Discours
du Premier ministre
en clôture
de l'université d'été,
le 29 août 1999

 
 


Cher(e)s camarades,
Cher(e)s ami(e)s,

Dans la vie du Parti socialiste, l'Université d'été constitue un temps fort. Elle nous offre, à la rentrée, l'occasion d'une réflexion collective, importante pour notre action. Elle est aussi, pour nous tous, un moment de fraternité. C'est pourquoi, élus, militants et sympathisants —venus de toute la France—, membres du Gouvernement, nous avons plaisir à nous retrouver à La Rochelle, à l'invitation de notre Premier secrétaire, François HOLLANDE, que je salue chaleureusement.

Une ombre, cette année, voile ce moment d'amitié. Pour la première fois, Michel CRÉPEAU n'est pas à nos côtés. Bien sûr, son souvenir demeure. Celui d'un grand maire de La Rochelle, précurseur, bâtisseur, infatigable artisan du rayonnement de sa cité. Celui du radical de gauche, de l'allié politique —exigeant et loyal— qui a toujours accueilli avec chaleur les socialistes. Celui de l'ami, enfin, qui reste présent pour chacun de nous. Mais sa voix s'est tue, son humour, sa chaleur nous manquent. Pleinement et intensément, avec son style et ses références, Michel CREPEAU a été durant un demi-siècle de tous les combats de la Gauche. Nous ne l'oublions pas.

Ce combat pour une société plus libre, plus juste, plus fraternelle, nous le continuons ensemble. C'est à cela que servent les débats de notre Université d'été. Elle connaît, cette année encore, un grand succès. Grâce à l'hospitalité de Maxime BONO, député-maire de La Rochelle, grâce au talent des organisateurs, au premier rang desquels Henri WEBER, Bernard POIGNANT, Hugues NANCY et Roland BEIX, que je veux remercier. Et grâce à vous tous, qui êtes venus nombreux, qui avez activement participé aux débats, qui montrez ce qu'est une grande formation politique.

Ce matin, je voudrais contribuer à notre réflexion commune en vous donnant mon sentiment sur la situation politique de cette rentrée, et en vous indiquant comment le Gouvernement entend poursuivre son action.

I — La situation politique en cette rentrée se présente sous le double signe de la confiance et de la durée.

Si le temps est la matière de l'action politique, alors, en cette rentrée, le rapport qu'entretiennent la majorité et le Gouvernement avec le temps s'est modifié. Nous avons déjà du temps derrière nous. Nous avons surtout le temps devant nous.

  1. Le temps derrière nous a pris de l'épaisseur.

    Une épaisseur du temps sur laquelle nous pouvons nous appuyer. Pendant deux ans, nous avons beaucoup travaillé et nous avons su construire.

    Il y a vingt-sept mois, la France était crispée, les Français désorientés, l'économie bloquée, le gouvernement immobilisé.

    En vingt-sept mois, nous avons fait bouger les choses. Et d'abord en redonnant des couleurs au présent. La croissance est revenue, la confiance s'est reconstruite, l'une nourrissant l'autre pour faire naître un nouveau cercle vertueux. Le résultat est sans précédent : 700.000 emplois créés en deux ans, 300.000 chômeurs de moins. Cette décrue du chômage est le résultat dont nous pouvons être les plus fiers. C'est la plus belle réforme sociale de ce gouvernement. Tout cela a rendu de l'espoir, de l'allant, de la perspective. La France s'est remise en mouvement.

    On nous présente parfois ce moral retrouvé des Français comme une sorte d'accident bienheureux, comme le produit d'une évolution mystérieuse de leur psychologie collective. J'ai envie de vous proposer une hypothèse qui ne me semble pas tout à fait déraisonnable... Et si ce contexte nouveau avait un rapport avec ce que nous avons accompli depuis deux ans ? Avec nos choix politiques ? Avec nos décisions économiques ? Avec nos réformes ? Avec notre façon de travailler ? A vrai dire, c'est bien là l'explication la plus naturelle, la plus logique. Ce contexte nouveau est le fruit d'une volonté. Le résultat d'une politique. Celle de notre majorité.

    Nous conduisons une politique juste. Juste, car ajustée à la situation de la France et aux attentes des Français. Juste, car équitable, répartissant l'effort lorsqu'il est nécessaire, les fruits lorsqu'ils sont disponibles.

