiste, mais aussi l’ensemble de la gauche vers les choix qui permettent encore aujourd’hui de dire ce soir que le bilan de Lionel Jospin est notre fierté commune, parce que c’est le nôtre.

Venir à Nantes pour Jean-Marc, l’ami, qui anime avec moi et d’autres la campagne des socialistes, qui veut faire élire le plus de députés socialistes possibles dans la prochaine assemblée pour que nous soyons majoritaires, c’est le sens même de notre combat. Et, si nous ne parvenions pas à cet objectif, en tout cas faire que nous soyons suffisamment nombreux pour résister, défendre, promouvoir notre idéal.

Je suis venu aussi ici à Nantes en souvenirs d’un meeting pour l’élection présidentielle, c’était le 3 avril. J’avais dit aux Nantais : rendez-vous le 3 mai. C’était le moment du rassemblement prévu avec le Lionel Jospin pour l’entre-deux tours. Ce rendez-vous n’a jamais eu lieu. Nous avons donc collectivement une revanche à prendre.

Faisons en sorte d’effacer le 21 avril, de faire en sorte que ce que Lionel n’a pas pu faire, ce que nous n’avons pas pu faire avec lui le 21 avril, nous soyons capables ensemble et aussi pour lui de le faire ensemble les 9 et 16 juin prochains.

Les élections législatives représentent un enjeu décisif pour l’avenir de chacun d’entre nous, de notre pays. L’élection présidentielle s’est conclue par un deuxième tour où il nous a fallu simplement écarter l’extrême droite, la menace de la haine, de l’intolérance, et nous l’avons fait. Quelle que fût notre tristesse le soir du 21 avril, nous avons compris que notre devoir était là. Faire en sorte que l’extrême droite soit chassée, soit mise au plus bas qu’il était possible de la mettre, comme vous l’avez fait ici dans votre département, et plus largement dans votre région. Nous n’avons pas tergiversé, nous n’avons pas hésité, nous n’avons pas pesé; nous sommes allés à l’essentiel. Ce fut dur, pénible, douloureux même, pour des femmes et des hommes qui avaient préparé depuis longtemps le bulletin Jospin pour le second tour et qui n’imaginaient pas qu’ils seraient amenés à en mettre un autre le 5 mai.

Ils l’ont fait avec dignité, avec respect, avec le sentiment du devoir accompli. Ils l’ont fait parfois en essuyant une larme, en étouffant un râle, en essayant de masquer leur tristesse, mais ils l’ont fait. Et le 5 mai fut aussi leur victoire, notre victoire.

Et maintenant, il faudrait que, pour les élections législatives, nous qui avons été plus de 82 % à faire ce choix, nous soyons conduits mécaniquement à en faire un autre dans le même sens, parce qu’il faudrait, paraît-il, éviter le péril de la cohabitation ! Eh bien non ! Rien n’est inscrit, tout est ouvert, tout est possible. C’est la liberté du vote. Et ce que nous n’avons pas pu faire le 5 mai, il faut maintenant l’accomplir les 9 et 16 juin.

Des sujets essentiels sont en cause : les conditions de l’emploi, la protection sociale et ses fondements, l’euro, la place des services publics, l’avenir de la jeunesse, la consolidation des retraites par répartition, le destin de l'Europe, le rapport à la mondialisation… Tout cela est en jeu dans ces élections législatives.

Et pourtant, tout est fait, tout est organisé, tout est préparé pour que la confrontation majeure n’ait pas lieu.

Le gouvernement qui s’est installé n’est pour l’instant que celui que de 19 % des Français. Ceux, et ils en avaient bien le droit, qui ont voté Jacques Chirac le 21 avril. Ce sont toujours les mêmes. Ils lui étaient fidèles à 20 % en 81 ; ils étaient toujours là en 1988 : 20 %, en 95 : 20 %, et en 2002 : 20 %. Et c’est au nom de ces 20 %, 19 % disais-je, qu’il voudrait aujourd’hui nous laisser croire que ce gouvernement serait là pour toujours ! Eh bien non. Si les Français en décident, il restera dans l’Histoire comme le gouvernement le plus bref de la Vème République.

