La Constitution en vérité




Tribune signée par Olivier Duhamel, professeur des universités à Sciences-Po, membre de la Convention pour les socialistes européens, et Jack Lang, député du Pas-de-Calais, parue dans le quotidien Libération daté du jeudi 10 février 2005



Olivier
Duhamel


Jack
Lang




Défendre le non au référendum du 29 mai sur la Constitution européenne, c'est évidemment le droit de tout un chacun. Accumuler les mensonges sur le contenu du texte soumis à référendum, c'est totalement indigne de tout républicain.

Relevons d'abord la falsification qui prétend qu'il s'agit d'une « Constitution Giscard ». L'intéressé, pourtant peu porté à la modestie, reconnaît le premier qu'il s'agit d'une œuvre collective. Et traiter les conventionnels de « pingouins », c'est insultant pour les socialistes italien Giuliano Amato, portugais Antonio Vitorino, allemand Klaus Hänsch, pour le leader des Verts, Joschka Fischer, pour Emilio Gabaglio, alors dirigeant de la conférence européenne des syndicats, et tous les autres. La déformation nationaliste choque particulièrement lorsqu'elle ne vient pas de la droite dure mais d'une gauche qui se prétend abusivement proeuropéenne.

Dresser la liste des contrevérités accumulées exigerait un journal entier ­ tenons-nous en à quatre exemples qui montrent que le délire n'a pas de limites. Elles ont été proférées l'une après l'autre, vendredi dernier à heure de grande écoute. Aucune n'a été démentie, les animateurs de talk-show n'étant pas des spécialistes du sujet, et s'amusant de dénonciations aussi véhémentes. Le non tripal fait plus d'Audimat que le oui raisonné - et tant pis pour l'Europe.

1. La Constitution européenne permettrait le mariage pas le divorce. Mensonge éhonté.
La charte (Partie II du texte constitutionnel) reprend et étend la liberté consacrée par la Convention européenne des droits de l'homme en 1950. « Le droit de se marier et de fonder une famille est garanti selon les lois nationales qui en régissent l'exercice » (art. II-69). Jamais, en un demi-siècle de jurisprudence, le texte de la convention n'a fait obstacle au divorce et à ses libéralisations successives. En revanche, la charte ne réduit pas le droit au mariage à « l'homme et la femme », permettant ainsi à chaque pays d'adopter, ou non, le droit au mariage entre homosexuels. On invente donc une régression insensée pour masquer un progrès réel.

2. La Constitution supprimerait le droit à l'avortement en consacrant le droit à la vie (art. II-62). Affabulation grossière.
La charte reprend ici littéralement le texte de la Convention européenne des droits de l'homme. Il n'a jamais entraîné restriction du droit à l'avortement. Cette question est de compétence nationale. La France a fini par l'admettre en 1975, l'Irlande pas. Elle y viendra. En revanche, le texte impose l'abolition de la peine de mort et interdit son rétablissement. On aimerait que les Etats-Unis aillent aussi loin dans le fédéralisme et imposent à chacun de ses Etats ce que seuls quelques-uns d'entre eux admettent. Ici encore, un faux recul est dénoncé pour ne pas reconnaître une vraie avancée.

3. L'Europe supprimerait la réduction du temps de travail et porterait la durée maximale du travail à 68 heures hebdomadaires. Rien de tel évidemment.
La vérité est que la réglementation sur la durée maximale du travail est, elle aussi, l'affaire des Etats, pas de l'Europe. Et c'est une bonne chose. L'Union n'a pas à nous empêcher d'adopter les 35 heures, pas davantage à l'imposer aux pays qui n'en veulent pas. Elle se contente de fixer des normes minimales afin de protéger la santé des travailleurs. Une directive européenne existe en la matière. Elle est en cours de révision. La gauche politique et syndicale européenne se bat pour en renforcer les exigences, la droite pour les alléger ­ c'est le combat politique normal. Il n'a pas de rapport avec la Constitution soumise à ratification. Mais on veut nous refaire le coup de Bolkestein pour désespérer Billancourt. Décidément tout est bon pour se moquer du peuple.

4. La Constitution détruirait la laïcité.
C'est ici l'article 70 qui est visé. « Toute personne a droit à la liberté de pensée, de conscience et de religion. Ce droit implique la liberté de changer de religion ou de conviction, ainsi que la liberté de manifester sa religion ou sa conviction individuellement ou collectivement, en public ou en privé... » Et l'expression « en public » d'être systématiquement stigmatisée par quelques intégristes de la laïcité, empereurs de la mauvaise foi.

Déjà lors de la campagne qui précéda le référendum au Parti socialiste, quelques ex-européens devenus hérauts du repli nationaliste ont prétendu que notre laïcité républicaine s'en trouverait détruite, la loi sur le voile interdite, et tout écolier doté du droit de s'agenouiller en pleine classe (sic). Et déjà, il fut répondu que la charte reprend textuellement le texte de la Convention de 1950, y compris les limites que la loi peut apporter à l'exercice public de cette liberté ­ il suffit de lire l'article 112 du projet de Constitution pour le savoir. En revanche, la charte va plus loin que la convention fondatrice du Conseil de l'Europe, car elle consacre le droit à l'objection de conscience. Rebelote donc : inventer un recul, masquer une avancée.

Ces quatre mensonges « hénaurmes », la fin du divorce, l'interdiction de l'avortement, la durée du travail portée à 68 heures, la laïcité éliminée, sont donc fabriqués et répétés, sous le regard goguenard des animateurs. Les citoyens de bonne foi sont donc bernés. Comment connaîtraient-ils par cœur le long, trop long texte qui leur est soumis ?

N'est-il pas temps d'arrêter une telle déferlante ? D'espérer chez des politiques qui se disent socialistes, ou tout simplement démocrates, un sursaut d'honnêteté ? D'attendre de toute émission qu'une personne compétente contredise de telles falsifications ? Celles évoquées ici ne sont hélas qu'un échantillon, dans une très longue liste.

Les médias ont aussi une responsabilité quant à l'honnêteté de l'information. Un référendum est une affaire sérieuse, l'Europe un enjeu d'envergure. Dire la vérité est la première exigence d'une politique respectable. Et mentir au peuple, la façon suprême de le mépriser.
© Copyright Libération

Page précédente Haut de page



PSinfo.net : retourner à l'accueil

[Les documents] [Les élections] [Les dossiers] [Les entretiens] [Rechercher] [Contacter] [Liens]