Rassemblement
"Pour un nouveau Parti socialiste"
La Sorbonne- 26 octobre 2002



Les signataires de l'appel " Pour un nouveau Parti Socialiste " organisaient la première journée de débat et d'échanges.
Discours de Julien Dray, député de l'Essonne


 
Chers camarades, chers amis,

Les Canadiens ont une expression qui me semble particulièrement bien caractériser ce que nous avons fait tout au long de cette journée : Ils diraient que nous avons " brassé la cage ". Ici on dit " secouer le cocotier ". Ce que nous sommes en train de faire est salutaire pour notre parti et pour la gauche. Car on ne peut construire un avenir solide, tracer des perspectives d'avenir, sans d'abord se remettre en question, sans analyser les causes profondes de notre échec.

Alors, pourquoi avons nous perdu le 21 avril ?

Tout d'abord par ce que la société a peur.

Chacun d'entre-nous se souvient des images et des moments forts de cette campagne : C'est un candidat qui sort du fond du trou parce qu'il donne une gifle à un gamin qui lui faisait les poches. C'est un Président qui a pour seul programme de surfer sur une actualité dramatique et qui ressuscite parce qu'il se fait cracher dessus. Ce sont ces images de gendarmes rompant leur obligation de réserve et manifestant et donnant encore plus de prégnance à cette idée que décidément " tout fout le camp ".

Et pendant cette campagne, nous avons été incapables de répondre, de rassurer, de montrer que nous pouvions vaincre les peurs par notre politique.

En 1997, nous avions dit " la première insécurité c'est le chômage ". C'était juste. Mais cela ne suffisait pas. Nous avons donné le sentiment tantôt de nier les problèmes, tantôt d'être acculés, le dos au mur, pris dans le tourbillon des événements, sans corpus idéologique pour comprendre et répondre aux situations nouvelles auxquelles nous étions confrontés.

Le PS a sous-estimé l'ampleur de la crise de civilisation dans laquelle nous plonge le libéralisme. Pour se développer, le libéralisme se nourrit du désordre, il a besoin de détruire les règles, les valeurs, comme il déjà supprimé les frontières. Jaurès parlait en son temps de la guerre, nous pourrions dire aujourd'hui avec lui que " le capitalisme porte en lui le désordre comme la nuée porte l'orage ".

Mais ne nous y trompons pas, ce désordre n'est que la surface des choses, une apparence car comme le dit Jean Paul Sartre " Le désordre est le meilleur serviteur de l'ordre établi ".

Et l'ordre qui s'impose, c'est celui de l'argent roi comme seule valeur de référence. L'argent roi qui s'affronte à toute résistance, à toute valeur, à toute idée qui pourrait tenter de se dresser sur son chemin.

Pour cela il dispose d'un formidable vecteur : la télévision telle qu'elle est aujourd'hui. Cette télévision où les images qui défilent installent l'idée que le travail n'a plus aucune utilité sociale, que l'émancipation de l'individu passe par le nombre de zéros de son compte en banque.

Ce triomphe de l'argent roi percute de plein fouet des évolutions lourdes de société. Ces évolutions lourdes, c'est d'abord la civilisation urbaine qui s'installe comme modèle dominant. C'est aussi une crise du modèle patriarcal lié à l'émancipation des femmes, à la place nouvelle du respect des enfants, à l'élévation globale du niveau culturel de la société, le point nodal de cette crise étant la mutation de la cellule familiale.

Evidemment, ceux qui vivent le plus mal ces bouleversements, ce sont ceux qui ont le moins, car ils n'ont pas les moyens de se protéger, d'inventer des solutions nouvelles. Les plus vulnérables, ce sont encore et toujours, ceux qui vivent dans les barres HLM.

Cela, le PS ne l'a pas compris. D'ailleurs comment aurait-il pu le comprendre quand on sait combien notre parti a de militants dans les quartiers ? Comment aurait-il pu le comprendre lorsque, pour désigner ceux qui habitent les quartiers dits " difficiles ", il dit trop souvent " ces gens-là " ?

Nous n'avons pas pu comprendre cette souffrance car nous n'étions pas avec eux, avec les nôtres, au quotidien. Dire aujourd'hui qu'il faut nous construire un " Parti populaire et de masse " n'est donc pas une simple référence à l'histoire, c'est au contraire une exigence de modernité.

La gauche n'a pas su faire face à cette situation car, ces cinq dernières années, elle a été tiraillée, déchirée entre 2 pôles. le pôle de Chevènement et celui de Noël Mamère.

Notre parti s'est trouvé au milieu en train d'arbitrer, à la recherche d'une synthèse impossible. Cette synthèse était d'autant plus improbable que les deux se trompent.

Chevènement avait tort car il a cru que la crise de la société était due à l'idéologie soixante-huitarde, que tous nos maux trouvaient leur origine dans le fameux " il est interdit d'interdire ".