Mais, c’est parce qu’il sait la limite de sa légitimité, parce qu’il connaît le peu d’entraînement de ses idées, de son programme, parce qu’il connaît aussi la limite de la force d’attraction des membres qui le composent, que ce gouvernement s’efforce d’endormir, d’asphyxier, d’étouffer le débat public, en refusant d’abord la confrontation démocratique, indispensable pour les élections législatives. Jean-Pierre Raffarin, dont le seul talent était d’être inconnu des Français pour être nommé - et c’est un talent qui ne pourra que se réduire en fonction de sa notoriété naissante, est le chef d’une équipe de campagne bien plus que d’un gouvernement au travail.

Il a refusé le débat, pourtant légitime, entre le Chef de la majorité présidentielle et le responsable du principal parti de la gauche. Il a fait mine de penser qu’il y aurait là comme une inconvenance, lui s’occupant des affaires de l'État et nous des affaires de parti. On aurait voulu le croire si, le lendemain, il n’était allé tenir meeting, pour soutenir tel ou tel candidat et pour défendre la ligne de l’UMP –il en a bien le droit-, UMP dont il est finalement le principal dirigeant, même s’il est coiffé dans cette équipe par Alain Juppé qui semble décider de tout. Non, il n’est pas acceptable que, dans une grande démocratie comme la nôtre, un Premier ministre, chef de majorité présidentielle fuie sa responsabilité politique. Il faudra bien qu’à un moment le débat s’engage. Sinon, c’est la démonstration éclatante qu’en définitive ils ont peur davantage d’eux-mêmes que de nous. Ce qu’ils craignent le plus, c’est ce qu’ils sont, c’est leur politique, c’est leur façon de faire, c’est la répétition du passé.

Parce qu’en définitive, que proposent-ils d’autre que la reconduction de ce qui n’avait pas marché hier avec Juppé et Balladur ? Ce qui est en cause est de même nature qu’en 1997. Ils n’ont pas changé et nous non plus d’ailleurs : nous sommes là, toujours, défenseurs des mêmes idées, des mêmes ambitions : d’abord l’emploi, la solidarité, le souci du dialogue et la volonté d’une France juste, équilibrée, mais aussi capable de se défendre contre toutes les agressions, d’où qu’elles viennent. Une France capable de vivre ensemble, tout simplement.

Ils s’essayent, par une propagande invraisemblable, à faire en sorte que de colloques en déplacements, de séminaires en Conseil des Ministres, il n’y ait plus de place pour les autres. Et il est vrai qu’à regarder tel ou tel écran, on se demande : Où est la gauche puisqu’on ne la voit jamais ?

Mais la gauche, elle est là, elle est partout, elle a vocation à s’exprimer dans cette campagne, et elle doit le faire dignement, fortement.

Depuis maintenant trois semaines, il ne se passe pas de jour sans que le Premier ministre ou un autre Ministre ne fasse de promesses à telle catégorie, à telle corporation, à tel secteur. Tout est bon ! Et les crédits publics, alors que l’on nous dit qu’il faut commander un audit ! Et les promesses fiscales, alors qu’on nous dit qu’il n’y aurait plus d’argent dans les caisses. Et les baisses de charges pour les uns ! L’augmentation des cotisations sociales pour les autres !

Tout est fait pour que ce gouvernement ne soit qu’un gouvernement du verbe, de l’annonce, de la parole, du paraître, de la communication, de la publicité, que dis-je de la réclame !

