Il faut interdire Le Pen

Dominique Strauss-Kahn
Entretien avec Dominique Strauss-Kahn, député du Val-d'Oise, paru dans le quotidien Le Parisien daté du 30 janvier 2005
Propos recueillis par Dominique de Montvalon et Frédéric Gerschel


 

Au PS, c'est l'effervescence. La campagne présidentielle aurait-elle commencé ?
La précipitation n'est pas de mise dans une course de fond. Et puis est-ce vraiment la préoccupation des Français ? J'entends partout, à droite et à gauche, des formules du genre : Pour moi, c'est lui ! Ou bien : Pour moi, c'est moi ! Qu'est-ce que c'est que ces candidatures sans projet ? Pour les socialistes, la présidentielle, c'est un dessein de gauche, qui devient le destin de la France. Les Français veulent savoir où nous voulons les conduire. Et surtout en quoi nous sommes différents de la droite.

Bertrand Delanoë se dit prêt à rallier Jospin s'il revient. C'est d'actualité ?
Lionel Jospin ne veut pas revenir : il veut influer sur le cours des événements. Il l'a déjà fait, et le refera. Je le connais bien : c'est un partisan, un militant, un combattant. Il veut que son camp - et ceux et celles qui ont été ses ministres, avec qui il a tant fait pour la France - gagne. Pendant ce temps, François Bayrou s'affiche en opposant. Bayrou en ce moment, c'est un coucou ! Il veut réchauffer les idées de gauche dans le nid de la droite. Il parle le langage de la gauche et vote comme toute la droite.

A Lille, Nicolas Sarkozy était clairement en campagne...
On s'apercevra peut-être qu'il est parti un peu tôt.

Le projet du PS, c'est quoi ?
C'est d'abord une ambition collective pour une France plus juste. La France est bloquée. Les Français sont entravés. La politique de la droite produit la méfiance, la défiance, l'impatience. On ne peut pas créer lorsque l'on nage au milieu des inégalités. On ne peut pas prospérer lorsque l'on se débat dans l'injustice. Il faut refaire la France, et ce renouveau libérera les énergies. Le socialisme, ce n'est ni la rupture avec la société, ni l'adaptation à celle-ci. C'est le rêve d'une société où les inégalités ne sont pas un handicap, où le marché n'impose pas sa loi, où l'homme maîtrise son chemin.

Pourquoi vous, êtes-vous à ce point discret ?
Lorsque l'on veut être utile, il ne faut pas être futile ! Avec Martine Aubry et Jack Lang, nous travaillons à bâtir l'alternative à Jacques Chirac et Nicolas Sarkozy. Cela demande de l'écoute, de l'imagination, de la conviction. On ne peut s'en tenir à des slogans, aussi justes soient-ils. Je suis concentré sur ce travail.

L'impopularité du gouvernement risque-t-elle de peser sur le référendum ?
Il y a plus d'un an, j'avais demandé la démission de Raffarin. Jacques Chirac s'y est opposé et, dans mon camp, on n'a pas osé me suivre. Je voudrais dire aux Français : le temps du grand changement viendra. Aujourd'hui, un non au référendum ne changerait pas la politique de Chirac. Mais il mettrait l'Europe en crise et la gauche en panne. Pour une alternative réussie, nous avons besoin du oui.

Les Français, dit-on, ne croient plus à rien...
Ils sont désabusés car on ne les écoute pas. Ils sont résignés car ils ne voient pas d'issue avant 2007. Le gouvernement étouffe les Français. Gare à ce genre de situation : c'est comme cela qu'on crée des soubresauts violents.

Et la gauche ?
Les Français lui ont réaccordé leur sympathie, et se servent de nous pour sanctionner le pouvoir. Mais, pour autant, ils ne nous jugent pas encore crédibles ni porteurs d'espoir. La gauche est redevenue acceptable, pas encore souhaitable.

Comment traiter les provocs de Le Pen alors que l'on célèbre l'anniversaire de la libération des camps nazis ?
Sa vieille technique de la différenciation maximale est bien connue. Plus je suis provocant, mieux je suis repéré. Mieux je suis repéré, plus je peux être électoralement chevauché par tous les mécontentements. Peut-on laisser faire Le Pen ? Peut-on accepter la relativisation de la Shoah ou des crimes de guerre ? Peut-on dire, à juste titre, que ces mots condamnent leurs auteurs à l'indignité nationale, et les laisser concourir à la représentation nationale ? Peut-on accepter une condamnation par les tribunaux et une réhabilitation perverse par les urnes ? Il faut que ce jeu malsain cesse.

Vous souhaitez que Jean-Marie Le Pen soit déclaré inéligible à vie si ses récents propos sur l'occupation allemande sont condamnés par les juges ?
Oui. Je déposerai une proposition de loi visant à interdire à ceux qui seraient condamnés pour apologie de crimes contre l'humanité toute fonction représentative du peuple français. Il ne s'agit pas d'interdire un parti ou une prise de position. Il s'agit de rendre incompatibles représentation nationale et indignité nationale. Un Le Pen (ou un autre) juridiquement condamné sur ce sujet ne pourrait plus être candidat à une élection. Je ne laisserai personne salir la France.

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