Un congrès de réconciliation
avec la réforme

Dominique Strauss-Kahn
Intervention de Dominique Strauss-Kahn, député du Val-d'Oise, lors du Conseil national du Parti socialiste du 18 janvier 2003.


 
Mes camarades,

la préparation de ce Congrès se situe dans un double contexte que chacun a à l’esprit. D’abord le risque croissant d’intervention américaine en Irak. Ensuite le façonnement, sous nos yeux, des institutions de la nouvelle Europe.

Je voudrais d’abord dire un mot sur cette question de l’Europe. Elle touche très directement les socialistes. Depuis Jaurès, la question de la guerre et de la paix est au cœur des préoccupations des socialistes. La guerre en Irak, plus d’ailleurs sans doute par des conséquences prévisibles que pour ses causes, doit être aujourd’hui une préoccupation tout à fait centrale.

Il n’est pas possible que nous laissions les initiatives de la paix à l’extrême-gauche. C’est pour cela que nous ne pouvons pas accepter une quelconque forme de résignation et que je suis, comme vous tous, je le pense, ravi de la façon dont notre Conseil National, s’est déterminé ce matin sur la proposition qui a été faite par le Premier secrétaire.
Le problème c’est que je crois que cela ne suffit pas. IL faut que nous affirmions notre position et nous l’avons fait. Il faut que nous participions aux mouvements qui sont organisés. Nous allons le faire. Je pense qu’il faut que nous allions plus loin, et que d’une opinion sur la guerre, et sur la paix, nécessaire, nous fassions un mouvement.

Je pense que nous devons, avec le reste de la gauche, aujourd’hui, à partir de notre texte, créer un minimum d’organisation.
On pourrait appeler cela la paix là-bas et faire en sorte que non seulement nous soyons partis de ce qui va se passer dans la riposte, contre la guerre, contre la guerre en avant, contre la guerre après, si elle devait se déclencher et que nous organisions nous-mêmes le mouvement que beaucoup de françaises et de français de gauche attendent.
C’est pourquoi je crois qu’il nous faut une sorte de Comité national unitaire qui rassemble tous les mouvements qui, dans notre pays, veulent s’élever contre cette guerre en Irak, qui rassemblent dans notre pays et qui rassemble au-delà.

En Europe, toute la gauche est prête à s’élever contre ce qui risque de se passer. En agissant ainsi, non seulement nous contribuerons à unir la gauche mais aussi nous affirmerons une position dans la mondialisation. Ne nous y trompons pas !

C’est bien le rôle hégémonique que les Américains veulent tenir dans la mondialisation qui est derrière, aux fondements de ce qui peut se passer en Irak.

Cette question de la mondialisation est présente dans toutes les contributions et dans toutes les interventions qui ont eu lieu ce matin. A la suite de Lionel Jospin, au cours de ces années, nous avons reconstitué un rapport critique avec cette nouvelle phase du capitalisme. Nous avons reconstitué une tension avec le libéralisme.

Dans ce domaine, comme dans tous les autres, comme dans celui de la paix, que je viens d’évoquer, comme dans celui des propositions à faire sur les retraites sur tous les sujets, dans ce domaine, comme dans les autres, il faut que le Parti socialiste ait une autonomie dans l’Union, que le Parti socialiste ait ses propres propositions.
S’il y a beaucoup de mouvements, en dehors de nous, qui combattent la mondialisation, si tous ces mouvements ont leur proposition, ce ne sont pas obligatoirement les nôtres.

Même si, comme nous, ces propositions procèdent d’un refus de la mondialisation libérale, avoir notre propre redéfinition, avoir nos propres propositions, est indispensable non seulement pour nous identifier mais pour peser.

Voilà pourquoi j’ai proposé un impôt sur la mondialisation. Quel en est l’objectif ?
L’objectif est de prendre à ceux qui bénéficient de la mondialisation pour donner à ceux qui en pâtissent et qui ont besoin de cet appui pour le développement.
Quel est le moyen d’identifier ceux qui bénéficient de la mondialisation, les détenteurs de capitaux et donc les actionnaires des entreprises ?
C’est donc bien par le biais d’entreprises dans les pays riches, disons dans les pays de l’OCDE, qu’il faut agir. Quel est le moyen ?

