PS,
les données du problème

Jean-Christophe Cambadélis

Tribune signée par Jean-Christophe Cambadélis, député de la 20e circonscription de Paris, parue dans le quotidien Libération daté du 20 septembre 2005


 
Les Français, tout à leurs difficultés (rentrée scolaire onéreuse, essence trop chère, risque du chômage, précarité renforcée, insécurité sociale et menace terroriste), n'ont tout d'abord pas totalement prêté attention à ce fait « people » : l'hospitalisation de Jacques Chirac. Puis, tout à coup, sous l'effet révélateur de l'affrontement Sarkozy-Villepin, ils ont compris : nous changeons d'époque. Le signifiant « Jacques Chirac alité » fut plus fort que le signifié du référendum constitutionnel : la présidentielle commence et ce sera sans lui.

Hasard heureux, le congrès du PS va intervenir au début de ce nouveau cycle. Il n'est pas inintéressant, dans ce moment où tout semble incertain, de décrire le paysage de précampagne.

Les élections présidentielles ordonnent sous la Ve République plus ou moins la vie publique. On peut le regretter. On doit sûrement le changer. En attendant, c'est ainsi. Mais celle de 2007 aura un goût particulier. Elle marquera notre histoire comme 1981 a changé la France. L'enjeu en sera simple et les Français trancheront le nœud gordien. Y a-t-il une voie française dans la mondialisation ? J'entends par là le modèle français : puissance publique garante de l'égalité, protection sociale avant le marché, le politique aux commandes de l'économie. Ce triptyque miné, anémié et décrié a-t-il une viabilité dans la globalisation ?

Début juillet, Maurice Lévy, PDG du groupe Publicis a, dans un retentissant article, répondu que ce modèle était un frein « au progrès dans le marché ». La droite en a fait son credo. Le désaccord entre Nicolas Sarkozy et Dominique de Villepin tient maintenant, au-delà de l'ambition, à ce que le premier propose, vis-à-vis dudit modèle, une thérapie de choc, alors que le second en reste aux soins palliatifs. Mais tout le monde à droite est d'accord, y compris Philippe de Villiers et François Bayrou. Il faut en finir avec un modèle obsolète, inefficace et dispendieux. La République même est passée à la même moulinette. Il suffit pour cela d'entendre le discours de Nicolas Sarkozy : la liberté est celle de s'enrichir, l'égalité est une servitude, quant à la fraternité, c'est celle des communautés. Et voilà la France défigurée.

Leur nouveau dispositif est peu ou prou : le risque comme vecteur de progrès, la société des individus comme moteur de la liberté, la flexibilité des relations sociales comme protection de la concurrence. Bref, une américanisation à la française ! Il est de bon ton de dire que ce libéralisme-là ne passera pas. Certes, il était soutenu par des forces sociales, mais il n'y avait pas de candidat. Aujourd'hui trait d'union de la droite, le programme commun des quatre mousquetaires (Villepin, Sarkozy, Bayrou et Villiers) réside dans cette impérieuse nécessité : « s'adapter ». La « base sociale » de la droite française cherche son Koizumi pour réaliser ce dessein. Il n'est pas certain qu'elle ne l'ait pas déjà trouvé. Mais une fois plébiscité, il sera trop tard.

A gauche la réponse à ce tournant annoncé, et même préparé, au travers des retraites, de la Sécurité sociale, est flottante. Elle hésite entre résistance et rénovation. Alors que celles-ci devraient se combiner, elles se font face. D'un côté, on défend bec et ongles ce que l'on sait souvent inadapté, parfois inefficace, de peur de tout perdre. Et cet immobilisme n'est que promesse de campagne toujours démentie par l'action gouvernementale. De l'autre, la rénovation, prononcée sans être déployée, à peine ébauchée, est dénoncée comme une adaptation qui n'ose dire son nom.

Trancher ce débat devient l'enjeu du congrès du PS. Il n'est pas gagné d'avance et ne doit pas laisser les Français dans l'indifférence. Car son issue est déterminante pour l'avenir de leur vie quotidienne. L'objet du congrès du PS ne réside pas en une mise en adéquation entre l'opinion de gauche et le Parti socialiste mais à lui offrir une solution dans la mondialisation. Le PS sera-t-il capable de bâtir, comme le proposent Hollande, DSK et leurs amis, un chemin pour la gauche qui fasse obstacle à ce que fait la droite sans reproduire ce que fit la gauche ? Une gauche capable de rénover le modèle, pour le garder comme modèle. C'est-à-dire un nouveau compromis entre tous les acteurs de la société qui n'ait pas pour référence le seul marché, mais pour objectif la durabilité. Faire du « développement solidaire » cher à DSK le moyen de la rénovation plutôt que le développement inégal, credo de Sarkozy, ne débouche sur la dérégulation totale. Il s'agit de rénover sur une orientation de gauche pour rendre notre modèle plus efficace, plus performant et ainsi le sauver. Car dans notre France pour le moins troublée, il est peu probable que la défense du statu quo l'emporte sur le mouvement, fût-il libéral. Faute de mieux, la France veut que ça change !

Voilà pourquoi la radicalité et son opposition de rejet, pour légitimes qu'elles soient, ne sont pas suffisantes car elles ne débouchent pas sur un projet de gauche. Cette posture s'accompagne de promesses électorales irréalisables, qui donc ne se réaliseront pas. Cette démarche mine la démocratie car elle accroît le désintérêt citoyen pour l'offre politique, mais elle prépare aussi les conditions de la victoire radicale des « liquidateurs » du modèle français, car elle effrite la confiance populaire dans nos fondamentaux. Pire encore pour un présidentiable, la radicalité est ennemie de la présidentiabilité car cette promesse pour demain est d'emblée perçue comme un renoncement dès aujourd'hui.

