Les Congrès se gagnent lorsqu'on est authentique dans ses comportements et clair dans ses convictions

Jean-Christophe Cambadélis


Intervention de Jean-Christophe Cambadélis, député (PS) de la 20e circonscription de Paris, lors du Conseil national du Parti socialiste réuni le 19 octobre 2002 à La Villette
 
Six mois après une défaite inattendue, à six mois de notre Congrès, Congrès qui est peut-être un peu lointain et qui, bien sûr, sous le regard des médias, conduit à des expressions multiples et variées.

Mais le moment que nous traversons (je parle de ce jour) est entre deux séquences politiques.

L'opinion semble lentement se dégager des brumes de la confusion qui était intervenue après l'élection présidentielle, les sondages eux-mêmes semblent démontrer des évolutions, le gouvernement est confronté à ses premières grèves dans la fonction publique et tout particulièrement dans l'Education nationale, aux premières difficultés du discours sur la croissance (et le budget est incertain), le gouvernement est confronté au bois dur de ses promesses inconsidérées, démagogiques et contradictoires, dans une conjoncture incertaine et s'il n'y a pas encore de grands mouvements sociaux dans notre pays, je crois que le gouvernement Raffarin le doit principalement aux élections prud'homales.

Dans le même temps, nous avons arraché à l'extrême droite Vitrolles, Schröder a gagné les élections, les sociaux-démocrates suédois aussi et le reflux rose semble endigué.

Et puis, il y a aussi - et on ne peut pas préparer ce Congrès sans y penser et sans la prendre en compte - la menace d'une guerre entre les Etats-Unis et l'Irak, confrontation structurante dépassant le terrorisme, et le krach économique majeur qui peut venir bousculer aussi l'agencement de notre Congrès.

Alors, dans ce moment politique-là, au milieu de mille questions, explications, interpellations, interrogations que nous avons entendues ce matin, portées par les premiers fédéraux qui répondent au questionnaire que le Parti a formulé, remonte de ces réunions des Fédérations et des militants un questionnement qui pour moi est unanime : c'est l'interrogation sur la mondialisation, c'est qu'est-ce qu'être de gauche à l'époque de la mondialisation.

Le débat n'est pas artificiel. Les préoccupations sont celles de l'ensemble des militants de la gauche, elles dépassent le Parti socialiste et touchent y compris le mouvement associatif et syndical, elles touchent les salariés, mais aussi toute la gauche.

Le débat dans notre histoire s'est toujours cristallisé sur une question. Ce fut d'abord la question de la participation gouvernementale, ce fut ensuite celle de la laïcité, de la révolution russe, de la décolonisation, de l'union de la gauche, de la nationalisation, de la rupture avec le capitalisme. C'est aujourd'hui la question de la mondialisation qui est au cœur de la controverse.

L'enjeu historique est tel qu'il impose que l'on se tienne à l'écart de toute mesquinerie.

Henri Emmanuelli n'a pas tort lorsqu'il s'offusque dans « Le Monde » du caractère malsain du procès fait à Jean-Luc Mélenchon, qui est parfois lui-même peu distinguant dans sa verve. Mais Henri, ce qui est valable pour Jean-Luc ne doit-il pas l'être pour les autres ?

On a parfois l'impression - et je ne parle pas de toi - qu'il suffit de prononcer le nom de certains de nos dirigeants et c'est déjà une caractérisation politique. [Jean-Luc Mélenchon : Je ne suis pas d'accord avec toi].

Oui, camarade, mais il faudra le dire. [Jean-Luc Mélenchon : Je vais le dire].

Par contre, lorsque nous avions dit, il y a de cela quelques semaines ou quelques mois, qu'il y avait une grande controverse dans la gauche, et particulièrement dans le Parti socialiste, entre réforme et radicalité, que ce n'était pas un débat secondaire et qu'il fallait le prendre au sérieux, nous ne pensions pas trouver aussi vite les preuves de la logique en cours, et là il ne s'agit pas de formules de couloir, de déclarations ici ou là, il s'agit de textes publiés.

J'en veux pour preuve le texte publié par le Secrétaire général du club du « Nouveau Monde », hier, dans Le Monde, articulé autour de deux idées, deux idées que, pour ma part, je combats politiquement.

La première, c'est que lorsque les socialistes proposent des mesures pour réguler le capitalisme, c'est en réalité pour le conforter.