    Une politique conjoncturelle appropriée, qui a su réanimer une demande intérieure en panne, où la création d'emplois a soutenu le revenu, rétabli la confiance des ménages, nourri la consommation, celle-ci stimulant à son tour l'investissement ; une politique conjoncturelle protégeant la croissance lorsque les crises internationales la menaçaient, la confortant dans les trous d'air, l'accompagnant dans les reprises.

    Une politique structurelle active, qui a résolu de nombreux dossiers industriels et financiers trop longtemps laissés en suspens, qui a mis en mouvement des secteurs où prévalait l'immobilisme, qui a renforcé le potentiel de croissance de notre économie en engageant un programme ambitieux pour faire entrer la France dans la société de l'information, développer l'innovation et la création d'entreprises.

    Une politique sociale ambitieuse, qui, avec la réduction et l'aménagement du temps de travail, avec les emplois jeunes, a fait reculer le chômage ; qui, avec la loi contre les exclusions et la CMU, a approfondi la solidarité.

    Une politique qui a ouvert un chemin à la jeunesse, par la priorité rendue à l'éducation, à la recherche, à l'innovation ; par le plan pour l'emploi des jeunes —qui a rendu une perspective à 200.000 d'entre eux ; mais aussi par l'entrée réussie dans la société de l'information, par la rupture avec une vision hiérarchique de la société, avec une pratique autoritaire du pouvoir dont les jeunes ne veulent plus.

    Une politique européenne nouvelle, qui fait de l'emploi une priorité de la construction européenne, qui vise à une meilleure coordination des politiques économiques en faveur de la croissance et de l'emploi.

    Cette politique est comprise par nos concitoyens. Elle suscite de l'adhésion. Nous avons su construire avec les Français une relation qui ne nous était pas acquise au départ. La qualité de cette relation se mesure aussi —et ce n'est pas le moindre des indicateurs en démocratie— à l'aune des élections. L'une après l'autre, nous avons franchi favorablement les échéances électorales. D'abord les cantonales et les régionales, qui ont vu des départements et des régions se donner des conseils de gauche. Puis les européennes, où François HOLLANDE a conduit notre liste au succès. Ce dernier scrutin a au contraire laissé la droite plus divisée encore, nouée de contradictions et sans projet. En outre, je suis heureux d'observer, au moment où le chômage recule, où s'apaisent des passions malsaines grâce à une politique juste et ferme d'intégration républicaine, où l'espoir renaît d'une société moins dure, que l'extrême droite justement se déchire, se scinde en factions rivales, s'affaiblit.

    Beaucoup a donc été fait ou engagé. Pour aller au-delà nous savons, en cette rentrée, que nous disposons d'un atout : la durée.

  2. Le temps devant nous permet d'agir.

    Le fait que nous ayons dépassé un cap souvent jugé symbolique —celui des deux ans— semble désorienter certains. La durée, dans notre démocratie, serait devenue chose extraordinaire. Et il est vrai que nous avons peut-être pris de mauvaises habitudes. Depuis quinze ans, la France a connu sept gouvernements successifs jusqu'à celui-ci. Un seul d'entre eux —celui de Michel ROCARD— a duré plus de deux années. Mais devrait-on instaurer en modèle l'instabilité ministérielle sous la Vème République ? Le fait de dépasser deux ans, quand la législature en compte cinq, devrait être considéré comme normal dans une démocratie équilibrée. Ce qui est naturel, dans une démocratie de responsabilité, c'est de gouverner le temps du mandat qui vous a été confié.

    Il y a deux ans, les électeurs se sont saisis du débat qui, après la dissolution de l'Assemblée nationale, leur avait été proposé. Nous leur avons présenté un projet cohérent et novateur. Nous en avons discuté avec eux. Ils l'ont approuvé. La majorité qu'ils se sont choisie et le gouvernement qui en est issu sont fidèles à ce projet. Celui-ci est mis en œuvre avec détermination et dans la concertation. N'est-ce pas là le retour à la normalité démocratique ?

    Par notre travail, par notre action, nous avons forgé la durée dont nous disposons désormais. Si ce gouvernement ne s'use pas, c'est peut-être parce qu'il sert... Qu'il sert son pays.

    Pour certains, la durée aurait pour pente fatale l'immobilisme. Or la durée n'est pas l'immobilité. La durée est une condition du mouvement. Elle est une garantie de la réforme. C'est pourquoi, dès notre arrivée aux responsabilités, nous avions revendiqué la durée. Dès le début, nous avons conçu notre action pour être conduite sur le temps de la législature. Nous avons eu raison.

