La bataille Chirac-Sarkozy est indécente


Entretien accordé par Bertrand Delanoë, maire de Paris, au quotidien Le Parisien daté du 25 juillet 2004
Propos recueillis par Dominique de Montvalon et Nathalie Segaunes

 

Vous qui avez été l'un des premiers à vous prononcer pour le oui à la Constitution européenne, ne craignez-vous pas une montée des non ?
D'abord, il faut se réjouir que le président ait accepté la proposition des socialistes qui avaient demandé que cette question soit réglée démocratiquement, par référendum. Mais ce sera un rendez-vous difficile. Lors du référendum de Maastricht, où le président Mitterrand s'était engagé avec courage et beaucoup de sens de l'histoire, la partie n'était déjà pas facile. A l'époque, les partisans du non nous avaient annoncé l'apocalypse. La preuve est faite depuis janvier 2002 que la monnaie unique est un progrès pour tous les Européens. L'organisation de l'Europe n'est jamais simple, jamais parfaite, mais toujours en progrès. En 2005, la question posée sera : voulons-nous franchir une nouvelle étape positive dans l'organisation des peuples européens entre eux ? Ce progrès, certes insuffisant, le refusons-nous ou l'acceptons-nous ?

Souhaitez-vous que les socialistes, le moment venu, sachent faire bloc ?
François Hollande a raison de vouloir un débat approfondi, tranché par le vote des militants. Ce sera la noblesse du PS que d'être le seul parti à organiser ce référendum interne. Bien entendu, je souhaite que cela se conclue par une décision positive. Le repli national est un signe de déclin. Dans l'histoire, jamais les positions nationalistes n'ont été un progrès.

Que vous inspire l'état des relations Chirac-Sarkozy ?
Au regard des difficultés que vivent les Français (chômage, exclusion, affaiblissement des services publics), la bataille politicienne qui se déroule au sommet de l'Etat est indécente. Il y a dans cette haine, dans cet appétit de pouvoir, dans la petitesse de ce conflit quelque chose de blessant pour la démocratie, et qui n'honore pas le service de l'Etat. Si les ambitions personnelles sont légitimes, si les différences d'appréciation sur les manières d'exercer ou de conquérir le pouvoir sont respectables, ces deux personnalités oublient un petit détail : elles viennent toutes deux d'être désavouées par une majorité de Français lors des dernières élections.

Mais la gauche peut-elle gagner en ne misant que sur les échecs de la droite ?
Les Français ont dit clairement ces derniers mois que la gauche était bien leur instrument pour s'opposer au pouvoir actuel. Ils désirent maintenant que la gauche leur fasse envie, qu'elle devienne leur espérance. Notre ardente obligation doit être de construire tous ensemble un projet à la fois novateur et responsable. Il vaut mieux un projet qui s'interdise la démagogie et qui sera mis en oeuvre, qu'un projet qui s'autoriserait quelques facilités et qui serait oublié, sitôt une victoire acquise. Dans l'héritage de Lionel Jospin, il y a entre autres le respect des engagements, c'est-à-dire l'honneur de l'action politique.

Comment vivez-vous la remise en cause des 35 heures ?
Il y a un point positif dans les propos du président de la République : la durée légale du travail reste bien à 35 heures. Le reste est plus inquiétant. Une loi aussi importante et novatrice que les 35 heures a besoin d'adaptations, de l'épreuve de l'expérience. Mais il ne faut pas donner aux forces économiques qui veulent remettre en cause cet acquis social ni un signal encourageant ni la possibilité de le faire.

Avez-vous été choqué par les propos d'Ariel Sharon accusant la France d'antisémitisme et invitant les juifs de France à s'installer en Israël ?
Oui, énormément, car la lutte contre l'antisémitisme est un enjeu de civilisation et ne doit donc pas faire l'objet de polémiques injustes. Nous sommes une société barbare quand nous acceptons que l'un d'entre nous soit discriminé en raison de son identité. Au-delà des discours, absolument indispensables, ce sont les actes qui comptent. Il n'est pas admissible que dans notre pays des actes racistes, antisémites, homophobes restent impunis. L'Etat a les moyens de poser des actes en termes de répression, de sanctions, de lois...

Le 60 e anniversaire de la libération de Paris sera, le 25 août, fêté avec éclat...
Si nous sommes en 2004 une société de liberté, et si nous vivons en démocratie, nous le devons à ceux qui ont libéré la France et sa capitale. Parce qu'il y a eu des femmes et des hommes qui n'ont pas regardé la religion de l'autre, la couleur de sa peau ou sa différence, qui se sont unis, qui ont fait preuve de courage moral et physique, l'idéologie la plus barbare qu'ait connue le XXe siècle a été détruite. Nous devons leur dire merci, et transmettre les valeurs qu'ils ont défendues. C'est pourquoi, par exemple, j'ai tenu à ce que 90 000 DVD sur la libération de Paris soient distribués gratuitement aux enfants des écoles de Paris.

Paris-Plage n'est-il pas en train de devenir le rendez-vous des bobos ?
Pas du tout. Ce jugement ne correspond pas à la réalité des deux éditions précédentes. Les principaux bénéficiaires de cette opération sont les plus défavorisés. Des centaines de milliers de Franciliens qui ne partent pas ont ainsi des vacances dans l'un des plus beaux endroits du monde. Et je me réjouis que tout le monde puisse en profiter. C'est un formidable lieu de mélange et de cohésion sociale. Et en plus, tout y est gratuit.

Le Tour de France s'achève aujourd'hui à Paris...
C'est l'une des plus belles manifestations sportives qui soit. Il faut sauver l'enjeu moral du Tour et éradiquer ce qui l'abîme, le dopage. Je salue les dirigeants du Tour qui mènent ce combat. Mais le travail n'est pas terminé.

Les JO de 2012, est-ce un grand combat pour vous ?
C'est probablement, dans mon action et mon implication personnelles, une des aventures les plus passionnantes car il s'agit de Paris, des évolutions que cette ville pourra connaître grâce aux JO, et d'une manière de faire vivre les valeurs du sport, la compétition dans le respect et la fraternité. A tel point que si l'on obtenait, le 6 juillet 2005, l'organisation des JO, je pourrais, à la limite, tout arrêter (sourire)...

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