Socialisme et Société

Contribution au Congrès de Grenoble de novembre 2000
présentée par Michel Debout, Josy Pouyeto, Marie-Françoise Poyet, Martine Roure, Philippe Bassinet, Jean-Pierre Becquet, André Chapaveire, Didier Chouat, Jacky Darne, Yvon Deschamps, Frédéric Fillion, Frédéric Hervo, André Roure, Gérard Weyn, Lilian Zanchi, Martine Lignères-Cassou, Isabelle Maupin-Mifsud, Bernard Faivre, Philippe Massein, Claude Saunier.


 
L'amélioration de la situation économique et sociale de notre pays pourrait nous amener à une certaine atonie ; " puisque ça marche, il n'y a qu'à continuer comme ça ? ". Mais la politique ne peut se réduire à une satisfaction de court terme ; Lionel Jospin lui-même, dans son discours de la Rochelle en 1999, a fixé le cap pour les 10 ans à venir.

Puisque l'on doit débattre de l'avenir de la social-démocratie, ne craignons pas l'immodestie du propos et situons d'emblée, que pour nous, le socialisme veut d'abord placer les valeurs humaines au cœur de la société " concrète " qu'il cherche à construire.

L'homme au cœur de la société.

La réalité humaine peut se décrire dans un espace à quatre dimensions : le temps, le lieu, le risque et le lien.
  1. Le temps


  2. Le temps de la vie est bien sûr la dimension fondatrice. Aujourd'hui, l'espérance de vie augmente, ce que nous devons apprécier de façon positive et non sous le seul angle des retraites à payer !

    Il s'agit d'une des grandes questions de la société à venir. Si le temps de vie s'allonge, il nous faut réfléchir aux nouvelles distributions des " temps de la vie " : le temps de travail qui va diminuer dans la semaine et dans l'année, le temps d'activité éducative, sociale, de loisirs qui vont nécessairement susciter de nouvelles activités et se développer avec l'accès à de nouveaux services.

    La relation de l'homme au temps n'est pas seulement quantitative ; elle se manifeste qualitativement à travers le double besoin d'instantané et de durée.

    Le monde moderne, la société du " zapping " a mis l'accent de façon excessive sur l'instant et le fragmentaire au détriment du long terme et de la cohérence ; il nous faut donc réhabiliter le sens de la durée ; qui est également la condition de la réforme et de l'action. C'est pourquoi la lutte contre la précarité ne représente pas seulement une exigence sociale mais bien sociétale, chacun d'entre nous a besoin de durée pour développer pleinement sa vie.

    Cela est vrai aussi pour les politiques qui manquent parfois de temps pour inscrire leurs actions, alors qu'ils sont constamment sous la contrainte d'évènements à gérer en urgence. C'est à la lumière du " temps de législature " nécessaire pour qu'une majorité puisse mettre en œuvre les réformes, que nous devons réfléchir aux modifications de la Constitution, de façon à ce qu'un certain partage des pouvoirs ne soit pas un frein… à l'exercice du pouvoir, dans les périodes de cohabitation notamment.

    Mais, pour autant, ne donnons pas l'impression que nous privilégions la durée - associée à l'idée d'effort et parfois même de contrainte - au détriment de l'instant associé à une certaine idée de plaisir et de créativité.

    C'est dans la prise en compte de l'une et de l'autre que nous devons situer notre projet.

  3. Le lieu


  4. On ne peut envisager la vie sans lieu de vie, et c'est pourquoi on doit affirmer le droit de chacun à un habitat décent.

    Mais ce rapport nécessaire au lieu s'inscrit entre deux bornes : la proximité et l'espace. L'homme a besoin de se sentir enraciné et dans le même temps lié à un espace plus vaste : national, européen, voire mondial. Un lieu d'enracinement, expression de l'identité, mais aussi une ouverture, une curiosité au monde, la manifestation d'une solidarité humaine sans frontière. Nous avons donc à réfléchir à ce qui constitue et constituera le " bon espace " de rattachement au moment où l'on observe un retour en force des régionalismes, et pas seulement en Corse.

    Le régionalisme peut quelquefois n'être que l'un des masques d'un nationalisme étriqué !

    Dans la proximité, le vécu est fort, mais il est parfois réducteur voire étouffant, dans l'ouverture, il a tendance à se diluer au risque même de perdre toute fonction identitaire.

    De la même façon, nous devons éviter d'opposer urbanisme et ruralité, l'un et l'autre pouvant s'inscrire dans une politique de la vie et pas seulement de la ville.

