Traité constitutionnel :
Plaider oui !
Penser long !

Jean-Christophe Cambadélis

Intervention de Jean-Christophe Cambadélis, député de la 20e circonscription de Paris, devant « l'assemblée pour le oui au traité de Bruxelles du Calvados » le jeudi 14 octobre 2004.



 
Mais de quoi s’agit-il ? Nous demande-t-on, devant l’emballement médiatico-politique qui fait du Parti socialiste une formation secouée par un âpre et, parfois, confus débat.

Il s’agit d’un « oui » ou d’un « non » à un texte qui s’intitule « traité constitutionnel » et n’est pas une Constitution. Enfin pas de celle sur lesquels les peuples d’Europe assemblés ont l’habitude de délibérer. Celle des Constituantes qui sentent l’embrasement de l’Histoire. Il ne s’agit pas non plus d’un traité comme la France en signe avec les îles Féroé plus connues d’ailleurs pour leur résistance footballistique face aux Bleus que pour leurs traités. Non, il s’agit d’un cadre constituant d’une Europe pas encore politique.

On se souvient de l’apostrophe de l’Abbé Sieyès, père de la Constitution de 1789. Alors qu’on lui demandait quelle était la principale qualité de la Constitution, il répondait « qu’il y eu Constitution ». C’est un peu de cela dont il s’agit aujourd’hui. Ce qui est décisif, c’est que le traité soit constituant de la volonté de dépasser le marché par un socle politique commun. Après le traité de Nice, suite à l’intervention remarquée pour une Constitution européenne de Jöschka Fischer, une définition politique dans le mouvement même de l’élargissement se trouvait posée.
La forme de la délibération, originale avec son aspect « conventionnel », indiquait que l’on voulait dépasser l’intergouvernemental pour toucher les peuples européens. Ces derniers issus de diverses nations se trouvaient donc « représentés » par des « mandataires » plus politiques que nationaux. Si l’élaboration du texte de la Convention fut donc en partie extranationale, elle n’échappa pas à la diplomatie nationale. La preuve est qu’elle fut prise en charge et son contenu négocié pour être approuvé par la Conférence intergouvernementale.

Nous avons donc hérité d’un texte qui est plus qu’un traité, mais moins qu’une Constitution adoptée par un peuple assemblé, comme l’a souligné, avec précision, Pierre Moscovici, lors du Conseil national.

D’ailleurs, les partisans du « non » au traité s’exclamèrent lors de la même réunion d’un « ah ! » triomphant, lorsque Jean-Louis Bianco se demanda à juste raison, « une Constitution ? Pour quel peuple ? ».

Un traité constituant qui n’est pas une Constitution, cela nous va. Car il indique l’objet sans épuiser le projet. En un mot, un traité européen.

Donc rien n’est figé dans le marbre. Traité il y a, traité il y aura. Quant à l’argument selon lequel il sera désormais difficile à changer avec l’arrivée des nouveaux Etats membres, voilà un aveu bien cruel pour ceux qui veulent retoquer le dit traité. Ils nous indiquent par là même qu’un nouveau traité constitutionnel serait bien difficile à bâtir avec les nouveaux entrants. Tel est pris qui croyait prendre...

Mais n’anticipons pas et avançons pas à pas.

Pourquoi un « oui »
franc et massif !
Notre « oui » est celui d’une fidélité, d’une cohérence, d’une conviction



 

1. La fidélité du « oui »

    a- Fidélité internationale

      La fidélité politique n’est pas un principe désincarné, elle est l’expression de la recherche d’une continuité de sens dans une histoire chaotique. Fidélité donc à l’internationalisme, à la Construction européenne, à l’histoire européenne du Parti socialiste.

      A l’internationalisme, dans le sens où Lamartine l’entendait - et Arnaud Montebourg m’excusera cet emprunt : l’homme qui imposa le drapeau bleu blanc rouge au cœur de la Révolution « sociale » de 1848, proférait aussi sa passion pour l’humanité fusse au détriment de sa nation.
      Oui, l’internationalisme, celui qui est au cœur de l’histoire du socialisme : celui de Jaurès en 1914 contre le chauvinisme, celui de Léon Blum en 1927, présidant la section française du mouvement européen, celui de Marceau Pivert militant pour l’intervention française en Espagne en 1936, celui de Guy Mollet, Léon Blum et André Philip en 1946, avec la création du Comité pour les Etats-Unis socialistes d’Europe, celui des années 60, dans la lutte contre la guerre d’Algérie puis contre la présence américaine au Vietnam sans oublier celui à propos de Budapest, Prague et Varsovie contre le stalinisme.
      Celui enfin de 1971 avec François Mitterrand et la solidarité militante avec l’Espagne, le Chili, la Grèce, le Portugal. Et surtout l’internationalisme qui nous occupe aujourd’hui, celui du Congrès extraordinaire de 1973 où Mitterrand mit en jeu son mandat en déclarant, superbe : « La Construction européenne doit être poursuivie sans délai, ni préalable ».

      L’internationalisme n’est pas un universalisme éthéré, mais le socialisme n’est pas non plus un jacobinisme désuet.

      La lutte est internationale même si son arène est souvent nationale. On ne peut pas avoir dit que la grève générale de 1995 marquait le « printemps de la classe ouvrière européenne » et se draper aujourd’hui dans une hostilité frileuse vis-à-vis de ceux qui « profiteraient » des acquis européens.