    La période qui s'ouvre devant nous a sa cadence. L'année 2000 sera pour nous la première année sans élection ; mais elle sera marquée, au second semestre, par la présidence française de l'Union européenne, qui exigera une mobilisation considérable de tout le Gouvernement. Les élections municipales et cantonales auront lieu en 2001 : ce sera un temps fort de notre vie politique, une échéance importante pour la vitalité de la démocratie locale ; beaucoup d'entre vous s'y engageront avec passion. En janvier 2002, l'euro deviendra la monnaie d'usage des Français. Nous préparerons ce grand changement. Puis, en mars 2002, auront lieu les élections législatives. C'est l'échéance démocratique pour le Gouvernement et la majorité. C'est, pour moi, le rendez-vous essentiel. Car ma mission est claire : conduire le Gouvernement. Notre horizon politique est tout aussi clair : c'est celui de la législature. A son terme, nous rendrons compte. Les Français attendent cela de nous, et rien d'autre. Tout le reste est spéculation.

    Le succès de notre action au cours de cette période est entre nos mains. La majorité peut seule se nuire et se défaire. La confrontation des idées est nécessaire et la compétition entre les formations politiques légitime. Mais l'une ne doit pas être confondue avec les débats artificiels et l'autre avec les attaques personnelles.

    Dans cette rentrée, l'une des formations de la majorité s'est beaucoup exprimée... au risque que l'on s'y perde. Dans la majorité plurielle, chacun apporte mais reçoit aussi. Les Verts apportent à la majorité une sensibilité, une réflexion, un ancrage particuliers. Ils reçoivent aussi beaucoup. Des représentants à l'Assemblée nationale, une participation au Gouvernement, la crédibilité politique —même si elle reste à l'épreuve—, le bénéfice d'une stratégie cohérente. Cela compte, pour un mouvement politique. Ils contribuent à des réformes, qui inscrivent l'écologie au cœur des politiques publiques et dont François HOLLANDE vient de souligner la portée. Deux questions qu'ils ont posées me paraissent appeler des réponses.

    Le nucléaire n'est certes pas un tabou. C'est une composante de notre indépendance énergétique et de notre développement économique. Nous accomplissons aujourd'hui des progrès en matière de transparence et de sûreté. Nous les consoliderons en présentant un projet de loi sur la transparence d'ici la fin de l'année. Quant à la place de l'énergie nucléaire dans le futur, quant à la question majeure du renouvellement du parc des centrales nucléaires, je n'ai aucun mal à prendre l'engagement qu'aucune décision de cette importance ne saurait être prise sans un grand débat scientifique et démocratique qui permettra d'examiner toutes les conséquences des choix possibles et de peser tous les arguments.

    S'agissant de la réforme du mode de scrutin législatif et de l'introduction d'une dose de proportionnelle, nous nous sommes aussi posé la question. Je ne suis pas sûr aujourd'hui qu'elle soit possible, je ne crois pas -tout bien pesé- qu'elle soit souhaitable. Pas possible, car sa mise en œuvre serait complexe et encourrait le risque d'une censure du Conseil constitutionnel. Pas souhaitable, car un pays comme la France a besoin de majorités claires ; je pense en outre que le scrutin actuel, si les forces de la majorité plurielle savent se respecter et ont la sagesse d'accorder à chacun la place qui lui revient, est celui qui, favorisant les dynamiques d'union, permettra le mieux d'assurer le succès ; j'ajoute enfin qu'une telle réforme nous exposerait inévitablement à une campagne politique de la droite nous accusant de changer les règles du jeu à des fins politiciennes.

    Parce qu'elle a été rassemblée et solidaire, dans le débat et dans le respect de chacun, la majorité a avancé. Je souhaite qu'elle continue à travailler dans ce même esprit. François HOLLANDE vient de nous dire pourquoi la majorité a intérêt à présenter des listes d'union lors des prochaines municipales. C'est une question qui relève sans doute des partis politiques. Mais je ne vous cacherai pas que je suis favorable à la proposition faite à nos partenaires par le Premier secrétaire. Les Verts —comme les autres composantes de la majorité— peuvent faire un autre choix que nous respecterions. Qu'ils pèsent ce qui sera le plus avantageux pour eux et le plus utile pour tous.

