Une société en réseaux,
solidaire, libre et ouverte.

Contribution au Congrès de Grenoble de novembre 2000
présentée par Patrick Bloche, Danièle Pourtaud, Cécile Helle, Maurice Ronai, Cécile Alvergnat, Vincent Carlotti, Yves Attou, Hicham Affane, Gilles Catoire, Marc Vasseur, Jean-Philippe Calmus, Jean-Louis Bessis, Jean-Dominique Reffait, Lucie Maiques-Grynbaum, Pascal Nicolle, Matthieu Lerondeau, Olivier Rey, Jean-Bernard Magescas, Philippe Lasnier, Cyril Rojinsky et Jean Gonié.


 
La société en réseaux se construit sous nos yeux, sous la pression conjuguée du progrès technique, des intérêts commerciaux, de nouvelles demandes sociales.

Si nous n’en saisissons pas encore la forme finale, nous savons que son impact sur l’économie, le travail, la vie quotidienne, la vie sociale, sera d’une profondeur similaire à celui de la révolution industrielle.

Le gouvernement de Lionel Jospin a donné, avec le programme d'action " société de l'information " (PAGSI) une impulsion décisive pour l'introduction des NTIC dans l'école et la culture, la stimulation de l'innovation, la réforme des services publics, la mise au point d'un système de régulation.

Les parlementaires socialistes se sont, à leur tour, saisis de ces questions.

Le Parti socialiste, en revanche, a pratiquement été absent des débats sur la société de l'information.
(La contribution de la droite n'a pas, il est vrai, été marquante).

Il est urgent que les socialistes élaborent et proposent leur approche de la société en réseaux.

Non pas comme un domaine d'action en soi, mais comme un enjeu qui traverse l'ensemble de nos propositions,

Ce sera l'un des enjeux du Congrès.

1) Une mutation socio-technique

L'information et les réseaux, ressorts d'une croissance durable

L’économie des réseaux accroît la polarisation des richesses et des compétences, et par conséquent les inégalités entre les nations, au sein des sociétés, entre les générations, les territoires, les activités.

Elle est l’expression achevée d’un capitalisme informationnel qui étend son emprise au travail intellectuel, au savoir, aux œuvres de l’esprit. Pour autant, nous devons impérativement comprendre les modèles économiques qui s’installent. Car demain, se créeront dans cet espace une part importante des richesses de notre pays, et des emplois.

En France comme ailleurs, la croissance est, pour une part au moins, tirée par le secteur des technologies de l’information : elles devraient représenter près de 7 % de la production nationale en 2000. Elles contribuent pour 20 % à la croissance globale sur les trois dernières années.

Sans adhérer naïvement au credo du " nouvel âge économique ", les activités informationnelles sont devenues un moteur essentiel de nos économies. Les survalorisations boursières de la net-economie ne doivent pas occulter l’émergence d’entreprises nouvelles productrices de richesses. Ni les gains de productivité que les TI rendent possibles.

Ambivalences du travail en réseau

L'évaluation des effets du recours aux technologies de l'information nourrit, depuis un demi-siècle, des interrogations récurrentes : déqualification ou requalification ? Perte de contrôle des salariés ou montée d'autonomie ? Ces interrogations n'ont jamais été aussi actuelles.

Les technologies de l'information favorisent la remise en cause des organisations tayloriennes : on voit les entreprises réduire les niveaux hiérarchiques, redistribuer les responsabilités au profit des opérationnels, se réorganiser horizontalement, autour des processus, ou en équipe-projet.

Cette réorganisation des entreprises se traduit par une individualisation croissante du travail, une moindre solidarité collective et le développement de formes " flexibles " de travail. L'éclatement géographique de l'entreprise, le développement du télétravail, " nomade " ou à domicile, remettent en cause les notions de temps et de lieu de travail.