      Il y a dans certains arguments du « non » des relents hexagonaux qui nécessitent la fidélité à ce premier principe, comme l’a dit Harlem Désir au Conseil national.

    b- Fidélité à une méthode

      La deuxième fidélité réside dans la méthode de la construction européenne. Celle-ci est originale. Aucun socialiste n’a conçu l’Europe comme une France en grand. Nous avons toujours préféré avancer d’un pas concret que pratiquer en retrait, comme la politique de la chaise vide du Général de Gaulle ou la grève du chèque de Mme Thatcher. La politique de l’ultimatum n’est pas celle de la construction européenne, celle du compromis a toujours été la nôtre. Le seul qui s’y fut essayé fut Mendès sur la CED et il l’a regretté, car fermant la route à l’Europe politique, il ouvrit celle du marché.

      François Mitterrand lui-même, confronté à la manœuvre de Georges Pompidou visant via le référendum sur l’entrée de l’Angleterre a brisé l’Union de la gauche, n’a pas dit « non », mais préféra s’abstenir, laissant ainsi l’élargissement se faire sans conditions.

    c- Fidélité historique

      La troisième fidélité est celle de l’histoire européenne des socialistes.

      Tous les traités successifs, malgré les crises internes, ont été adoptés par les socialistes.

      Il ne soufflait pas dans le PS l’esprit du renoncement. Mais celui, ô combien plus difficile, de la transformation réaliste du monde, car en politique, le plus difficile c’est de trouver un chemin praticable. Et François Hollande a pu, avec raison et détermination, dire devant un Conseil national ravi : « J’assume ! »

      Car à l’évidence certains porteurs du « non » veulent jouer le match retour de Maastricht-Amsterdam ou que sais-je encore ? Peut-être « l’acte unique » !

      Si l’Europe n’épuise pas l’histoire des socialistes, elle est leur histoire au sens pratique du terme. Celle qu’ils ont bâtie non dans leur tête mais au pouvoir. Celle qu’ils ont édifiée, non dans leurs rêves, mais dans la réalité. Celle qu’ils ont codifiée non dans leurs textes de congrès, mais dans les traités.

      Rompre avec cette histoire est envisageable, mais il s’agit là d’un redoutable « détricotage » historique. Le droit à l’inventaire, toujours possible, ne saurait se résumer au coup de balai.

      Et même le nouveau socialisme réclamé par certains ne peut se bâtir à partir de rien. Il y a longtemps que le PS ne chante plus que « le monde va changer de base ». Il y a des organisations pour cela !

2. La cohérence du « oui »

    a- La cohérence vis-à-vis de nos exigences

      Le congrès de Dijon cristallisera dans sa résolution majoritaire les espérances, les exigences des socialistes à propos de l’Europe et de l’élaboration du traité constitutionnel en cours.

      Nous étions exigeants vis-à-vis de celle-ci. Nous étions plein d’espoirs, car il s’agissait enfin de sortir du tout économique pour entrer dans l’élaboration du « socle politique commun ». Nous n’étions pas naïfs au point de croire que les peuples d’Europe se mettraient au garde à vous devant l’exigence politique française.

      Nous voulions un pas vers l’Europe politique. Nous demandions que se substitue à la logique intergouvernementale une démarche plus fédérale. Eh bien nous l’avons eu !
      Nous voulions un président du Conseil européen, nous l’avons eu !
      C’est l’article I-22. Nous voulions la responsabilité de la Commission de Bruxelles devant le Parlement européen. Nous l’avons eue ! C’est l’article I-26.
      Nous voulions de vraies lois européennes, nous les avons eues ! Ce sont les articles I-33 et I-34.

      Quant à la laïcité, les gros bataillons de la Pologne, de l’Espagne, de l’Italie et du Pape qui voulaient « sacraliser » l’Europe par sa Constitution, comme un club chrétien n’ont pas obtenu gain de cause et la référence à l’héritage chrétien n’a pas été retenue.

      L’article I-52 (et II-82) concerne tout autant les Eglises que les organisations philosophiques et chaque pays organise sa tolérance religieuse et son respect des consciences comme il l’entend.

      Nous voulions aussi la marche à une Europe plus sociale. Nous demandions que la sacralisation du tout marché soit battue en brèche. Eh bien nous l’avons eu !

      Nous ne voulions pas que le marché soit le modèle européen. Nous voulions une référence à la social-démocratie. Nous l’avons eu dès l’article I-3 qui fait de « l’économie sociale de marché et de la qualité de l’environnement » un modèle européen.

      Nous voulions que ce modèle fasse référence à notre combat contre toutes discriminations. Nous l’avons eu ! Ce sont les articles II-81 et III-118.

      Nous voulions un contenu à ce social, c’est l’article III-209 qui fait de l’amélioration des conditions de vie et de travail une protection sociale adéquate, la lutte contre les exclusions, un modèle.

      Mais il y a mieux mes amis.

      La reconnaissance du droit de grève des travailleurs pour la défense de leurs intérêts, article II-72, la liberté syndicale, article II-88.

      Nous voulions aussi, lors du Congrès à Dijon, en pleine grève de la Fonction publique à propos des retraites, que cette dernière soit enfin reconnue en tant que tel. Et bien nous l’avons eu !

