Je ne défends pas ma place mais l'identité du PS

François Hollande



Entretien avec François Hollande, premier secrétaire du Parti socialiste, paru dans le quotidien Le Monde daté du 16 septembre 2004
Propos recueillis par Hervé Gattegno et Isabelle Mandraud
 

Après les déclarations de Laurent Fabius, redoutez-vous que le " non " au projet de Constitution européenne devienne majoritaire chez les socialistes ?
Le risque existe. C'est tout l'enjeu du débat qui s'ouvre au sein du PS. Il sera maîtrisé dans son déroulement, simple dans sa procédure et clair quant à la question posée. Ce qui est en cause, ce n'est pas une querelle d'influence, la mesure d'un rapport de forces ou le règlement d'un banal problème doctrinal : c'est l'avenir de l'Europe. Car de la réponse que feront les socialistes français dépendra l'adoption ou non de la Constitution européenne.

Qu'on me comprenne bien : compte tenu de la force électorale que représente le PS aujourd'hui, c'est sa position qui décidera du sort du référendum et permettra donc à l'Europe de franchir une étape nouvelle ou provoquera un blocage durable. C'est dire si notre débat est grave, même s'il doit rester serein : il appelle chacun d'entre nous à la responsabilité.

Ne dramatisez-vous pas l'enjeu ? M. Fabius, lui, affirme que si le traité est rejeté l'Europe ne sera pas en crise...
Mais si ! Il y aurait bien une crise, si, après deux ans de travail en commun, l'accord de tous les chefs d'Etat et de gouvernement, la France devait déchirer un texte qui constitue un progrès par rapport aux traités existants, puisqu'il dote l'Europe de meilleures institutions, d'une Charte des droits fondamentaux, d'une possibilité de coordination économique au sein de la zone euro et qu'il donne enfin un fondement juridique aux services publics. Bref, il s'agit de savoir si nous montons d'un cran et prenons cet acquis ou si nous redescendons au bas de l'échelle...

Il s'agit aussi, pour le PS, de savoir s'il s'isole de tous ses homologues européens et rejette d'un revers de main le soutien de la Confédération européenne des syndicats au traité constitutionnel. Il y aurait alors une double crise : européenne et socialiste. Car, au-delà du traité lui-même, les socialistes doivent être fidèles à leur histoire. Ce sont eux qui, depuis vingt ans, ont pris les décisions majeures pour l'Europe : en 1983, avec le système monétaire européen ; en 1986, avec l'Acte unique ; en 1992, le traité de Maastricht ; en 1999, celui d'Amsterdam... Le projet de Constitution codifie ces traités ; le rejeter, ce serait rompre avec notre action et donner raison à ceux qui n'ont jamais voulu adhérer à nos choix.

Nous avons aussi un devoir de fidélité vis-à-vis du Parti socialiste européen. Si le " non " permettait de nouer des alliances fortes avec les progressistes des autres pays de l'Union, il pourrait avoir sa logique, mais c'est le contraire ! Tous les partis d'Europe nous demandent de travailler avec eux dans cette nouvelle Constitution.

Enfin, notre réponse conditionne notre comportement politique. Pour revenir aux responsabilités, nous devons être crédibles. Comment prétendre que le traité constitutionnel pourrait nous empêcher, demain, de lutter contre les délocalisations ? Cette responsabilité est celle de l'Europe d'aujourd'hui, qui exige déjà au plan fiscal la règle de l'unanimité, et surtout celle des gouvernements. Feindre de l'ignorer reviendrait paradoxalement à exonérer la politique de M. Raffarin et de M. Sarkozy.

Donc, M. Fabius se trompe ?
Je partage avec lui la volonté de lutter contre les délocalisations et le dumping fiscal. L'objectif est légitime, mais il n'a rien à voir avec le projet de Constitution. Il relève de la politique européenne, de la coordination des politiques économiques, de la conditionnalité des fonds structurels, bref, de compléments au traité. Il ne suffit pas d'accuser la fiscalité estonienne ou polonaise pour avoir trouvé la solution, quand les délocalisations ne touchent pas que l'Europe...

M. Fabius déplore l'impossibilité de réviser le traité, à cause de la règle de l'unanimité. Partagez-vous son inquiétude ?
L'argument est réversible, car l'unanimité vaut pour tous les traités. Soit " on en prend pour trente ans " avec le nouveau, soit on garde pour trente ans l'actuel. Or, si le traité de Bruxelles est préférable à celui de Nice - chacun s'accorde de bonne foi à le dire -, le raisonnement ne tient plus.