Les salariés prennent la mesure des changements :

 Les exigences nouvelles de productivité, de flexibilité, de disponibilité, dans le temps et dans l'espace

 Les risques de surveillance, de marginalisation des formes de représentation, de remise en cause des principes du droit du travail.

 Les opportunités, aussi, en termes d'autonomie dans le travail.

On voit ainsi se dessiner les termes et les enjeux de nouveaux compromis à négocier.

Si la souplesse est désormais une condition structurelle de compétitivité des entreprises, nous devons éviter qu'elle se développe au détriment de toute forme de garantie sociale et consolide l'existence d'une force de travail " jetable " et sous-payée. L’anticipation des transformations doit limiter les risques liés à l’éclatement de la société salariale.

De nouvelles capacités d'autonomie et d'expression pour les personnes

Les technologies de l'information amplifient l'efficacité des organisations.

Elles augmentent aussi la capacité d'action et d'expression des personnes.

Il y a, depuis longtemps, dans nos sociétés prospères et éduquées, une formidable aspiration a l'autonomie. Dans toutes les sphères de la vie sociale : famille, école, travail, loisirs, citoyenneté.

Cette poussée d'autonomie s'appuie et tire parti des outils que la société et que le marché mettent a la disposition des individus. Après le téléphone et l'ordinateur, Internet confère aux individus de nouvelles capacités d'action.

Internet n'est pas seulement un espace fonctionnel où l'on résout des problèmes : c'est aussi un espace d'expression. Les ordinateurs, les logiciels musicaux, graphiques, de 3D, les caméras numériques mettent à la disposition des artistes - mais aussi des amateurs - des outils de création d'une puissance inégalée.

Cette poussée d'autonomie (auto-édition, auto-médiation, auto-formation) intéresse certains acteurs du marché, mais n'est pas nécessairement favorisée par les acteurs dominants, notamment les conglomérats qui résultent des mega-fusions. Ceux-ci tendent à reproduire sur l’Internet la distinction traditionnelle entre consommateurs-récepteurs et producteurs-émetteurs : introduction d’une asymétrie au niveau des débits (l’information va vers le consommateur plus vite qu’elle ne part de lui), promotion de terminaux "grand public" tirant toutes leurs ressources du réseau et de ceux qui en contrôlent l’accès, technologies de diffusion présentées comme l’avenir radieux de l’Internet...

La privatisation rampante du savoir

En reconnaissant le travail des auteurs, la société a mis sur pied une forme d’équilibre : une législation qui protège les créateurs, à condition que, sur le long terme, les richesses intellectuelles reviennent dans le domaine public. Aujourd'hui cet équilibre est en passe d'être rompu.

Acquérir et s'arroger un droit de propriété sur le savoir devient un élément central du jeu concurrentiel et des relations de l'entreprise avec les salariés co-producteurs de ces connaissances.

Données brutes, archives photographiques et audiovisuelles, logiciels, algorithmes, méthodes pédagogiques : le renforcement continuel des droits de propriété intellectuelle permet aux entreprises les plus riches et les mieux dotées de s'assurer le contrôle de larges pans des productions futures.

On voit se déployer, dans le domaine du logiciel, des stratégies de protection et de verrouillage qui pénalisent la concurrence et l'innovation. La recherche comme la création culturelle se nourrissent avant tout du partage des savoirs et de la circulation des œuvres. De plus en plus nombreux sont ceux qui aujourd'hui dénoncent les aspects profondément contre-productifs de cette extension des rapports de propriété.

Logiciel libre : les logiques marchandes ne sont pas nécessairement les plus productives

Le logiciel est un des domaines les plus intéressants du point de vue des rapports entre technique et phénomènes sociaux. Le logiciel libre dessine une forme inédite d'alternative aux rapports marchands de production et de propriété.

Le triomphe du capitalisme informationnel, dont Microsoft est le fleuron, n'a pas étouffé le logiciel libre. La communauté d'utilisateurs, de développeurs et de contributeurs de LINUX compte aujourd'hui des millions de personnes.