      Le droit aux services publics afin de promouvoir la cohésion sociale et territoriale, c’est l’article III-96. Mieux l’article III-166 permet de déroger à la concurrence. Bonjour le libéralisme ! Et je n’évoque pas ce qui est pour nous plus connu, l’intégration de la Charte des droits que l’on avait refusé à la France lors du traité de Nice.

      Et puis nombre d’entre nous souhaitaient que l’on dénoue positivement le compromis que nous avons accepté au moment de Maastricht : l’indépendance de la Banque centrale contre l’euro. Eh bien c’est fait ! Face à la Banque centrale, il y aura une politique économique européenne de l’Union, article III-382, un euro groupe, article III-383.

      Mes amis,

      Nous avons si souvent râlé face aux exigences du marché sans contrepartie, nous avons si souvent dû en rabattre au nom de l’Europe, nous avons si souvent pesté contre l’autisme technocratiquement condescendant et euro béat pour, face à ces avancées, bouder notre plaisir.

      D’ailleurs c’est la raison pour laquelle la Confédération européenne des syndicats déclare à l’unanimité que ce texte est : « Une base juridique acceptable pour poursuivre le combat pratique en faveur de l’Europe sociale ».

      C’est de cela dont il s’agit ! S’il y a évidemment des contre-exemples, des protocoles, annexes, etc., nous avons la base juridique aux protections nécessaires face à la déferlante libérale. Pour le reste seul le combat pour un rapport de force favorable est une garantie.

      Dans le moment actuel, il eut été contradictoire, incohérent, de jeter par-dessus bord ces conquêtes. Pire, il serait pour le moins aventureux de les remettre en jeu.

    b- La cohérence vis-à-vis de notre stratégie

      Dans ce traité, tout ce qui est politique est positif, tout ce qui est social n’est pas négatif, tout le reste nous l’avons signé.

      Notre cohérence ne doit pas être seulement vis-à-vis de nos exigences. Elle doit aussi procéder de notre orientation politique comme l’évoque François Rebsamen. Celle du Congrès de Dijon a été claire en ce domaine.

      Avec le « « réformisme de gauche », synthèse de Jean-Marc Ayrault du « réformisme radical » de Dominique Strauss-Kahn, et du « agir à gauche » de François Hollande, le PS s’est doté d’un champ doctrinal de « rupture avec la rupture ». Il s’agissait de codifier ce que nous disait Lionel Jospin, « faire ce qu’on dit et dire ce qu’on fait ». « Dire dans l’opposition ce qu’on ferait au pouvoir, faire au pouvoir ce qu’on disait dans l’opposition », répétait François Hollande. Laurent Fabius avait - l’espace d’un Congrès, il est vrai - fait accroc à cette orientation avec son « opposition frontale ». Bon, de toute façon, on ne l’imagine pas se réclamer d’une opposition latérale. Alors, dès le Conseil national suivant Laurent Fabius précisait sa pensée, il s’agissait bien d’opposer frontalement notre projet à ceux de la droite.

      Bref, construire l’alternative. Nous avons vu à l’occasion du débat sur les retraites que s’opposer, pour nécessaire que ce soit, n’était pas suffisant. Lors du débat sur la Sécurité sociale, l’opposition de projet déployé par Jean Marie Le Guen et Claude Evin fut performante, percutante et unifiante.

      Il y a ici l’intuition qu’on ne peut avoir un discours pour l’opposition, un pour le programme, un pour gouverner. Les proclamations de tribune n’engagent que les applaudissements.

      Plus sérieusement, le Congrès de Dijon refermait la phase ou le cycle ouvert par Epinay. Le PS s’émancipait de son surmoi communiste gauchisant, pour assumer sa culture de gouvernement. Celle-ci n’était pas un accompagnement du libéralisme, mais le chemin réaliste de la transformation sociale. Nous ne sommes pas moins ulcérés, révoltés que d’autres. Notre capacité d’indignation n’est pas moins grande. Alors nous avons choisi de transformer ce monde plutôt que de rêver qu’il changea un jour de base.

      Le Congrès renvoyait dos-à-dos l’adaptation néo-libérale à la mondialisation et sa contestation gauchiste, comme une double forme d’impuissance du politique.

      Le PS ne voulait plus être la résultante des pressions contradictoires de ses alliés. Sans être hégémonique, il souhaitait qu’on respecte ce qu’il pense, dit et propose. On ne peut pas prendre ses voix pour ensuite les contester. Cette « souveraineté socialiste » dans une « alliance partagée » fut à la base des négociations qui s’engageaient sur les régionales. Bref, nous étions dans une controverse entre réformisme et radicalité suite à l’émergence électorale de celle-ci au premier tour des élections présidentielles de 2002. Et il fallait la dénouer.

      Il était donc nécessaire de faire triompher un réformisme assumé plutôt que de louvoyer au nom d’un réformisme honteux.

      Cette orientation porta ses fruits lors des élections régionales et européennes qui certes n’ont pas tout réglé, mais nous ont remis sur pied.

      Le Parti socialiste a heureusement maintenu cette orientation plutôt que ce rassemblement Ramulaud qu’on nous proposa où les appels, et sur quel ton, à ne pas désespérer la gauche de notre gauche comme l’a justement développé Malek Boutih.

      Mais le Congrès ne s’est pas arrêté là. Il estima qu’on ne regagne pas les couches populaires par des postures gauches, mais par une pratique juste, celle qui s’attaque aux inégalités.

