Qui veut faire l'ange fait la bête !

Michel Charzat



Point de vue signé par Michel Charzat, député-maire du XXème arrondissement de Paris, diffusé le 4 novembre 2004.
 
Dans un texte-fleuve intitulé plaider oui et penser long (publié dans le numéro 54 de la Lettre Socialisme et démocratie) Jean-Christophe Cambadélis nous propose un long plaidoyer qui révèle l’impensé et les doutes du oui.

Première période : la cohérence du oui
    a) « Cohérence face à nos exigences »
Cambadelis affirme que dans ce texte « tout ce qui politique est positif et tout ce qui est social n’est pas négatif » (sic). Serait-ce le cas de l’article I.42.2/7 qui impose le respect des principes de l’OTAN ? De l’article II.70 qui pose problème à notre conception de la laïcité ? Et que dire de ce « choix fédéraliste » que croit discerner notre plaideur. L’essentiel des compétences politiques (défense, politique étrangère, fiscalité, lutte contre la criminalité) demeure en effet régi par un système de décision à la fois archaïque et paralysant (règle de l’unanimité à 25, demain à 28 ou 30).

Concernant le contenu social de la constitution, Cambadelis triomphe : « mais il y a mieux mes amis : le texte prévoit la reconnaissance du droit de grève et la liberté syndicale ». On est rassuré ! En revanche, les « exigences » dont ne parlent jamais Cambadelis sont celles énoncées par le Conseil national du Parti socialiste du 17 avril 2004 : règle de la majorité pour le budget, la fiscalité, la préparation de l’avenir, la constitution de coopérations renforcées, la reconnaissance effective des services publics, la révision à la majorité de la constitution, l’Europe sociale.
    b) « Cohérence vis-à-vis de notre stratégie »
Pour Cambadelis « Dire non, c’est s’engager dans un front de fait avec le PCF, le MRC et l’extrème-gauche… c’est remettre en scène les perdants des régionales et des européennes ». On appréciera le sophisme utilisé qui se retourne comme un gant contre le front du oui comprenant entre autres l’UMP, l’UDF, le MEDEF !
    c) « Cohérence électorale »
Cambadelis souligne à juste titre que le Parti socialiste a gagné aux Européennes de nombreuses voix alors que le « souverainisme anti-libéral » a régressé. Certes. Mais n’est-ce pas parce que le Parti socialiste a affirmé en cette circonstance une ligne politique claire (l’Europe sociale) et a réservé son approbation éventuelle de la constitution à des conditions strictes qui n’ont pas été satisfaites par les négociateurs du traité de Bruxelles ?

Deuxième période : la conviction du oui
    a) Face à la mondialisation
Le traité selon notre avocat du oui « est un compromis positif qui ne grave pas dans le marbre le libéralisme ». On se souvient que cette expression lapidaire est de François Hollande s’exprimant sur le projet de constitution préparé par Giscard d’Estaing. Or le traité constitutionnel de Bruxelles qui a encore étendu la liste des politiques soumises à la règle de l’unanimité, a aggravé l’orientation libérale du texte dit Giscard.
    b) Pour l’Europe politique, pour l’Europe sociale
Il s’agit prenant acte du « compromis » de « commencer à travailler pour un nouveau traité ». C’est l’aveu que cette constitution tourne le dos à l’Europe puissance, qu’on nous renvoie toujours à un horizon qui s’éloigne à mesure qu’on fait mouvement vers lui. L’avocat du oui livre alors ses conclusions : il se déclare « radicalement hostile au non » Pourquoi ? « Tout simplement parce que le non n’est pas praticable ». On se demande dès lors pourquoi François Hollande et la direction ont souhaité organiser ce référendum. Le choix était-il donc entre le oui et le oui ? En fait, le désaccord entre les tenants du oui ou du non ne porte pas sur la méthode (le « gradualisme ») mais sur l’analyse de la période et la perspective historique. « Notre intuition est que l’Europe communautaire à dominante franco-allemande a été mise à mal par la chute du Mur de Berlin et les conséquences géopolitiques du 11 Septembre… Aussi l’Europe continent s’est-elle substituée à l’Europe puissance » explique de façon chantournée Cambadelis. Adepte du « parler vrai », Michel Rocard exprime plus clairement l’ impensé des adeptes du oui : « je ne crois plus à l’Europe politique ». Tout est dit !

Accepter ce verdict serait renoncer à l’ambition que les socialistes français et européens ont affirmé depuis les origines de la construction européenne : celle d’une Europe puissance, politique et sociale. Si nous voulons remettre l’Europe sur la bonne voie, celle de la volonté politique, c’est maintenant qu’il faut s’exprimer. La perspective historique, celle d’un monde dangereux dominé par l’unilatéralisme américain, appelle plus que jamais la constitution d’une Europe maîtresse de son destin et acteur majeur d’un nouvel ordre international.

Maître Cambadelis est un dialecticien trop avisé pour se satisfaire de son long plaidoyer ampoulé et sophistiqué fondé sur une lecture historique de la période faisant le deuil du projet de l’Europe politique. Aussi après avoir égrené la longue liste des « évidences » du oui, il admet par une pirouette finale qu’il y a doute. « Comment pourrait-il en être autrement ? ». Reprenant à son compte la thèse du pari pascalien, Cambadelis en vient alors à chuchoter que « tout compte fait, le oui offre le plus de possibilités au doute ». Laissons le dernier mot à Pascal : Qui veut faire l’ange fait la bête !



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