    Cette réflexion sur l'espace nous conduit à questionner la construction européenne, ses institutions et ses relations à l'égard des autres continents. L'Europe doit s'ouvrir (espace) à d'autres états sans perdre la force politique qui unit (proximité) aujourd'hui les quinze pays de l'Union. Elle doit constituer un pôle de stabilité politique social culturel dans un monde qui reste tragique.

    Il est important que l'on redéfinisse le rôle et les fonctions de l'état dans ses rapports avec l'ensemble des collectivités territoriales, les structures intercommunales et l'Europe.

  5. Le risque


  6. Le risque est inhérent à la vie humaine, et pour certains même le risque zéro c'est … la vie zéro.

    Le risque est nécessaire à la créativité, à l'accomplissement de soi ; l'individu réagit, parfois violemment, à tout ce qu'il peut vivre ou ressentir comme un excès de réglementation. Nous devons y rester attentifs.

    Mais nous savons bien que c'est du côté du libéraux que l'on sacralise le risque au point d'en faire le fondement de la relation de l'homme avec la société : ainsi la vie de chacun serait une succession de risques à assumer individuellement avec, en contre partie, le choix de toute sorte d'assurance ! Ce n'est évidemment pas la vision des socialistes qui elle a toujours voulu substituer à la notion de risque individuel celle de la sécurité collective. Cette aspiration dépasse largement le refus des violences ; c'est pourquoi on parle aujourd'hui des sécurités : sécurité sociale déjà ancienne, sécurité sanitaire, sécurité alimentaire…

    Il ne faut cependant pas que toutes les politiques ne soient considérées qu'à l'aune de la sécurité !

    La politique de la ville ne se résume pas à la sécurité urbaine ; la politique agricole ne se réduit pas à la sécurité alimentaire ; la politique de santé ne se confond pas avec la sécurité sanitaire, ce serait un regard réducteur et faussé sur l'ensemble de ces politiques qui méritent d'autres ambitions.

  7. Le lien


  8. L'homme ne vit pas seul et la vie humaine se construit à travers les liens que chacun tisse avec les autres.

    Le premier lien est constitué par la famille, dont la réalité évolue, ce que le Gouvernement a déjà pris en compte à travers l'institution du PACS et du projet de réforme de la procédure du divorce.

    Comment accompagner le mouvement vers de nouvelles formes de parentalité (parent isolé, parent séparé, couple homosexuel …) sans remettre en cause la fonction structurante essentielle de la famille pour le développement de l'enfant ? Au cœur de cette problématique s'inscrit naturellement notre réflexion sur les lois de bioéthique.

    Le second lien est constitué par le travail car c'est lui qui fait de chacun de nous à la fois un producteur et un consommateur… c'est-à-dire un acteur économique à part entière.

    C'est pourquoi il faut retrouver le plein emploi au cours des 10 années à venir :

    cet objectif lie à la fois utopie (plein emploi) et réalisme (10 ans) ;

    il faut assurer aux exclus des conditions de vie décentes, le but est avant tout de les sortir de l'exclusion, et non de les y confiner, même à " bon prix ".

    Les liens humains et sociaux ne se résument pas au seul travail. L'éducation, la communication, le savoir, la culture, les transports et les déplacements constituent également une part fondamentale du tissu sociétal. Il nous faut prendre en compte le développement des nouvelles technologies qui ont changé et changeront encore les possibilités de rapport entre les hommes et avec le savoir.

    Nous savons que l'accès, la maîtrise de ces nouveaux outils est un des enjeux des temps à venir.

    Enfin, ce besoin de lien se manifeste à travers l'engagement des citoyens, engagement politique et plus souvent encore engagement associatif.

    Certains de nos concitoyens se détournent aujourd'hui de l'action des partis politiques, considérant qu'ils sont plus efficaces par leur engagement associatif.

    Quelle nouvelle articulation pourrons-nous développer entre la démocratie représentative et la démocratie participative ?

    Quels nouveaux modes de militantisme se développeront à l'heure de la mondialisation, d'internet et comment les prendre en compte dans le fonctionnement de notre parti ?

    Mais comment ne pas redire une fois encore que ce besoin de lien ne peut trouver sa totale expression que dans et par le respect mutuel qui refuse la primauté des différences (de sexe, de race, de religion) pour affirmer d'abord l'égalité de tous et de chacun comme citoyen d'une république laïque et indivisible.