Nous ne pouvons pas accepter que tout soit mis en spectacle, y compris par rapport à cette préoccupation grave qu’est l'insécurité. Comment pouvons-nous admettre, après ce qui s’est produit le 21 avril, avec une extrême droite qui attend et qui espère que l’on puisse jouer de nouveau de la peur, de l’angoisse, est-il du rôle d’un Ministre de l’Intérieur de se transformer en auxiliaire de police dans telle ou telle visite nocturne dans les quartiers ? Est-il de sa compétence de présenter à la télévision des armes nouvelles, fussent-elles nécessaire pour la défense des policiers ? Est-il normal aussi de le voir surgir lors d’une opération, d’ailleurs décidée par la Justice, s’engage à Strasbourg sans qu’il en soit lui-même l’auteur ? Est-il normal de faire campagne, une nouvelle fois, sur la sécurité en tant que spectacle ?

Nous aurions beau jeu, si nous étions comme eux, de commenter tel ou tel fait divers et d’utiliser ce qui se produit hélas dans notre pays encore aujourd’hui à des fins politiques. Auraient-ils eux, si nous étions encore en place, cette même grandeur d’âme ? Ne seraient-ils pas tentés d’utiliser ces images à leur fin électorale ? Nous avons cette conception du débat public qui est de dire que la sécurité est suffisamment grave, que la violence est inacceptable pour que nous n’en fassions pas un objet politique. Parce que nous savons aussi qu’en faisant l’obsession sécuritaire, en faisant la récupération d’un seul thème dans une campagne, le seul vainqueur est celui qui ne dit rien et qui tire son miel du débat public ainsi mis sur la place, c’est-à-dire l’extrême droite.

Cette façon de faire campagne, cette façon de cacher le jeu, d’occulter les enjeux, d’étouffer le débat public, nous devons la dénoncer, mais nous devons aller plus loin. Nous devons aussi dire que nous n’acceptons aucune pression sur l’opinion.

Que le gouvernement, avec tous les moyens de l’Etat appuie les candidats de l’U.M.P, c’est déjà grave, mais qu’en plus, Jacques Chirac, élu aussi par nos voies, vienne défendre des candidats du RPR, c’est une posture qui n’est pas en conformité avec le mandat qu’il a reçu du peuple. Et être pris en photo avec ces candidats-là, c’est aussi une inversion des rôles. Il est le chef de l'État et pas celui de l’U.M.P. Il y a aussi Bernadette qui accoure lorsque c’est nécessaire.

La droite, dans cette campagne, cache ses intentions, même si –finalement- elle les laisse paraître, faute de pouvoir les taire complètement :

 D’abord, sur l’impôt sur le revenu, cette annonce de 5 % de baisse, répétée comme un slogan, qui se retourne finalement comme un boomerang, parce qu’ils savent bien que l’impôt sur le revenu n’est payé que par la moitié des contribuables. Et les plus clairvoyants savent bien aussi que si cette baisse de 5 % intervient, 1 % des contribuables rafleront 30 % de la mise. 1 % qui gagnent l’essentiel de la baisse de l’impôt sur le revenu, 50 % qui ne gagnent rien et le reste qui devra se contenter de 30 ou 40 euros pour solde de tout compte.

 Dans le même temps, il nous est dit, même si c’est étouffé peu après, qu’il y aura, pour financer la consultation à 20 euros, une augmentation des cotisations sociales pour tout le monde. Voilà la politique fiscale du gouvernement Raffarin ! De la baisse d’impôt pour les plus privilégiés et la hausse pour tout le monde ! Cette politique a un nom : c’est celle d’Alain Juppé. Elle n’a pas changé. C’était déjà celle qui, en 1995, augmentait de deux points la TVA, qui créait le RDS et ajoutait un point de CSG. Pendant que dans le même temps les cadeaux aux entreprises se multipliaient, pendant que dans le même temps, il y avait là encore une baisse de l’impôt sur le revenu pour les plus favorisés… Ils n’ont pas changé.