      Dire « non » à la Constitution, c’est aussi rompre avec cette cohérence, c’est s’engager dans un front de fait avec le PCF, le MRC de Chevènement et l’extrême gauche.

      C’est remettre en scène les perdants des régionales et des européennes qu’on identifie abusivement à l’électorat populaire. C’est perdre notre autonomie sans se gagner de nouveaux amis. Pire, cette position ouvrirait la voie des couches moyennes à l’UDF et aux Verts, sans que les couches populaires ne nous rejoignent pour autant.

    c- La cohérence électorale

      Honnêtement nous avons beau regarder, observer, scruter avec attention, les résultats des élections régionales, cantonales, européennes et sénatoriales, nous ne voyons pas de raison de tourner la tête vers la gauche de la gauche ou le souverainisme de gauche.

      Reprenons. Lors des élections présidentielles de 2002, Arlette Laguiller fait 1 630 244 voix soit 5,72 %, Olivier Besancenot 1 210 695 soit 4,25 % et Jean Pierre Chevènement 1 518 910 voix soit 5,23 %. Si l’on ajoute les voix de Robert Hue 960 757 voix soit 3,37 % et celles de Daniel Gluckstein du Parti des Travailleurs 132 702, soit 0,47 %, le total des voix des partis de gauche se réclamant du « souverainisme anti-libéral » est de 5 453 301 voix soit 19,17 %.

      Observons que Lionel Jospin recueillit 16,18 % des suffrages. Il y avait donc là une raison à organiser la reconquête électorale. Nous l’avons fait, non dans une alliance, mais dans une confrontation.

      Résultat, lors des européennes, scrutin proportionnel réputé plus favorable à tous ceux qui contestent « l’hégémonie électorale » de la social-démocratie, l’extrême gauche de Arlette Laguiller et Olivier Besancenot, 571 508 voix, perte sèche : 2 269 431 voix. Ce n’est pas un revers mais une déroute. Le PCF, 900 396, perte de 61 000 voix, et Gluckstein qui lui ne voulait pas se tromper, il a appelé à l’abstention. Quant à Jean Pierre Chevènement, il n’a même pas pu présenter de listes. Où est l’espace électoral d’une contestation durable par le souverainisme de gauche ? L’abstentionnisme ? Phénomène paneuropéen pour inquiétant qu’il soit est une bouderie démocratique pas une cristallisation souverainiste.

      Le mandat des urnes régionales et européennes n’est pas une réorientation de rupture vis-à-vis de la construction européenne. Mieux les abstentionnistes avaient la possibilité d’exprimer cette sensibilité au travers d’un vote autre que pour le PS. Pourtant ces listes alternatives ou anti-PS furent encore plus boycottées que le PS lors des présidentielles.

      Alors la cohérence vis-à-vis du mandat électoral n’est ni de suivre le souverainisme de gauche, ni de penser que c’est en infléchissant dans ce sens que l’on retrouvera durablement les électeurs perdus.

      L’idée selon laquelle la contestation européenne serait le marqueur d’un ancrage à gauche, oublie généreusement que la « réussite » de Maastricht et de l’euro ont crée les conditions d’un consensus européiste. La preuve est que, lors des élections, les souverainistes contestaient l’Europe au nom... de l’Europe. Soyons honnêtes, ce n’est pas l’Europe qui nous a imposé de baisser les impôts ou de faire les 35 heures martelé à juste raison par Jack Lang. C’est la majorité plurielle qui a souverainement décidé. Et il y a quelques risques à cultiver cette illusion. D’abord, elle exonère la droite et ses responsabilités. Ensuite, elle nous place demain, lors de notre retour au pouvoir dans une tenaille redoutable, entre parole donnée et marges de manœuvre européennes. La démagogie d’aujourd’hui est le renoncement de demain. La voie la plus juste dans tous les sens du terme est de continuer à peser au sein, au cœur de l’Europe comme le plaide Martine Aubry.

3. La conviction du « oui »

    a- Face à la mondialisation

      Quel est l’espace pertinent pour « maîtriser » la mondialisation ?

      L’Etat nation ? S’il est prospecteur, il n’est pas producteur. J’entends par là qu’il peut défendre, résister mais qu’il se sclérose vite. Seule l’Europe peut être le cadre, pour que la démocratie retrouve son espace de maîtrise face à la mondialisation du marché. Si la paix fut, au lendemain de la Deuxième guerre mondiale, un vecteur puissant pour les socialistes, s’il faut aujourd’hui étayer cet acquis de paix européenne, le moteur pour nous socialistes est aujourd’hui notre combat pour l’autre mondialisation. Celle de l’économie sociale de marché, celle où la société reprend pied sur le marché, celle ou tout n’est pas marchandise. Car enfin si le socialisme n’est pas la rupture, c’est-à-dire l’expropriation des moyens de production, si le socialisme n’est pas l’adaptation sans fin au capitalisme mondialisé, s’il n’est pas non plus une posture, un témoignage, une trace dont la radicalité est le drapeau, s’il s’agit bien d’une transformation réaliste donc possible, une domestication écologique et sociale de l’économie de marché. Alors seul un espace comme l’Europe peut être l’espace pertinent à cet espoir.

      L’Europe s’impose donc comme conséquence même de nos principes.

      Face à la mondialisation un espace européen régulé même imparfaitement est profitable au regard même de la mondialisation libérale. L’Europe est globalement protectrice vis-à-vis de la mondialisation même si elle n’est pas totalement correctrice voire émancipatrice.