    Liens et conflits
    Pour autant qu'il a besoin de tisser les liens, l'homme n'échappe pas au développement des conflits. Nous devons porter un regard nouveau sur la conflictualité.

    Négative, elle est à combattre, lorsqu'elle conduit à la violence personnelle ou de groupe (violence d'état ou ethnique)…

    La violence des personnes n'est pas seulement une violence de prédation, elle mêle violence familiale, (physique et sexuelle), dont sont victimes d'abord les femmes et les enfants, violences au travail, violences routières, violences contre soi-même…. Les auteurs d'un jour peuvent être les victimes du lendemain.

    C'est cet ensemble qui contribue au développement d'un climat violent faisant le lit du sentiment d'insécurité.

    Plutôt que de traiter ce problème dans une approche cloisonnée (lutte contre la délinquance, prévention routière, prévention du suicide…) il paraîtrait plus fécond de le considérer dans sa globalité puisqu'il relève à la fois de la justice, la police, les droits des femmes, la santé, l'éducation, la politique de la ville… ceci amènerait à la création d'une mission interministérielle de lutte contre les violences (à l'instar de la MILT –lutte contre la toxicomanie-) ayant pour charge de coordonner et dynamiser l'ensemble des politiques spécifiques aujourd'hui menées.

    À l'inverse il est une conflictualité positive, qui fait bouger les lignes. En effet, si nous devons espérer une société apaisée, cela ne veut pas dire pour autant que nous la souhaitons sans forces en mouvement ; la société évolue nécessairement en fonction du rapport entre ces forces. Les luttes sociales nous ont appris que rien n'est acquis à l'homme et que la vie garde nécessairement une dimension de combat. Les socialistes ne peuvent être absent de cette mobilisation et laisser à d'autres le soin d'en être les animateurs principaux.

    Ils doivent être pleinement acteurs du mouvement social et sociétal, y compris lorsque la majorité parlementaire et gouvernementale sont issues de leur rang. Il y a même, de notre point de vue, aucune incohérence à cela, dès lors que cet engagement ne prend pas le masque d'une contestation gouvernementale, mais ouvre de nouveaux horizons.

    La majorité a besoin de forces en mouvement sur lesquelles elle puisse s'appuyer pour faire passer ses réformes.

Du contrat social vers le contrat sociétal.

Pour répondre à ces différentes aspirations, il nous faut définir les termes d'un nouveau contrat –le contrat sociétal- liant l'homme à la société et permettant à chacun la vie la plus épanouie possible.

Contrat est ici à comprendre dans le sens du contrat dynamique et politique à savoir l'engagement d'un parti ou d'une majorité à mettre en œuvre le programme qu'il propose aux électeurs. Le choix entre légiférer ou contractualiser nous paraît second car le contenu de l'un ou de l'autre est toujours l'expression -à un moment donné- du rapport de forces politique, économique et social ; même si nous ne sous-estimons pas le rôle de la loi et la place du législateur garant de l'intérêt collectif. L'important, c'est donc bien le point d'arrivée et, secondairement, la mise en œuvre réelle des dispositions retenues. On a connu ainsi de bonnes lois mal appliquées, ou de bons projets de loi perdus dans les sables de la mobilisation d'intérêts catégoriels.

Mais dans " sociétal "  il y a " social " : le contrat sociétal ne prend pas la place et s'oppose encore moins au contrat social ; il se veut être simplement son prolongement. En effet, il n'y a pas de vie sans moyen de vie et les questions de distribution des richesses restent au cœur de notre projet : étant donné l'internationnalisation des marchés, les inégalités inacceptables (nationales et encore plus internationales), le fossé croissant entre la bulle financière d'une part, la misère pour les uns et la précarité pour les autres, d'autre part, nous devons proposer de nouveaux modes de régulation répondant à l'attente de nos concitoyens. Cette régulation doit s'appuyer sur deux outils essentiels : le paritarisme rénové et les services publics au service de la vie quotidienne.

Le paritarisme rénové.

Nous ne devons pas être frileux sur la question de la refondation sociale et la meilleure façon de reprendre l'offensive est de ne pas nous laisser enfermer dans la problématique que le patronat et la droite libérale cherchent à imposer. Il nous faut élargir les termes du débat et poser les bases d'un paritarisme rénové.

Les droits des salariés, les retraites, le chômage, la formation professionnelle, les accidents de travail restent au cœur de la création et de la distribution des richesses. Leurs gestions sont directement liées à la vie des entreprises, elles connaissent naturellement comme partenaires les représentants du patronat et ceux du salariat.