    Quoi qu'il en soit, la majorité est plurielle : elle comprend cinq composantes, chacune avec son histoire, sa tradition, sa culture. Aucune ne mérite la condescendance. Toutes ont droit au respect. Configuration politique originale, moderne, enviée par l'opposition, supportant la comparaison avec les formules et les expériences étrangères, la majorité plurielle est notre bien commun. Pour ma part, je compte bien, en tant que chef du Gouvernement, continuer à la faire vivre... avec maîtrise et équilibre.
Chèr(e)s camarades,

Après vingt-sept mois de travail, alors que s'ouvre la seconde moitié de la législature, c'est logiquement, naturellement, que nous allons nous engager dans une deuxième étape.

 

II — Cette deuxième étape sera celle de la transformation sociale et de la modernité partagée.

En politique, les étapes ne sont jamais des segments de temps séparés. Cette deuxième étape sera donc à la fois un prolongement du travail accompli et une projection dans l'avenir.

Un prolongement,
car parmi les nombreux projets que nous avions proposés aux Français, beaucoup sont encore en cours de réalisation. Quelquefois en raison des obstacles politiques qui nous ont freinés en chemin. Je pense en particulier à la limitation du cumul des mandats, au PACS ou encore à la réforme de la justice, faite pour ancrer définitivement dans le droit ce qui existe déjà dans les faits depuis deux ans : le ministère de la Justice n'est plus en rien le ministère des " affaires " ; il est devenu pleinement le ministère du droit.

Le plus souvent, parce qu'il est dans la nature même de ces projets de s'inscrire dans la durée. Réussir le passage aux 35 heures prend du temps, parce que bien négocier demande du temps. L'enjeu —des emplois créés, une efficacité des entreprises préservée, un travail mieux aménagé, du temps en plus pour soi— en vaut la peine. Construire l'Université du prochain siècle, bâtir des entreprises de taille européenne, investir dans les nouvelles technologies et dans l'innovation mais aussi restaurer le lien social dans les quartiers en difficulté, rendre effectif le droit à la sécurité sont des processus continus. Enfin, il y a des projets qui, une fois achevés, ne produisent que des récoltes tardives. Il faut le prendre en compte. Les dispositifs créés par la loi sur les exclusions, par exemple, mettront du temps avant de réparer la trame du tissu social.

Cette deuxième phase sera aussi une projection. Il y a une articulation entre notre travail actuel et le projet de long terme que nous avons pour la France. Ce qui nous importe, tout en faisant face aux exigences présentes, c'est de savoir préparer la France à l'horizon de la première décennie du siècle.

Notre ambition collective reste la même : transformer la société pour la rendre plus juste. Nous voulons le faire en assumant mais aussi en façonnant la modernité.

Nous prenons en compte l'évolution du monde, et en particulier la globalisation économique. Si nous ne le faisions pas, si nous ignorions les réalités internationales, nous laisserions la France à l'écart de la nouvelle économie mondiale et nous la condamnerions. Mais nous le faisons à notre manière, avec nos valeurs, comme une force de gauche. En respectant les réalités françaises. Sans renoncer à nous-mêmes. L'ouverture ne signifie pas la perte d'identité. Elle doit même nous permettre d'enrichir notre identité et de la rendre plus féconde.

Nous voulons une modernité qui ne soit pas le privilège de quelques-uns mais le bien commun de tous. De ce souci témoigne, par exemple, la loi sur la société de l'information que le Gouvernement prépare et que je viens d'évoquer à l'Université d'Hourtin. Nous souhaitons que la France s'approprie cette facette technologique de la modernité et, en même temps, avec le même degré de priorité, nous veillons à ce que cette modernisation ne crée pas de " fossé numérique " entre les territoires ou entre les Français. Lorsque nous travaillons à la modernisation de nos services publics, c'est pour qu'ils servent mieux encore ceux de nos concitoyens qui en ont le plus besoin. Nous ne faisons pas du " social libéralisme ". Notre approche est différente de celle qui apparaît dans le manifeste de nos amis Tony BLAIR et Gerhard SCHRÖDER. Nous sommes une gauche de renouvellement rassemblée autour d'un socialisme moderne.

Cette gauche plurielle est elle-même une construction politique moderne. La modernité est souvent, nous le savons, un surcroît de complexité. Elle avance par un jeu de tensions entre des aspirations diverses. La pluralité de la majorité, la diversité de ses références, de ses sensibilités lui permettent d'être en phase avec tous les aspects de la modernité. Au contraire, la vision traditionnelle qu'a la droite de la modernité est univoque : pour elle, la modernité se résume au libéralisme économique et souvent à la remise en cause d'acquis sociaux. La crise actuelle de la droite est une crise d'adaptation à la modernité.