 Il nous faut aussi regarder ce qui nous est dit sur le Smic. Jean-Pierre Raffarin, dans un premier élan qui n’était pas celui du cœur, a commencé par dire qu’il n’en était pas question, car ça pouvait être contraire à l’emploi. Belle conception qui veut que la feuille de paie soit l’ennemi de l’emploi ! Mais peu de temps après, sentant là qu’il y avait comme un risque, puisque tout doit être fait pour que rien ne se passe d’ici le 16 juin, le même prétend maintenant qu’il y aura peut-être quelque chose, mais au plus tard à la fin du mois de juin. Nous ne pouvons pas accepter, là non plus, que dans une grande démocratie, sur un sujet aussi essentiel que l’amélioration du pouvoir d’achat sur les plus bas salaires, rien ne soit dit sur les intentions des uns et des autres. Nous le disons clairement, nous sommes pour un coup de pouce au Smic et une valorisation des bas salaires, car c’est une nécessité sociale et un impératif économique.

 De la même manière, sur les 35 heures, ils sont prudents. Il ne s’agirait que de souplesse, d’adaptation. Alors que les plus bavards nous parlent bien de moratoire sur les 35 heures, de liberté totale donnée aux chefs d’entreprise en matière de contingent d’heures supplémentaires. Il ne s’agit plus d’ailleurs de souplesse mais bien d’abrogation des 35 h. Et leur campagne est faite sur ce thème : que les 35 heures auraient coûté cher, que les 35 h auraient désorganisé les entreprises, et même se seraient retournées contre les salariés eux-mêmes… Ce qui a pu arriver sans doute là où des employeurs ont voulu utiliser la formule pour flexibiliser davantage le travail. Et c’est bien là aussi qu’il faudra faire les adaptations et les assouplissements nécessaires.

 Mais ils sont moins timorés sur d’autres sujets : par exemple, sur la modulation des aides en agriculture. Ce fut une grande mesure du gouvernement de Lionel Jospin, aidé par Jean Glavany, que de faire en sorte qu’enfin, il puisse y avoir un plafonnement des aides pour les plus grandes exploitations, qu’enfin il puisse y avoir une réutilisation des aides pour que les plus petites, les exploitations familiales soient davantage encouragées et qu’il en soit fini des aides données toujours aux plus grosses, celles qui font de l’agriculture productiviste et industrielle. La profession, ou une part, avait condamné cette politique, elle n’a pas eu finalement à attendre pour en obtenir le retrait. Il s’est agi dans les premiers instants de formation du gouvernement d’une décision du ministère de l’agriculture. Si nous revenons aux responsabilités, il nous faudra rétablir cette modulation des aides en agriculture pour faire en sorte que l’agriculture familiale, l’agriculture de qualité soit davantage encouragée que celle qui pollue et qui utilise tous les moyens de l’industrie pour produire ce que les consommateurs sont obligés d’absorber.

 Et sur la justice : là encore, que de drames vécus par beaucoup ! Je parle ici, non pas des victimes ou des honnêtes gens, mais des délinquants politico-financiers qui attendent avec impatience qu’enfin l’amnistie de ce que l’on appelle le délit d’abus de bien social puisse enfin être votée. C’est leur espoir, il est caressé par d’autres - parfois à un certain niveau de la République. Il est déjà annoncé qu’il sera maintenant possible de faire des instructions individuelles dans les affaires. Il est maintenant dit que, peut-être, pour l’amnistie, ce serait prématuré. Peut-être, si les élections sont gagnées, il pourrait y avoir cette délivrance.

Nous devons dire, par rapport à toutes ces intentions, par rapport à toutes ces prudences qui révèlent tant d’orientations pour l’avenir, que la droite ne doit pas disposer des moyens d’agir les 9 et 16 juin, et que c’est à la gauche d’empêcher que cette politique-là, cette politique qui se dessine puisse trouver son application.

Jean-Pierre Raffarin, il y a peu, a fait un rêve (je trouvais la formule empruntée). Son rêve, c’était que la droite puisse disposer de tous les pouvoirs pour cinq ans, qu’elle puisse mener à sa guise sa politique, qu’elle puisse en terminer avec la gauche, avec ce qu’il appelle la cohabitation.