La gauche ne mène pas ce combat le dos au mur. La remontée de Gerhard Schröder, même si elle n'était peut-être pas suffisante, est riche d'enseignements. Lorsqu'on est authentique, on crée de la dynamique. Notons qu'il existe une majorité de gauche au Bundestag mais le fait que l'extrême gauche mette sur le même plan la droite et la gauche interdit à cette majorité de se constituer.

Sur un autre plan, la posture de Nicolas Sarkozy, pour épouvantable qu'elle soit, est aussi un contretemps politique. Elle est certes inadaptée à la France et source de secousses inutiles. Mais il n'a pas compris que la grande parenthèse du libéralisme dérégulateur s'est ouverte avec le choc pétrolier de 1974 et se referme avec le nouveau choc pétrolier. Le syndrome Katrina remet l'Etat svelte mais stratège au goût du jour.

Si le non de la France l'a amoindrie en Europe, la position de Sarkozy nous affaiblit. Elle fait du modèle anglo-saxon dominant notre référent. Elle nous met sous dépendance au moment où Tony Blair se veut la référence. Mais la seule radicalité nous isole, car chacun sait que le modèle français a besoin d'un deuxième souffle et dans l'état, il ne peut être la référence pour l'Europe et donc pour la social-démocratie.

Ajoutons enfin que la défense du « bon bilan » de Lionel Jospin joue comme une promesse d'un chemin praticable. Alors l'alternative nécessaire au pays a besoin d'un Parti socialiste stable, cohérent et structurant. Si la majorité du PS est traversée d'ambitions, elles ont, si je puis dire, la même motion et notion des enjeux. Une majorité retrouvée peut clarifier son projet. Elle sera la référence et le vecteur de l'union. Cette majorité n'a pas vu son orientation invalidée par le référendum européen. D'abord, parce que ce n'était pas la question. Ensuite, parce que le PS ne brillait pas jusqu'à présent par son programme. Enfin, parce que si le pays nous dit « vous n'êtes pas en cause », il nous demande en revanche : quelle est votre cause ?

Le Parti socialiste doit être fier de ce qu'il est, sûr de ce qu'il dit et solide sur ce qu'il fait. Il doit évidemment travailler à une « union partagée ». D'abord avec le peuple de gauche, ensuite avec ceux qui souhaitent une union populaire pour changer le cours de ce qui nous est annoncé... Le non de gauche, s'il a signifié beaucoup de choses, n'a pas été, en ce domaine, fondateur. Et il n'y aura pas de candidat unique du non. Tout simplement parce que les acteurs ne s'accorderont jamais sur son nom. Le PCF ne renoncera jamais à sa candidature. La LCR a trop souffert de la domination électorale d'Arlette Laguiller pour accepter aujourd'hui celle de José Bové. Jean-Pierre Chevènement colle à Laurent Fabius sans illusion, pour profiter de l'aspiration et se lancer. Lutte ouvrière pilonne la LCR qui selon elle « rabattrait la gauche de la gauche » vers les partis de gouvernement, et le PT n'en sera jamais. La crise d'Attac démontre que l'organisation qui fut le fer de lance de la contestation du référendum n'est pour le moins pas d'accord sur son débouché. Le PCF fait vivre au-delà du raisonnable un non de combat qui clive la gauche tout en tentant d'unir le PS et la LCR. Ce que ni l'un ni l'autre ne veut. Jean-Luc Mélenchon se veut trait d'union mais il a déjà scellé son union avec Laurent Fabius, qui lui-même n'a pas pu réunir les socialistes minoritaires derrière son nom.

Tout cela à cause d'une confusion : le non de gauche était une injonction, pas une orientation. Il n'y a pas de non de gauche mais un non à gauche et un oui aussi. Et comme le dit justement Stéphane Rozès, « le message cherche un destinataire ». Si Dominique Strauss-Kahn profite étonnamment dans les sondages postréférendum et pas Laurent Fabius, c'est que l'un répond, au risque d'être jugé, et que l'autre veut faire durer le non, mais il en est prisonnier. Pourtant, le produit du shaker du non cher à Lionel Jospin s'est éventé à l'air libre. Résultat : cette concurrence libre et non faussée attise les tensions, humeurs et rancœurs. Et elle permet à la droite de remporter les élections partielles alors que 70 % des Français estiment que M. de Villepin n'a pas reconstruit la confiance. Bel exploit !

Soit la gauche prendra au mot ce qu'elle dit - nous vivons une crise de régime, le libéralisme est une déferlante -, et alors elle s'unira sur un vrai projet de gauche et crédible, et se rassemblera pour la défense, par la rénovation, du modèle français, elle sera utile pour les Français, efficace pour la France. Ce faisant, elle donnera des couleurs réelles à son socialisme dans la mondialisation. Soit elle s'émiettera (le syndrome du 21 avril est déjà à l'œuvre dans la gauche), les « liquidateurs » l'emporteront et personne ne sait quand et comment elle s'en remettra. La gauche française aura raté le rendez-vous de l'Histoire.
Voilà pourquoi l'enjeu du congrès du PS dépasse le PS lui-même. C'est tout son problème.
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