      La construction de l’Europe a permis de voir la paix « perpétuelle » sur le continent occidental de celle-ci et de détruire cette arme de destruction massive qu’est la famine. Elle a organisé le grand bond en avant de l’instruction. Elle a imposé une stabilité monétaire intérieure via l’euro. Mais elle ne peut rester le continent des inégalités, de la pauvreté et du chômage. L’Europe doit s’y attaquer à ces trois plaies de la mondialisation. Honnêtement le traité constitutionnel n’interdit en rien cette conquête intérieure européenne.

      Mieux, le traité constitutionnel permet de préparer cette offensive, car il est un compromis positif qui ne grave pas dans le marbre le libéralisme, mais grave dans le traité un compromis, un point d’équilibre positif entre libéralisme et social-démocratie, au regard du rapport de force en Europe.

      Si l’euro fut un puissant vecteur d’intégration qui permet la marge de manoeuvre du socialisme français, le traité constitutionnel est un vecteur vers l’Europe politique indispensable à une Europe sociale. Si l’on croit que seuls les peuples peuvent réorienter, il faut leur donner les moyens de le faire. Et précisément la grande différence entre le traité de Bruxelles et les autres est qu’il est le premier à être d’abord politique. Que l’on ne nous dise que les protocoles additionnels, sorte de résumés des traités précédents n’ont rien à faire dans une Constitution, c’est vrai. Mais le souci est qu’il ne s’agit pas d’une Constitution. Ce que l’on a nié à travers cette interprétation, c’est le caractère spécifique, particulier de la Construction européenne. Elle ne se bâtit pas comme un Etat-nation avec sa force coercitive. Elle se construit de fait comme une fédération. Comme l’a démontré DSK devant le Conseil national. Si faire face à la mondialisation est un impératif catégorique pour les socialistes, l’Europe, pour les socialistes, doit être un moyen de ce combat.

      Je n’évoque que pour mémoire la nécessité géopolitique de l’Europe.

      Si nous voulons que nos enfants continue à être les acteurs de leur propre destin. Il est indispensable de construire l’Europe. Face aux Etats Unis en proie aux démons de la démocratie évangéliste où l’Amérique s’est fait gendarme des besoins et exigences du marché ou la théologie de la conservation règne. Face aux grands ensembles en voie de constitution, la marche à l’Europe a sa masse critique est une nécessité.

    b- Pour l’Europe politique

      Il ne s’agit pas d’en rester là ! Il nous faut élargir la brèche qui codifie le traité dans l’Europe à seule vocation économique. Comment ?

      Par l’Europe politique.

      Il est peu probable une fois le traité constitutionnel adopté que les Etats, à majorité libérale, désirent spontanément aller plus loin. Par contre le mouvement socialiste européen peut et doit le faire. Personne ne peut de bonne foi soutenir qu’il suffit que les socialistes français pensent pour que les peuples d’Europe s’exécutent. Qui peut croire que l’Europe se construit sans compromis ? Si on commence par dire que l’Europe est libérale, que la social-démocratie en Europe est contaminée, le syndicalisme ne vaut pas mieux, les écologistes sans volonté, les alter mondialistes de doux rêveurs, et les communistes des nostalgiques sans influence, avec qui allons-nous construire l’Europe étant entendu qu’au moins 70 % des Français ne sont pas socialistes ? Et encore, le PS est, paraît-il, aux mains des sociaux libéraux !

      L’Europe politique, il faudra donc la construire avec l’Europe telle qu’elle est. Voilà pourquoi les socialistes français ont jugé extrêmement positif l’élection de Poul Nyrup Rasmussen à la tête du Parti socialiste européen. Ce syndicaliste social-démocrate qui fut un Premier ministre de gauche, défendit notre orientation régulatrice en Europe alors que celle-ci était dominée par l’axe Blair Schröder, cet homme-là est convaincu comme nous que l’Europe politique est une nécessité. Alors notre but ne peut être de l’isoler en affaiblissant sa position par le « non » tonitruant des socialistes français. Il ne peut être non plus de le pousser dans les bras des tenants de l’adaptation. On ne peut pas non plus louer à tous les meetings l’ami Zapatero, souligner son budget, ses avancées et lui claquer aussi la porte au nez pour cause de traité. La question qui nous est donc posée, c’est l’évolution du PSE vers l’Europe politique. Si nous adoptons le traité de Bruxelles, nous nous donnons les moyens de travailler à une majorité pour un nouveau traité.

      Il doit être celui de la nouvelle étape vers l’Europe politique. Si les années 80-90 furent les années des traités euro-économiques, les années 2000 doivent être les « années politiques ».

      Cette démarche ouvre la voix à un combat pratiqué pour une vraie majorité de gauche au Parlement européen. Une majorité social-démocrate pour une Europe politique lors des prochaines élections européennes.

    c- Contre la dérive libérale

      Il ne nous a pas échappé que l’Europe telle qu’elle se construit depuis quelques années est celle d’un espace de faible croissance où les inégalités perdurent voire se creusent. Mais là aussi ce n’est pas le non qui inversera la tendance. Car le traité de Nice n’est pas un traité « révolutionnaire » qu’il faudrait préserver face au traité liquidateur de Bruxelles. Ajoutons que la politique libérale se combat par la politique, pas par des traités.