Le modèle du libre abolit, en partie, la distinction entre usager et créateur. Il expérimente une logique de production mobilisée tout entière par la recherche d'une meilleure adéquation entre besoins et produit, c'est-à-dire par la qualité et l'efficacité sociale. Les performances des logiciels libres suggèrent que les logiques de production marchandes et centralisées des grandes firmes du logiciel ne sont pas nécessairement les plus efficaces ou les plus productives. Le logiciel libre installe ainsi au cœur de l'économie informationnelle les conventions et les manières de faire caractéristiques du monde de la recherche et de l'université : l'échange, l'émulation, la coopération distribuée.

2) Une société en réseaux solidaire

Une large fraction de nos concitoyens risque de rester à l'écart des technologies de l'information.

D'autres inégalités se profilent derrière les disparités d'accès à Internet : inégales capacités à tirer parti des outils, inégale maîtrise des technologies intellectuelles. Les inégalités numériques se surajoutent et aggravent les inégalités préexistantes : revenu, niveau de formation, précarité, isolement social ou géographique.

Lionel Jospin pointait, dès 1997, le risque du fossé numérique. " Si ce savoir nouveau n'est pas donné à l'école, le fossé se creusera entre les jeunes dont les parents peuvent acheter un ordinateur et ceux qui n'ont pas cette chance. Nous refusons que le fossé séparant ceux de nos concitoyens qui maîtrisent ces nouveaux outils du reste de la population s'accroisse. "

Le gouvernement décidé, le 10 juillet, d'allouer 3 milliards de F à des actions de formation et d'initiation du grand public à Internet :

 7000 lieux publics d'accès à Internet, et parmi eux de 2 500 espaces publics numériques. La formation de base à Internet y sera assurée par 4 000 emplois-jeunes.

 La formation aux NTIC de 1,2 millions de demandeurs d'emploi avant 2002.

 Des facilités fiscales pour encourager les entreprises à équiper leurs salariés

L’Etat, les collectivités locales, les entreprises et le mouvement associatif doivent s'organiser pour donner à tous les citoyens les bases nécessaires permettant de mieux maîtriser les outils et les savoir-faire.

La mutation du système éducatif

Il est crucial, pour une véritable égalité des chances, que les enfants soient familiarisés avec la pratique des nouveaux outils.

L'équipement et la connexion des classes ont été une des priorités du gouvernement. Son impulsion a été relayée par les collectivités territoriales. La quasi-totalité des lycées et collèges sont connectés ou le seront dans l’année. En trois ans, le nombre d'élèves par ordinateur est passé de 12 à 7 en lycée, de 26 à 15 en collège. Le raccordement des écoles (30 % aujourd'hui) sera achevé avant la fin de l'année scolaire 2001-2002. Un brevet Internet et multimédia vient d'être créé pour les élèves de troisième : il sera généralisé à la sortie de l'école primaire à partir de 2003.

Après le rattrapage, l'objectif serait d'assurer une meilleure utilisation des équipements, une intégration des NTI dans les pratiques pédagogiques. Cette évolution suppose un effort soutenu des enseignants. 28 000 nouveaux enseignants devraient être formés chaque année. Pour la formation des 900 000 enseignants en exercice, il faudra inventer de nouveaux dispositifs.

La question n'est pas de savoir si Internet va prendre la place des professeurs et se substituer a l'enseignement traditionnel. Un bon usage de l'Internet nécessite de savoir ce que l'on y cherche et comment trouver les éléments pour conduire une réflexion. Il importe donc, pour les élèves, d'être structurés dans leur acquisition de connaissances, dans leur maîtrise de l'expression, de l'orthographe, du calcul. De nouvelles cohérences sont à trouver entre technologies éducatives, pédagogie, disciplines et programmes d'enseignement Des avancées ont déjà été faites dans les enseignements technologiques et professionnels et les sciences expérimentales.