Je pense que, derrière cette formule, ce que veut dire le responsable du club « Nouveau Monde » [Jean-Luc Mélenchon : C'est moi] c'est que le tort des socialistes est finalement d'avoir accepté l'économie de marché.

Mais plus déterminant que cela, c'est la conclusion même de cet article, quand il est dit (avec quel ton !) : « La véhémence avec laquelle les hérauts - il ne s'agit pas des héros, il s'agit de nous - de cette dernière veulent retarder, si ce n'est travestir, le débat, est à la mesure de la hantise qui les habite désormais, celle de perdre l'hégémonie politique et intellectuelle d'une gauche à la recherche d'un nouveau programme commun ».

Mais qui est cette gauche à la recherche d'un nouveau programme commun, si ce n'est pas, ou en tout cas plus, celle qui a gouverné avec Lionel Jospin ?

Cette proposition qui nous emmène beaucoup plus loin qu'une nouvelle gauche plurielle, cette proposition est une erreur idéologique, une faute politique et un non-sens électoral.

Mais cette position, au lendemain d'une défaite, peut avoir sa cohérence, sa popularité, sa dynamique, sa force, si nous ne nous opposons pas avec une détermination, une imagination et un réformisme conséquents.

Alors, excusez-moi, camarades, on ne peut pas faire comme si ce débat n'était pas sur la table, on ne peut pas faire comme s'il n'y avait rien, on ne peut pas faire comme si, simplement, les militants ne pouvaient pas s'exprimer par rapport à ce qui est.

On peut le regretter, ce n'est pas la temporalité que nous avions choisie, mais c'est.

Et dans notre système politique et médiatique, lorsqu'une proposition, surtout quand elle est contre un Premier secrétaire, se fait jour, eh bien ! Elle a une certaine popularité et le problème n'est pas de biaiser mais d'y répondre.

Alors, oui, François, tu as eu raison et nous sommes certains que le Parti socialiste gagne lorsqu'il débat, car en refusant le débat, en se dérobant devant l'obstacle, nous tomberions vite dans la dégénérescence tacticienne et les problèmes de personnes dont les dernières semaines ont donné une forte illustration.

Alors, oui, bravo, François, pour ce que tu nous as dit tout à l'heure. Nous pensons que le réformisme, pour la première fois, peut s'imposer au Parti socialiste et dans la majorité de la gauche - pas dans sa totalité, bien sûr - et que le rassemblement de celle-ci peut se faire à partir d'une position assumée de réforme et non dans le remords d'une radicalité qui se dissout à l'épreuve du pouvoir.

Une majorité des socialistes est disponible à cette nouvelle donne, pour peu qu'il y ait renouveau doctrinal, volonté politique et prise en compte d'une forte demande de rénovation.

Il n'y a pas de place pour une majorité qui équilibrerait, mais il y a une place pour une majorité qui synthétiserait.

Les militants sont disponibles pour une majorité de gauche - évidemment, je ne les vois pas aller à un Congrès en se prononçant pour un réformisme de droite - une majorité socialiste assurément, une majorité profondément régénératrice, qui renouvelle radicalement les formes de représentation - et il y aura des propositions à faire sur ce sujet - mais une majorité est nécessaire pour conduire la réforme et faire aboutir la rénovation.

Oui, François, tu as eu raison, le débat que nous avons n'est pas un débat secondaire, il a une certaine importance politique, stratégique, voire historique.

Avec la crise du Parti communiste, même si elle a atteint un certain niveau, mais aussi le recentrage de la CGT, la perte d'hégémonie du marxisme révolutionnaire, le ghetto de l'extrême gauche, il y a là tout un espace politique que le Parti Socialiste, fier et assumant sa problématique, peut occuper.

Ce débat n'est pas sans difficultés, car il faut s'affirmer pour rassembler, se déterminer sans exclure, mais il y a la place pour un réformisme socialiste, un réformisme qui ne soit pas un empirisme sans perspective, un réformisme qui ne renonce pas au dessein essentiel qui est de porter aux relations sociales une transformation analogue à celle que la démocratie a apportée dans l'ordre du politique.

Réformer c'est civiliser le changement, ce que Marx appelle la force d'organisation civilisatrice, la domestication écologique et sociale de l'économie de marché.

