Je dénonce ce gouvernement

Dominique Strauss-Kahn
Intervention de Dominique Strauss-Kahn, député du Val-d'Oise, lors du Conseil national du Parti socialiste du 11 octobre 2003.


 
Mes camarades,

C’est avec une certaine gravité que je voudrais vous dire mes inquiétudes. Nous sommes à un moment critique pour les affaires du monde, pour la construction européenne, pour l’avenir de la France.

Ma première inquiétude vient de la situation internationale qui s’obscurcit.

La pacification de l’Irak est un échec. Le Moyen-Orient est plus que jamais une tragédie et un volcan. Le terrorisme s’étend. Le « choc des civilisations », l’axe du Bien contre le Mal, se commuent en une funeste prophétie autoréalisatrice.

C’est que la communauté internationale – et les Etats Unis en portent la lourde responsabilité – s’est engagée dans une impasse. L’impasse de la guerre. Certes, il faut combattre le terrorisme par la répression. Mais le terrorisme est une hydre qui renaîtra sans cesse tant que ses racines n’auront pas été éradiquées.

Elles se trouvent largement dans la pauvreté et le sous-développement : deux milliards de personnes sur la planète vivent avec moins de deux dollars par jour.

Bien sûr, il y a les conflits qui ne trouvent pas d’issue. Aujourd’hui c’est la question palestinienne. Demain, est ce que ce sera la Syrie ou le Liban ?

Certains pensent que les démonstrations de force contre le terrorisme et les « Etats voyous » permettront à elle seules de débloquer la situation, je ne le crois pas. Il faut prendre le problème par l’autre bout : celui du développement.

Je suis inquiet aussi, parce que l’Europe est à un tournant historique et qu’elle l’aborde affaiblie.

Mon inquiétude ne vient pas tellement de notre débat franco-français sur la Constitution européenne. Au contraire. Nous exigeons un référendum et c’est bien le moins. Nous basculons de la Communauté économique européenne à l’Union, de l’organisation intergouvernementale à la quasi-fédération, de la construction technique à l’entité politique. Ce basculement nous engage pour longtemps. Il ne peut pas être fait sans les peuples européens.

Mais pour que ce référendum ait un sens, pour qu’il ne soit pas l’instrument des démagogues de tous horizons, les citoyens doivent s’approprier les enjeux du débat. Ils doivent voter en connaissance de cause. Pour cela, nous devons faire œuvre de pédagogie. Nous devons exposer, débattre, convaincre. Et comme la question européenne est difficile, comme elle a été cantonnée aux diplomates et aux spécialistes pendant trop longtemps, le débat doit être long, approfondi.

C’est pourquoi nous devons commencer le débat public dès aujourd’hui. C’est pourquoi nous ne devons pas brider notre parole. Nous, socialistes, croyons en l’Europe politique, l’Europe puissance, l’Europe sociale. Cette question est essentielle en ce moment historique après la guerre américano-irakienne et la logique unilatérale de l’administration Bush. C’est ce que dit le texte du bureau national que nous allons voter cet après-midi. Sur cette base commune, il faut que chacun s’exprime. Ceux qui souhaitent pouvoir voter « oui » au futur projet de Constitution s’il n’est pas dégradé doivent le dire. C’est mon cas. Ceux qui voteraient « non » si le projet n’est pas amélioré doivent également le dire : leur position est légitime. Faire de la politique, c’est avoir une vision de l’intérêt général et travailler à la faire partager par l’opinion publique. Mes camarades, la question européenne nous donne l’occasion de renouer avec l’éthique de la conviction : ne fuyons pas nos responsabilités, et faisons de la politique ! Subordonnons notre travail quotidien et nos paroles à nos convictions.

Si je suis préoccupé, c’est par la tendance, dans la plupart des Etats membres, à instrumentaliser l’Europe pour justifier les errements nationaux. « C’est la faute de l’Europe ! », entend-on partout. Ces petites lâchetés peuvent conduire à de grandes défaites. Il faut arrêter cette démagogie et redonner à la question européenne l’espace qui est le sien : l’Europe.

C’est pourquoi je vous fais une proposition. Nous voulons un référendum populaire, le même jour, dans tous les pays de l’Union, pour adopter la Constitution européenne ? Eh bien donnons l’exemple en organisant un référendum interne, le même jour, commun à tous les militants socialistes de l’Union unis enfin dans un parti commun. Un seul referendum pour tous les socialistes.