L'informatique est porteuse, aussi, de nouvelles manières de d'apprendre et de penser. Les expériences virtuelles, les possibilités infinies de manipulation des données, inaugurent un rapport à la réalité et à la connaissance qui ne s’identifie ni au savoir théorique, ni à l’expérimentation directe sur les choses : la connaissance par simulation.

Ce sera un défi central pour le système éducatif de jeter des ponts entre la conception classique du savoir (théorique) et cette conception plus expérimentale du savoir fondée sur la simulation, l'appréhension intuitive, l'exploration des situations.

Les technologies éducatives pourraient permettre à des jeunes en échec scolaire ou à des adultes non-qualifiés d'accéder à des savoirs complexes.

Vers un État interactif

Les technologies de l'information sont un vecteur de réforme des organisations administratives. Elles rendent possible une transformation radicale de la relation entre la société qui tient à ses services publics et l’ensemble de l’appareil administratif.

Cette modernisation doit concourir à l’équilibre des territoires. Grâce aux réseaux, le guichet administratif peut être à proximité des citoyens et non centralisé dans la région parisienne ou dans les préfectures. La relation traditionnelle d’assujetti de l’usager aux demandes et formalités de l’administration sera de moins en moins bien vécue. L’administration doit devenir un fournisseur de services et de droits, capable d’une relation personnalisée et d’un traitement des dossiers transparent et accéléré.

Cette transformation impliquera des réorganisations profondes : partage d’informations et travail en réseau. L’organisation verticale par segment de compétences, par tradition administrative, par échelon de compétence, ne correspond plus à la demande des citoyens. Il faut un guichet unique accessible de tous points du territoire, des centres d’appels, une organisation des circuits d’information en fonction des demandes des usagers, des garanties de protection des données personnelles. Les technologies de l’information le permettent si l’administration se réforme par projet, au service de la société et des citoyens.

Réseaux, service universel, aménagement du territoire

La société en réseaux ne sera une réalité tangible qu'avec le développement des hauts débits.

Le développement des infrastructures des opérateurs se fait aujourd'hui essentiellement au profit des zones économiquement denses. Au risque de creuser un peu l'écart entre ville et campagne, entre régions, entre métropoles et villes moyennes. Aucun élu en charge du développement économique d'une commune ou d'une région ne peut se résigner à cet état de fait.

Si, pour le téléphone, l'égalité d'accés était assurée par le service universel, il nous faut désormais réinventer un service universel des hauts débits qui prenne en compte la nouvelle donne des télécommunications. Nous sommes, en effet, passés d'une situation mono-opérateur, mono-service (le téléphone) et mono-technologie, à une situation multi-opérateurs, multi-services et multi-technologies (ADSL, boucle locale radio, câble).

Ce service universel demandera cependant plusieurs années à se développer, il convient donc de commencer par le plus urgent : l’éducation. En donnant aux collectivités territoriales la capacité de gérer ce service universel des hauts débits, par exemple par des contrats locaux limités dans le temps, visant à relier chaque école d'un territoire.

L'autre voie, c'est l'intervention des collectivités locales dans la mise en place d'infrastructures collectives : tranchées, goulottes, fibre noire... La démarche parfois maladroite de certaines villes a conduit le Parlement à imposer des restrictions à l'action éventuelle des collectivités dans le secteur des télécommunications. La Loi Voynet sur l'aménagement du territoire oblige désormais les collectivités à démontrer la carence des opérateurs avant de lancer un projet

Les autres pays ont une vision plus simple du problème. D'une manière générale et c'est la position européenne, il n'y a pas de raison d'empêcher une collectivité de mettre en place un certain nombre de services de télécommunications pour des usages qui concernent son fonctionnement ou son développement. Pour le régulateur ou l'organisme de contrôle de la concurrence, la question est ensuite de savoir s'il peut il y avoir ou non distorsion de concurrence. Cette question n'est pas propre aux télécommunications mais à toutes les structures publiques ou mixtes qui assurent des fonctions qui pourraient être couvertes par le secteur privé.