Le renouveau politique dont le premier secrétaire nous parle, tire sa source dans le réalisme de gauche, utopie dont les contours pourraient être articulés sur un certain nombre de points que tu as donnés mais nous pouvons continuer sur d'autres, le socialisme de la production par exemple. Nous avons traité, bien traité, et nous continuerons à traiter la question de la redistribution mais nous n'avons pas traité les structures mêmes de l'économie ou l'organisation de celle-ci. La redistribution n'assèche pas la question des inégalités, nous savons réparer mais pas s'attaquer aux sources mêmes des inégalités.

La formation, tout au long de la vie, nous savons faire, ou proposé mais pas l'éducation au début de la vie.

La sécurité sociale professionnelle qui est au travail ce que fut la sécurité sociale à la santé, et qui implique un refus de la précarisation, ce mot d'ordre, cette question est aujourd'hui portée par la CGT, explorée par la CFDT et l'UNSA, elle serait pour l'utopie concrète dont nous parlent un certain nombre de camarades comme Marc Dolez, à la base, ce que fut hier la question des 35 heures. Nous aurons la même dimension à proposer à l'ensemble de nos partenaires.

L'égalité des chances réelle, longtemps négligée au profit du seul enjeu redistributif, cette dernière question nous apparaît aujourd'hui comme central. Elle ne peut représenter une nouvelle frontière du socialisme démocratique. Oui, discrimination positive à la Française, un Etat stratège, utilisant les services publics à cette fin.

La crise de la représentation, la cohérence idéologique des années 60, consistant à être anti-libéral en économie et libéral sur les questions de société, doivent être réexaminés. La sécurité bien sûr mais aussi la question de l'éducation.

Se pose le problème d'une nouvelle synthèse entre droits et devoirs, liberté et règles, discours sur l'individu et discours sur la société débouchant sur une République moderne. Et la question européenne, elle doit prendre sa place centrale dans le raisonnement politique au c'ur de notre définition, tout en comprenant que dans notre vieil État Nation, il y a une tenaille sur la question de l'identité. Pourtant, il nous faut traverser des choix et le premier sera sur la question de l'élargissement qui nécessitera en notre sein une clarification.

Il y a aussi la question du contrat de l'Etat et des syndicats. Le parlementarisme a une source, c'est bien sûr la source de toute légitimité démocratique, mais ce n'est pas l'horizon indépassable de l'action politique elle-même.

La relation avec les syndicats et le mouvement associatif, le premier secrétaire en a parlé, non pas comme des rabatteurs de voix mais comme participant à une élaboration collective' et la rénovation et le renouvellement'.un double mouvement de rénovation de la forme de nos expressions politiques et du renouvellement des équipes plus proches de ce qu'est notre pays.

Enfin, la question a été débattue, le problème de l'organisation de la gauche, de l'autonomie du Parti socialiste mais dans l'union. Oui, il est possible de construire une unité avec l'ensemble de nos partenaires, à partir du moment où nous serions capables de savoir ce que nous pensons car, quand les camarades reprochent ici ou là les difficultés à avoir des textes communs avec l'ensemble de nos partenaires, pour tous ceux qui se sont penchés sur cette question, la difficulté était double, la première c'est qu'il fallait avoir une définition politique intangible à partir de laquelle ils pouvaient se déterminer mais la deuxième question c'est qu'il en est une aussi et le problème de nos partenaires, cela changera peut-être, c'est qu'ils étaient tiraillés entre une pratique gouvernementale et une posture politique ce que nous ne voulons pas reproduire évidemment.

Alors, en conclusion, François, les Congrès se gagnent lorsqu'on est authentique dans ses comportements et clair dans ses convictions. [Louis Mermaz : Alors, il va gagner].

La tâche est compliquée, mon cher Mermaz. [Louis Mermaz : On va t'en parler] J'attends toujours que tu me parles.

Ecouter les militants mais surtout les entendre, sans pour autant laisser s'installer une dégénérescence tactique.

Il faut unir aussi, cher Louis, il faut répondre, fixer un périmètre, accepter les contours, construire une collectivité d'hommes et de femmes fiers de leur projet et de leur stratégie à égalité de droit et de devoir. Et je crois, qu'après ce que nous avons entendu, sur la base de ce que nous pouvons proposer cet après-midi, c'est amplement à la portée du premier secrétaire.

Merci.



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