La gauche flotte parce qu'elle est ambiguë



Entretien avec Henri Emmanuelli, cofondateur de Nouveau Monde.

Paru dans Le Monde daté du 19 octobre 2002
Propos recueillis par Hervé Gattegno et Philippe Ridet


 

Le conseil national de samedi est-il déjà un avant-congrès. Les courants s'y affronteront-ils ?
Pourquoi cette terminologie guerrière ? La première fonction d'un parti démocratique, c'est l'élaboration d'une pensée et d'un projet collectif. La confrontation des analyses et des propositions en est le préalable. Débattre, ce n'est pas combattre, c'est progresser. L'affrontement, nous le réservons à un gouvernement très à droite, et revanchard sur le plan social.

François Hollande a-t-il eu raison de se déclarer, sans attendre, candidat à sa propre succession ?
En juin, nous avons rendu nos postes au secrétariat national du PS pour bien montrer que les enjeux de direction n'étaient pas notre principale préoccupation. François Hollande fait ce qu'il croit devoir faire. A mes yeux, l'essentiel c'est la clarification politique nécessaire pour pouvoir mener une opposition résolue et rassembler la gauche pour de prochaines victoires.

Arnaud Montebourg, Julien Dray et Vincent Peillon ont lancé cette semaine leur futur courant ; voyez-vous des points de convergence avec eux ?
Oui. Ils souhaitent une clarification, nous aussi. Ils ne sont pas satisfaits du fonctionnement du PS, nous non plus. Sur l'Europe et les institutions, mais aussi sur le rejet de la mondialisation libérale en général, nous avons à l'évidence des approches convergentes.

Votre allié, Jean-Luc Mélenchon, s'est déclaré partisan d'une " rupture avec le capitalisme " ; partagez-vous cette opinion ?
La manière dont on essaye de diaboliser Jean-Luc Mélenchon est ridicule et malsaine. Elle témoigne plutôt de la vacuité du débat que d'une véritable appréhension politique. J'inverserais la question : qui, au PS, est prêt à défendre le capitalisme d'Enron, de Vivendi Universal, et les stock-options ? Qui, au PS, est favorable au diktat des marchés et à la marchandisation des choses et des êtres ? Nous allons faire des propositions qui vont surprendre les faux craintifs et les zélateurs du système. Quand Jean-Marc Sylvestre se convertit, pourquoi Jean-Luc [Mélenchon] devrait-il devenir un thuriféraire du capitalisme ?

A l'issue du congrès, le PS pourra-t-il encore faire coexister en son sein un Dominique Strauss-Kahn et un Henri Emmanuelli ? Un Jean Glavany (qui regrette l'ouverture du capital de France Télécom) et un Laurent Fabius ?
L'unité du parti n'est pas en cause. Aucun d'entre nous ne l'a dit ou laissé supposer. Seuls ceux qui craignent le débat brandissent cette menace qui était autrefois l'apanage du PCF.

Quels sont, pour vous, les trois grands sujets qui divisent le PS ?
La défense du service public et de l'action publique, au moment où le libéralisme économique en crise cherche le salut par l'appel au contribuable. La redistribution, parce qu'il n'y a pas de socialisme sans recherche d'une meilleure justice sociale. Et l'élargissement de l'Europe, parce que nous sommes parvenus au moment crucial où se pose la question de savoir si l'Europe peut être le niveau pertinent de résistance à la mondialisation libérale, ou, au contraire, son bras armé.

Au moment où Jacques Chirac multiplie les initiatives sur les thèmes de société (contrat d'insertion, charte de l'environnement), la gauche semble flotter. Pourquoi ?
La gauche flotte parce qu'elle est ambiguë ! Et parce qu'elle n'a pas encore pris la mesure de son nouveau statut d'opposant, et que certains de ses membres se croient toujours en charge des affaires publiques.

Le sondage publié jeudi 17 octobre dans Le Monde atteste qu'un grand nombre d'électeurs de gauche aspirent à la création d'un grand parti unique de la gauche. Partagez-vous cette priorité ?
L'opinion de gauche, et c'est normal, aspire au rassemblement de toute la gauche, parce qu'elle sait que c'est la condition de la victoire. C'est aussi notre conviction. Mais, je le crois profondément, ce rassemblement ne pourra pas se faire sur une ligne sociale libérale !

Vous faites avec M. Mélenchon une critique des années Jospin. Qu'attendez-vous pour faire une critique du mitterrandisme ?
Pour ma part, je ne fais pas davantage de critique depuis que nous sommes dans l'opposition que j'en faisais lorsque nous étions au pouvoir. C'est une vérité objective ! A Argelès, nous avons été moins critiques que certains socialistes qui occupaient une place éminente dans le dispositif de campagne. Quant à François Mitterrand, je le croyais mort depuis janvier 1996 et ne savais pas qu'il était la clef de l'avenir.

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