Nous aurons alors la position des socialistes européens débarrassée des petits calculs nationaux.
Nous aurons aussi posé l’acte fondateur du véritable parti socialiste européen, fédéral, que nous appelons de nos vœux.
Nous aurons avancé vers la proposition de Massimo d’Alema de créer des listes communes transnationales pour les élections européennes.
Nous aurons contribué à résorber le « déficit démocratique » de l’Europe et à créer son nécessaire espace politique.

Enfin, je suis inquiet parce que la France va mal, parce que la France recule.

Une économie chancelante, une croissance nulle, un chômage qui s’envole vers les 10 %, des déficits publics insoutenables, une colère sociale profonde : c’est une France à la dérive.

Comment en est-on arrivé là ? Il y a ceux qui y voient le signe d’un déclin historique. C’est une vieille antienne. La France a l’obsession de la décadence. N’est ce pas Renan qui disait déjà à Déroulède : « Jeune homme, la France se meurt, ne troublez pas son agonie » ?

Mais rien n’est plus faux. La France allait mieux, il n’y a pas si longtemps. Souvenez-vous : une croissance stable au-dessus de 3 % en tête des pays européens, deux millions d’emplois créés en cinq ans. C’était sous le gouvernement de Lionel Jospin. C’était de 1997 à 2002. C’était hier.Il n’y a pas de déclin historique. Il y a une chute brutale, conjoncturelle. Et la cause du mal est identifiée, elle a un nom ou plutôt deux : Jean-Pierre Raffarin et Jacques Chirac. 18 mois après l’arrivée au pouvoir du nouveau gouvernement, c’est l’heure du premier bilan. Il est catastrophique.

Je dénonce ce gouvernement.

Je dénonce, d’abord, ses orientations politiques, qui sont opposées aux nôtres. Jamais, sous la Vème République, un gouvernement n’a mené une politique aussi injuste, aussi dure pour les plus fragiles, aussi généreuse pour ses clientèles.

Je dénonce sa politique économique, inefficace parce qu’à contre sens.

Je dénonce sa stratégie systématique du bouc-émissaire. Il y a d’abord eu la rengaine du poids de l’héritage socialiste. Puis ce fut la faute de la conjoncture internationale, de la guerre en Irak, de « Bruxelles »... Aujourd’hui, Jean-Pierre Raffarin se défausse sur les 35 heures.

Il est ridicule de leur attribuer la récession actuelle alors que la croissance n’a jamais été aussi forte qu’en 1998 et 1999, lorsque la RTT a été mise en place.

Jean-Pierre Raffarin les stigmatise et veut « réhabiliter le travail ». Mais réhabiliter le travail, n’est-ce pas justement donner du travail aux Français ? C’est ce qu’ont fait les 35 heures en créant 350 000 emplois. C’est ce que ne fait pas le gouvernement en précipitant le pays dans le chômage de masse.

J’ai eu suffisamment de points de discussion avec Martine à l’époque pour vous le dire en confiance : oui, Lionel ! oui, Martine ! les socialistes peuvent être fiers des 35 heures, elles resteront dans l’Histoire comme l’une des grandes réformes de la gauche.

Je dénonce, enfin, la capacité de ce gouvernement à conduire la France. Ce gouvernement est dangereux. Dangereux pour les Français : il déchire le tissu social et dresse les uns contre les autres – les riches contre les pauvres, le privé contre le public, les actifs contre les retraités, les Corses contre les continentaux…

Dangereux pour la France : notre prospérité s’affaiblit, notre réputation se ternit, notre influence se réduit.

Dangereux pour la démocratie : à coups d’incohérences politiques, de mensonges de communication, de violences contre le corps social, il nourrit les extrémismes et le rejet de la politique.

Je ne m’en réjouis pas, car si la France est en panne, ce sont les Français qui souffrent.

Je ne m’en félicite pas, car nous ne saurions nous contenter d’attendre le retour du balancier électoral. Mais je ne peux m’en satisfaire. Et j’en appelle à notre responsabilité.

Responsabilité devant le parti, afin de dépasser nos querelles tactiques.

Responsabilité devant la gauche, afin de proposer une nouvelle alliance.

Responsabilité devant les Français, afin d’offrir un projet politique, une vision de la France et de l’Europe de demain. La moment de la contre-offensive a sonné car la Droite échoue et le peuple est attentif même si les partis de gauche doutent encore. Il y a une forte résistance à la droite, nous devons agir pour la transformer en espoir. Cela commence au Parlement maintenant, et cela doit se conclure au printemps, aux régionales.

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