La modernité de notre socialisme se marque par la volonté de nous saisir, en même temps, des questions économiques et des questions sociales, des questions politiques et des questions sociétales, des questions environnementales et des questions culturelles.

Pour la décennie qui vient, nous voulons reconquérir une société de plein emploi, bâtir une société plus humaine, rassembler autour de notre politique.

  1. Nous voulons d'abord reconquérir une société de plein emploi.

    Ce doit être pour la France l'objectif central pour la décennie à venir. Nous avons déjà obtenu un reflux significatif du chômage. Nous avons commencé à faire la démonstration, fondamentale sur le plan psychologique, que le chômage de masse n'était pas une fatalité. Nous pouvons améliorer ce mouvement.

    En continuant d'attaquer le chômage comme nous l'avons fait depuis deux ans, dans toutes ses dimensions : conjoncturelle et structurelle, nationale et européenne, par la création d'emplois mais aussi par l'insertion. Ce que nous avons réussi, dans les années 1980, contre l'inflation, nous devons le faire contre le chômage.

    Cela suppose une économie efficace.

    Nous voulons installer l'économie française dans un régime de croissance longue.
    Nos opposants, qui ont mis l'économie en panne, voudraient faire croire que nous ne sommes pour rien dans le redressement économique, qu'il résulte mécaniquement de la conjoncture internationale. Outre que celle-ci, vous le savez, n'a pas été bonne dans l'année écoulée, une autre caractéristique saute aux yeux. Alors qu'auparavant la France était en queue de peloton de la croissance européenne, aujourd'hui sa croissance est plus forte que celle de ses grands partenaires européens. Avec la même monnaie, les mêmes taux d'intérêts que ceux de ses voisins, la France est devenue une locomotive de la croissance en Europe. Elle a une croissance plus équilibrée -avec un commerce extérieur excédentaire ; une croissance plus saine -sans inflation ; une croissance plus autonome -appuyée sur la demande intérieure ; une croissance nouvelle -nourrie des nouvelles technologies de l'information et de la communication ; une croissance respectueuse de l'environnement -qui est devenu pour nous une préoccupation majeure ; une croissance solidaire, enfin : nous devons veiller à ce que cette croissance bénéficie à tous.

    Pour cela la création de richesses est fondamentale. L'entreprise ne doit susciter ni diabolisation, ni fascination mais un juste intérêt. Nous voulons moderniser notre économie de marché : réforme du droit des sociétés, simplifications administratives pour les PME, soutien au capital-risque, réforme des marchés publics, modernisation des tribunaux de commerce. Mais la compétitivité globale d'une économie ne se réduit pas à celle de ses entreprises ; elle fait intervenir la créativité de ses laboratoires, la qualité de ses réseaux d'infrastructure et de ses services publics, le niveau d'éducation et de formation, l'équilibre enfin de ses relations sociales. La modernisation économique va de pair avec la modernisation sociale.

    A cette fin, un Etat moderne doit jouer pleinement son rôle dans le fonctionnement de l'économie de marché. L'Etat doit montrer lui-même l'exemple, comme nous l'avons fait pour réussir des restructurations industrielles ou intégrer dans la pratique administrative les nouvelles technologies de l'information. Il doit encourager les ambitions créatrices, la prise de risque, l'acte productif et lutter contre les situations de rente. Il doit regarder loin et anticiper les changements. Il doit donner l'impulsion lorsqu'elle est nécessaire. L'Etat doit être un régulateur et le garant de règles communes. Dans une économie qui n'est plus administrée, il ne peut se substituer aux autres acteurs.

    A cet égard, je voudrais évoquer la confrontation entre deux banques privées, la BNP et la Société Générale, qui vient de se dénouer.

    Le comité des établissements de crédits et des entreprises d'investissement, présidé par le Gouverneur de la Banque de France, a pris sa décision, conformément à la loi, en toute indépendance.

    On pouvait souhaiter qu'un regroupement entre la BNP, la Société Générale et Paribas s'opère, mais il ne pouvait se faire que de manière concertée et ordonnée, sauf à engendrer de grands risques d'instabilité pour le système financier français et pour l'économie et l'emploi. J'ai noté d'ailleurs à quel point les salariés du secteur y étaient attentifs.