Il faut un instrument, que l’on sache mettre en œuvre, une très grande faiblesse de ce qui a pu être proposé en matière de taxes internationales et qu’on ne savait pas comment le mettre en œuvre ?
Savoir comment on met en œuvre consiste à prendre un impôt qui existe et il faut rajouter, à cet impôt qui existe, ce dont nous avons besoin pour combattre les effets de la mondialisation.
Cet impôt qui existe dans tous les pays de l’OCDE qui doivent y contribuer, c’est bien l’impôt sur les sociétés.
C’est pourquoi je propose que nous nous battions pour mettre en œuvre un élément additionnel à l’impôt sur les sociétés partout où il existe de façon à ce que les sommes récoltées puissent être de l’ordre de 50 milliards d’euros.
C’est toute l’aide au développement aujourd’hui sur la planète, que les 50 milliards d’Euros. Cela représente 0,2 points de plus sur l’impôt sur les sociétés.
Nous devons nous battre pour cela. Il faut une volonté et cela est possible et d’ailleurs le gouvernement de Lionel Jospin l’a montré.

Lorsque nous avons mis en place un impôt additionnel sur les sociétés pour faire l’Euro, nous n’avons pas détruit l’économie française. Nous avons eu les ressources pour faire l’Euro. Les entreprises qui bénéficiaient de l’Euro ont pu le payer de la même manière, parce qu’elles bénéficient de la mondialisation.
On sait comment mettre tout cela en place. IL faut de la volonté, c’est la nôtre. Il faut aussi une volonté Européenne. Nous ne réussirons pas seuls. C’est là qu’on rejoint la façon dont notre action doit s’organiser au niveau Européen. Il est clair pour tous que la grande question politique des années qui viennent, c’est la question Européenne. Pour nous qui sommes des républicains et des français, et souvent les deux mots se recouvrent, avoir une contribution ce n’est pas rien. C’est un acte d’un symbolisme considérable !

Je ne suis pas sûr que les dernières propositions qui viennent d’être mises en avant par les allemands et les français soient très viables.

Je ne suis pas sûr de toute façon qu’elles correspondent à ce que nous souhaitons. J’ai entendu tout à l’heure que nous voulions un modèle plus fédéral, et j’en suis d’accord. De toute façon, quelles que soient ces institutions, même meilleures que celles que la convention peut être en train de préparer, cela ne suffit pas.
Il faut politiser l’Europe. Ce dont nous avons besoin, c’est évidemment de constitution d’un cadre, mais d’un cadre malheureusement, même s’il peut comprendre par son préambule quelques éléments de contenu, un cadre ne suffit pas. Il faut remobiliser la construction européenne et la remobiliser autour de la lutte contre les inégalités. C’est pourquoi je propose que nous soyons, nous, socialistes, français, à l’origine d’un Manifeste politique pour l’Europe.
Il faut que nous le portions au PSE qui, de ce fait, pourra trouver peut-être une énergie nouvelle : changer de parti des socialistes européens, en véritable parti socialiste Européen qui porte une vision de l’Europe.
Si nous ne faisons pas cela, si nous n’agissons pas ainsi, nous aurons effectivement les éléments d’une Constitution mais pour quelle Europe ? Pour quel modèle ?

C’est à nous de le concevoir, à nous de l’écrire, et parce que le rôle de la France, dans la constitution européenne a toujours été majeur, il nous appartient d’engager ce mouvement. Et parce que nous le voulons à gauche, alors c’est à nous, socialistes, français, de lancer cette mécanique, et j’insiste, la Direction du Parti, si elle le veut, doit s’engager dans cette voie.

Ce que nous voulons, c’est qu’un réformisme conséquent attaque les inégalités partout en Europe, là où elles se créent, pas seulement lorsqu’elles ont existé pour en compenser les effets. Il faut évidemment le faire, redistribuer plus en amont encore. Beaucoup d’entre vous, ce matin, ont parlé de l’école, d’autres du logement, d’autres de la santé.
C’est là que se produisent les inégalités et c’est là que nous devons, nous en France, nous tous socialistes et socio-démocrates en Europe faire avancer le débat.

La question des inégalités en Europe des nouvelles inégalités est celle qui sera l’enjeu central des dix ans qui viennent. Pas seulement chez nous mais dans tous les pays Européens où la social-démocratie gouverne ou a gouverné.
Il y a ceux qui se désintéressent de ces nouvelles inégalités, ce n’est pas notre cas. Il y a ceux qui relaient les critiques au motif que toute proposition de réforme serait une sorte d’acceptation de l’existant, et ceux qui refusent la réforme. Ce n’est pas notre cas non plus.

J’ai lâché le grand mot, celui de la réforme. En effet, ce Congrès doit être pour moi le Congrès de notre réconciliation définitive, nous socialistes, avec la réforme, la fin du grand écart entre les positions que nous prenons dans l’opposition et les positions que nous mettons en œuvre lorsque nous sommes au pouvoir, et l’inverse comme le souligne Henri Emmanuelli.