      Je veux bien dire mille fois à chaque début d’intervention que je ne me reconnais pas dans la dérive libérale des politiques mise en œuvre en Europe. Mais en quoi cela a à voir avec un traité qui est précisément un compromis comme l’a justement plaidé Lionel Jospin dans Le Nouvel Observateur. Laurent Fabius a bien tenté d’emboîter le pas à cette orientation en posant des conditions à l’adoption du traité qui visaient les politiques libérales en Europe. Mais devant le tollé, il a dû avaler la ligne du « non sec » sans condition avec l’hameçon de la crise salutaire.

      La dérive libérale de la politique européenne est d’abord celle de ces dérives nationales. On ne peut espérer, si cela était juste, - mais nous y reviendrons -, obtenir une « Europe socialiste », alors que la politique nationale ne le serait pas.

      Notre exigence est donc que l’Europe se construise tout en n’interdisant pas le combat contre cette dérive. Ce combat commence, chacun en conviendra, par l’augmentation du budget européen, et la réussite du protocole de Lisbonne qui précisément veut dans le cadre européen promouvoir l’Europe sociale.

      Mais nous sommes peut-être la au cœur du débat entre les tenants du « oui » et ceux du « non » chez les socialistes.

Radicalement
hostile au « non »



 
Pourquoi ? Tout simplement parce que le non n’est pas praticable.

Lionel Jospin, François Hollande, Pierre Mauroy et Bertrand Delanoë l’ont dit avec force. Michel Rocard fut encore plus radical devant cet appel à la crise, il écrit : « Je respecte les souverainistes mais je ne respecte pas les défenseurs du « non » qui se prétendent pro Européen » . Elisabeth Guigou, Pierre Moscovici et Alain Bergounioux ont démontré cette impasse avec précision.

Résumons ! La crise n’est pas salutaire mais castratrice. Quel que soit l’argument il tombe à l’eau. Avec qui ? C’est l’isolement ! Qui l’administrerait ? Jacques Chirac, sans commentaire ! Avec quelle crédibilité ? Aucune ! Avec quel résultat ? Fragiliser l’acquis.

Lointaine résurgence de l’appel à l’émancipation d’une France émancipant elle-même l’Europe. Cet An II du soulèvement anti libéral n’a pas les moyens de sa rêverie. Dommage évidemment, car la chevauchée européenne du socialisme est autrement enthousiasmant que la plaidoirie aride des petits pas.

Pourtant après un petit mois de controverse, les tenants du non sont revenus dans leurs tranchées. Le roulement de tambour d’une crise socialiste, provoquant une crise française, pour déboucher sur une crise européenne, font plus de peur à la gauche que de mal au libéralisme.

Alors sagement nos amis ont rangé l’argument. Pourtant il existe bien. On a beau avoir troqué la grosse caisse salutaire pour la flûte traversière du non indolore, les faits sont têtus, comme disait l’autre. Il y a des conséquences au non : pour le Parti socialiste et sa majorité, pour la France en Europe déjà passablement isolée, pour l’Europe ainsi scotchée à Nice, pour le programme à venir au Parti socialiste… J’oserais même dire pour le candidat de la gauche aux présidentielles.

On ne peut faire croire ou tenter de croire que la social-démocratie européenne globalement favorable au « oui » applaudirait à notre « non ».

On ne peut penser ou faire mine de penser que la France obtiendrait plus à 30 que ce que nous avons pu obtenir à 15. Dire que le rapport de force est tellement libéral que le traité en est l’expression. Et penser qu’avec les 10 entrants, il en deviendra meilleur. Estimer que le retour à Nice réglera les problèmes de Bruxelles ou encore que les partisans de l’Europe libérale trépigneront d’impatience à l’élaboration d’une constitution européenne que nous avons refusée. Et sur quoi, mon Dieu, quel sera le mandat du « non » Français. Il est certes tout aussi hétérogène que le « oui ». Mais une chose est de ratifier ensemble mais une autre est de mandater ensemble. Les limites du «non» résident dans le fait qu’il n’a aucune lisibilité de raison. Le «non» socialiste est indéniable mais pourquoi serait-il la base de nouvelles négociations.

L’argument est tellement peu supportable qu’on le banalise. Ce n’est plus le grand « NON » régénérant, mais le petit « non » qui ne mange pas de pain. Derrière ce changement de braquet qui indique que la pente est rude, au-delà de cette démarche qui ne marche pas, il y a de vrais désaccords que le récent Conseil national a révéler : un désaccord sur la méthode, la perspective, la période.

1. Le désaccord sur la méthode

    Henri Emmanuelli et Jean-Luc Mélenchon, pour une fois d’accord sur leur « nouveau monde », ont avancé un argument nouveau. Avant, il faut leur donner acte que si l’orientation que nous avons adoptée à Dijon est en cause, par le fait de dire « non », notre socialisme ne l’est pas. Il y aurait quelques dangers à l’avancer, car si le non l’emportait, il s’ensuivrait logiquement quelques désagréments car le PS aurait changé de nature. A contrario, dire que le socialisme et le traité sont incompatibles est tout aussi dangereux. Ou alors il faut dire que nous sommes au bord de la scission. Et Dominique Strauss Kahn qui a déjà raison de présenter la perspective d’un congrès de l’union par temps calme, devrait se voir plébiscité pour cet avis de tempête. Ceci étant posé, nos deux amis estiment que nous sommes d’abord socialistes avant d’être européen, nous aurions préféré « donc européens ». Mais nous acceptons le bénéfice du doute. Mais là où cela se gâte, c’est sur la distinction des deux démarches.