3) Une société en réseaux, libre et ouverte

La société en réseaux n’implique pas un retour de l’État pour réglementer et interdire. Elle appelle un État garant de la démocratie, de la liberté qui la fonde et de l’égalité qu’elle permet. Le caractère mondial d’Internet, sa capacité à faire prévaloir le temps réel : tout invite non à renoncer aux régulations, mais à en inventer de nouvelles, plus adaptées, plus efficaces, plus souples aussi parfois, mais toujours garantes de nos valeurs.

La liberté dans la société de l’information : une responsabilité partagée

La tradition républicaine cherche à concilier la liberté d'expression tout en préservant les droits de chacun, pour constituer un espace public responsable où chacun peut s’exprimer dans le respect de tous.

Dans la loi sur la communication audiovisuelle, PS, gouvernement et majorité parlementaire ont dessiné la voie d’un équilibre entre liberté individuelle et collective et responsabilité. Chacun peut participer librement à l’espace public. Un droit à l’anonymat relatif a été reconnu, pour la première fois.

Cette voie doit être poursuivie sur de nombreux chantiers à venir : l’évolution de la loi informatique et liberté, au moment où les données personnelles se mesurent comme des actifs financiers ; la conservation des fichiers, à la fois instrument de justice et outil de police.

Organiser les droits attachés aux œuvres pour assurer une diversité culturelle durable.

La société en réseaux confère à la création, à la production intellectuelle une valeur inégalée.

La reconnaissance des droits des auteurs n'en est que plus essentielle. Elle demeure le rempart à la marchandisation que porte aussi la société en réseaux.

Ces droits devront s’adapter pour que les créations collectives - toujours plus nombreuses - puissent être produites surtout diffusées plus aisément.

Ces droits devront s'adapter à un système technique entièrement fondé sur la reproduction : en effet, à l'ère du numérique, à chaque étape de la production et de la diffusion, on reproduit, on duplique, on copie.

Les changement apportés par le numérique et l'Internet conduisent à repenser l'équilibre entre plusieurs objectifs d'intérêt général :

 La protection et la juste rémunération des auteurs

 La préservation, voire l'extension d'un " domaine public " de données, d'œuvres, et de connaissances, notamment dans le cadre de l'enseignement et de la recherche.

 Le droit du public à la culture et à l'information

 La présence de la création artistique et de la production scientifique françaises sur le réseau des réseaux

En tout état de cause, si la collectivité souhaite favoriser l'accès des étudiants et chercheurs aux œuvres, ou promouvoir la circulation des œuvres françaises à l'etranger, c'est à elle, et non aux auteurs, d'en supporter la charge.

La loi doit protéger les auteurs face aux pouvoirs économiques, éditeurs et diffuseurs, qui disposent, en contrôlant l'accès au public, d'un pouvoir de négociation. Mais un niveau excessif de protection dans une région du monde ne se retourne-t-il pas contre les auteurs ? Soit qu'il incite les autres acteurs économiques à faire appel aux auteurs d'autres pays, soit qu'il grève la compétitivité des éditeurs et diffuseurs nationaux .

La multiplication et la circulation des copies créent un manque à gagner pour les auteurs et les diffuseurs et peut menacer leur équilibre économique. Mais une protection excessive contre la copie ne va-t-elle pas à l'encontre de la culture du partage et de la collaboration qui constitue l'un des apports majeurs de l'Internet ? Et ne conduit-elle pas certains auteurs (ou leurs ayants-droits) à se comporter en rentiers, dans un monde où la richesse réside de plus en plus dans les flux et l'innovation, et de moins en moins dans les stocks ?

Libérer les individus des logiques de captation à l’œuvre dans cette dernière version du capitalisme.