Vous-même, vous avez critiqué ce texte. Avez-vous changé d'avis ?
J'aurais préféré, c'est vrai, une Constitution plus fédérale avec un traité social. J'aurais souhaité que la France négocie plus âprement sur l'harmonisation fiscale et qu'elle aille plus loin dans les coopérations renforcées. M. Chirac a plus été un frein qu'un moteur mais, au total, ce qui est critiquable n'est pas ce qui figure dans le texte mais ce qui n'y est pas. Quand on le lit, on voit les avancées, on ne relève aucun recul. Il faut donc prendre l'acquis et repartir à l'assaut.

Mon " oui " n'exprime pas une résignation, c'est un " oui " de combat. Face à la volonté du président américain de régner seul sur la planète, tout blocage de la construction européenne, tout retard dans la mise en œuvre de sa politique extérieure, est finalement une concession faite à l'unilatéralisme.

Regrettez-vous d'avoir pris l'initiative de consulter au plus vite les militants du PS ?
Le débat sur la Constitution européenne nous agite depuis de longs mois. Mais, dès lors que le traité va être signé en octobre et que le processus de révision de la Constitution française va commencer au Parlement au début de 2005, il est normal que la première force politique du pays donne sa réponse. Je suis dans mon rôle de premier secrétaire lorsque je fixe un calendrier et une méthode. Nous sommes les seuls à consulter nos adhérents. Nous n'avons pas à en avoir peur, c'est un bel exemple de démocratie. J'ai dit que la consultation se tiendrait avant la fin de l'année ; je maintiens ce calendrier.

M. Fabius invoque, comme vous, ses convictions européennes pour prôner le " non ". Se trompe-t-il aussi sur ce point ?
Je respecte toutes les convictions mais j'attends de chacun qu'il précise la portée de sa réponse. Ce n'est pas une question d'inclination personnelle mais un choix collectif qui va décider de l'avenir de l'Europe. Quand je dis " oui ", je sais ce que je prends. Quand on dit " non ", il faut annoncer les conséquences ; décrire, avant de déclencher la crise, comment et avec qui la dénouer. Il ne suffit pas de dire " non ". Encore faut-il se demander ce qui se passera le jour d'après.

Si les militants votent pour le " non ", de quoi sera fait le " jour d'après " au PS ? Pourriez-vous faire campagne pour le rejet du traité ?
Je suis garant de l'unité de mon parti et de sa démocratie interne. Je n'entends pas personnaliser le débat, mais le politiser. Je ne défends pas ma place ni mon avenir, mais l'identité du PS. C'est le sens de mon engagement.

La majorité sur laquelle vous vous appuyez au PS depuis le congrès de Dijon pourra-t-elle surmonter une telle division ?
Je pense que la majorité du parti aurait dû rester unie sur ce sujet majeur. Sa cohérence est la force du PS, et nos succès électoraux du printemps doivent beaucoup à la ligne de Dijon. Tous ceux qui participent à cette majorité déclarent leur attachement à poursuivre dans ce sens, c'est là l'essentiel. J'ai pour ma part le devoir - supérieur à tous les autres - de rassembler les socialistes.

Mais le choix du " oui " ne gêne-t-il pas, en revanche, la recherche d'alliés au sein de la gauche française, majoritairement hostile au traité ?
Quelle gauche ? Nos alliés, ce sont les socialistes européens ! Le PCF s'est opposé à toutes les étapes de la construction européenne depuis le traité de Rome. Jean-Pierre Chevènement y a toujours été hostile, et la LCR n'a pas pour ambition, je crois, de faire la révolution en Europe. Seuls les Verts voteront en majorité pour le " oui ". C'est en étant eux-mêmes que les socialistes permettent à la gauche de se rassembler et de gagner, pas en cédant aux marges. Le rôle du PS n'est pas de s'aligner sur les autres. Il est la force centrale qui doit tirer l'attelage.

On vous a entendu prôner un " oui " au référendum interne du PS tout en réservant la possibilité de dire " non, peut-être " au référendum convoqué par M. Chirac dans un an. Comment est-ce possible ?
Je suis pour la ratification du traité. Mais il ne doit y avoir, de la part du chef de l'Etat, aucune instrumentalisation ou tentative de récupération. C'est la seule condition que je lui pose, mais elle est impérieuse. Convenons qu'il serait paradoxal de lui avoir demandé un référendum, d'avoir obtenu satisfaction et de ne pas vouloir voter " oui " au prétexte que c'est lui qui pose la question.

Et que ceux qui redouteraient qu'il tire de notre vote un profit politique se souviennent : l'adoption de Maastricht, en 1992, n'a pas empêché les socialistes de subir, un an plus tard, leur plus lourde défaite électorale...

On prête à François Mitterrand cette sentence selon laquelle un présidentiable ne peut pas dire non à l'Europe. Qu'en pensez-vous ?
On ne peut pas être un bon président si on n'est pas un bon Européen. On peut toujours gagner les élections, y compris parfois avec le mensonge - nous en avons l'exemple sous les yeux. Mais on le paye toujours après.

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