    Henri emporté par sa faconde, nous dit que nous ne sommes pas pour l’Europe mais pour l’Europe sociale. Jean-Luc pointe, avec la même méthode, un autre aspect en indiquant que l’article sur la laïcité n’appartient pas à notre culture.

    Si nous sommes pour l’Europe sociale en rester là s’est s’émanciper de construire l’Europe avec des gens qui ne sont pas pour. Si nous refusons tout pas en avant au prétexte que notre culture de libre penseur ne trouverait aucune trace dans les textes. Si seul le social pour tout dire le socialisme sont les marqueurs positifs de l’Europe alors le maximalisme des mots conduira au minimalisme du fait Européen.

    Au fond, ce désaccord n’est pas nouveau. Il était déjà bien celui qui divisait le Mouvement Socialiste sur la République. La République n’était pas le socialisme. Il ne fallait pas en être. On se souvient de Jules Guesde déclarant que le socialisme ne se débitait pas en tranche. Mais pourtant cette République même imparfaite est tout de même indispensable... au socialisme.

    Cette fameuse République française, fondée une fois en 1792, mais abolie le 18 brumaire en l’an VIII. Refondée en 1848, et selon Michelet, héritage de la Révolution la Terreur en moins, donc libérale. Abolie le 2 décembre 1851 pour être restauré le 4 septembre 1870. Abolie par Vichy mais ramenée dans les valises du Général de Gaulle. A la fois restaurée en 1958 mais dévoyée en 1962 par son aspect de « coup d’Etat permanent ». La République a des principes que les constitutions ne reconnaissent pas toujours. Elle doit être réformée, améliorée, peaufinée, mais elle doit être défendue comme par exemple au deuxième tour de l’élection présidentielle en 2002.

    S’il y eut hier des républicains à tendance libérale-légaliste (dans le sens de l’époque), il y eut aussi la tendance conventionelle-sociale. Mais c’est grâce à l’alliance d’un Thiers rallié à la République et d’un Gambetta républicain en peau de lapin, disaient les socialistes de l’époque, que la République a vaincu.

    S’il avait fallu attendre que la République soit sociale pour qu’elle fût proclamée, il n’y aurait jamais eu de République.

    L’Europe qui n’a pas le même statut, procède tout de même de la même méthode. On ne peut bloquer sa construction au non de la perfection, même si sa construction implique qu’elle soit perfectible.

    Il ne s’agit évidemment pas de congédier le socialisme ; Il s’agit de ne pas en faire un préalable. Il ne s’agit pas d’abandonner nos principes ; Il s’agit de ne pas en faire un obstacle. Il ne s’agit pas de faire du socialisme, de nos principes une ritournelle pour les prêches du dimanche ; Il s’agit d’en faire un guide ferme pour une action vivante, concrète, pratique avec d’autres qui ne procèdent pas de nous.

    En fin de compte, cette position a une logique. Tant que les conditions ne sont pas réunies, pas de construction européenne. Mais nous lui opposons que s’il n’y a pas de construction, les conditions ne seront pas réunies. Pour nous la construction de l’Europe sera graduelle ou ne sera pas.

    On veut d’ailleurs tellement plaider pour obtenir le retrait que parfois on s’emmêle. Certains en sont à compter le nombre de fois où le mot « concurrence » est dans le traité, oubliant, il est vrai, que celui-ci a une valeur constitutionnelle…en France depuis la loi « le chapelier ».

    Tout ce qui va dans le sens de l’intégration doit être soutenu tant que la construction européenne n’interdit ni la marche à l’Europe politique ni le combat pour le socialisme.

2. Le désaccord sur la perspective

    Laurent Fabius, dans le même Conseil national, changea de pied.
    Dans un texte minimaliste, maîtrisé, sans excès, sur une page où l’argument se voulait une lame.

    Il refuse le débat déjà passablement embrouillé de la crise, du libéralisme, ou des délocalisations. Il endosse les arguments sur les avancées. Il réduit ce faisant au passage la voilure sur les reculs - défense laïcité, outre-mer. Au passage, cela ne fait-il pas quand même un peu chiche pour dire non ? Enfin il ne faut pas insulter l’avenir...

    Il nous propose donc de vérifier si le « oui » est compatible avec le défi du nombre, le défi de la puissance, le défi du développement solidaire et durable. Fixer soigneusement les défis pour pouvoir démontrer l’insuffisance du traité, cela n’était pas tout à fait malhabile.

    Laissons le défi au nombre car il est réversible. Si on ne peut avancer à bientôt 30, il est imprudent de se proposer de rédiger dans ces conditions, une nouvelle Constitution.

    Oublions aussi celui du développement solidaire et durable, car celui-ci flirte avec celui que seule la crise peut créer les conditions de cette réorientation. Abordons donc celui de la puissance. Nous sommes là au-delà du contexte et des prétextes au cœur de la controverse.

    Au fond l’argument est connu : sans approfondissement, pas d’élargissement.

    Evidemment il eut été ici plus juste de le dire avant l’élargissement comme le fit Arnaud Montebourg. Mais la résolution majoritaire au Congrès de Dijon préconisait l’inverse. Et il serait injurieux de faire croire que Laurent Fabius ne l’avait point remarqué.