    Le Gouvernement continuera, dans le champ de ses compétences, à contribuer à la consolidation de notre système financier. Nous veillerons particulièrement à ce que les différentes institutions bancaires et financières se développent conformément à l'intérêt de l'économie nationale.

    La croissance est indispensable, mais elle n'est pas pour autant suffisante pour faire reculer fortement le chômage. C'est pourquoi il nous faut réussir la réduction du temps de travail, pour enrichir la croissance en emplois. La première loi sur la RTT a généré un mouvement de négociation sans précédant dans notre pays avec aujourd'hui 14.000 accords concernant 2,1 millions de salariés et créant ou sauvegardant 115.000 emplois. La seconde loi, qui sera examinée à l'automne, doit permettre d'amplifier ce mouvement.

    Ce volontarisme national doit être combiné avec un volontarisme européen. Nous devons continuer à réorienter la construction européenne vers la croissance et l'emploi. La présidence française de l'Union européenne, au second semestre 2000, doit nous y aider.

    Chacun avancera à sa manière mais c'est en marchant dans la même direction, avec la même résolution, que les Européens parviendront à faire massivement reculer le chômage.

    Le retour au plein emploi est le fondement d'une transformation plus essentielle encore.

  2. Nous voulons bâtir une société plus humaine.

    Une société humaine est une société qui n'est pas dominée par le marché. Une société dont les valeurs ne sont pas soumises à la logique du profit, du " toujours plus " pour ceux qui ont déjà beaucoup.
    De même que nous avons refusé l'AMI, c'est cette approche que nous défendrons dans les négociations de l'Organisation Mondiale du Commerce (OMC). Nous voulons que l'ouverture économique aille de pair avec la prise en compte des droits sociaux, de la protection de l'environnement, des identités culturelles. Une société humaine, c'est une société où tous les biens ne sont pas assimilés à des marchandises. Le travail de l'homme n'est pas une marchandise. Les oeuvres de son esprit ne peuvent pas être réduites à de simples marchandises -c'est ce qui légitime l'exception culturelle et la défense du droit d'auteur. Le corps humain n'est pas une marchandise. Nous allons mettre à jour la loi de 1994 sur la bioéthique. La santé des hommes n'est pas une marchandise. Si la maîtrise des dépenses de santé est indispensable, c'est pour assurer la pérennité de la sécurité sociale, notre bien commun. C'est pourquoi nous ne laisserons pas la dérive des dépenses de santé donner des arguments à ceux qui voudraient, en privatisant la sécurité sociale, faire de la santé un commerce. Nous allons poursuivre la politique de réforme structurelle qui commence à porter ses fruits. Nous tirerons concrètement les leçons des Etats généraux de la santé, notamment en ce qui concerne les droits des malades. De même, pour moi, la sécurité sanitaire doit prévaloir sur le libre-échange.
    En France, nous garantissons mieux notre sécurité sanitaire grâce à la création de deux agences, l'une pour les produits alimentaires, l'autre pour les produits de santé. Au plan international, par la négociation, nous continuerons à défendre le droit des Français à une alimentation sûre et saine.

    Notre environnement n'est pas une marchandise, un simple stock de matières premières dans lequel on pourrait puiser sans se soucier des générations futures. Il n'y a de vrai développement que durable. Nous ne confondons pas la production de richesses et le productivisme. C'est tout le sens de la loi d'orientation agricole qui concilie capacités productives, développement rural et préservation de l'environnement.

    Une société plus humaine, c'est aussi une société pleinement démocratique. Une société où chacun puisse s'accomplir, où chacun puisse prendre sa part de la maîtrise de notre destinée collective. S'agissant de la rénovation de la vie publique, nous avons déjà beaucoup oeuvré.

    Nous pourrons franchir, grâce à la révision constitutionnelle du 28 juin dernier, une nouvelle étape déterminante. Celle d'un large accès des femmes aux fonctions électives. A partir des conclusions de l'Observatoire de la parité, qui me seront remises très prochainement, le Gouvernement présentera avant la fin de l'année un projet de loi qui imposera un pourcentage minimum de candidatures féminines pour les scrutins de liste et qui, s'agissant des scrutins uninominaux, mettra en place à cette fin un mécanisme de correction financière relatif au financement public des partis politiques. Nous agirons aussi pour plus d'égalité professionnelle entre les hommes et les femmes.