Evidemment, le réformisme cela se juge aux propositions concrètes, donc il faut en faire. Il ne suffit pas de dire dans une rhétorique ancienne qui fait toujours plaisir mais qui est insuffisante, il va falloir faire des propositions. Le moment est venu de les mettre sur la table, sur la sécurité sociale professionnelle, sur la réforme de la fiscalité, sur a manière de réformer les retraites, selon moi en fonction de leur pénibilité, sur les questions de santé, sur bien d’autres questions encore d’une façon plus schématique, plus générale, plus rassemblée, sur al lutte contre toutes les discriminations.

Nous ne devons plus nous réfugier derrière l’idée que l’égalité est notre symbole, celui des socialistes, passée dans la République. Nous devons faire en sorte que l’égalité soit réelle, concrète, si l’égalité formelle est un obstacle à l’égalité réelle, s’il faut de l’inégalité dans l’action pour grandir l’égalité à l’arrivée, s’il faut que les enfants des écoles dans les endroits les plus pauvres aient plus de moyens que dans les endroits qui sont plus riches, nous devons accepter l’inégalité des moyens pour obtenir l’égalité des résultats.

Sur toutes ces questions, mes camarades, il y a un chemin, celui de la réforme, la réforme ce n’est pas la mollesse, la réforme peut être radicale, mais la réforme c'est un chemin pour aboutir, il y a un moyen entre nous et ce moyen c'est l’union.
Comme vous tous, je suis très favorable à l’union, nous avons vu comment la division conduisait à l’échec, le 21 avril. Mais nous avons besoin d’une union dans la gauche qui ne soit pas simplement une union de circonstance, une union électorale, une union parlementaire, nous devons aller beaucoup plus loin, union de tous ceux qui dans notre pays se sentent de gauche et militent à leur manière, certains dans les partis, d’autres dans les associations, d’autres dans les ONG, tous ceux qui ont envie que la gauche bouge, qui, il faut bien le reconnaître, ne se reconnaissent pas toujours dans les partis politiques.

Cette union a une nouvelle dimension aujourd’hui face à la crise, peut-être finale du communisme, face à la maladie infantile de l’écologie politique, face au renouveau de la question syndicale, face au mouvement que l’on sent dans les associations. La question de l’union c'est maintenant renouveler et c'est pourquoi j’ai souhaité depuis plusieurs mois et je souhaite encore plus aujourd’hui que l’idée du parti de toute la gauche soit la nôtre.
C'est évidemment une question de long terme, évidemment ce n’est pas une question pour demain matin, il y a des étapes, il y a un processus, c'est un axe stratégique.

J’ai entendu parler tout à l’heure de rendez-vous, de forums de l’union, au lendemain du Congrès, oui. Il faut ces rendez-vous de l’Union, au lendemain du Congrès.

Ensuite, il faut des formes de confédérations de la gauche pour préparer les élections et à plus court terme il faut l’union dans l’action pour la paix autour de ce comité unitaire que je vais vous proposer tout à l’heure.

Rien de tout cela n’est possible sans un parti réformé, sans un parti authentiquement réformiste. Les Français commencent à voir qu’il y a de la distance entre communiquer et gouverner, les Français vont voir malheureusement dans les mois qui viennent que la politique du gouvernement ne conduit pas à la croissance, que le chômage repart, que les inégalités sont là, malheureusement le temps va nous donner raison. Mais c'est pour cela qu’il est plus nécessaire que jamais que nous construisons cette alternative permettant de créer une alternance politique pour les responsabilités dans notre pays et ceci impose l’union.

La plupart des questions que j’ai entendues ce matin, que j’ai lues dans des textes ou des avant-textes qui ont circulé sont intéressants et méritent discussion mais ne justifient pas obligatoirement des questions de posture entre nous et des renforcements d’opposition qui seraient factices, la plupart, sauf une , le réformisme de gauche. Je souhaite, pour ma part, qu’une majorité se constitue autour de cet axe stratégique, que ceux qui le partagent se rassemblent maintenant.
Le débat qui commence doit être un débat qui est utile au Parti socialiste, qui doit aussi être utile à la gauche et parce qu’il est utile à la gauche, être utile au pays, mais cela doit conduire à mettre en avant ce qui nous oppose à la droite plus souvent que ce qui nous oppose entre nous.

Pour ma part, j’ai adopté la démarche la plus claire que je pouvais concevoir, j’ai écrit au Premier secrétaire, j’ai entendu ce matin son accord sur beaucoup des points sur lesquels je marquais une importance, alors il faut continuer à contribuer sur les idées, bien sûr, nous n’avons pas trop d’idées, et tout débat entre nous qui peut faire avancer les idées est le bienvenu, mais il faut rassembler sur la stratégie.

Je crois que de ce point de vue la multiplication des contributions générales n’est pas utile, qu’elle ne permet pas l’union dont nous avons besoin. Il faut maintenant contribuer au rassemblement des socialistes, pas à leur division, voilà le choix que nous, nous avons fait.



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