Parlons-en un peu de la cohabitation : celle que Jacques Chirac acceptait en 1986, quand il s’agissait de gouverner durant le premier septennat de François Mitterrand ? La cohabitation, c’est-à-dire celle que Balladur avait théorisée parce qu’il voulait se situer à un niveau supérieur à son concurrent de droite pour venir au gouvernement dans le second septennat de F. Mitterrand ? La cohabitation que Jacques Chirac nous avait imposée au lendemain de la dissolution ratée de 1997, car nul ne l’obligeait à y souscrire, s’il pensait qu’il pouvait y avoir danger pour la République ou même crise des institutions ? Et aujourd’hui, on voudrait nous dire qu’il serait impossible, dangereux de laisser gouverner ceux que la majorité du peuple pourrait décider de porter à l’exécutif du pays !

Et bien, non. La Constitution prévoit toutes les lectures, y compris la lecture parlementaire. Je ne vois pas au non de quoi, et surtout pas au nom du vote du 5 mai, il nous serait interdit, à nous la gauche, de venir prendre nos responsabilités au service du pays. Si Jean-Pierre Raffarin a fait un rêve, nous ne voulons pas vivre un cauchemar. Le vrai cauchemar serait que la droite puisse avoir tous les pouvoirs pour cinq ans pour mener la politique que nous connaissons déjà : une politique de creusement des inégalités, une politique dure à l’égard des plus faibles, une politique de conflit avec une certaine catégorie de Français.

C’est ce que nous devons écarter les 9 et 16 juin.

Mais il revient à la gauche, parce que c’est la gauche, et parce qu’elle porte des valeurs, des idées et des références, de faire vivre le débat, c’est-à-dire de présenter son programme et de dire que pour nous, aujourd’hui et pour les cinq prochaines années :

 La première priorité c’est toujours l’emploi, la lutte contre le chômage. Car, quand il y a plus de deux millions de nos concitoyens qui sont privés de ce droit élémentaire au travail, quand il y a tant de précaires, tant d’emplois mal payés, tant de jeunes qui attendent pour entrer dans la vie active, tant de chômeurs à qui l’on dit qu’ils sont trop vieux… Notre première obligation morale, politique, c’est d’abord de lutter contre le chômage. Nous l’avons fait tomber, c’est vrai, de 3 millions à 2 millions. Mais qui peut nous dire que c’en serait fini, qu’il faudrait maintenant arrêter là l’effort ! Et c’est la raison pour laquelle nous faisons de nouvelles propositions, et d’abord de soutenir le pouvoir d’achat pour que la consommation elle-même stimule la croissance et que la reprise puisse être confortée durant l’année 2002, et surtout au-delà.

 Nous disons aussi qu’il faut, pour les chômeurs de longue durée, un contrat de retour à l’emploi, un peu semblable à ce que nous avions fait pour les emplois-jeunes, mais adapté à leur propre situation et dans le monde de l’entreprise.

 Nous disons que nous portons la plus belle idée qui soit pour ce début de Siècle qui est de donner le droit à tout actif de se former à tout moment de la vie, de participer au partage de la connaissance, du savoir, des technologies, que l’éducation ne doit pas être conçue seulement dans les premières années de la vie, mais tout au long de l’existence pour que tout soit offert, que rien ne soit fatal et que chacun puisse avoir les moyens de s’accomplir et d’assurer sa promotion sociale.

