La gauche cassée en deux, c'est l'impuissance



Entretien avec Henri Emmanuelli, cofondateur de Nouveau Monde.

Paru dans Le Monde daté du 6 juillet 2003
Propos recueillis par Isabelle Mandraud


 

Quels enseignements tirez-vous du mouvement social ?
Cela a été une première réaction de défense, il y en aura d'autres. Car ce gouvernement se trompe s'il pense avoir été investi pour mener une politique très marquée à droite et ultralibérale. Les problèmes s'accumulent dans l'éducation nationale et vont devenir ingérables dans plusieurs ministères. Sur l'assurance-maladie, il sera moins facile de diviser les Français que sur les retraites. Et le chômage remonte... Pour l'instant, le gouvernement dissimule de graves difficultés avec des effets d'annonce. Mais, de semaine en semaine, la mer se retire un peu plus et les écueils apparaissent.

Vous dénoncez un climat de répression sociale ?
Oui. Cela concerne bien sûr José Bové, mais aussi d'autres syndicalistes. A l'Assemblée nationale, des paroles et des anathèmes sont lancés par les députés de la majorité contre les grévistes. On est passé d'un climat sécuritaire à un climat autoritaire. On voit bien la volonté de la droite de radicaliser le débat pour essayer de capter l'électorat d'extrême droite.

Le PS a-t-il mené une bonne bataille sur les retraites ?
Je regrette la cacophonie du Parti socialiste sur le sujet. Il faudrait mettre un peu d'ordre dans tout cela. Et sur un certain nombre de points, nous sommes restés longtemps ambigus. Et puis on s'est ressaisi. Les députés mènent une bataille courageuse. On peut s'interroger sur ce à quoi elle aura servi. Je réponds : à soutenir le mouvement social, à gêner le gouvernement. Ce qui m'inquiète, c'est d'avoir entendu les électeurs de gauche me dire " ne nous lâchez pas ", comme s'ils n'avaient pas conscience que nous sommes minoritaires dans l'Hémicycle...

Le clivage droite-gauche est-il en train de renaître ?
Il n'a jamais disparu ! Il suffit de reprendre le débat sur les retraites, la fiscalité, le mépris affiché vis-à-vis du social, l'autoritarisme, dont fait preuve ce gouvernement. Il arrive encore à brouiller les messages en annonçant, par exemple, 30 milliards d'euros pour le logement, alors qu'il n'y en a, en réalité que 2,5 milliards sur cinq ans ! C'est de la communication, rien que de la communication, alors que, sur le terrain, ce serait plutôt la rigueur. Le débat sur les orientations budgétaires aura été l'un des derniers où le gouvernement aura pu jouer les illusionnistes.

Êtes-vous pour ou contre une loi sur le voile ?
Je suis contre, car si elle est uniquement focalisée sur le foulard, je crains qu'elle apparaisse dirigée contre une religion. Je préférerais que l'on applique les règles existantes. Et je me méfie de l'engouement récent de la droite pour la laïcité... j'ai plutôt l'impression qu'elle est en train d'installer le communautarisme.

Approuvez-vous le projet de Constitution européenne ?
Je suis inquiet, car aucun des sujets qui nous préoccupent - la démocratisation des institutions, les services publics ou l'Europe sociale - n'y figurent. En l'état, il est inacceptable. Il faudra donc se battre pendant la conférence intergouvernementale et consulter les militants avant les élections européennes, comme la direction du PS s'y est engagée.

Votre courant s'est prononcé pour un référendum avant l'élargissement. Maintenez-vous cette position ?
Nous continuons à penser que l'élargissement, sans consultation des peuples, est une erreur. Et on continue, puisqu'on parle maintenant de passer à 33. Ça devient surréaliste ! On va dégoûter les gens. Ceux qui paient l'addition, pas ceux qui ramassent des stock-options dans les multinationales et qui sont pour. Le risque est qu'à l'occasion du référendum sur la Constitution les citoyens se rattrapent et sanctionnent l'élargissement.

Minoritaire, comment comptez-vous peser sur le parti ?
En donnant notre avis, en sollicitant des votes internes, en faisant des propositions. Sur les retraites, nous avons obtenu des modifications importantes. Sur l'Europe, nous serons également très présents. Nous sommes plus libres que certains éléments de la majorité du parti liés par un pacte politique et qui n'ont pas la latitude de s'exprimer pleinement.

Votre rôle est celui d'être la caution gauche du PS ?
Aux yeux de certains, sans doute, mais notre souci est d'éviter une rupture entre le PS et la gauche de la gauche. Si la gauche se casse en deux, elle sera réduite à l'impuissance. Nous ne disons pas qu'il faut s'aligner sur les autres composantes de la gauche, mais qu'il faut réimpliquer un certain nombre de personnes dans le combat démocratique. Cela passe par des prises de position, le souci d'avoir une politique de rassemblement, le dialogue et non par la stigmatisation.

Comment va le couple Mélenchon - Emmanuelli ? Etes-vous au bord du divorce ?
Et pourquoi donc ? Que je sache, d'éventuelles scènes de ménage ne présentent qu'un intérêt restreint pour le débat public ! Elles sont de surcroît, comme chacun le sait, une nécessité pour éviter le divorce.

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