Je suis moi-même un petit enfant de Mai 68 et je le revendique. Cette période reste pour moi une référence non pas par romantisme révolutionnaire, parce qu'on occupait les facs et les usines, parce qu'on chantait l'Internationale, et que les portraits de Lénine et de Trotski refleurissaient dans les manifs, mais bien parce que le vent de liberté de Mai 68 a été fécond pour la société française. Et quand on est de gauche, on ne peut pas l'oublier.

Jean-Pierre Chevènement fait le procès de mai 68 avec une sorte de nostalgie de l'ancien temps mais il oublie trop souvent que l'ancien temps, c'était celui des années de plomb du gaullisme réactionnaire, celui de l'ORTF et des femmes au foyer.

Chevènement avait compris qu'il y avait un besoin d'ordre dans la société. Mais, derrière les formules, ses réponses étaient inadaptées et inappropriées aux situations nouvelles.

Car ce n'est pas avec une " bonne taloche " que les problèmes seront résolus. L'autorité ne se décrète plus, elle n'a plus de fondement naturel puisque toutes les règles sont brisées par l'argent. C'est en cela que le discours de Jean-Pierre Chevènement était particulièrement inadapté.

A l'opposé de cette vision, nous avons eu le discours sympathique et libertaire de Noël Mamère. Mais ce discours qui sous-estime gravement l'importance et la gravité de la destruction du tissu social. Il en arrive à nier la réalité vécue au quotidien du racket, des agressions, des incendies de voitures. Cet angélisme-là devient rapidement une forme d'autisme à la souffrance des classes populaires.

Ce n'est donc ni dans la négation, ni dans le retour en arrière que nous trouverons la solution, c'est dans la recherche d'un modèle qui permette de répondre aux peurs en s'attaquant à leurs causes, et de redonner un sens au " tous ensemble " tant revendiqué ces dernières années.

Quel est ce modèle ? C'est le retour d'un esprit collectif fondé sur le renouvellement des valeurs de la République laïque qui valorise les citoyens parce qu'elle est une communauté de liberté.

Car à l'inverse de ce que nous avons cru, et de ce que certains d'entre-nous ont théorisé, le nouvel horizon du socialisme n'est pas la valorisation d'un nouvel individualisme ou d'un nouveau communautarisme.

Le libéralisme a beau nous expliquer que la société est atomisée, que les demandes sont contradictoires, qu'il n'y a plus d'intérêt collectif et que ce qui doit triompher c'est le respect d'intérêts particuliers et divergents, la réalité est toute différente : il existe une demande et un besoin de collectif, de communauté, de vivre ensemble.

Jamais les conditions objectives de vie n'ont été aussi homogènes : 80 % des Français vivent en ville. Depuis la Deuxième Guerre Mondiale le salariat urbain se généralise, les modes de vies s'uniformisent. Nous n'avons donc jamais été aussi nombreux à avoir des intérêts en commun. Et ces intérêts communs créent naturellement des besoins sociaux nouveaux.

Par exemple, la mère de famille qui se retrouve seule avec trois enfants à élever, qui part tôt le matin et qui rentre tard le soir : il est évident que cette femme, pour son épanouissement individuel comme pour l'éducation de ses enfants, a besoin de nouveaux services collectifs.

Et si la gauche n'est pas au rendez-vous, alors elle sera livrée à elle-même et ne pourra pas s'en sortir. De ces problèmes auxquels l'on n'a pas su répondre, de ces détresses oubliées naît la haine de toute la société et ce sentiment terrible qui fait dire à tant de citoyens : " la politique ne peut rien pour nous ".

Nous voulons un nouveau Parti Socialiste car nous voulons un nouveau projet de vie collective. Je crois profondément que c'est parce que nous n'avons pas su porter un modèle porteur de nouvelles valeurs collectives que chacun a été renvoyé à ses peurs et à ses angoisses. Et c'est là, nous le savons, le meilleur terreau pour l'extrême droite.

Face à cette situation, quel est le travail que nous devons faire maintenant ? Je vois 4 priorités.

La fraternité d'abord !

C'est une bataille culturelle essentielle. Cela passe par exemple par la création de nouveaux rendez-vous fraternels comme Paris-Plage ou les repas de quartiers. La lutte contre la déshumanisation des relations sociales doit être un de nos objectifs.

Ne nous trompons pas : Internet et les courriers électroniques n'ont pas remplacé le besoin de se parler, de se voir, d'échanger, de se comprendre, de s'aimer.

Ces besoins-là sont la seule explication possible aux succès, dont tout le monde s'étonne à chaque fois, des événements festifs collectifs.

C'est à la gauche d'être à nouveau à la pointe de ce combat culturel. C'est comme cela, en rassemblant, que l'on reconstruira une hégémonie culturelle des valeurs de gauche dans la société.