 Nous disons aussi qu’il faut une solidarité entre les générations, pour les jeunes qui demandent un contrat d’autonomie pour assurer leur avenir, et qui ont raison, à la fois pour leurs études, leur parcours d’insertion et leur premier emploi, mais aussi pour les familles qui demandent à mieux concilier leur vie personnelle et leur vie professionnelle et d’avoir les moyens d’accéder partout à un logement. Solidarité entre les générations aussi pour assurer l’avenir de la planète, la sécurité alimentaire, la protection de l’environnement. Tout ce qui fait la qualité non pas simplement de tout ce que nous vivons aujourd’hui mais qui peut faire le bonheur de nos enfants et petits-enfants. Solidarité entre générations pour dire clairement qu’en matière de retraite, c’est répartition qui doit être un fondement et le droit à partir à 60 ans la règle. Il faut même ajouter, et sans doute aurions-nous pu le faire plus tôt, que pour ceux qui ont travaillé 40 ans et durement, ils devraient pouvoir partir avant 60 ans, parce qu’ils en ont finalement le droit et le besoin. Cet après-midi, dans ma circonscription, visitant une entreprise, j’ai rencontré un salarié d’une usine qui m’a arrêté, disant : je suis dans cette entreprise depuis 42 ans, j’ai 57 ans, j’attends qu’on me fasse partir avant 60 ans, j’ai fait ce que je devais faire pour les autres, j’ai cotisé pour l’avenir, j’ai droit au repos, et j’attends de la gauche qu’elle le fasse enfin.

 Puis il nous faut porter dans cette campagne le bel idéal de la République pour ne pas le laisser à d’autres qui n’en font rien de bon et faire en sorte que les Services publics soient présents, partout, capables de répondre à tous les besoins, toutes les détresses et sur tout le territoire, avec les mêmes tarifs et les mêmes principes.

 Il nous faut porter plus haut les valeurs du civisme, du respect de la règle, des droits et des devoirs, de faire que l’école de la République peut-être plus tôt encore responsable de ce beau message de la laïcité, de la tolérance, du respect des autres, mais aussi du rappel à la règle indispensable, car c’est dès le plus jeune âge qu’on devient citoyen. Et nous préférons, nous, même s’il faut punir, créer plus d’écoles que de prisons, c’est l’ambition d’une société.

 Il nous faut toujours affirmer le principe de non-discrimination, car il n’est pas acceptable que selon sa couleur de peau, son apparence ou son âge, il ne soit pas possible de travailler, de se distraire ou d’accéder au logement dans les mêmes conditions. On ne peut pas, là aussi, souhaiter une société ferme si elle n’est pas ferme aussi à l’égard d’elle-même.

 Enfin, dans cette campagne, nous portons l’idéal européen, car nous savons bien que, même dans le vote du 21 avril, il y a les ferments d’un repli sur soi, d’un nationalisme, d’une peur face à l’avenir, et que l'Europe, parce qu’elle n’a pas été capable de se définir politiquement et de s’affirmer socialement, en porte autant que les gouvernements la responsabilité, qu’elle ne peut pas en rester là. Et si nous voulons lui donner toute sa force, toute sa place, au-delà de la monnaie unique, il nous faut développer un projet politique commun, affirmer notre identité - y compris par rapport aux États-Unis d’Amérique, faire en sorte que l'Europe puisse peser dans les conflits du monde, et notamment celui du Proche-Orient, et ne pas être là encore dépendante toujours du plus puissant de nos alliés. Il faut une Europe véritablement sociale, qui s’harmonise par le haut, qui fixe des règles communes, qui affirme des droits, qui lutte ensemble contre l’insécurité, qui définisse l’accueil des étrangers et une Europe qui soit en capacité de répondre aux défis de la mondialisation. Et si nous voulons un autre monde - et nous le voulons - il nous faut une autre Europe, et nous devons la faire. Il y a là comme une responsabilité, un défi, pour les socialistes et pour la gauche européenne. Si nous avons connu des revers électoraux ces dernières années, c’est parce que nous sommes restés trop seuls les uns par rapport aux autres. Lorsqu’il y avait ces 11 gouvernements socialistes en Europe, ils auraient dû d’abord travailler à faire le socialisme et Europe plutôt, quelques fois, que de s’en écarter. Si la gauche européenne avait été plus attentive aux messages de Lionel Jospin sur les services publics, sur les règles en matière de licenciement, sur la dimension sociale de l'Europe, peut-être que le sort des uns et des autres aurait été différent. Il n’est pas trop tard, les leçons doivent être tirées ; il faut que la gauche européenne ensemble fasse sa refondation politique et marque clairement aujourd’hui ses perspectives.