La compétition dans la nouvelle économie est âpre. Appuyés sur leur portefeuille de clients et d'abonnés, les opérateurs de réseaux et les diffuseurs tentent d'accéder aux contenus en absorbant les éditeurs et les producteurs. Ces stratégies de " contrôle des contenus " et de " captation des abonnés " visent à enfermer chacun — mesuré à son pouvoir d’achat — dans des logiques d’abonnés.

Internet est un réseau ouvert, continu avec tous les réseaux. Le livrer aux opérateurs de services propriétaires, c’est enfermer la connaissance de chacun, la curiosité de savoir, la liberté de choix, au bouquet de service permis par une capitalisation boursière. La régulation pour l’interopérabilité, l’accès à des réseaux ouverts doivent être une priorité, du gouvernement ou de tout organisme ayant à réguler l’Internet.

4) Vers une démocratie plus participative

Internet affecte l'agencement et le partage des rôles dans l'organisation de la vie publique. Les médias de masse perdent leur rôle central dans l'organisation du débat public. C'est une bonne nouvelle pour les partis. Ils vont s'émanciper de la massifiante et réductrice intermédiation de la télévision, mais ils risquent de se diluer dans un cyberespace public éclaté.

Les technologies de l'information ne sont pas nécessairement porteuses d'une logique de démocratie directe. Il est possible, au contraire, que les nouveaux mécanismes de consultation publique améliorent la qualité des processus législatifs et renforcent la légitimité de la démocratie représentative.

De nouvelles formes de dialogue entre les citoyens et les institutions

L'ouverture d'une boîte aux lettres sur les sites institutionnels engendre un afflux de questions et d'interpellations. C'est un défi et une opportunité majeures pour les institutions que cette confrontation permanente avec les demandes des citoyens.

Internet fait chuter le coût de l'expression politique

Internet est un media de publication. Un individu, un collectif, peuvent créer un site et se frayer ainsi, a moindres frais, une place dans l'espace public, à côté des médias et des partis. Un site ou une liste permettent la constitution de véritables communautés virtuelles et civiques autour d'un thème ou d'une cause.

Internet amplifie les capacités de mobilisation de la société civile...

Internet favorise les formes non conventionnelles de participation ; il facilite la naissance ou le fonctionnement de collectifs en diminuant les coûts d’organisation. Les associations, pauvres en moyens logistiques, les formations et les mouvements sociaux qui n'ont pas accès aux grands médias, furent les premiers à tirer parti d'Internet pour inventer de nouvelles formes de mobilisation. Nous avons tous en mémoire les conditions dans lesquelles l'AMI fut rendu public, la constitution, d'une coalition mondiale anti-OMC lors du sommet de Seattle, la floraison de sites après la catastrophe de l'Erika.

...Et revitalise le débat public

Internet rend possible le déploiement d'une " démocratie participative " en permettant aux citoyens, selon des procédures plus ou moins formalisées, de s'exprimer sur des mesures, des projets de loi. Ces consultations publiques enrichissent le processus législatif en recueillant un grand nombre d'avis, en élargissant le cercle des " parties intéressées ". Si on prend au sérieux la démocratie participative, il faudra réunir un certain nombre de conditions (et de moyens humains) pour que les consultations publiques soient effectives et productives.

Résister à l'attraction du vote en ligne

Le vote électronique, à distance, a longtemps été considéré comme un horizon possible, mais lointain. L'organisation, en mars dernier, d'elections primaires en ligne, en Arizona, a fait basculer brutalement l'élection en ligne dans le champ du possible. Les partisans de l'élection en ligne avancent des arguments de simplicité et de confort pour les électeurs, l'augmentation du taux de participation, l'obtention immédiate des résultats, la chute du coût d'organisation des elections.

Si l'instauration de l'élection en ligne semble renforcer la démocratie représentative, en faisant reculer l'abstention, elle sape, à terme, les bases de la démocratie représentative, en facilitant l'émergence d'une " démocratie instantanée ".

