Traité constitutionnel :
Pourquoi non


Point de vue signé par Jean-Pierre Balligand, député de l'Aisne, Didier Migaud, député de l'Isère, Paul Quilès, député du Tarn et Manuel Valls, député de l'Essonne, et André Laignel, Marie-Noëlle Lienemann, députés européens, paru dans le quotidien Libération daté du 16 septembre 2004




Jean-Pierre
Balligand



André
Laignel



Marie-Noëlle
Lienemann



Didier
Migaud



Paul Quilès



Manuel
Valls



Avant de se prononcer sur la Constitution européenne, les socialistes ont formulé à plusieurs reprises des « exigences ». Ils ont demandé notamment :

 « Que des mesures d'harmonisation de la fiscalité, de transparence, de taxation des mouvements de capitaux et de lutte contre l'évasion fiscale puissent être adoptées à la majorité qualifiée. Ce doit être aussi le cas en matière sociale. Les critères de l'emploi et de la croissance doivent être introduits pour guider les interventions de la Commission et de la Banque centrale européenne. »
Au contraire, le projet de Constitution prévoit l'application de la règle de l'unanimité en matière sociale et fiscale et introduit l'objectif de stabilité des prix parmi les objectifs de l'Union.

 « Que l'Europe soit dotée d'un gouvernement économique, disposant d'un budget suffisant et d'un impôt, pouvant recourir à l'emprunt pour financer des grands travaux d'intérêt européen, la recherche, l'innovation et garantir la cohésion sociale et territoriale. »
Au contraire, le projet ne permettra pas la création d'un impôt européen, impose l'unanimité en matière budgétaire (alors que certains pays refusent toute augmentation du budget) et ne donne pas le dernier mot au Parlement européen en ce qui concerne les dépenses.

 « Que les modalités de révision de la Constitution distinguent les matières constitutionnelles, pour lesquelles il faut faire prévaloir durée et stabilité, des politiques de l'Union, pour lesquelles une procédure allégée, de décision à la majorité qualifiée, est indispensable. La Constitution ne peut figer dans le marbre toute évolution et interdire toute politique alternative. »

 « Que la future Constitution ne soit pas la règle définitive et intangible de l'Europe. »
Au contraire, le projet grave dans le marbre les politiques de l'Union (3e partie) avec des modalités de révision qui requièrent l'unanimité à trois reprises (article IV-443).

Il a été annoncé que « c'est en fonction des résultats de la Conférence intergouvernementale (CIG) que les socialistes, consultés par référendum interne, se prononceront sur la Constitution européenne ». Il se trouve que la CIG, loin d'améliorer le texte de la Convention l'a fortement dégradé. Par exemple :

 La majorité qualifiée est plus difficile à obtenir (55 % des pays et 65 % de la population, contre 50 % et 60 % dans la Convention).

 L'application de la majorité qualifiée en matière d'impôt sur les sociétés et pour la lutte contre la fraude et l'évasion fiscale illégale a été supprimée. Un recul dangereux qui prive l'Union de tout levier pour lutter contre la concurrence fiscale et contre les délocalisations ; recul moralement choquant, s'agissant de la fraude fiscale.

 La référence à la sacro-sainte stabilité des prix figure désormais explicitement dans les objectifs de l'Union.

Pour ces raisons majeures, et en cohérence avec les précédentes décisions du Parti socialiste, nous ne pouvons pas accepter le projet de Constitution.

Contrairement aux arguments avancés dans la violente campagne médiatique en cours :

1. Le rejet de ce texte ne signifie pas le chaos en Europe. Même si la Constitution est ratifiée, elle n'entrera pas en vigueur, en ce qui concerne les modalités de décision, avant le 1er novembre 2009. Cela signifie que, d'une part, c'est avec le traité de Nice (que ceux qui le défendaient en 2000 décrivent comme l'apocalypse...) que l'Union va fonctionner ; d'autre part, cela laisse le temps de renégocier les points à problème. Loin d'être un drame, la non-ratification créerait au contraire un choc positif et salutaire.

2. Il ne s'agit en aucune façon de rejeter l'Europe comme idéal politique, au contraire. Le Parti socialiste est européen et le restera, mais il porte une ambition pour l'Europe. Les socialistes ne veulent pas d'une Europe réduite à son expression la plus simple, celle d'une zone de libre-échange où la concurrence fiscale et sociale s'exprime sans régulation. Ils veulent, conformément aux engagements pris lors des européennes, une Europe sociale qui garantit les services publics, la protection sociale et favorise l'emploi. Ces exigences motivent et justifient le non, qui ne peut s'assimiler à un repli souverainiste.

3. Ce dont il s'agit, c'est de la capacité des socialistes à débattre sereinement. François Hollande l'a lui-même déclaré : il n'y a pas d'enjeu de pouvoir interne lors de cette consultation des militants. La direction actuelle n'est pas en cause, pas plus que la désignation de notre candidat pour 2007.

Pour fonder notre projet sur des bases solides, il est nécessaire que les militants puissent se prononcer en toute sérénité sur le contenu de la construction européenne et qu'ils puissent dire s'ils acceptent la dérive libérale que le projet de Constitution risque de pérenniser et d'accentuer.

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