Voilà les enjeux de la bataille des 9 et 16 juin. Quinze jours à peine et cinq ans de notre avenir seront joués. Ne prenons pas le risque. Les résultats d’une politique peuvent être à la fois des avancées sociales considérables et des acquis qui durent, mais peuvent aussi être des reculs et de régressions irréversibles.

Si nous l’emportons, nous aurons entendu les messages du 21 avril et nous continuerons de façon différente et volontaire la politique que nous avons engagée. Mais si la droite l’emportait les 9 et 16 juin alors, quand bien même retrouverions-nous le pouvoir cinq ans plus tard, quelle société nous serait donnée en héritage !

Tant de reculs seraient devenus irréversibles ! la privatisation des services publics, la remise en cause des régimes de retraite, la fin d’un mode de protection sociale, la montée des assurances par rapport aux garanties collectives… Tout cela serait pour partie irréversible.

C’est pourquoi, lorsque de bons esprits - de bons amis même - nous disent qu’il faudrait pour notre propre santé physique (ils n’osent pas dire mentale) nous donner cinq ans de repos - d’abord nous leur disons que nous ne sommes pas fatigués, que nous avons de l’énergie à revendre, que nous sommes prêts à prendre toutes nos responsabilités - ce n’est pas notre sort individuel qui est en cause, mais l’avenir du pays. Ce serait trop grave. Cinq ans, c’est l’essentiel des conditions de formation d’un jeune au-delà du bac ; cinq ans, c’est la manière de rentrer ou pas dans la vie active pour un adulte ; cinq ans, c’est la remise en cause du droit à la retraite ; cinq ans, ça suffit pour mettre en pièces l’essentiel de nos services publics… Cinq ans, c’est long à l’aune de toute une vie.

C’est pourquoi, il nous faut dire clairement que nous avons quinze jours pour fixer notre destin.

L’enjeu, c’est aussi l’équilibre de notre société, la part respective de l’Etat, des collectivités locales, de l’esprit public par rapport au marché, c’est également l’équilibre, l’arbitrage entre l’économique et le social, entre les intérêts particuliers et l’intérêt général.

Cinq ans, c’est aussi ce qui pourrait remettre en cause l’équilibre de notre démocratie, car c’est l’Etat U.M.P, RPR, chiraquien qui serait là, tout puissant, qui aurait le pays dans ses mains et qui ne commettrait pas de nouveau, quelles que soient les difficultés qu’il pourrait rencontrer, l’erreur fatale de la dissolution. Tout, sauf cela ! Ils s’y accrocheront jusqu’au bout, quel qu’en soit leur propre résultat.

En cinq ans, notre démocratie peut être éprouvée. En cinq ans, des conflits peuvent naître, des mobilisations seront faites, de grandes manifestations seront organisées sans doute, mais si l’on peut s’épargner tout ça et donc faire ce qu’il faut les 9 et 16 juin, c’est quand même mieux pour le pays.


Nous sommes dans un combat difficile, éprouvant par rapport à ce qui s’est passé ces dernières semaines. Il y a sans doute chez beaucoup de nos compatriotes une certaine fatigue civique, même si -le 21 avril- certains n’étaient pas tous fatigués et qu’il y a eu trop d’abstention, le combat est sans doute déséquilibré car nous sommes devant une déferlante médiatique et une utilisation cynique par le pouvoir de tous les moyens qui lui sont donnés pour mener, parfois sur fonds publics, la campagne, mais nous disposons d’atouts décisifs.