Mais la démocratie sociale ne se suffit pas de ces seuls acteurs : les allocations familiales, et surtout l'assurance maladie, ont besoin pour leurs gestions d'autres partenaires.

C'est ainsi aux médecins et autres professionnels de la santé et aux usagers du système de soins dans leur diversité qu'il reviendrait de gérer, (dans le cadre des décisions du parlement et des ministères de tutelle), l'assurance maladie.

Service public au service de la vie

Répondre aux aspirations, aux besoins des hommes, leur garantir les droits fondamentaux d'être éduqué, protégé, jugé dans l'équité, de se déplacer, communiquer ne peut dépendre exclusivement de l'activité marchande.

Loin d'être l'héritage d'une vision dépassée de la société, les services publics sont la réponse moderne aux besoins de tous ; ils sont pleinement au service de la vie quotidienne.

Ils permettent aux citoyens d'avoir un égal accès à tous les services sans discrimination et sans frontière matérielle.

Dans ces conditions, l'extension des missions des services publics porterait sur les activités touchant la prévention, la médiation, l'encadrement des personnes (âgées, handicapées,…), la sécurité de proximité, les technologies de l'information.

L'organisation structurelle des services publics à tous les niveaux - État, collectivités territoriales - doit répondre aux besoins du terrain, de l'usager ; elle doit se construire dans la transparence et dans le dialogue. Elle doit refléter une gestion simple où les coûts des services devront être maîtrisés, les ressources humaines formées et régulées.

Il n'y a pas de service public sans personnels pour en assumer le fonctionnement et la qualité de la prestation.

La question n'est pas de savoir si il y a trop ou trop peu de fonctionnaires mais de définir ce que l'on attend d'eux.

Remarquons que garder le même nombre de fonctionnaires alors que la population française se développe et que de nouveaux problèmes apparaissent dans la vie de nos concitoyens, notamment liés aux difficultés de la vie urbaine et au vieillissement global de la population, équivaudrait à une baisse de la qualité de leur prestation, d'autant que l'amélioration de leur productivité est absorbée par la réduction du temps de travail.

Nous devons développer les services publics au service de la vie quotidienne et leur fixer comme objectifs de respecter l'égalité d'accès pour tous, et de promouvoir une nouvelle éthique dans leurs rapports avec les citoyens.

L'éducation, la santé sont depuis longtemps en situation de concurrence et ce sont aussi les polices privées qui se développent ; l'hôpital public est menacé par la perte de compétence, beaucoup de médecins qualifiés le quittent pour exercer dans des structures privées plus lucratives. Nous devons réaffirmer la place centrale du service public hospitalier dans le dispositif de soins et refuser qu'il ne se transforme peu ou prou en dernier lieu d'accueil de la misère sociale.

Il faut réaffirmer enfin que l'état doit jouer un rôle moteur dans le maintien du service public sur l'ensemble du territoire.

Être moderne c'est accepter la complexité, non pas pour s'y complaire, mais par ce qu'elle est consubstantielle à la nature de l'homme et à la vie en société.

Le socialisme doit s'efforcer d'apporter une réponse cohérente aux différentes aspirations de nos concitoyens ; puisque certaines peuvent apparaître contradictoires (instant et durée, proximité et espace, risques et sécurité…) le socialisme ne peut être un dogme, une réponse uniforme ; il est forcément une dialectique, c'est-à-dire un essai de dépassement des contradictions à travers une synthèse exigeante, un projet mobilisateur qui réponde aux attentes de chaque citoyen par une ambition collective.

– Signataires –

Michel Debout : conseil national  Josy Pouyeto : conseillère générale  Marie-Françoise Poyet : conseil national  Martine Roure  : députée européenne  Philippe Bassinet : conseil national  Jean-Pierre Becquet : maire  André Chapaveire : conseiller régional  Didier Chouat : député  Jacky Darne : député  Yvon Deschamps : conseil national  Frédéric Fillion : conseiller régional  Frédéric Hervo : secrétaire fédéral  André Roure : conseil national  Gérard Weyn : conseiller général  Lilian Zanchi : conseil national  Martine Lignères-Cassou : députée  Isabelle Maupin-Mifsud : conseillère régionale  Bernard Faivre : secrétaire fédéral  Philippe Massein : maire-adjoint  Claude Saunier : sénateur-maire.



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