Il nous faudra rappeler que le débat public, la confrontation des opinions et des options ont besoin de temps. Il nous faudra rappeler surtout que la participation politique requiert effort, ritualisation et secret. Si l'on souhaite résister à l'attraction des elections en ligne, c'est l'acte électoral lui-même qu'il convient de rendre plus moderne, plus attractif. La généralisation de " machines à voter " modernes constitue, à terme, la meilleure alternative à la séduction du vote à distance.

5) La mise en réseau du Parti socialiste

Avec 20 et peut être 25 % des électeurs connectés à Internet, les campagnes électorales de 2001 et de 2002 consacreront Internet comme un théâtre et comme un vecteur essentiels de la compétition politique.

Le PS, comme les autres formations politiques, a été contraint, pendant trente ou quarante ans, de passer par le filtre de la télévision pour s'adresser aux citoyens. Il retrouve, via Internet, le moyen de rétablir un contact et un dialogue directs avec les citoyens. Tout en dynamisant son fonctionnement, ses débats et sa démocratie internes.

Plus que dans sa partie visible, le site Internet officiel, c'est peut-être dans la partie immergée du parti - les communications internes - que s'opère, via le courrier électronique, une transformation des modes de fonctionnement. La virtualisation des communications internes ouvrira très vite la voie à un fonctionnement en réseau : essor des communications latérales ou transversales, accélération de la concertation, élaboration coopérative de documents.

Vers un portail socialiste

Le Parti socialiste a donné une forte impulsion à l'usage du courrier électronique en équipant les fédérations d'un micro et d'une connexion Internet. Il n'y a pas eu d'impulsion équivalente pour la création de sites. Le Parti pourrait mettre à la disposition des fédérations et des sections des outils, une équipe. Avec la mise en place d'un portail socialiste, les citoyens pourront aisément entrer en contact, dialoguer, avec les socialistes de leur département ou de leur commune.

L'accueil et l'exploration de nouvelles formes de militantisme et de fonctionnement

Autour d'Internet s'inventent de nouvelles formes de participation à la vie politique : animation d'un site, d'une liste de discussion, bulletins électroniques, interventions sur les forums... Si le PS ne parvient pas à intégrer ces nouvelles formes de militantisme, elles se développeront en dehors de lui.

L'architecture du parti est aujourd'hui essentiellement territoriale. Les militants qui partagent les mêmes préoccupations et pôles d'intérêt se saisiront d'Internet pour se retrouver, échanger, débattre, d'un coin à l'autre du pays. Ces " communautés d'intérêt ", véritables réseaux thématiques, au sein même du Parti, transversaux aux sections et aux fédérations, annoncent une nouvelle dynamique de débat et d'élaboration collective.

Un fonctionnement en réseau, ouvert, décloisonné, pourrait permettre au PS d'attirer des citoyens, notamment les jeunes, que son organisation actuelle rebute ou tient à distance.

– Signataires –
Patrick Bloche, député, premier secrétaire de la Fédération de Paris
Danièle Pourtaud, sénatrice de Paris
Cécile Helle, députée du Vaucluse
Maurice Ronai, temPS réels
Cécile Alvergnat, membre de la Commission Nationale Informatique et Libertés, temPS réels
Vincent Carlotti, secrétaire Fédéral de la Fédération de Haute Corse
Yves Attou, délégué national à la formation
Hicham Affane, délégué national à la citoyenneté
Gilles Catoire, conseiller général, maire de Clichy
Marc Vasseur, conseiller municipal de Villeneuve d'Ascq (59)
Jean-Philippe Calmus, Paris 4
Jean-Louis Bessis, Paris 6
Jean-Dominique Reffait, Pontault-Combault (77)
Lucie Maiques-Grynbaum, temPS réels
Pascal Nicolle, Paris 18
Matthieu Lerondeau, temPS réels
Olivier Rey, Bobigny (93)
Jean-Bernard Magescas, temPS réels
Philippe Lasnier, Paris 4
Cyril Rojinsky, temPS réels
Jean Gonié, Paris 14

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