    Ces aspirations doivent trouver leur prolongement à l'échelle de la communauté internationale tout entière. La mondialisation rend plus que jamais pertinente la construction de l'internationalisme humaniste que nous, socialistes, avons toujours porté. Contre l'unilatéralisme dans les relations internationales, nous défendons la conception d'un monde équilibré, multipolaire. C'est aussi pour cela que nous voulons affirmer l'identité européenne. Contre le nationalisme, le fanatisme et leurs crimes, nous voulons instaurer une " morale " internationale. Le Tribunal pénal international en montre le chemin. La Cour pénale internationale, que nous avons contribué à faire naître, sera l'instrument du respect du droit de la personne humaine.

    Pays ayant contribué à forger une conscience universelle, la France peut jouer un rôle de premier plan dans cette transformation comme elle tente de le faire, avec d'autres, au Kosovo. Elle sera d'autant plus influente qu'elle sera elle-même unie, confiante, ancrée dans la modernité.

  3. Nous voulons fonder notre politique sur une nouvelle alliance.

    La société française reste structurée en classes, même si leurs frontières sont souvent moins nettes et si elles se déplacent.

    Nous voulons faire naître une nouvelle alliance, en faisant converger dans notre projet et dans notre action les politiques qu'attendent, respectivement, les exclus, les classes populaires et les classes moyennes.

    Pour les exclus, le Gouvernement poursuivra une politique d'intégration volontariste. L'intégration est le synonyme de la République. Par l'Ecole, par le travail, par la participation au débat public démocratique, l'intégration est une dynamique qui resocialise des individus et vise à en faire des citoyens d'une même communauté : la nation. L'intégration est donc à la fois le but et le mouvement de la République. Avec la priorité budgétaire retrouvée pour l'éducation nationale, la réforme de l'école, la loi contre les exclusions, la couverture maladie universelle, nous avons déjà bien avancé. Pour aller plus loin, l'une de nos priorités sera de privilégier une approche globale d'intégration sociale, par la réduction de l'emploi précaire, la rénovation du milieu urbain, l'accès aux services publics locaux, la promotion scolaire des élèves les plus défavorisés.

    Les classes populaires se sont transformées. Il y a toujours, en France, même si le mot est passé d'usage, une " classe ouvrière ". Hier massées dans le secteur secondaire, les classes populaires se retrouvent aujourd'hui aussi dans les services. Des gens qui travaillent dur, dans un environnement contraignant, et qui gagnent peu. Nous avons fait en sorte, depuis deux ans, que leur pouvoir d'achat connaisse une hausse conséquente. Nous devons maintenir cette politique. Mais nous devons également lutter contre ce qui leur " gâche la vie " au quotidien : la précarité, l'insécurité, bien sûr ; mais aussi les problèmes de transport en milieu urbain. A cette fin, un projet de loi sur le logement et les transports en milieu urbain sera prochainement présenté au Parlement.

    La gauche doit être aussi attentive aux préoccupations des classes moyennes. Dans le passé, elle a pu méconnaître certaines de leurs aspirations pourtant légitimes. Aujourd'hui, nous reconnaissons les classes moyennes pour ce qu'elles sont : un groupe salarié pour la plupart mais diversifié, qui joue un rôle croissant dans la société française.

    J'ai la conviction que ces trois groupes -les exclus, les classes populaires, les classes moyennes- qui ont certes des intérêts spécifiques, et parfois divergents, ont aussi des préoccupations communes. Ils ont les mêmes aspirations au développement de l'emploi, au recul de la précarité, à l'amélioration du système éducatif, à la consolidation de la protection sociale. Ils peuvent donc se retrouver dans notre projet politique et de transformation sociale.

    Pour prendre en compte cette nouvelle réalité sociale, la gauche ne doit exclure aucun thème, ni dans le débat, ni dans l'action. Longtemps, on s'est plu à penser qu'il y avait des " thèmes de gauche " et des " thèmes de droite ". Comme si la responsabilité en politique ne se mesurait pas à la capacité à se saisir de tous les problèmes. Toutes les questions qui se posent à la société française doivent donc être abordées et traitées par la gauche, en référence à ses valeurs et à ses exigences propres. Pour la plupart d'entre elles, il existe des approches de gauche et des approches de droite.

    Ainsi, au cours des derniers mois, et sur bien des sujets, il m'a semblé qu'il y avait toujours une gauche et une droite. A propos du PACS, des 35 heures, des emplois-jeunes, de l'indépendance de la Justice, du cumul des mandats, de la loi sur les exclusions, de la couverture maladie universelle : chacun a pu voir qui était de droite et qui était de gauche.