Un nouveau projet de vie collective, cela veut dire aussi un nouveau projet éducatif

Car la gauche c'est l'Ecole. Cela ne doit pas être oublié, particulièrement au moment où notre système scolaire est en crise. Il faut sauver l'école de la République et cela ne pourra pas se faire contre la communauté scolaire. Mais il faut sortir de ce débat stérile qui oppose depuis 10 ans dans la gauche française les partisans de l'Instruction et ceux de l'Education, d'un côté ceux qui défendent une Ecole qui transmet des savoirs et, de l'autre, ceux qui pensent que l'Ecole doit avant tout éduquer les enfants. La modernité, pour l'Ecole, c'est de lui demander de faire les deux et de lui en donner les moyens. Il faudra commencer par l'apprentissage de la citoyenneté. Cela passe par exemple par l'éducation des enfants à l'image, pour leur apprendre à faire la différence entre le réel et le virtuel, à dépasser leurs émotions et à analyser. C'est là une des missions nouvelles de l'Ecole.

En complément de l'Ecole, la gauche doit être capable de porter un vrai projet d'éducation populaire grâce à de nouveaux services publics

Là encore les besoins sont extrêmement nombreux. Comment peut-on, par exemple, interdire aux jeunes de traîner dans les cages d'escalier alors qu'il n'existe aucune infrastructure digne de ce nom pour les accueillir ? Comment ne pas voir le manque criant d'infrastructures sportives, culturelles ? Comment ne pas percevoir ce besoin d'activités, de création, d'encadrement, d'éducation ? C'est par centaines qu'il faudra construire des maisons des jeunes et de la culture, ouvertes tard le soir et encadrée par du personnel formé, c'est par milliers qu'il faut former les éducateurs capables d'encadrer les jeunes, d'animer des activités sportives ou culturelles.

Les parents aussi sont demandeurs. Combien d'entre eux sont démunis face à leurs enfants, notamment quand ils commencent à s'installer dans la délinquance ? Des écoles de parents répondent déjà efficacement à ces situations, mais avec des moyens et à une échelle terriblement insuffisants.

Bref, c'est un nouvel univers dans lequel l'enfant n'est plus laissé à lui-même et où la famille est aidée et prise en charge qu'il faut imaginer et créer. On pourra d'ailleurs se poser la question de la création d'un service civique obligatoire et rémunéré, dans le cadre duquel chacun donnerait un peu de son temps à la collectivité et aux autres, par exemple après le Bac.

On va bien sûr nous dire que tout cela coûte trop cher. Oui, cela coûtera de l'argent. Mais il y a un chiffre que nous devons garder à l'esprit : cinq jours de détention à Fleury-Mérogis coûtent à la société autant qu'un mois de salaire d'un éducateur de rue. D'ailleurs, et c'est la seule petite phrase polémique que j'aurai ici, si l'on avait tous ces nouveaux services publics, l'état d'esprit dominant ne serait sans doute pas à réclamer des baisses d'impôts.

Jérôme Cahuzac me racontait l'anecdote d'un journaliste français interrogeant un Suédois sur le taux de prélèvement obligatoire dans ce pays qui est équivalent à 67 %. " Comment les gens supportent ce taux alors qu'avec 47 % en France, tout le monde proteste ? ". La réponse des suédois est édifiante : " Oui, mais chez nous ils en ont pour leur argent ! ".

Enfin, nous devrons porter une nouvelle exemplarité de la République

Cela passe par une lutte drastique contre les discriminations. Car les nouvelles générations de Français n'aspirent pas à autre chose qu'à être considérés comme des Français et seulement comme des Français, sans que leurs origines leur soit rappelées à l'entrée des boîtes, quand ils cherchent un boulot ou un logement.

Cela veut dire aussi qu'il faut des jeunes issus de l'immigration qui soient députés. Cela c'est de la responsabilité directe du Parti Socialiste. Comment ne pas ressentir une certaine honte que ce soit la droite qui ait nommé une Tokia Saïfi Ministre de la République ?

Un nouveau projet éducatif, de nouveaux services publics, une nouvelle fraternité, une nouvelle exemplarité républicaine, cela porte un nom : c'est un projet de société. Plus encore, c'est un nouveau projet de société de gauche.

C'est rester fidèle à l'esprit initial de la République qui en protégeant et en assurant les conditions de l'émancipation de tous, est à la fois respectée et retrouve sa pleine autorité. C'est comme cela que l'on répond à la crise de l'autorité.

Comme j'avais promis à Arnaud que moi aussi j'arriverai à citer Pierre Mendès-France, c'est dans cet esprit qu'il disait :

" La République doit se construire sans cesse
car nous la concevons éternellement révolutionnaire,
à l'encontre de l'inégalité, de l'oppression, de la misère, de la routine des préjugés,
éternellement inachevée tant qu'il reste des progrès à accomplir ".


Pour faire tout cela, il faut un nouveau Parti Socialiste. Alors, au travail, c'est aujourd'hui que cela commence !


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