Il y a d’abord le sursaut républicain, celui que nous avons vu naître au lendemain du 21 avril –et notamment le 1er mai, il n’a pas disparu, il est encore là, d’une autre manière, avec une autre intensité, mais je suis sûr qu’il se retrouvera les 9 et 16 juin, notamment les plus jeunes qui ont été frustrés, blessés, angoissés par ce qui s’est produit à l’élection présidentielle et qui ont collectivement beaucoup plus un message à nous livrer qu’une revanche à prendre. Nous avons l’atout de notre unité, l’amitié des socialistes, l’unité de la gauche aussi, qui s’est faite - sans doute parce que c’était impératif - mais aussi parce que c’était finalement ce que chacun éprouvait dans son département : la nécessité de se mettre en bon ordre et d’effacer les différences qui n’ont pas toujours d’ailleurs aujourd’hui grande réalité.

Puis nous avons l’atout de nos candidats, des députés sortants mais aussi des candidates et des candidats que nous présentons, parfois pour la première fois, et qui se dépensent sans compter. Je veux saluer leur combat, de tous les candidats de la gauche et du parti socialiste.

Puis il y a vous, les militants, les sympathisants, qui n’oublient rien de ce qui s’est produit, mais qui ont envie collectivement de faire progresser leur pays, de faire avancer la gauche, qui sentent bien que c’est ici que se noue l’envie démocratique, que nous sommes là pour conserver, pour capter, pour prendre, mais finalement pour donner, pour distribuer, pour répartir. C’est cela le plus beau message que nous pouvons porter dans cette campagne, au nom de la gauche et du parti socialiste.

Les leçons du 21 avril doivent être tirées, les messages entendus : une politique plus concrète, la nécessité de faire respecter les règles et d’écouter les urgences sociales, mais également la volonté de vivre ensemble car c’est le défi des prochaines années. La leçon a également été tirée par rapport au risque de la dispersion. Et, lorsque l’on voit encore quinze candidats se présenter dans chacune des circonscriptions, on doit se dire que ce qui s’est passé le 21 avril ne peut plus se produire, et qu’il s’agit de faire le vote, le seul possible, le vote utile pour la gauche et pour le parti socialiste.

La leçon de l’abstention est également être retenue. L’abstention, c’est le vrai piège dans une élection. C’est le véritable ennemi, le véritable adversaire, celui que l’on ne voit jamais. L’abstention, c’est ce que nous devons réduire car, là est la clef des scrutins des 9 et 16 juin.

Mais la vraie leçon, celle que nous devons encore porter dans cette campagne, c’est de donner du sens à la politique, de défendre l’intérêt général, de ne pas flatter telle ou telle catégorie, de ne pas promettre à tous pour ne rien tenir demain, de ne pas ajouter les aspirations individuelles, comme si elles devaient représenter la demande collective. Il y a un intérêt général qui nous dépasse tous, qui est l’intérêt du peuple, l’intérêt de la France, l’intérêt de l'Europe. Ce qui fait que la politique est belle, c’est qu’elle ne sert pas tel ou tel, mais tous ensemble, et d’abord les plus modestes.

Notre combat, dépasse nos destins individuels. Notre combat est en cohérence avec notre passé, avec notre propre histoire. Il s’inscrit après les longues luttes menées par François Mitterrand tout au long des années 70 qui ont fait la victoire de 1981, puis l’alternance et les acquis qui ont été marqués pendant les années où il a été Président de la République.

Notre combat se prolonge dans le présent de Lionel Jospin avec lequel nous avons été fiers, collectivement, pour certains de participer au gouvernement, pour d’autres de l’appuyer au groupe socialiste ou au Parti socialiste. C’est parce que nous nous inscrivons dans cette lignée-là, dans cette cohérence-là que nous sommes obligés d’être maintenant au rendez-vous de l’histoire.

Plus que jamais, parce qu’il s’est passé ce qu’il s’est passé le 21 avril, parce que nous avons fait ce que nous avons voulu faire le 5 mai, la France a besoin de la gauche, et c’est pourquoi, si nous le pouvons, nous devons gagner les élections législatives.


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