    Il en va de même pour la politique fiscale. Si la baisse des impôts est nécessaire, c'est d'abord parce que la droite les a massivement augmentés. On demande donc à la gauche de baisser les impôts que la droite a accrus. Si la baisse des impôts devient possible, c'est parce que la gauche a su relancer une croissance forte et dégager des marges de manoeuvre. Si la baisse des impôts est souhaitable, c'est, pour nous, à condition qu'elle soit équitable.

    Ainsi que nous en étions convenus depuis plusieurs mois, nous allons donc baisser les impôts dans le budget 2000.

    Cette orientation s'inscrit dans une cohérence politique. Dès ma déclaration de politique générale, j'avais indiqué qu'il fallait réduire mais aussi rééquilibrer les prélèvements obligatoires. Nous avons d'abord, en 1997, rééquilibré la fiscalité entre les revenus du travail et ceux du capital dans un sens plus favorable à l'emploi, au pouvoir d'achat et à la justice sociale, en basculant les cotisations d'assurance maladie sur la CSG. C'est ce que nous avons amplifié cette année en décidant de réformer l'assiette des cotisations sociales patronales.

    En 1998, nous avons réduit la part salariale de la taxe professionnelle pour les plus petites entreprises, afin de promouvoir l'emploi et l'investissement. Nous continuons aujourd'hui, dans le budget 2000, à alléger la fiscalité indirecte et notamment la TVA sur les travaux à domicile et les réparations immobilières, conformément à nos engagements. Au total sur deux ans nous aurons allégé la TVA de 27 milliards de francs.

    Nous allons continuer, sans rien sacrifier. Ni la diminution de la dette publique, ni le financement de nos priorités, ni notre exigence de justice sociale, ni notre souci d'efficacité. Mais nous voulons " donner de l'air " à notre économie et rendre du pouvoir d'achat aux Français.

    C'est pourquoi, dans le même esprit, nous conduirons au cours de l'année 2000 et pour le budget 2001 une réflexion sur une baisse des impôts directs, et notamment l'impôt sur le revenu. Mais nous le ferons avec le souci de la justice. C'est ainsi que, si une baisse de cet impôt doit être envisagée, je n'oublie pas pour autant les millions de familles modestes qui ne sont pas concernées, parce qu'elles ne paient pas l'impôt sur le revenu. Il faut, pour les plus défavorisées d'entre elles, supprimer les mécanismes qui sont de nature à dissuader les personnes titulaires d'allocation de reprendre un emploi salarié.

    Nous voulons aussi rassembler les Français autour de notre politique pour les retraites. Une vie de travail ouvre le droit à la retraite. C'est là un acquis de nos combats. En France, le mode de financement —la répartition— fait aussi des retraites l'expression de la solidarité entre les générations. C'est un facteur de cohésion nationale auquel nous sommes profondément attachés. Face à l'évolution démographique, des réformes sont nécessaires pour garantir l'avenir de nos retraites. Pour réussir, ces réformes doivent être comprises des Français et acceptées par eux. A la différence d'autres, et à la lumière de leur expérience, nous prendrons le temps de la concertation et nous n'opposerons pas les retraités et les cotisants, le secteur privé et le secteur public, et dans celui-ci les différents régimes.

    Le Gouvernement a engagé la concertation et prend le temps de l'explication. L'année prochaine sera celle de la mise en œuvre progressive des décisions qui auront été prises.

Cher(e)s camarades,

J'ai esquissé devant vous l'esprit dans lequel nous allons aborder les prochains rendez-vous de l'action gouvernementale. Le séminaire du Gouvernement du 10 septembre prochain précisera ces choix. J'aurai l'occasion, en particulier lors des journées parlementaires de Strasbourg, d'y revenir. Nous en débattrons ensemble et au sein de la majorité plurielle.

Premier parti de la majorité, vous incarnez par votre importance, votre unité, le pôle de stabilité dont le gouvernement a besoin pour conduire son action. Les Français l'apprécient, ils l'ont montré.

Votre capacité à débattre, à proposer, la fraternité qui vous anime, la jeunesse que vous savez rassembler, constituent pour le Gouvernement un indispensable point d'appui. C'est une force dont vous êtes, dirigeants, élus, animateurs, militants, individuellement et collectivement, détenteurs.

Continuons à la mettre au service du pays.