    Laurent martèle : « Là ou il fallait étendre la règle de la majorité et faciliter les coopérations renforcées, pour relever le défi du nombre, c’est l’unanimité en général qui prévaut. »

    Il fallait donc approfondir avant d’élargir. Passons tout de même sur cette clause qui nous protège dans le domaine social. Car avec le rapport de force dramatique souligné par les autres partisans du « non ». On imagine avec effroi ce que tous les libéraux feraient avec la majorité qualifiée dans le domaine sociale.

    Mais si la préoccupation est légitime, elle est tardive. Notre intuition est que l’Europe communautaire à dominante franco-allemande a été mise à mal par la chute du Mur de Berlin et les conséquences géo-politiques du 11 septembre.

    Je crois, c’est une hypothèse, que c’est contre les conséquences de la chute du communisme et de la logique des dominos que militait François Mitterrand lorsqu’il rendait visite à Jaruzelski ou visitait Egon Krenz. François Mitterrand tentait de donner un peu d’existence diplomatique à des régimes qui allait être balayé par l’histoire.

    Le président avait clairement conscience que la réunification allemande (qu’il avait souhaitée) allait entraîner un basculement de l’Europe dite de l’Est, vers celle de l’Ouest. Que l’Allemagne ne pouvait à la fois se réunifier, abandonner le mark et approfondir son lien avec la France. L’Europe allait changer de géographie ! La bataille française pour la frontière Oder-Neisse faisait déjà arrière garde. Et les tentatives confédérales de François Mitterrand allaient être emportées par le fleuve de la liberté retrouvée.

    Si le temps de l’approfondissement avant l’élargissement a fait son temps. Il nous faut maintenant militer pour l’approfondissement dans l’élargissement. Et c’est précisément ce que fait l’article I du Traité de Bruxelles. Celui là même dont Laurent Fabius nous dit qu’il s’agit d’une avancée.

    Le fait que le traité adopte comme compétences exclusives de l’Union Européenne : la politique monétaire, la politique commerciale, la conservation des ressources biologiques de la mer, auxquelles il ajoute les compétences partagées, la cohésion économique, sociale et territoriale, l’agriculture, la pêche, l’environnement, la protection des consommateurs, le transport et l’énergie, démontre que la marche à l’approfondissement n’est pas contredite par le texte.

    Si nous ne pouvons concevoir notre stratégie européenne comme avant la chute du mur de Berlin, nous pouvons néanmoins poursuivre notre but dans un cadre nouveau.

    Si « l’Europe continent » s’est substituée à « l’Europe puissance », elle en tourne pas le dos à « l’Europe » tout court, le texte de Bruxelles en est la preuve.

    Cela sera, parait-il, difficile, raison de plus de ne pas le contrarier par un vote « non ».

3. Divergence de période

    Il reste un seul argument encore en piste, celui de l’opportunité d’adopter le traité au regard des délocalisations et du social. Il fut défendu avec leur verve coutumière mais parfois emphatique, par Vincent Peillon et Arnaud Montebourg.

    Evacuons les arguments nauséabonds sur la constitutionnalisation de nos renoncements, de nos lâchetés. Nos duettistes du nouveau socialisme pilonnent. Non sur la crise, la méthode ou la perspective. Sur tout un aspect, ils partagent, parait-il, nos vues.

    Non, pour eux, ce qui est en cause c’est « le fameux verre à moitié vide ou à moitié plein » (…) « Aujourd’hui il ne correspond pas à la lutte contre les délocalisations » et « c’est à partir de là qu’il faut juger » . Arnaud nous avait déjà dit « La Bourgogne plutôt que la Pologne » ! Plutôt que la Pologne et ses bas salaires, restons chez nous. Navrant pour un Européen !

    Derrière cette rhétorique qui n’a rien à voir avec le traité, se cache de redoutables contradictions.

    On ne peut pas dire qu’il faut faire obstacle à un traité parce qu’il ne règle pas les délocalisations et revenir à Nice qui ne les règle pas plus.

    On ne peut pas dire que le verre est à moitié plein et mettre cet acquis sous la mitraille du libéralisme dominant.

    A moins que l’on estime que les temps ne sont point celui de l’offensive du libéralisme.

    Franchement, il faut tout l’optimisme militant de Gérard Filoche pour croire à l’insurrection salariale européenne contre le libéralisme contrecarré seulement par quelques sociaux libéraux.

    L’argument ne tient pas. Son préjugé est juste, il existe un compromis. Mais on ne peut pas le défaire au nom d’une lecture trop favorable de la période.

Un« Oui » constructeur,
un « non » réducteur



 
Ce long développement pour dire que les arguments pour le « oui » l’emportent largement sur ceux du « non ». Comme toujours il y a un doute.

Comment pourrait-il en être autrement ?

Le doute est le meilleur stimulant pour la raison. Si le doute subsiste, alors dites vous tout compte fait le « oui » est constructeur, c'est-à-dire qu’il offre plus de possibilités au doute que le « non » qui est réducteur.

Ce dernier ne règle rien des maux qu’il pointe tout en réduisant la marge de manœuvre pour influer sur eux ; Dites vous simplement qu’est ce qui est juste pour le socialisme ? S’appuyer sur un point acquis ou le reconstruire dans un environnement réputé redoutable.

Alors vous ferez triompher le « oui » pour lui-même, pour le Parti socialiste et bien sûr pour l’Europe.

Merci


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